5.
Le juge Steven Rabinowitz jeta un dernier coup
d’œil aux photos de son nouvel appartement, à Aspen, puis éteignit
son iPhone, fit craquer ses doigts et lança :
— L’accusation est-elle prête, mademoiselle
Castellano ?
— Tout à fait, Votre Honneur.
Yuki se leva, et ses cheveux de jais, qui
avaient récemment commencé à grisonner, lui tombèrent sur le visage
comme elle se penchait pour lisser l’ourlet de sa veste. Elle
s’avança d’un pas rapide jusqu’au pupitre, dirigea son regard vers
le box des jurés et leur adressa un sourire. Quelques-uns le lui
rendirent, mais la plupart conservèrent un visage impassible,
impénétrable.
Cela n’effraya pas Yuki.
Elle allait exposer le meilleur réquisitoire de
toute sa carrière, comme si la victime, loin d’être une ordure,
était le meilleur des hommes, et comme si ce procès devait être son
dernier.
— Mesdames, mesdemoiselles et messieurs les
jurés, commença-t-elle. Le docteur Lincoln Harris est mort parce
que cet homme, Adam J. Johnson, a délibérément refusé de lui porter
secours. En Californie, nous qualifions cela d’homicide
volontaire.
» Nous savons ce qui s’est passé cette nuit
du 14 mars. En effet, après avoir renoncé à son droit au
silence, M. Johnson a expliqué à la police comment et pourquoi
le docteur Harris était décédé, alors même qu’il aurait pu lui
sauver la vie.
Yuki laissa les mots résonner dans la salle
d’audience. Elle étala ses fiches sur le pupitre avant de
poursuivre :
— Le soir en question, l’accusé, alors
employé par le docteur Harris en tant qu’homme à tout faire, est
sorti acheter de la cocaïne destinée au docteur et à lui-même. Il
est revenu une heure plus tard, puis les deux hommes ont consommé
la drogue. Peu de temps après, le docteur a succombé à une
overdose. Comment le savons-nous ?
» L’accusé a reconnu devant les policiers
que le docteur Harris était clairement à l’article de la mort, ce
qui a d’ailleurs été confirmé par plusieurs experts médicaux. Il
avait de l’écume aux lèvres et a rapidement perdu connaissance,
mais, plutôt que d’appeler une ambulance, l’accusé a profité de la
situation pour s’emparer de son portefeuille et lui subtiliser
mille dollars, ainsi qu’une carte de retrait.
» M. Johnson est ensuite allé retirer de
l’argent – mille dollars supplémentaires – avec lesquels il s’est
acheté une veste en cuir et une paire de chaussures chez Rochester
Big & Tall.
» L’accusé est ensuite retourné acheter de
la cocaïne et louer les services d’une prostituée, Elizabeth Wu,
qu’il a ramenée au domicile du docteur.
» Durant les heures qui ont suivi, Mlle Wu
et M. Johnson ont pris de la cocaïne et eu plusieurs rapports
sexuels. Puis, selon la déposition de M. Johnson, ils ont discuté
de la manière de faire disparaître le corps du docteur Harris.
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, ceci nous montre que l’accusé
avait parfaitement conscience de sa culpabilité.
» Adam Johnson savait que le docteur était à l’agonie. Et
pourtant, malgré les quinze heures qui se sont écoulées, pas un
moment il n’a songé à appeler les secours.
» Quinze heures, mesdames et messieurs les
jurés ! martela Yuki en abattant son poing sur le pupitre.
Finalement, sur l’insistance de Mlle Wu, M. Johnson a fini par
appeler le 911, mais trop tard. Le docteur Harris est mort dans
l’ambulance qui le conduisait à l’hôpital.
» Nous savons tous que la défense n’a pas
d’arguments valables. Lorsque les faits parlent d’eux-mêmes, les
avocats ont recours à des effets de manche et cherchent à rejeter
la faute sur la victime. M. Asher vous a ainsi expliqué que le
docteur Harris s’était vu interdire la pratique de la médecine
parce qu’il consommait de la drogue. Et puis qu’il trompait sa
femme. Et après ? Certes, la victime n’était pas un saint,
mais même les personnes imparfaites
ont droit à un traitement humain. Ils ont également droit à la
justice.
» La défense a ensuite présenté Adam
Johnson comme étant un brave type sans instruction, incapable de
faire la différence entre une OD et un CD.
» C’est faux. Adam Johnson savait
parfaitement ce qu’il faisait. Il l’a lui-même reconnu : la
non-assistance à personne en danger, le fait qu’il ait préféré
passer du bon temps au lieu de secourir le docteur.
» C’est pourquoi je vous demande de le
reconnaître coupable des trois chefs d’accusation suivants :
vol qualifié, usage et cession de stupéfiants, ainsi que meurtre au
premier degré.