I

Si Maurevers était en catalepsie ou le jouet d’un rêve, c’est ce qu’il n’a jamais su.

Calcraff s’arrêta, et la voix de l’Irlandaise dit :

– C’est ici.

M. de Maurevers fut déposé dans un carrosse.

Il essaya vainement d’ouvrir les yeux et d’agiter ses membres.

En revanche, son ouïe avait acquis une finesse extraordinaire.

On le posa sur les coussins du carrosse.

Il entendit un frôlement de robe auprès de lui.

C’était l’Irlandaise qui montait.

En même temps, une voix qu’il n’avait pas encore entendue demanda :

– Où va milady ?

– À l’hôtel, répondit l’Irlandaise.

Et le carrosse roula.

Dans cette paralysie absolue du corps, moins le sens de l’ouïe, où il se trouvait, M. de Maurevers avait conservé toute sa présence d’esprit.

– Comment cette femme couverte de haillons peut-elle avoir un carrosse ? se demandait-il.

Et se peut-il réellement que les gens l’appellent milady ?

Tout cela lui paraissait si étrange, si anormal, qu’il eût donné la moitié de sa fortune pour avoir la force d’ouvrir les yeux.

Mais la paralysie tenait bon.

Le carrosse roula environ dix minutes, puis il s’arrêta.

Maurevers entendit qu’on ouvrait la portière.

Puis le dialogue suivant s’établit entre l’Irlandaise et un homme qui probablement venait de monter sur le marchepied du carrosse.

– Eh bien ?

– Le voilà.

– Il s’est endormi ?

– Parfaitement.

– Et il est là ?

– Regarde plutôt.

– Oui, je le vois… c’est bien lui !

– Mais où donc ai-je entendu déjà cette voix ? se demandait M. de Maurevers.

L’homme continua :

– Oh ! si tu savais ce que je suis jaloux !

– Imbécile !

– Non, je sais qu’il t’aimera.

– C’est probable !

– Et toi ?…

L’Irlandaise répondit par un éclat de rire ; et il y eut un moment de silence.

Puis elle ajouta :

– Il faut bien que je me décide à faire une besogne dont personne ne veut.

L’homme répondit par une sorte de rugissement.

Puis il dit encore :

– Si tu manques à ta promesse, tu sais que je te tuerai !

– C’est bien. Je n’ai pas peur.

La portière se referma brusquement et le carrosse se remit en route.

Maurevers se disait :

– L’énigme se complique de plus en plus. Quel est cet homme, que veut-il ? Pourquoi cette menace de mort ?

Tout brave qu’il était, le marquis ne pouvait se défendre d’une sérieuse inquiétude, et, en ce moment peut-être, il songeait à moi et à son enfant.

Enfin le carrosse s’arrêta de nouveau et le marquis entendit demander la porte.

Puis la voiture s’engagea sous une voûte sonore et s’arrêta tout à fait.

– Il paraît, pensa Maurevers, que je suis dans l’hôtel de mon étrange mendiante.

Deux hommes qui pénétrèrent dans le carrosse, deux laquais sans doute, le prirent à bras-le-corps et l’emportèrent.

Cette finesse d’ouïe que la catalepsie développait en lui était si grande, que M. de Maurevers comprit qu’un épais tapis, posé sur les marches d’un escalier, assourdissait le bruit des pas de ceux qui le portaient.

Il entendit toujours, en même temps, le frôlement de la robe de l’Irlandaise.

À moins qu’elle n’eût changé de vêtements en plein air, dans le trajet de la taverne au bord de la Tamise, cette robe devait être la même que celle qu’elle portait au moment où Maurevers avait malgré lui fermé les yeux, c’est-à-dire un assemblage de pièces et de morceaux de toutes étoffes et de toutes couleurs, loques sordides qui devaient singulièrement jurer avec l’intérieur somptueux d’un palais.

L’Irlandaise s’était mise à chanter.

Elle chantait cette mélodie bizarre, monotone, moitié ironique et moitié mélancolique qui avait exercé un charme mystérieux sur M. de Maurevers.

Cette mélodie résonnait à son oreille, à mesure que ceux qui le portaient, après avoir gravi les marches d’un escalier, traversaient maintenant différentes pièces.

Ils s’arrêtèrent enfin et Maurevers comprit, car tout son corps était insensible, qu’on le couchait sur un lit.

Alors l’Irlandaise interrompit sa chanson et dit :

– Laissez-moi !

Les deux hommes sortirent.

Maurevers continuait à se raidir inutilement contre la catalepsie.

L’Irlandaise avait ouvert un piano et ses doigts agiles couraient maintenant sur le clavier, accompagnant cette chanson en langue inconnue qu’elle continuait à fredonner.

Tout à coup un sens s’éveilla chez Maurevers, – le sens de l’odorat.

Son nerf olfactif fut tout à coup chatouillé par un parfum pénétrant qui avait un charme inexprimable.

* *

*

– Bon ! s’interrompit Marmouset, en cet endroit de sa lecture, je connais ça.

– Plaît-il ? fit Vanda.

– Oui, un parfum… sous forme de brouillard… Comme la nuit dernière.

Et comme Vanda le regardait avec étonnement, il ajouta :

– Je donnerais maintenant ma tête à couper que l’Irlandaise en haillons ressemble trait pour trait à l’Espagnole aux cheveux roux que j’ai chargé Milon de surveiller.

– Continue, dit Vanda.

Et Marmouset reprit la lecture du manuscrit de Turquoise.

Le Dernier Mot de Rocambole - Tome III - Un drame dans l'Inde
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