79.
Sarah Wells avait revêtu sa tenue de
travail : vêtements et chaussures noires. Au volant de sa
voiture, elle se dirigeait vers le quartier de Pacific Heights.
Elle mit son clignotant et s’engagea dans Divisadero Street alors
que le feu venait de passer au rouge. Cacophonie de klaxons. Elle
entendit des freins crisser et évita de justesse une collision avec
un break rempli de gamins.
Bon Dieu !
Concentre-toi un peu, Sarah !
Elle aurait dû réfléchir au travail qui
l’attendait, mais son esprit la ramenait sans cesse à ce qui
s’était passé un peu plus tôt dans la soirée. Elle repensa aux
bleus sur les bras d’Heidi, à la trace de morsure sur son
cou.
Heidi avait tenté de minimiser la
chose :
— Il ne sait pas se contrôler, mais ce
n’est pas sa faute.
— C’est la tienne, peut-être ?
— C’est à cause de ce qu’il a vécu en
Irak.
— Peu importe la raison, Heidi. Tu n’as pas
à supporter ça.
Elle regrettait de lui avoir crié dessus, mais
sa colère avait été la plus forte. Et sa peur. Dieu seul savait de
quoi Peter Gordon était capable. Pour sa sécurité, et pour le
bien-être de ses enfants, Heidi devait à tout prix le
quitter.
— Je sais, je sais ! s’était écriée
Heidi en posant sa tête sur l’épaule de Sarah. Ça ne peut plus
durer.
Non, ça ne peut pas
continuer, et les choses ne vont pas tarder à changer,
songea Sarah en remontant Bush Street. Elle devait bientôt
rencontrer Lynnette Green, la veuve de Maury. Lynnette lui avait
proposé d’acheter les bijoux et de se charger de les revendre.
Sarah avait à présent hâte de toucher l’argent. Plus que
hâte.
Elle tourna dans Steiner, puis dans California,
et gara sa Saturn sur le parking du Whole Foods. Après s’être
assurée qu’elle n’avait rien oublié, elle rangea son portefeuille
dans la boîte à gants et quitta sa voiture. En verrouillant les
portières, elle se mit à penser à Diana King, son nouvel
objectif.
Mme King était une veuve philanthrope, un
important rouage de la machine caritative. Elle faisait l’objet de
nombreux articles dans le Chronicle et
apparaissait fréquemment dans la rubrique mondaine des
magazines.
C’est ainsi que Sarah avait appris qu’elle
organisait ce soir-là une réception pour les fiançailles de son
fils, chez elle, dans sa demeure de style victorien magnifiquement
restaurée. Les bijoux anciens qu’elle possédait étaient eux aussi
magnifiquement restaurés : Tiffany, Van Cleef, Harry
Winston.
Si Sarah parvenait à s’en emparer, Lynnette
Green les lui achèterait. C’en serait alors fini des cambriolages.
Elle faisait ce soir son dernier coup.
Une dizaine de voitures étaient garées devant la
maison lorsque Sarah s’approcha à pas feutrés, en chaussons de
varappe. Elle se glissa dans le jardin, isolé de celui des voisins
par une grande haie de troènes, et jeta un coup d’œil furtif aux
fenêtres du rez-de-chaussée. Installés autour de la table, les
invités discutaient avec animation.
Sarah sentit son rythme cardiaque s’accélérer
tandis qu’elle se préparait à escalader la façade. Par chance, elle
repéra un climatiseur au premier étage, idéalement situé sous la
fenêtre de la chambre principale, un peu en diagonale. Elle avait
prévu de ne pas passer plus de quatre minutes à l’intérieur. Tout
ce qu’elle parviendrait à prendre durant ce laps de temps serait le
bienvenu.
En s’aidant du climatiseur, elle n’eut aucun mal
à parvenir jusqu’à la fenêtre restée ouverte. Elle se faufila dans
la pièce.
Ç’avait été presque trop facile.