QU’EST-CE QUE LE CURARE ?

LA FÊTE DU POISON

Le curare, que l’on nomme aussi woorara ou ourari est connu depuis la découverte de la Guyane par Walter Raleigh en 1595. C’est le marin anglais qui, le premier, rapporta en Europe des flèches empoisonnées au curare, mais ce n’est qu’en 1799 qu’un voyageur allemand assista à la fabrication du poison, ce qu’il raconte en ces termes : « C’est une sorte de fête comparable à celle des vendanges. Les sauvages vont chercher dans la forêt les lianes qui serviront à la fabrication du poison, après quoi ils font fête et s’enivrent avec de grandes quantités de boissons fermentées que les femmes ont préparées en leur absence. Pendant deux jours on ne rencontre que des hommes ivres. Lorsque enfin tous dorment de l’ivresse, le maître du curare, qui est en même temps le sorcier et le médecin de la tribu, se retire à l’écart, broie les lianes, en fait cuire le suc et prépare le poison. »

 

FOURMIS ET SERPENTS

D’après ce qu’il avait vu, ce voyageur pensait que la composition du curare était exclusivement végétale et que la propriété vénéneuse qu’il renfermait était due à une plante de la famille des strychnées. Plus tard d’autres explorateurs ont supposé qu’il entrait en outre dans la préparation des fourmis venimeuses et diverses espèces de crochets de serpents broyés. Il est certain que dans les différentes régions de l’Amazonie et selon les peuplades, le curare est préparé de diverses façons à partir de certains produits végétaux similaires. Le plus souvent les tronçons de lianes écrasés sont mis en macération dans l’eau pendant 48 heures. On exprime et on filtre ensuite soigneusement le liquide, qui est soumis à une lente évaporation jusqu’à concentration convenable. On le répartit alors dans de petits pots de terre cuite qui sont placés sur des cendres chaudes et l’évaporation se continue avec plus de soins encore. L’opération est achevée lorsque l’extrait est parfaitement sec. Il se présente alors comme une substance noirâtre avec des cassures brillantes, un peu comme le jus de réglisse des droguistes.

 

MÉDICAMENT DANS L’ESTOMAC

Un des faits qui paraît avoir le plus frappé tous ceux qui ont constaté les effets du curare est l’innocuité de ce poison dans les voies digestives. Les Indiens en effet se servent du curare comme poison sous la peau et comme médicament dans l’estomac. On cite même le cas d’un général colombien qui, pour éviter les crises d’épilepsie, avalait des grosses pilules de curare. Les expériences faites sur des animaux ont confirmé ce fait : on peut mélanger aux aliments d’un chien ou d’un lapin du curare en quantité beaucoup plus considérable qu’il ne serait nécessaire pour l’empoisonner par une blessure, et cela sans que l’animal en éprouve aucun inconvénient. Toutefois il n’y a là qu’une simple question de dose et de rapidité d’absorption. Lorsque, par exemple, l’animal est à jeun et que son absorption intestinale est devenue plus rapide, l’innocuité n’est plus certaine et seules de petites doses sont alors tolérées. La médecine a essayé de tirer parti du curare. Dès 1859 des chirurgiens italiens, ayant observé que le curare provoquait un relâchement complet des muscles moteurs, essayèrent de l’employer contre le tétanos avec un certain succès. Il en fut de même dans le traitement de l’épilepsie, sans cependant qu’on puisse arriver à des résultats très concluants. Il reste pourtant que l’on trouvera certainement des applications efficaces pour ce poison qui, de la pire, pourra alors devenir la meilleure des choses.