Journal de Claire :
« Mercredi 27 décembre 1944
Me revoilà de nouveau à Paris ! C’est inimaginable mais cela est. Pas la peine de pleurer puisque cela devait être ainsi. Le jour de Noël alors que je me chauffais contre le poêle de notre chambre, Minko est arrivé et m’a dit qu’il avait besoin d’une ambulance d’urgence.
J’ai donc roulé toute la nuit et suis arrivée à Paris quand il faisait jour. Quelle réception à la C.R.F. ! Il résulte de tout cela que je suis de nouveau à Paris sans savoir ce que je vais faire.
Je reviens à ma soirée de Noël.
Triste messe de Noël qui aurait dû être merveilleuse dans cette petite église d’un petit village d’Alsace mais qui fut ratée parce que l’orgue avait le hoquet et que les chants étaient d’une pauvreté à pleurer. Je pensais à ce Noël qui était encore plus triste que les autres, je pensais à tous ceux qui mouraient dans cette nuit glacée, je pensais à tous les prisonniers, au désespoir de mon pauvre Patrice et je sais que j’ai prié pour lui, pour que cette horrible guerre finisse.
La messe n’était pas plus tôt finie que nous fûmes entassées dans deux ambulances et transportées dans un autre village où toute une bande d’officiers nous attendait pour fêter dignement Noël. La lune était magnifique et je garde un bon souvenir de ce petit voyage, serrées les unes contre les autres, en chantant. En dansant, je me disais : Mais si les Allemands attaquaient ? Vers 6 heures, un homme entra. Puis ce furent des conciliabules à voix basse et un officier me dit : On est en état d’alerte. Et ce fut le départ presque précipité.
Heureusement que la nuit fut courte car elle fut affreuse. Je crois n’avoir jamais eu aussi froid de ma vie. Je me souviendrai toujours de ce ciel de Noël, le lendemain. Tout était si beau que je me sentais heureuse et presque forte.
Juste avant le déjeuner, quelqu’un me frappa sur l’épaule. Je me retournai et me trouvai en face de Minko.
“Voilà, me dit-il, mon bataillon est à un kilomètre. Une offensive allemande est à craindre et je n’ai pas d’ambulance.”
J’étais très hésitante comme il se doit et je le fus pendant tout le déjeuner qu’il prit avec nous. Toutes les filles me poussaient à accepter. Bref, à la fin du repas j’allai trouver notre officier et lui demandai de dire au commandant que je partais.
Notre barda fut vite entassé dans l’auto de Minko et nous roulions depuis des kilomètres, que je n’avais pas encore réalisé ce que j’avais fait.
Bon voyage malgré le froid. La lune était magnifique et j’aimais la regarder filer le long des arbres. Je fis ainsi la même route et vis le même paysage que de Gaulle qui, rentrant du front, nous dépassa. À cause de lui, on fut arrêté un nombre incalculable de fois. Nous dépassâmes une auto en feu et je dis : Pourvu que ce ne soit pas l’auto du Général. Ce n’était pas la sienne mais celle de de Lattre de Tassigny qui, n’ayant pas entendu les sommations des F.F.I., reçut une balle qui mit le feu à l’essence.
Nous arrivâmes à Paris vers 8 heures.
Aujourd’hui les nouvelles du front sont bonnes, le moral est bien meilleur. Il semble que les Allemands soient arrêtés.
J’ai à nouveau envie de repartir. »
Claire, comme elle en a pris l’habitude, commence une lettre à Patrice et recopie par commodité certains passages de ce qu’elle vient de relater dans son journal. Pas tout.
Elle estime inutile de citer le séduisant Minko qui, à l’inverse de son fiancé, est un homme libre et qui se bat. Minko devient un anonyme officier. Doit-elle encore avouer à Patrice qu’elle a pris l’initiative de quitter son poste pour aller chercher une ambulance à Paris ? Que c’est une faute aux yeux de certaines personnes de la Croix-Rouge ? Qu’elle risque d’être momentanément suspendue de ses fonctions ? Il ne comprendrait même pas de quoi il s’agit... Par prudence Claire s’en tient à la nuit de Noël et lui redit toute sa tendresse, sa hâte de le voir revenir, ses rêves d’avenir où il tient la première place. Les phrases lui viennent facilement, elle aime écrire des lettres d’amour. « Beaucoup plus que de les recevoir », pense-t-elle amusée.