4.
Assise sur les marches du perron de la maison de Draken, le dos collé à la porte pour la laisser entrouverte, les doigts croisés dans un geste d’anxiété, Lola retournait sans cesse les questions dans sa tête.
Plus les secondes passaient, plus elle était convaincue que laisser Emily entre les mains du psychiatre avait été une mauvaise idée. Une idée dangereuse. Son regard faisait des allers et retours entre ses doigts et le haut de la maison de briques rouges.
Et puis tout à coup, n’y tenant plus, elle se leva et se glissa dans l’entrebâillement de la porte.
Je suis folle. Il faut que je l’empêche de faire ça.
Alors qu’elle avait posé le pied sur la première marche des escaliers qui menaient au cabinet, soudain, elle entendit un hurlement strident. Un hurlement terrible. La voix d’Emily.
Le cri lui fit comme un coup de poignard dans le ventre. Le cœur battant, elle monta les marches quatre à quatre, priant pour que le pire ne soit pas arrivé.
Devant la porte du cabinet, elle frappa de son poing fermé.
— Draken !
Aucune réponse. Elle frappa de nouveau, plus fort cette fois.
— Draken ! Ouvre !
Devant le silence que lui retournait le cabinet, son angoisse se mua en certitude : il s’était passé quelque chose de grave. De plus en plus furieuse, elle continua de cogner à la porte jusqu’à ce qu’enfin des pas résonnent de l’autre côté.
— Arthur ! Ouvre-moi bon sang !
Il y eut un cliquetis métallique au niveau de la serrure, puis le battant s’ouvrit lentement. Le visage de Draken, grave, fermé, apparut dans l’entrebâillement.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Lola poussa rageusement la porte pour l’ouvrir plus grand.
— Tout va bien, calme-toi.
Le détective Gallagher, les poings serrés et le regard furieux, entra de force dans le cabinet. Elle contourna son ami, le bousculant un peu, et scruta frénétiquement la pièce.
— Elle est où ?
— Calme-toi, Lola…
— Elle est où, bordel ?
Le psychiatre sortit une Marlboro de la poche de sa chemise et l’alluma d’un air détaché. Il tendit la main vers l’autre côté du cabinet, désignant cette porte blindée que Lola avait déjà remarquée mais qu’elle n’avait jamais franchie.
— Elle est là-dedans, dit-il en tirant sur sa cigarette.
Sans attendre, Gallagher traversa le cabinet en quelques enjambées et ouvrit la porte blindée. L’estomac noué, elle s’attendait au pire. Le spectacle que lui offrit la pièce fit quelque peu redescendre sa tension : Emily, debout devant un fauteuil médical, était en train d’enfiler son pull. Elle avait les yeux rouges, comme si elle avait pleuré, mais elle ne semblait pas blessée.
Derrière elle, toutefois, se tenait un homme. Un homme aveugle, immobile, que le détective n’avait jamais vu auparavant. Maigre, le visage creusé, il avait de longs et épais cheveux bruns qui lui donnaient un air de marginal.
— Ça va, Emily ? demanda Lola en s’approchant de la jeune femme.
— Ça peut aller…
— C’est qui, lui ? demanda Gallagher en interrogeant Draken du regard.
— C’est un ami. Ben est professeur à l’université de Columbia. Il s’intéresse à l’hypnose. Il est venu assister à la séance…
— Bonjour détective, glissa l’homme avec une espèce de sourire gêné.
— Bonjour.
Puis, se tournant vers le psychiatre :
— Ça ne devait pas se passer comme ça, Arthur ! Je n’aime pas ça ! Je n’aurais pas dû te faire confiance…
— Tout s’est bien passé, Lola, je t’assure. Nous avons même fait une première avancée. N’est-ce pas Emily ?
La blonde hocha vaguement la tête.
— Je vous ai entendu crier depuis la rue, Emily, qu’est-ce qui s’est passé ?
Draken s’approcha de Gallagher et l’attrapa fermement par l’épaule, montrant des premiers signes d’agacement.
— Tu commences à m’emmerder, dit-il d’une voix à la fois basse et ferme. Je te dis que tout s’est bien passé. Il est tout à fait normal qu’un patient pousse un cri pendant une séance d’hypnose, surtout quand il s’agit de quelqu’un qui est en train de retrouver des bribes de souvenirs, après un traumatisme pareil. Je ne te dis pas comment faire ton boulot, moi, alors sois gentille, ne me dis pas comment je dois faire le mien.
Visiblement, ce petit discours, malgré sa véhémence, ne suffit pas à apaiser le détective.
— Je n’aurais jamais dû te faire confiance.
Puis elle se tourna vers Emily et la prit par le bras.
— Venez, il faut qu’on retourne à votre appartement, maintenant. Les gens du WITSEC vont s’inquiéter.
Elle l’emmena vers la porte puis, sans même saluer les deux hommes, elles sortirent toutes deux du cabinet. Emily, en état de choc, se laissa faire sans mot dire, aussi impassible que si elle était encore sous hypnose.
Une fois dans la voiture, Lola lui adressa un regard embarrassé.
— Je suis désolée. Je crois que c’était une mauvaise idée, Emily.
— Non, non, ça va, je vous assure.
— Sûre ?
— Oui.
— Dites-moi seulement une chose…
— Quoi ?
Lola poussa un soupir.
— Est-ce que… Est-ce que Draken a utilisé un produit sur vous ? Une sorte de sérum ?
Emily, les yeux dans le vague, hésita un instant.
— Non, dit-elle finalement.
— Vous êtes sûre ? Il ne vous a pas fait de piqûre ?
— Non.
Avec de longues années de pratique, Lola avait l’habitude de reconnaître un mensonge. Elle comprit aussitôt qu’elle ne lui disait pas la vérité.
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