32.
Pete Gordon était en chasse le long de
l’Embarcadero, la route qui ceinture la ville dans sa partie est
depuis le croisement de la 2e et de
King Street en remontant vers le San Francisco-Oakland Bay Bridge
et le Ferry Building un peu plus loin – une artère très fréquentée,
aussi bien par les locaux que par les touristes. Autour de lui, la
foule s’écoulait en un flot constant, à pied, à vélo ou en
skateboard, tandis que le soleil couchant embrasait peu à peu le
ciel indigo.
Pete avait repéré sa proie devant le Ferry
Building, une blonde fine comme un roseau, en coupe-vent noir à
capuche par-dessus une longue jupe noire qui ondulait et claquait
sous l’effet de la brise. Elle lui faisait penser à une femme en
burqa.
Elle promenait en poussette une gamine habillée
en rose. La fillette était calme, plongée dans l’observation des
voyageurs quittant le ferry pour se disperser dans le centre
commercial.
Pete la suivit à travers les étals, la regarda
acheter une miche de pain, une laitue et un filet de poisson. Il la
suivit encore lorsqu’elle quitta le marché, ses sacs plastique
accrochés autour du poignet. Elle n’adressait pas à un mot à sa
fille, laquelle, d’une certaine manière, semblait avoir pris les
commandes.
Parvenue au croisement de Market et de Spear, sa
proie se dirigea vers l’entrée du BART. Elle inclina la poussette,
s’avança sur l’escalator, et Pete sut que l’heure avait sonné. Il
agrippa son revolver dans sa poche et lui emboîta le pas.
— Mademoiselle ? Mademoiselle ?
cria-t-il à la descente de l’escalator.
À la troisième interpellation, elle tourna
brusquement la tête, l’air à la fois agacé et inquiet.
Il lui adressa un sourire timide :
— Excusez-moi, je dois rejoindre un ami à
l’angle de California Street, et je crois que je me suis
perdu.
— Je ne peux pas vous renseigner, désolée,
répondit la femme en le fixant droit dans les yeux.
Elle reprit sa progression vers le
souterrain.
— Merci beaucoup, mademoiselle ! hurla
Pete derrière elle. J’apprécie votre sympathie.
Les mains enfoncées dans les poches, Pete se
remit en chasse. La partie n’était pas terminée. Il
se demanda si c’était l’expression de son visage qui l’avait
trahi. Était-il apparu trop empressé ? Trop
agressif ?
Ça ne s’était pas passé comme ça en Irak. Ici,
il ne foirerait pas.
Il était calme, déterminé. Il avait une
mission.
Et il comptait bien l’accomplir.