XXXV

Le manuscrit de Turquoise.

(Suite.)

L’employé des postes préposé au bureau restant lisait tranquillement son journal lorsqu’on frappa à son carreau.

Il ouvrit d’un air de mauvaise humeur et sa figure se renfrogna plus encore lorsqu’il aperçut le visage pâle et les haillons de Perdito.

– Qu’est-ce que vous voulez ? lui demanda-t-il.

– Je ne nomme Perdito, répondit le fils adoptif de José Minos. Vous devez avoir une lettre pour moi. Je viens la chercher.

– Avez-vous des papiers ?

– Non dit Perdito.

– Alors, allez en chercher.

Et l’employé s’apprêtait à refermer son guichet, lorsque Roumia montra sa jolie tête par-dessus l’épaule de Perdito.

Le sourire de la bohémienne le désarma à demi.

Il le fut tout à fait lorsque la jeune fille lui dit en mauvais français, mais avec un accent plein de douceur et d’harmonie :

– Nous ne connaissons personne ici, monsieur ; et cependant nous avons fait une longue route et nous sommes bien las.

L’employé se mit à chercher dans le casier de la poste restante.

– Répétez votre nom. dit-il.

– Perdito.

Il y avait en effet une volumineuse enveloppe de papier-toile qui portait ce nom.

L’employé la lui tendit.

– Merci, monsieur, dit Roumia.

Et ils s’en allèrent.

À midi, en plein été, les rues de Bayonne sont à peu près désertes.

Quoique française, Bayonne a les mœurs espagnoles.

Elle faisait la sieste.

Au bout de la rue où était située la poste il y avait une place, et au milieu de cette place une fontaine.

Perdito et sa compagne allèrent s’asseoir sur la margelle du bassin.

La place était déserte ; les jalousies des maisons voisines hermétiquement fermées.

Perdito brisa les cinq cachets rouges de l’enveloppe et tout aussitôt une dizaine de billets de banque s’en échappèrent.

Roumia jeta un cri et les ramassa. C’étaient des billets de mille francs.

Aux billets étaient jointes une deuxième enveloppe et une feuille de papier tout ouverte et écrite en espagnol.

Perdito lut :

 

« Le fils adoptif du bandit José Minos, si cette lettre lui parvient, dans le courant du mois de mai 18… quittera les vêtements espagnols qu’il porte et s’habillera comme un Français.

« Puis il se présentera à l’hôtel de Toulouse et y demandera un logis.

« Si, au bout de huit jours, personne ne s’est présenté à lui, il ouvrira la seconde lettre qui est enfermée dans cette première. »

 

Ce billet était sans signature.

La gitana ne savait pas lire ; mais Perdito lui traduisit.

Elle serrait dans ses mains ces chiffons de papier dont elle connaissait la valeur.

– Eh bien ! que ferais-tu à ma place ? demanda Perdito.

– Je ferais ce qu’on te dit de faire dans cette lettre répondit-elle.

* *

*

Les bohémiens sont comédiens de naissance.

À cette race le don des métamorphoses subites, des brusques changements de positions, des transformations féeriques.

Il n’y avait pas huit jours que les habitués du cabaret qui s’intitulait pompeusement À la descente des Pyrénées, avaient vu arriver les deux jeunes gens en haillons et les avaient entendus demander du fromage pour toute pitance, qu’ils furent appelés un soir sur le pas de la porte par un bruit retentissant de grelots et de coups de fouet.

Une chaise de poste, – elles étaient alors plus communes qu’aujourd’hui, – entrait dans Bayonne avec grand fracas.

Un jeune homme et une jeune femme étaient dedans, mis tous les deux avec une distinction parfaite.

Deux grands laquais galonnés sur toutes les coutures étaient sur le siège.

Les postillons faisaient claquer leur fouet en gens à qui on ne marchande pas les guides.

La chaise de poste passa comme un éclair.

Cependant les habitués de La Descente des Pyrénées eurent le temps de voir le jeune homme et la femme.

Tous s’écrièrent : « Voilà un beau couple ! »

Mais aucun ne reconnut en eux la bohémienne et l’Espagnol déguenillé.

La chaise de poste roula jusqu’à cette place où il y avait une fontaine, sur la margelle de laquelle Perdito s’était assis pour ouvrir la lettre mystérieuse.

Elle vint s’arrêter devant le perron de l’Hôtel de Toulouse et soudain une légion de garçons, de marmitons et d’hommes de peine l’entoura.

Le maître, d’hôtel vint respectueusement, son bonnet blanc à la main, recevoir les deux voyageurs.

Le jeune homme commandait en maître.

Il demanda le plus bel appartement et annonça qu’il ne dînerait jamais à la table d’hôte.

La gitana était si à l’aise dans ses nouveaux atours, qu’on eût dit une fille de grand d’Espagne.

Quand on apporta aux voyageurs le livre des étrangers, le jeune homme écrivit dessus :

DON PERDITO Y MINOS Y OJACA.

On ne lui en demanda pas davantage.

Pendant huit jours, les deux Espagnols se promenèrent en voiture dans Bayonne et les environs.

On les vit au théâtre ; on les rencontra dans les églises.

Le musée de la ville eut leur visite.

Ils menaient grand train, remuaient l’or, et paraissaient avoir vécu toujours dans l’opulence.

Cependant ils n’avaient point ouvert la seconde lettre et attendirent.

Un soir, Perdito dit à Roumia :

– Je crois qu’il est temps de savoir ce que cette lettre contient.

– Pas encore, dit la gitana.

– Il n’y a donc pas huit jours que nous sommes ici ?

– Demain seulement.

– Soit, attendons à demain.

Mais comme Perdito se résignait à suivre le conseil de Roumia, on frappa doucement à la porte.

L’ex-bandit alla ouvrir et se trouva en présence d’un homme de haute taille, boutonné jusqu’au menton, portant une rosette d’officier de la Légion d’honneur, et la tête couronnée d’une forêt de cheveux blancs coupés en brosse.

Cet homme entra et dit à Perdito :

– Je suis celui que vous attendez !

Le Dernier Mot de Rocambole - Tome III - Un drame dans l'Inde
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