À cause du plan de Mitsuko, combien nous nous étions soupçonnés, mon mari et moi, combien nous devenions jaloux ! Tous les soirs au moment de prendre le somnifère, je me disais :
« Est-ce que je ne serai pas seule à m’endormir ? Est-ce que mon mari ne va pas avaler un placebo, est-ce qu’il ne va pas faire semblant de dormir ? »
J’aurais voulu feindre de l’avaler et le recracher, mais Mitsuko avait les yeux fixés sur nos mains, pour vérifier que nous ne la trompions pas. Comme elle n’était pas assez sûre, elle a fini par nous proposer :
— Je vais vous le faire prendre moi-même.
Se plaçant entre nos deux lits, elle tenait un sachet dans chaque main, pour éviter toute jalousie entre nous : elle nous a mis sur le dos, elle nous a demandé d’ouvrir la bouche, elle y a versé la poudre et puis – vous voyez ces « canards » à bec allongé dans lesquels on donne à boire aux malades –, elle tenait un de nous deux par la main pendant qu’elle versait l’eau par ce moyen dans la bouche de l’autre, sans marquer de préférence.
— Il faut en boire davantage, pour que vous vous endormiez tout de suite.
Tout en disant cela, elle remplissait les récipients deux ou trois fois et nous les vidait dans la bouche. J’essayais de toutes mes forces de rester éveillée le plus longtemps possible en feignant le sommeil, mais elle nous ordonnait de ne pas changer de position et de rester sur le dos pour pouvoir nous regarder dans les yeux, assise entre les deux lits : elle restait là à nous surveiller, sans nous quitter des yeux, attentive à notre respiration ; elle essayait de nous faire battre des paupières, elle mettait sa main sur notre cœur et vérifiait par mille autres moyens que nous étions endormis, avant de nous laisser. Mais quel besoin avait-elle de faire tout cela ? De toute façon, nous ne nous conduirions plus comme un couple marié. Même si elle nous avait laissés tranquilles, nous ne nous serions pas frôlés du petit doigt, il n’y avait pas de couple plus calme que nous. Mais elle disait :
— Si vous voulez dormir dans la même chambre, il faut prendre le somnifère.
Peu à peu, le médicament perdait de son efficacité et elle a été forcée d’augmenter les doses et de modifier la composition. C’était tellement fort que l’effet se prolongeait après notre réveil : la sensation que j’éprouvais le matin en me réveillant, qu’en dire ? J’avais la nuque paralysée, les membres ankylosés, la nausée et je n’avais pas la force de me lever de mon lit. Un jour, mon mari qui avait comme moi le visage pâle et maladif m’a dit, en soupirant, la bouche pâteuse comme s’il avait encore le goût du médicament :
— Si nous continuons ainsi, nous finirons par mourir d’intoxication.
En l’observant, j’étais presque soulagée à la pensée que lui aussi avait pris le somnifère. Et si je doutais de lui, tout aurait été réduit à une simple comédie. Je lui ai demandé :
— Dis-moi, pourquoi nous force-t-elle à prendre ce somnifère tous les soirs ?
— Hé oui, pourquoi ? a-t-il fait, en me fixant avec une grande méfiance. Elle devrait pourtant savoir qu’elle n’a nullement besoin de nous faire dormir pour être tranquille. Elle vise peut-être un autre but.
— Tu le connais, toi, ce but ?
— Non, et toi ?
— Moi non plus, toi tu le sais, n’est-ce pas ?
— Il est inutile de douter l’un de l’autre à l’infini. Mais j’ai l’impression d’être la seule à dormir.
— J’ai la même impression.
— Oui, mais est-ce que vous n’avez pas déjà agi ainsi à Hamadera ?
— C’est justement pour cela que je pense maintenant que c’est mon tour.
— Il ne t’est jamais arrivé de rester éveillé jusqu’au moment où Mitsuko s’en allait ? S’il te plaît, sois sincère.
— Non, jamais, et toi ?
— Avec un somnifère aussi puissant, même si je le voulais, je ne pourrais pas rester éveillée.
— Ah bon, alors toi aussi, tu avales ce médicament, c’est bien vrai ?
— Évidemment, regarde comme je suis pâle.
— Et toi, observe bien mon visage.
Comme nous parlions, nous avons reçu à huit heures, comme d’habitude, son coup de téléphone.
— Allons, il est temps de vous lever, nous a-t-elle rappelé.
Mon mari a obéi en frottant ses yeux endormis. Il était alors obligé de se rendre à son bureau ou bien quand il n’arrivait vraiment pas à vaincre son sommeil, il allait se reposer sur un fauteuil d’osier de la véranda, au rez-de-chaussée, parce que Mitsuko lui avait dit :
— Après huit heures, tu ne dois pas rester dans la chambre.
Alors que je pouvais dormir tout mon saoul, il était voué à une fatigue de plus en plus épuisante, même s’il allait à son bureau, il ne réussissait pas à se concentrer sur quoi que ce fût ; il aurait voulu rester à la maison, pour se reposer ; mais s’il tardait trop, elle lui disait :
— Tu veux rester près de grande sœur.
Aussi, même en l’absence de toute affaire, il sortait en m’annonçant :
— Je vais faire une sieste.
J’avais commencé à me plaindre :
— Mitsuko ne me donne aucun ordre, alors que pour toi, elle dit toujours : « Il faut faire ceci, il faut faire cela. » C’est la preuve que tu es son préféré.
Mais mon mari me rétorquait :
— Comment veux-tu qu’elle maltraite autant quelqu’un qu’elle aime ? Elle veut m’épuiser, me paralyser de manière à m’ôter toute passion. Tandis qu’avec toi, elle veut simplement s’amuser en toute liberté.
Et puis, comme c’est étrange, au dîner, malgré notre absence d’appétit et nos maux d’estomac, nous voulions nous gaver, parce que nous savions qu’à jeun, nous aurions été plus vulnérables. Nous comptions les bols de riz qu’avalait l’autre, tout en nous empiffrant :
— Mais ainsi, protestait-elle, le somnifère n’aura plus aucune efficacité. Il ne faut pas que vous preniez plus de deux bols chacun !
Elle était très vigilante sur les rations auxquelles elle nous avait limités. Quand je songe à l’état physique dans lequel nous nous trouvions, je m’étonne que nous ayons tenu le coup : notre estomac s’était affaibli et les doses de somnifère augmentaient de jour en jour ; peut-être n’arrivais-je pas à l’assimiler, parce que en plein jour j’avais l’esprit constamment vague, je ne savais même pas si j’étais vivante ou morte ; nous pâlissions de plus en plus, nous ne cessions de maigrir et, pis encore, nous étions dans du coton. Mitsuko, elle, tout en nous torturant et en vérifiant notre nourriture, mangeait tout ce dont elle avait envie et elle était éclatante de santé. Elle était pour nous comme un soleil lumineux et quoique nous fussions mentalement épuisés, il nous suffisait de contempler son visage pour nous sentir revivre, c’était la seule joie qui nous maintînt en vie. Mitsuko, elle-même, nous disait :
— Vous avez peut-être les nerfs émoussés, mais quand vous me voyez, vous retouvez votre vivacité, n’est-ce pas ? Autrement, cela voudrait dire que votre amour n’est pas assez fort pour moi.
Et elle ajoutait qu’elle pouvait établir l’intensité de passion d’après le degré d’excitation et que, pour cette raison, elle ne cesserait pas de nous contraindre à prendre le somnifère. En d’autres termes, une passion ordinaire n’était pas ce qui l’intéressait, elle n’était satisfaite que si elle sentait que notre amour était tel qu’il pût s’enflammer malgré l’effet castrateur des médicaments. Enfin, nous étions devenus des légumes : elle voulait que nous n’ayons d’autre désir, d’autre intérêt au monde que celui de ne vivre que de la lumière d’un soleil nommé Mitsuko, elle nous interdisait de chercher notre bonheur ailleurs : quand nous refusions le somnifère, elle pleurait de rage. En réalité, et même surtout, il y avait dans l’esprit de Mitsuko une tendance à mettre à l’épreuve les êtres pour vérifier jusqu’à quel point ils la vénéraient, et à en jouir, mais ses propositions extraordinairement hystériques avaient sans aucun doute une origine différente, due probablement à l’influence de Watanuki. En effet, comme sa première expérience l’avait persuadée qu’aucun partenaire normalement constitué n’aurait su la satisfaire, n’essayait-elle pas de transformer toute proie en un nouveau Watanuki ? Autrement, quel besoin aurait-elle eu de paralyser avec autant de cruauté nos sens ? On parle souvent dans les histoires anciennes de possession par des âmes mortes ou vivantes et à en juger par l’aspect de Mitsuko qui devenait de jour en jour de plus en plus violente, on pressentait quelque chose de redoutable, à vous faire dresser les cheveux sur la tête, on l’aurait crue poursuivie par l’esprit vengeur de Watanuki. Et pas seulement Mitsuko : mon mari, un homme qui avait été toujours parfaitement sain moralement et qui n’avait jamais manqué de bon sens, paraissait, sans que j’aie eu le temps de m’en apercevoir, avoir changé de nature : il était devenu sarcastique et injustement soupçonneux, comme une femme, et alors qu’il courtisait Mitsuko, son visage émacié avait un étrange sourire. J’observais alors attentivement la manière dont il s’exprimait, les sentiments que son visage trahissait, son attitude retorse et sournoise : tout, de son ton jusqu’à son regard, était la copie conforme de Watanuki. Je pensais que vraiment le visage d’un homme suivait l’évolution de son âme. À propos, Monsieur, quelle est votre opinion sur la possession d’un esprit vengeur ? Vous trouvez que c’est une superstition idiote ? Watanuki était si rancunier qu’il nous avait peut-être maudits, qu’il s’était en cachette adonné à quelque pratique de magie et qu’il avait possédé mon mari ? Et je lui ai dit alors :
— Je trouve que tu ressembles de plus en plus à Watanuki.
Il m’a répondu :
— C’est bien mon avis. Mitsuko veut me transformer en un second Watanuki.
Il était complètement résigné à n’importe quel destin et, loin de refuser de devenir un second Watanuki, il paraissait en retirer du plaisir, et il avait fini par désirer le médicament. Par ailleurs, Mitsuko devait penser qu’au point où nous en étions, il n’y avait aucune raison d’espérer une heureuse fin pour nous trois, elle était prête à tout et plus rien ne la retenait ; peut-être voulait-elle nous tuer, mon mari et moi, en nous empoisonnant. Je me demande bien si ce n’est pas ce qu’elle préparait au fond… Je n’étais pas la seule à le pen ser. Mon mari avait finalement admis :
— Je suis résigné.
Peut-être attendait-elle, en réalité, le moment, qui n’était pas éloigné, où devenus d’une maigreur spectrale, nous mourrions enfin, rien que pour se libérer adroitement de nous, devenir une personne absolument honnête et trouver un bon mari.
— C’est certainement ce qui se passe, a dit mon mari. Surtout si l’on compare l’éclatante santé de Mitsuko et notre teint blafard.
Nous édons, tous les deux, convaincus que maintenant que notre faiblesse nous avait rendus insensibles à toute joie et à tout plaisir, l’heure était venue pour nous de quitter le monde et nous vivions dans la certitude que nous mourrions le jour même ou le lendemain.
Ah, comme j’aurais été heureuse si tout s’était passé comme prévu et si j’avais pu mourir avec eux ! En fait, une fin tout à fait inattendue nous était réservée et la première cause en fut cet article de journal. Je crois bien que c’était vers le 20 septembre. Ce matin-là, mon mari m’a dit :
— Réveille-toi.
Je me suis demandé ce qui était arrivé.
— Regarde, quelqu’un nous a envoyé cela.
Il m’a montré la page des faits divers d’un journal que je n’avais jamais vu. Il y avait l’agrandissement de la photo du contrat de Watanuki et un très long titre souligné à l’encre rouge. Cet article était le premier d’une série : on y précisait que le journaliste avait réuni un abondant matériau et que les vices infâmes de la classe oisive allaient être dénoncés en plusieurs épisodes, jour après jour.
— Tu vois, je te l’avais bien dit, que Watanuki nous tromperait, ai-je rappelé.
À ce moment-là, j’étais déjà curieusement résignée et je n’éprouvais ni animosité ni appréhension. Je pensais calmement : le dernier instant est donc venu. Un sourire glacé se dessinait même sur les lèvres exsangues de mon mari.
— Quel imbécile ! À quoi lui sert-il de publier tout ça maintenant ?
— Peu importe, peu importe, laissons-le faire !
Au fond de moi, j’espérais que les lecteurs n’apporteraient aucun crédit à une feuille de chou pareille et, avant toute chose, j’ai téléphoné à Mitsuko, pour l’avertir :
— On a reçu un journal, lui ai-je annoncé. Est-ce qu’on te l’a envoyé, à toi aussi, Mitsuko ?
Elle est allée précipitamment à l’entrée et elle est revenue aussitôt :
— Il y est, il y est ! Heureusement personne ne l’a encore lu !
Peu après, elle était chez nous, le journal caché dans les plis de son kimono.
— Que faire ? a-t-elle demandé.
Au début, nous avons réfléchi que si c’était Watanuki qui avait vendu les informations, rien de compromettant n’aurait été publié sur lui. Les racontars sur ma liaison avec Mitsuko n’étaient pas une nouveauté et n’auraient peut-être provoqué aucun scandale. Bref, il n’y avait aucune raison de nous affoler. Deux ou trois jours plus tard, les parents de Mitsuko ont eu vent de l’affaire, mais mon mari a réussi à les convaincre :
— C’est toujours les mêmes cancans, mais publier la photo d’un document avec une fausse signature, c’est trop retors. On pourrait même les poursuivre en justice.
Nous avons été soulagés pour quelque temps. Mais les jours ont passé et la série d’articles se poursuivait, en touchant de plus en plus près la vérité. En outre, on y révélait non seulement sans retenue des faits défavorables à Watanuki, mais on y décrivait l’auberge de Kasayamachi, les promenades à Nara, la manière dont Mitsuko avait rembourré son kimono pour se présenter à mon mari… et, en plus, des détails que Watanuki ne pouvait pas connaître ; à ce train-là, on aurait fini par tout savoir, depuis la comédie du suicide de Hamadera jusqu’au rôle que mon mari avait joué dans cette histoire. Le plus surprenant, c’était que bien que nous ayons conservé avec soin les lettres que Mitsuko et moi avions échangées et que nous n’avions montrées à personne, une des miennes – celle qui était émaillée de phrases extrêmement violentes et gênantes – devait avoir été volée et avait été photographiée et publiée en agrandissement. Personne sinon Umé n’aurait pu s’en emparer. C’est alors seulement que nous avons compris qu’elle avait été la complice de Watanuki. En effet, depuis qu’elle avait été congédiée par la famille de Mitsuko, elle était venue chez moi deux ou trois fois s’attardant longtemps sans nécessité et elle avait un air bizarre. Je m’étais bien demandé si je lui avais donné assez d’argent, si elle en réclamait encore, mais j’avais pensé que cela n’en valait pas la peine, je ne m’étais pas inquiétée. Elle était venue deux ou trois jours avant la publication de ces articles et elle avait fait d’étranges remarques sarcastiques sur Mitsuko, puis elle était repartie et je ne l’avais plus revue.
— Quelle ingrate ! a soupiré Mitsuko. Dire que quand je l’avais encore à la maison, je ne la traitais pas comme une bonne, mais comme une vraie sœur…
— Tu l’as trop gâtée !
— C’est ce qu’on appelle se faire mordre par son propre chien. Mais de quoi se plaint-elle, après tout ce que tu lui as offert toi-même, grande sœur ?
— Elle s’est donc laissé acheter par Watanuki ?
J’imagine qu’au journal, ils ont fait une enquête à partir des informations fournies par Watanuki et qu’ensuite, s’apercevant que l’affaire recelait d’autres secrets, ils s’en sont emparés, après avoir déniché Umé. À moins que Watanuki ne se soit entendu dès le départ avec elle et que, poussé par le désespoir, il ne soit allé jusqu’à vendre ses propres secrets. Quoi qu’il en soit, nous n’avions pas une minute à perdre : si nous traînions encore, Mitsuko ne pourrait plus faire un pas hors de chez elle. Nous avons décidé de mettre à exécution nos plans et nous nous sommes consultés, jour après jour, sur la méthode à suivre. Entre-temps, avait commencé à paraître une série d’articles sur ce qui s’était passé à Hamadera. Les événements qui ont suivi, tous les autres journaux en ont parlé, avec une telle abondance de détails que vous-même, Monsieur, vous devez être au courant ; je ne répéterai pas le récit des faits… J’ai sans doute trop parlé, avec trop d’excitation, et je me suis peut-être trop contredite… Il y a cependant un détail qui a échappé aux journalistes : c’est Mitsuko qui la première a dit :
— Nous allons mourir.
Et c’est elle qui a décidé des dispositions à prendre. Je crois bien que le jour où nous avons compris que la lettre avait été volée par Umé, Mitsuko a apporté chez moi toutes les lettres qui pouvaient servir de preuves. Et elle a déclaré :
— Il serait dangereux de les laisser chez moi.
— Est-ce que je dois les brûler ? lui ai-je demandé.
— Non, non. De toute façon, nous devrons nous tuer, tôt ou tard. Nous allons laisser ces papiers à titre de testament. Conserve-les soigneusement avec les tiens.
Et elle m’a demandé de ranger toutes nos affaires. Deux ou trois jours plus tard, c’était le 28 octobre, à une heure de l’après-midi, elle est venue m’annoncer :
— C’est la fin. Chez moi, il y a une atmosphère insupportable et si je revenais, on ne me laisserait plus sortir.
Elle m’a dit que si nous essayions de nous enfuir, on nous rattraperait et qu’il fallait donc mourir dans notre chambre habituelle. Nous avons accroché ce tableau de Kannon au mur du chevet et tous les trois, nous avons brûlé de l’encens :
— Si cette Kannon me guide par la main, je serai heureuse, même morte, ai-je dit.
— Si, après notre mort, tout le monde appelle cette déesse Kannon Mitsuko, a ajouté mon mari, et la prie, nos âmes pourront reposer en paix.
Nous nous sommes engagés à ne plus nous disputer par jalousie dans l’au-delà, mais à rester en harmonie aux côtés de notre divinité, comme les deux bodhisattva près de Bouddha, et nous étant allongés, nos trois têtes posées l’une contre l’autre, Mitsuko au milieu, nous avons pris le médicament… Pardon ? Ah oui, c’est vrai, je ne sais pas pourquoi, j’avais alors le pressentiment que je me retrouverais toute seule. Le lendemain, quand j’ai repris connaissance, j’ai pensé les suivre tout de suite, mais l’idée m’a alors traversé l’esprit que ce n’était pas un hasard si j’avais survécu et qu’ils m’avaient flouée jusque dans la mort : ce soupçon était également lié au fait que Mitsuko m’avait confié ce paquet de lettres. N’avaient-ils pas voulu m’empêcher de les déranger dans l’au-delà ? Ah… Monsieur (la veuve Kakiuchi a alors éclaté en sanglots)… si ce doute ne m’avait pas effleurée… je n’aurais pas scandaleusement continué à vivre jusqu’à maintenant… D’ailleurs, il est vain d’en vouloir aux morts ; à présent, lorsque je pense à Mitsuko, ce n’est ni de la rancœur ni de l’animosité que j’éprouve, mais une telle tendresse, une telle nostalgie… Ah, je vous en prie, je vous en prie, pardonnez-moi de pleurer autant…