XXIII

Le boyau souterrain décrivait, nous l’avons dit, une courbe ; ce qui fit que lorsqu’ils eurent fait une vingtaine de pas en avant, Marmouset et le cocher se retournèrent et ne virent plus l’entrée.

Marmouset n’avançait qu’avec précaution, allumant une allumette après l’autre, et toujours prêt à faire feu de son revolver si un ennemi quelconque venait à se dresser devant lui.

Tout à coup un bruit étrange se fit derrière lui et le força à s’arrêter.

Il se retourna et vit le cocher non moins étonné.

Qu’était-ce que ce bruit ?

C’était comme l’écrasement d’une partie de la voûte en maçonnerie qu’ils avaient au-dessus d’eux.

Marmouset revint alors sur ses pas.

Son oreille ne l’avait pas trompé.

Il avait bien entendu le bruit des pierres qui s’écroulaient, s’entassaient dans le souterrain et rendaient impossible toute retraite vers le puits.

Mais il ne fût pas difficile à Marmouset de reconnaître que Cet éboulement était le résultat non d’un accident, mais d’une combinaison.

La voûte s’était écrasée d’une façon régulière, par tranche, si on peut se servir de cette expression et sous la pression d’une force intelligente.

– On nous coupe la retraite ! murmura Marmouset.

Et il n’alluma plus de bougies et continua à avancer dans les ténèbres, s’arrêtant parfois pour prêter l’oreille.

Qu’était donc devenue la Belle Jardinière ?

Elle n’était donc blessée que légèrement qu’elle avait pu s’éloigner ainsi ?

Tout à coup il sembla à Marmouset qu’une respiration humaine se faisait entendre auprès de lui.

Il s’arrêta.

– Me suis-tu toujours ? dit-il au cocher.

– Toujours, répondit celui-ci.

– Il faut pourtant savoir où nous sommes, se dit Marmouset que l’impatience et la colère gagnaient peu à peu.

Et il eut de nouveau recours à ses bougies. C’était peut-être la vingtième qu’il allumait, et la boîte était presque vide.

Il regarda devant lui.

Le souterrain paraissait s’allonger indéfiniment. Le sol que Marmouset foulait était couvert de sable fin, et sur ce sable, çà et là, se trouvait encore, un peu de sang.

Mais, celui ou celle qui répandait ce sang avait de l’avance, car aussi loin que son regard pouvait s’étendre, tandis que la bougie brûlait, Marmouset voyait le souterrain vide.

– Je n’ai plus que trois allumettes, dit-il à son compagnon.

– Il faut les ménager, répondit ce dernier.

Et ils continuèrent leur chemin, dans les ténèbres.

Marmouset, qui était plus petit que le cocher, marchait presque debout.

Le cocher, qui était presque de la taille de Milon, était obligé de se courber en deux, ce qui retardait un peu la marche.

Tout à coup ce dernier poussa un cri.

Mais un de ses cris d’épouvante et de douleur qui sont intraduisibles.

Marmouset se retourna vivement.

– Qu’y a-t-il ? s’écria-t-il.

Le cocher ne répondit pas.

– Où es-tu ? Que t’est-il arrivé ? répéta-t-il.

Même silence.

Marmouset frotta, une allumette sur le dos de la boîte et la flamme jaillit.

Le cocher avait disparu.

Comme il avançait, une trappe que recouvrait le sable fin s’était brusquement ouverte, sous ses pas, et il avait jeté ce cri que Marmouset venait d’entendre au moment où, le sol manquant sous, ses pieds, il était précipité dans quelque abîme ténébreux.

Puis la trappe qui, faisait bascule était remontée et le sol paraissait de nouveau uni, et Marmouset ne se rendait pas compte encore de la disparition de son compagnon lorsqu’un éclat de rire strident et moqueur, vint retentir à son oreille.

– Ah ! enfin ! s’écria Marmouset ivre de rage.

Et jetant son allumette et se replongeant dans les ténèbres, il avança résolument le bras étendu.

L’éclat de rire continuait à se faire entendre, roulant sous cette voûte sonore comme un suprême défi.

Marmouset fit feu.

L’éclair rouge du revolver illumina une seconde le souterrain toujours vide et Marmouset poussa un nouveau cri de rage.

L’éclat de rire retentissait cependant auprès de lui.

Marmouset fit feu une seconde fois.

Alors l’éclat de rire se tut et Marmouset eut un battement de cœur.

Il pensa que sa balle était allée droit au but. Et il avança encore.

Mais soudain une voix railleuse se fit entendre :

– Tu as ménagé tes bougies, disait-elle, ménage donc tes balles.

– Oh ! tu n’es donc pas morte ! vipère !… s’écria Marmouset.

Cette voix qu’il venait d’entendre, il l’avait reconnue.

C’était celle de la Belle Jardinière.

Et, cette fois, il eut recours à sa dernière allumette.

Cette fois aussi, il vit son ennemie.

La Belle Jardinière était devant lui à dix pas de distance, souriante et moqueuse, et le regardant avec un dédain suprême.

L’allumette d’une main, le revolver de l’autre, Marmouset allongea le bras, ajusta froidement et pressa la détente.

L’allumette s’éteignit.

– Tu n’as plus que deux balles ! cria la voix moqueuse.

Marmouset fit feu de nouveau.

De nouveau l’éclat de rire retentit strident.

– Allons ! la dernière ? cria la voix.

– Va pour la dernière ! répondit Marmouset.

Et il tira son sixième coup de feu.

Mais alors une grande clarté se fit dans le souterrain et au milieu de cette clarté, toujours debout, toujours moqueuse, la Belle Jardinière apparut à Marmouset comme un être invulnérable !

Le Dernier Mot de Rocambole - Tome III - Un drame dans l'Inde
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