XX

Marmouset se prit à considérer cette femme avec une grande attention.

Elle était calme, souriante et rien dans son attitude ne trahissait la plus légère émotion.

– M. de Montgeron, continua-t-elle, je sais ce qui vous amène.

– Ah ! fit Marmouset, vous le savez, madame ?

– Il paraît que l’autre nuit, mon mari vous a gagné une somme considérable.

L’étonnement de Marmouset commençait à ressembler à de la stupeur.

– Et vous venez vous libérer, ajouta-t-elle, esclave que vous êtes de ce préjugé que les dettes de jeu se payent dans les vingt-quatre heures ?

Cette fois Marmouset n’y était plus.

– Madame, dit-il, je crois qu’il y a un malentendu entre nous.

– Ah ! fit-elle, comment cela ?

– Je ne suis pas M. de Montgeron.

Elle se leva et parut fort étonnée à son tour.

– Vous n’êtes pas M. de Montgeron ? dit-elle.

– Non, madame.

– Qui donc êtes-vous, monsieur ?

– Un ami de M. de Montgeron.

– Alors, vous venez de sa part ?

– Sans doute.

En même temps, Marmouset tira de sa poche un petit portefeuille en cuir de Russie, l’ouvrit et tendit à la belle femme une mèche de cheveux bruns.

– Qu’est-ce que cette plaisanterie, monsieur ? dit-elle jouant toujours l’étonnement.

Elle était debout devant Marmouset, qui s’était levé pareillement.

Son visage était impassible et un vague sourire n’avait point abandonné ses lèvres.

– Ce n’est point une plaisanterie, madame, répliqua froidement Marmouset, M. de Montgeron s’est battu ce matin.

– Ah ! mon Dieu !

– Il s’est battu avec le baron Henri de C…

Et, en prononçant ce nom, Marmouset attachait un œil ardent sur la femme aux cheveux roux, mais elle ne sourcilla point.

– Qu’est-ce que le baron Henri de C… ? demanda-t-elle.

– Hier encore, c’était un ami de M. de Montgeron.

– Et ils se sont battus ?

– Pour une femme.

– Vraiment ?

– Une femme que M. de C… disait être une misérable, et que M. de Montgeron aimait comme un fou.

– Mais enfin, dit-elle toujours calme, toujours impassible, quel a été le résultat du duel ?

– Une boucherie, madame.

– En vérité !

– Ces messieurs ont fait coup fourré. M. de Montgeron est mort dans l’après-midi.

– Et M. de C… ?

– Il est mort il y a une heure.

– Mais c’est épouvantable, monsieur, ce que vous me racontez-là.

– Attendez, madame, attendez, continua Marmouset. Montgeron, en mourant, m’a chargé d’aller trouver cette femme, et de lui dire qu’il mourait heureux puisqu’il mourait pour elle… et il m’a prié de lui couper une mèche de ses cheveux et de la lui offrir.

Et Marmouset tendait toujours la mèche à la femme aux cheveux roux.

Elle fit un pas en arrière, l’écrasa d’un regard et lui dit :

– Assurément, vous vous trompez, monsieur, je ne suis pas la femme pour qui est mort M. de Montgeron.

– Cependant, il a bien prononcé votre nom. madame.

– C’est impossible.

– Vous êtes pourtant bien la femme de don Ramon ?

– Sans doute.

– Alors, c’est vous.

– Monsieur, dit-elle avec un moment d’irritation dans la voix, il est tard, mon mari peut revenir du club d’un moment à l’autre et, bien que nous soyons en temps de carnaval, il pourrait ne pas trouver de son goût la plaisanterie que vous osez me faire.

– Madame, reprit Marmouset, je ne plaisante jamais, et je vais vous en donner une preuve sur-le-champ.

– Ah ! voyons ?

Et elle retrouva tout son calme.

– M. de Montgeron a eu jadis un ami intime : il s’appelait le marquis de Maurevers.

Elle eut un léger frémissement des narines, à ce nom, mais ce fut tout.

– Veuillez m’excuser, dit-elle, mais je suis étrangère et un peu au courant des noms de la noblesse française…

– Attendez, madame, poursuivit Marmouset, ce monsieur de Maurevers disparut. On croit qu’il fut assassiné.

– Mais en quoi tout cela peut-il m’intéresser, monsieur ? fit-elle avec un geste d’impatience.

Marmouset, imperturbable, continua :

– N’était-ce pas l’ami de M. de Montgeron ?

– Soit. Après ?

Et elle se replongea dans sa chaise longue, comme si elle se fût résignée par avance à subir une conversation qui l’importunait au plus haut degré.

– M. de Maurevers avait un autre ami, c’était le baron Henri de C…

Cette fois, la femme aux cheveux roux fut trahie par une légère pâleur.

– Une femme, poursuivit Marmouset, a été mêlée à sa disparition et probablement à l’assassinat de M. de Maurevers.

– Monsieur, dit la femme de don Ramon, je commence à croire que j’ai affaire à un fou.

– Ah ! madame…

– Vos histoires se compliquent si singulièrement que je vais vous prier de faire comme les conteurs en vogue et de me dire : la suite à demain.

– Un mot encore, madame, et j’ai fini.

Cette fois, Marmouset s’approcha de la porte, comme s’il eût voulu barrer le passage aux domestiques, si un coup de sonnette les eût appelés.

– Madame, dit-il, la femme pour qui M. de Montgeron est mort, c’est celle-là même qui a causé la mort de M. de Maurevers, et, avant d’expirer, M. le baron Henri de C… m’a dit son vrai nom.

Cette fois, elle se dressa de nouveau.

Elle était pâle et son œil était en feu.

– Cette femme se nomme la Belle Jardinière, acheva froidement Marmouset.

Elle jeta un cri et recula, comme si elle eût vu se dresser devant elle un reptile.

– Mais qui donc êtes-vous ? fit-elle.

– Un homme qui va vous tuer ! répondit Marmouset.

Et la Belle Jardinière, épouvantée, vit briller un poignard dans la main de Marmouset.

Le Dernier Mot de Rocambole - Tome III - Un drame dans l'Inde
cover.xhtml
book_0000.xhtml
book_0001.xhtml
book_0002.xhtml
book_0003.xhtml
book_0004.xhtml
book_0005.xhtml
book_0006.xhtml
book_0007.xhtml
book_0008.xhtml
book_0009.xhtml
book_0010.xhtml
book_0011.xhtml
book_0012.xhtml
book_0013.xhtml
book_0014.xhtml
book_0015.xhtml
book_0016.xhtml
book_0017.xhtml
book_0018.xhtml
book_0019.xhtml
book_0020.xhtml
book_0021.xhtml
book_0022.xhtml
book_0023.xhtml
book_0024.xhtml
book_0025.xhtml
book_0026.xhtml
book_0027.xhtml
book_0028.xhtml
book_0029.xhtml
book_0030.xhtml
book_0031.xhtml
book_0032.xhtml
book_0033.xhtml
book_0034.xhtml
book_0035.xhtml
book_0036.xhtml
book_0037.xhtml
book_0038.xhtml
book_0039.xhtml
book_0040.xhtml
book_0041.xhtml
book_0042.xhtml
book_0043.xhtml
book_0044.xhtml
book_0045.xhtml
book_0046.xhtml
book_0047.xhtml
book_0048.xhtml
book_0049.xhtml
book_0050.xhtml
book_0051.xhtml
book_0052.xhtml
book_0053.xhtml
book_0054.xhtml
book_0055.xhtml
book_0056.xhtml
book_0057.xhtml
book_0058.xhtml
book_0059.xhtml
book_0060.xhtml
book_0061.xhtml
book_0062.xhtml
book_0063.xhtml
book_0064.xhtml
book_0065.xhtml
book_0066.xhtml
book_0067.xhtml
book_0068.xhtml
book_0069.xhtml
book_0070.xhtml
book_0071.xhtml
book_0072.xhtml
book_0073.xhtml
book_0074.xhtml
book_0075.xhtml
book_0076.xhtml
book_0077.xhtml
book_0078.xhtml
book_0079.xhtml
book_0080.xhtml
book_0081.xhtml
book_0082.xhtml
book_0083.xhtml
book_0084.xhtml
book_0085.xhtml
book_0086.xhtml
book_0087.xhtml
book_0088.xhtml
book_0089.xhtml
book_0090.xhtml
book_0091.xhtml
book_0092.xhtml
book_0093.xhtml
book_0094.xhtml
book_0095.xhtml
book_0096.xhtml
book_0097.xhtml
book_0098.xhtml