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À force de regarder le dessin de cette tour qui faisait si peur à Emily, Draken se demanda s’il avait raison d’insister, de fouiller. Après tout, si cette tour effrayait la jeune femme, peut-être devrait-il simplement l’aider à l’oublier. Ou au moins à la contourner.

Mais c’eût été une forme de déni, même pour une amnésique, et le déni n’était jamais une solution très efficace à long terme. Et puis cela n’aiderait pas Lola. Le détective avait besoin de réponses, d’éléments concrets. Mais quels éléments Draken pouvait-il lui donner à partir de ces seules vidéos ?

Il pouvait lui confirmer qu’un événement futur bien précis faisait peur à Emily : la disparition possible de deux personnes. Un couple, probablement : le roi et la reine. Et cette disparition avait un lien avec une tour. Ou quelque chose qui, dans l’esprit de la jeune femme, se traduisait par une tour. Une tour noire, dressée sur des rochers en forme de main.

La seule chose qui pourrait aider Lola concrètement serait de trouver ces trois informations : qui étaient le roi et la reine, que représentait la tour et, surtout, quand cet événement aurait-il lieu ?

Le roi, la reine, la tour. On pensait forcément aux échecs… Mais il fallait se méfier de ce genre d’évidences. L’esprit d’Emily avait peut-être choisi le thème des échecs pour représenter des choses qui, en réalité, n’avaient rien à voir avec le jeu.

Draken pesta. Il n’avançait pas. Et pourtant, il était certain qu’il y avait quelque chose dans cette vidéo.

Cette histoire de rire forcé… Elle avait beaucoup insisté dessus. Tous les personnages, au moment critique, s’obligeaient à sourire.

Le sourire pouvait être tantôt symbole d’espoir ou d’amitié, tantôt de moquerie. Il y avait autant de sourires tristes que de larmes de joie. Mais quand le sourire était forcé ? Ces gens étaient-ils des amis contraints ou des railleurs ? Le soleil, quant à lui, faisait penser à un smiley, ces petits visages stylisés, jaunes et souriants, et évoquait peut-être l’univers de l’informatique.

N’y tenant plus, il décrocha son téléphone et composa le numéro de la maison de retraite. Ian, à coup sûr, avait eu tout le loisir d’écouter de loin, pendant qu’il fouillait les albums photos, ce que disait Emily sur l’enregistrement. Et cette ordure avait un excellent esprit d’analyse.

— Allô ? Jack ? Vous pouvez me passer mon père ?

Son interlocuteur balbutia.

— Euh… Ça ne va pas être possible… Il… Il y a eu un drame…

La gorge de Draken se noua.

— Que s’est-il passé ?

— C’est M. Solberg. Le voisin de chambre de votre père. Il est mort.

Les poings du psychiatre se desserrèrent. Il avait craint pire. Pour son père, en tout cas.

Soudain, il eut un horrible doute.

Sans dire un mot de plus, il raccrocha et se précipita dans sa salle de bains. D’un geste brusque, il ouvrit l’armoire à pharmacie.

Dedans, il trouva la confirmation de son affreux pressentiment.

Une boîte de Tranxene neuve avait été ouverte. Cinq ampoules de 50 mg manquaient à l’intérieur.

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