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Sans pour autant délaisser le camp des montagnes et sa modeste communauté, Lhel eut une hutte à elle et y coucha seule. En reprenant ses distances aussi brutalement, elle savait qu’elle blesserait Arkoniel, mais ainsi les choses étaient ce qu’elles devaient être. Le laisser considérer, lui, comme son amant par les autres magiciens revenait à lui interdire de s’imposer jamais comme leur chef. Et pour ce qui la concernait, elle, eh bien, la Mère n’avait pas encore fini de la mettre à contribution ...

Conformément à ses prévisions, quelques semaines de séjour suffirent à emporter le petit Totmus. Elle le pleura comme tout le monde, tout en sachant pertinemment que l’hiver serait assez rude sans qu’on ait en plus de malade à soigner. Les autres gosses étaient des costauds.

Sous la conduite de Cymeüs, les réfugiés s’échinèrent à construire un abri plus vaste avant que les tempêtes ne se déchaînent. Les gosses allaient ramasser du bois dès qu’ils avaient un instant de libre, et Lhel leur apprit à déterrer les derniers tubercules, à dénicher les derniers champignons, à fumer la viande que rapportaient Noril et Kaulin. À ces réserves vinrent s’ajouter les grouses et les lapins que Wythnir et les filles abattaient, armés de leurs seules frondes. Un jour, Malkanus lui-même se rendit utile contre toute attente en foudroyant d’un simple sortilège une énorme laie qui s’était aventurée jusqu’à l’intérieur du camp.

Aux citadins, Lhel apprit à sucer les longs os pleins de substantifique moelle et à tirer parti du moindre cartilage et de la moindre dent, du moindre lambeau de tendon. Elle leur montra comment tanner chacune de leurs dépouilles en tendant les peaux fraîches sur des cadres en branches de cèdre avant de les frotter avec une purée de cervelle et de cendres pour les traiter.

En dépit de quoi les magiciens persistèrent à se défier d’elle, et elle le leur rendait bien, singulièrement attentive à ne rien dévoiler devant eux des secrets de son art. Libre à Arkoniel de leur en enseigner ce qu’il voudrait. Tel était le fil qu’avait filé la Mère.

Les provisions apportées du fort et le peu que l’on parvenait encore à y joindre à force de fouiner ne suffiraient pas, et personne ne l’ignorait. Vu le long hiver qu’on allait devoir affronter, il fallait coûte que coûte emmagasiner des vivres, du foin, des bêtes, des vêtements ... Vornus et Lyan prirent la charrette et partirent en direction des cités minières, au nord, où ils comptaient négocier les emplettes.

Peu après leur départ, la neige se mit à tomber, tamisée par le gris du ciel en flocons duveteux géants. Avec une douceur qui n’avait d’égale que sa ténacité, elle s’amoncela silencieusement sur les branches et chapeauta chaque souche et chaque rocher. Lorsque le vent fut devenu suffisamment froid pour faire d’elle une espèce de grésil agressif, mordant, les Skaliens s’étaient débrouillés pour construire un appentis d’étable et une longue cabane à toiture basse, des plus primitives mais assez vaste pour qu’ils s’y entassent tous ensemble la nuit venue. La glaise et le chanvre leur ayant manqué pour colmater les murs, Cerana trama un charme à l’encontre des courants d’air, et Arkoniel en expédia un autre arrimer contre le mauvais temps les branchages verts qui couvraient la charpente rudimentaire.

Au cours de la nuit du solstice d’hiver, Lhel introduisit Arkoniel dans sa hutte. Il n’eut pas une pensée pour la Mère ou pour Ses rituels pendant leur accouplement mais, comme il brûlait de désir et d’ardeur, la consommation du sacrifice fut des plus louables. Gratifiée de visions par sa déesse, après, la sorcière éprouva, pour la première fois depuis qu’elle l’avait mis dans son lit, du contentement à savoir que la semence de son jeune amant ne pouvait pas germer en elle.

Le point du jour la trouva à des milles de là. Sans qu’elle eût laissé ne fût-ce qu’une seule empreinte de pas dans la neige en guise d’adieu.