XXI
La femme aux cheveux roux parut alors en proie à une sorte de terreur vertigineuse.
– Grâce ! dit-elle, grâce ! ne me tuez pas !
Et elle joignait les mains et regardait Marmouset d’un œil suppliant.
Marmouset lui dit :
– Madame, ce n’est pas une simple curiosité qui m’a amené ici. J’ai fait un vœu, et je dois l’accomplir.
– Mais que voulez-vous donc de moi ? fit-elle avec un redoublement d’effroi.
– Je veux savoir.
– Mais quoi ?
– Vous étiez bien réellement la Belle Jardinière ?
– C’est vrai, dit-elle.
– Alors vous savez ce qu’est devenu M. de Maurevers.
Elle tomba à genoux devant Marmouset :
– Oh ! ne me le demandez pas ! fit-elle. Au nom du ciel, ne me le demandez pas !
– Si je ne sais toute la vérité sur cette histoire, répondit froidement Marmouset, vous êtes une femme morte.
Elle paraissait en proie à une si grande épouvante que Marmouset la crut en son pouvoir.
– Nous sommes seuls ici, madame, dit-il, cette fenêtre donne sur le jardin et j’ai fermé la porte. Si vous tentiez d’appeler vos gens, si vous aviez le malheur de secouer le gland de cette sonnette, je vous aurais poignardée avant qu’on n’arrivât, et je prendrais la fuite par le jardin.
– Mais, monsieur, disait-elle en se tordant les mains de désespoir, les secrets de M. de Maurevers ne sont pas les miens.
– M. de Maurevers est mort, et je me suis juré de savoir où… et comment…
L’accent de Marmouset était résolu, et il était facile de comprendre qu’il exécuterait la menace si cette femme l’y forçait.
De son côté, elle parut se résigner.
– Monsieur, dit-elle, l’histoire de M. de Maurevers est longue, je l’ai écrite tout entière.
– Ah !
– Elle est là, dans ce meuble…
Et elle montrait un petit bahut en bois de rose qui se trouvait entre les deux croisées. En même temps, elle prit une clé à son cou.
– Si vous vous défiez de moi, dit-elle, ouvrez-le vous-même.
Et elle lui tendit la clé.
Marmouset, avant de prendre la clé, alla vers la porte du boudoir, la ferma à double tour et mit la clé dans sa poche.
Puis il revint vers le meuble qu’il ouvrit.
– Voyez-vous un tiroir à gauche ? dit la Belle Jardinière.
– Oui.
– C’est celui-là.
Marmouset mit sans défiance la main sur le bouton du tiroir. Puis il tira à lui.
Mais soudain une détonation se fit entendre, deux tiges de fer sortirent, des profondeurs du mur, comme deux bras qui se dégagent tout à coup d’un manteau, saisirent Marmouset tombé à genoux, et le clouèrent pour ainsi dire contre le meuble.
Quant à la détonation, elle était le résultat d’une capsule fulminante placée dans l’intérieur du tiroir.
Le meuble était une souricière à voleur.
Son ingénieuse construction avait habilement dissimulé les deux crampons de fer dans le mur.
Ces crampons étaient mis en mouvement par un ressort que l’explosion de la capsule faisait partir.
Ce mécanisme, au moins aussi ingénieux que celui de ces coffres-forts munis d’un pistolet qui tue le voleur, avait sur eux cet avantage qu’il prenait le voleur vivant, en même temps qu’il prévenait de la capture les gens de la maison.
Marmouset jeta un cri de rage, auquel la femme aux cheveux roux répondit par un éclat de rire moqueur.
En même temps, et tandis que Marmouset se débattait vainement et secouait avec fureur les griffes de fer qui l’étreignaient, elle s’approcha de lui :
– Monsieur, lui dit-elle, vous êtes en mon pouvoir, et je n’ai qu’un signe à faire pour que vous soyez un homme mort. Cependant, j’ai pitié de vous, et je vais vous donner le même conseil qu’à M. de Montgeron : ne vous mêlez jamais plus de mes affaires.
Marmouset secouait toujours inutilement ses deux crampons.
À demi écrasé sur le meuble, il avait pu, néanmoins se retourner un peu et apercevoir la Belle Jardinière.
Celle-ci avait, en ce moment, le visage moqueur et satanique, en même temps que ses yeux lançaient de véritables éclairs.
Le valet qui sans doute avait introduit Marmouset, prévenu par la détonation, était venu frapper à la porte.
– Va-t’en, répondît sa maîtresse. Je n’ai nul besoin de toi.
Alors elle s’approcha des croisées, qu’elle ferma l’une après l’autre hermétiquement, en ayant bien soin de tirer les rideaux.
Puis elle s’approcha du mur opposé, poussa un ressort et une porte masquée dans la tenture s’ouvrit.
La Belle Jardinière avait disparu.
Marmouset se trouvait seul, se consumant en efforts impuissants et ne pouvant briser cette armature de fer qui l’enveloppait.
Les flambeaux brûlaient sur la cheminée éclairant le boudoir dans ses moindres recoins.
Les yeux de Marmouset furent attirés tout à coup par une sorte de vapeur blanchâtre qui s’élevait du sol dans un coin.
On eût dit d’abord une bouffée de fumée se dégageant d’un cigare.
Puis la bouffée grandit et prit les proportions d’un nuage, ressemblant à ces lambeaux de brouillard qui, après la pluie lèchent le fond des vallées. Le nuage grandit peu à peu.
Marmouset étonné le voyait s’avancer vers lui, en même temps qu’il montait vers le plafond.
Bientôt il eût dépassé la cheminée, et les flambeaux brillèrent au travers comme deux soleils sans rayons.
En même temps aussi une odeur pénétrante parvint à Marmouset.
Le brouillard étrange était parfumé ; et il avançait toujours.
Et bientôt, il enveloppa Marmouset tout entier.
Le brouillard était tiède, le parfum était doux.
Marmouset éprouva une singulière volupté, et quelque chose comme un apaisement subit de sa colère.
Ainsi le buveur d’absinthe qui porte, morose et découragé, le verre à ses lèvres, voit tout a coup la vie sous des couleurs moins sombres.
Le brouillard s’épaississait toujours.
Bientôt les flambeaux ne furent plus au travers que deux points rougeâtres, diminuant, toujours et qui finirent par s’éteindre.
Bientôt aussi, la respiration de Marmouset éprouva une légère oppression.
Le brouillard le pénétrait par tous les pores comme un bain russe.
Puis enfin ses yeux se fermèrent…
En même temps, les crampons de fer se distendirent et lui rendirent la liberté.
Mais Marmouset ne songea point à profiter de cette liberté pour fuir.
Et il se coucha voluptueusement sur le tapis, s’allongeant sous les caresses mystérieuses de ce brouillard embaumé.