II

La menace était sérieuse.

Le domestique comprit ou parut comprendre que M. de Montgeron était homme à le tuer, s’il ne répondait pas brièvement et clairement à ses questions.

– Que monsieur m’interroge, dit-il, et je dirai à monsieur ce qu’il désire savoir.

– À qui est cette maison ?

– À madame.

– Qu’est-ce que madame ?

– Personne ici ne sait son nom. On ne l’appelle à Bellevue que la Belle Jardinière.

– Depuis quand est-elle ici ?

– Depuis deux ans.

– D’où venait-elle ?

– Je ne sais pas.

La voix de cet homme avait un accent de sincérité que Montgeron ne mit pas en doute. Et, montrant de nouveau la lumière :

– Est-ce là sa chambre ?

– Je le crois.

– Comment ! tu le crois ?

– Monsieur, dit le domestique, je ne suis jamais monté au premier étage, ni moi, ni personne des nombreux ouvriers que madame occupe pendant le jour.

Tout ce que je puis dire, c’est que M. Charles Mercier est devenu fou.

– Qu’est-ce que M. Charles Mercier ?

– C’était un jeune homme de Paris qui était tombé amoureux de madame.

– Bon !

– Une nuit, il escalada les murs du jardin, et il avait posé son échelle contre la maison. Il monta ainsi jusqu’à cette fenêtre que vous voyez éclairée…

– Et il tomba à la renverse ?

– Non, mais il redescendit les cheveux hérissés, pâle, les yeux hors de leur orbite.

Depuis ce jour-là, il est fou.

– Mais que se passa-t-il là-haut ?

– Je ne sais pas, mais monsieur fera bien de s’en aller.

– Certes non, dit Montgeron.

– Monsieur compte entrer dans la maison ?

– Oui. Et tu vas rester ici, ou si tu as le malheur de me suivre…

– Oh ! il n’y a pas de danger.

– Si je te retrouve à cette place, tu auras tes cent louis…

– J’y serai, dit le domestique.

Et il s’assit sur un banc qui était adossé à un arbre.

Casimir de Noireterre était demeuré silencieux durant tout ce colloque.

Un moment, Montgeron pensa à lui laisser le domestique sous sa garde et à pénétrer seul dans la maison.

Mais Casimir répondit :

– Non, non, je ne vous quitterai pas.

– Viens, alors, dit Montgeron.

Et, muni de la seconde clé, il se dirigea vers le perron.

La porte s’ouvrit sous sa main aussi facilement qu’elle s’était ouverte devant Gustave Marion l’avant veille.

Montgeron et Casimir de Noireterre pénétrèrent dans le vestibule qui était plongé dans les ténèbres.

Mais une fois entrés, le premier tira de sa poche un rat de cave et une boîte de bougies.

Le rat de cave allumé, il ferma la porte.

La porte était munie d’un verrou à l’intérieur, Montgeron le poussa en disant :

– Voilà pour prévenir toute trahison de la part du domestique.

Casimir avait également son poignard à la main. L’escalier était, comme on sait, au fond du vestibule.

– En route ! dit Montgeron.

Et il passa devant.

Au premier étage, il trouva ce corridor dans lequel Gustave Marion s’était engagé.

Comme l’avant-veille, une lumière brillait tout au fond.

Montgeron s’approcha et reconnut une porte vitrée.

Cependant, les deux aventuriers nocturnes n’avaient pris aucun soin de dissimuler le bruit de leurs pas.

Arrivé à la porte vitrée, Montgeron se dressa sur la pointe du pied.

Et, comme Marion, il ne put se défendre d’un mouvement d’épouvante.

Un cri même lui échappa.

Mais il ne tomba point à la renverse.

La chambre mortuaire était dans le même état.

Le cadavre du marquis Gaston de Maurevers était étendu sur le lit de parade, la face tournée vers la porte.

Seulement, la Belle Jardinière n’était pas dans la chambre.

Et, comme Gustave Marion, M. de Montgeron reconnut ce cadavre pour être celui du marquis disparu.

Casimir de Noireterre, lui aussi s’était approché.

Et bien qu’il n’eût jamais connu M. de Maurevers, il ne put réprimer un cri d’horreur à la vue de ce cadavre.

M. de Montgeron lui serra le bras et lui dit :

– Tais-toi !

Il lui fallut quelques minutes pour se remettre de la violente émotion qu’il venait d’éprouver.

Mais M. de Montgeron était brave, et il eut bientôt reconquis tout son sang-froid.

La Belle Jardinière ne paraissait pas, et personne n’était auprès du cadavre.

Montgeron se pencha alors à l’oreille de Casimir de Noireterre et lui dit :

– Je comprends maintenant que Marion soit devenu fou. Il a reconnu le cadavre.

Casimir tressaillit.

– C’est celui de Maurevers, ajouta Montgeron.

Le jeune homme frissonna.

Montgeron, qui lui tenait toujours le bras, continua :

– Ce n’est plus sur la piste d’un mystère que nous sommes, mais bien sur la trace d’un crime et il faut aller jusqu’au bout.

La porte vitrée était fermée.

Montgeron essaya de l’ouvrir et ne le put.

– Arrive que pourra ! dit-il.

Et, regardant son compagnon :

– Es-tu toujours disposé à me suivre ?

– Jusqu’à l’enfer ! répondit-il.

Montgeron s’arc-bouta contre la porte et d’un vigoureux coup d’épaule la renversa.

Mais soudain, et comme il faisait un pas en avant, M. de Montgeron se trouva plongé dans l’obscurité la plus complète.

Un souffle mystérieux avait subitement éteint les quatre cierges qui brûlaient au coin du lit mortuaire.

– Suis-moi ! répéta M. de Montgeron.

Et, d’une main, il prit M. de Noireterre par le bras, et porta l’autre en avant, armée du poignard. Casimir le suivait.

Ils firent deux pas dans la direction du cadavre ; mais tout à coup, M. de Montgeron jeta un cri.

Le sol avait manqué sous ses pieds et il était tombé, entraînant son compagnon dans sa chute, au fond d’un abîme inconnu.

Le Dernier Mot de Rocambole - Tome III - Un drame dans l'Inde
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