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Watanuki avait ajouté :

— Je suppose que tu étais plus ou moins au courant du serment que grande sœur et moi avions échangé : à présent ce contrat n’est qu’un bout de papier, c’est pourquoi je n’ai pas craint de l’abandonner à son mari. J’ai ici le reçu.

Il l’avait sorti d’une poche intérieure de sa veste et il le lui avait montré.

— Voilà, tu vois ce qui est écrit : « Je veillerai à ce que ma femme agisse conformément, etc. »

Il lui avait lu l’une après l’autre les clauses en cachant cependant de sa main celle qui était conditionnelle, qui lui était défavorable.

— Maintenant que j’ai obtenu ce reçu de Kakiuchi, nous n’avons plus à nous inquiéter de grande sœur. Tu devrais, toi aussi, t’engager par écrit.

Il avait sorti de sa poche intérieure une espèce de brouillon selon lequel Mitsuko et Watanuki devraient former à tout jamais un même corps et un même esprit, et elle devrait le suivre jusque dans la mort ; on donnait également la liste des punitions qui lui seraient infligées si jamais elle ne respectait pas son engagement : autant d’exigences excessives que l’égoïsme seul dictait.

— Si tu ne vois aucune objection, tu n’as qu’à signer et mettre ton sceau.

Elle s’y était opposée :

— Je ne veux pas. Je ne connais personne qui ait un tel culot ! Tu ne cesses de répéter : « J’exige une promesse écrite, j’exige une promesse écrite. » Et tout ça, c’est pour nous faire chanter !

— Mais tu n’as rien à craindre, du moment que tu ne changes pas d’avis.

Il avait alors voulu la contraindre à prendre un stylo.

— Il ne s’agit pas d’un prêt d’argent. Est-ce que tu espères asservir une âme avec une promesse écrite ? Tu visais autre chose, n’est-ce pas ?

— Pourquoi est-ce que tu ne veux pas signer ? Tu penses que tes sentiments changeront. Je vois juste, n’est-ce pas ?

— On aura beau signer, l’avenir est imprévisible.

— Si tu t’obstines à t’opposer à moi, tu ne tarderas pas à avoir des ennuis. Même sans ton serment écrit, j’ai ici assez de preuves pour te faire chanter.

Il avait alors sorti une petite photo de son portefeuille et la lui avait montrée. Chose surprenante, c’était la copie du serment que mon mari avait récupéré. Il précisa qu’avant de passer au bureau d’Imabashi, il avait fait faire cette photo. Peut-être Kakiuchi n’aurait-il pas l’intention de rendre l’original, mais il n’était pas le genre d’homme à se laisser doubler. S’il montrait photo et reçu à un journaliste, il ferait des pieds et des mains pour me convaincre de les lui rendre et si Watanuki y était acculé, il serait prêt à adopter les solutions les plus extrêmes. – Et il avait alors conclu :

— Obéis-moi, sinon, je peux te garantir qu’un avenir sinistre t’attend.

— Tu vois comme tu es veule ! Mais mon parti est pris : si tu as en ta possession tout ce que tu prétends avoir, pourquoi ne cesses-tu pas de persécuter les gens et ne vas-tu pas directement à un journal pour vendre ta marchandise ?

C’est sur cette querelle qu’ils s’étaient quittés. Dans la crainte de se montrer trop faible, Mitsuko n’était pas venue, ce jour-là, à Kasayamachi, mais dès qu’elle avait reçu mon coup de fil, elle était accourue chez moi. Il y avait peu de chances pour que Watanuki, qui n’était pas encore sûr qu’ils eussent rompu, entreprît une action qui risquait de lui nuire à lui-même, mais maintenant plus que jamais la meilleure solution était de gagner mon mari à sa cause. Nous avons décidé de mener à bien le plan que j’avais imaginé.

— Si nous devons nous enfuir dans un lieu proche, a proposé Mitsuko, nous pourrions nous réfugier dans notre maison de Hamadera.

Cette année-là, un couple de gardiens y demeurait seul. Si Mitsuko avait prétexté qu’elle voulait nager et avait demandé à être accompagnée d’Umé, elle pouvait y rester quatre ou cinq jours, sans que sa famille s’en inquiétât. Je sortirais en catimini de la maison et je les retrouverais, la bonne et elle, à la gare de Namba. Quand nous arriverions toutes les trois à Hamadera, mon mari s’apercevrait de mon absence et, avant toute chose, il téléphonerait chez Mitsuko. Dès qu’il saurait où elle se trouvait, il téléphonerait à Hamadera. Umé répondrait :

« Votre femme et ma maîtresse se sont empoisonnées et elles sont plongées dans le coma. C’est un suicide prémédité parce qu’elles ont laissé des lettres d’adieu. J’allais justement téléphoner à la maison et chez vous. Venez tout de suite. »

Sans aucun doute, il serait accouru. – Umé aurait donc un rôle important à jouer, mais il était avant tout essentiel que nous sussions comment feindre le coma : même si nous étions de bonnes comédiennes, nous serions bien obligées de prendre ce médicament. Nous ne savions pas quelle serait la dose à prendre pour que le médecin diagnostiquât que notre vie n’était pas en danger et qu’il nous suffirait de nous reposer deux ou trois jours. Mais le barbiturique Bayer auquel Mitsuko était habituée ne paraissait pas excessivement dangereux :

— On pourrait prendre une tablette entière des plus petites pilules, sans rien risquer. Contentons-nous d’une dose plus modeste et tout se passera bien. Et si, par erreur, nous devions trouver la mort, peu m’importerait, grande sœur, puisque je serais avec toi.

— Tu as raison, cela me serait égal, à moi aussi.

Et quand mon mari arriverait, Umé lui dirait :

« Comme vous verrez, elles ont encore l’esprit très embrumé, mais le médecin a assuré qu’il n’y a plus aucun danger : elles se sont déjà ressaisies, elles ouvrent les yeux de temps en temps. À vrai dire, je devrais avertir la famille, mais on ferait des reproches à Mademoiselle et Madame m’en voudrait beaucoup, c’est pour cela que je n’ai pas téléphoné. Je vous prie de garder le secret. Il n’est pas possible qu’elles rentrent à la maison cette nuit : laissez donc votre femme se reposer ici, comme si elle était venue en villégiature avec nous, jusqu’à ce qu’elle aille mieux. »

Nous serions restées alitées deux ou trois jours, en faisant semblant de dormir, de délirer, de nous réveiller en sanglots ; pendant ce temps, Umé jouerait son rôle en demandant au bon moment :

« Si vous voulez les sauver, écoutez leurs requêtes. »

Mon mari serait bien forcé d’accepter.

— Alors, quel jour on décide ?

— Comment veux-tu que je prenne une décision en étant aussi surveillée ? Aujourd’hui est notre seule possibilité.

— Moi aussi, je préfère que nous nous dépêchions, parce que Watanuki pourrait revenir m’ennuyer.

Pendant que nous parlions, mon mari ne cessait de m’appeler au téléphone. Je ne pouvais même pas fuir parce qu’il s’en serait rendu compte avant notre arrivée à Hamadera. Entre notre fuite et nos retrouvailles, il fallait bien compter au moins deux ou trois heures, autrement nous n’aurions pas eu assez de temps et mieux valait y renoncer. Au début, j’avais pensé dire :

« Je vais me reposer jusqu’à ce soir. Je ne veux pas être réveillée. »

J’aurais interdit à mon mari de me téléphoner et je me serais enfermée dans ma chambre, j’aurais sauté par la fenêtre et je me serais enfuie ; mais la maison était de style occidental, le mur lisse n’offrait aucune prise pour les pieds et puis la plage en bas grouillait de baigneurs et il n’était pas question pour moi de me donner en spectacle ainsi. Je changeai d’avis et après avoir réfléchi ensemble, nous avons décidé que je resterais bien sage pendant deux ou trois jours et puis, profitant de la distraction de mon mari et de la bonne, je me serais éloignée en faisant semblant d’aller me baigner et je me serais enfuie. Au bout de deux ou trois jours, en effet, quand mon mari aurait commencé à me faire confiance, au moment où il se serait apprêté à sortir, je l’aurais averti :

« Si je reste à la maison du matin au soir, je finirai par ressembler à une malade. Permets-moi au moins d’aller à la mer. Je ne porterai que mon maillot de bains et je resterai là, sur la plage d’en face, sans m’en éloigner. »

Et puis, je me serais en effet dirigée vers la mer avec simplement mon maillot sur moi. Umé et Mitsuko m’auraient attendue sur la plage avec des vêtements et je me serais aussitôt changée. L’idéal aurait été une robe occidentale que j’aurais pu enfiler par-dessus mon maillot et un chapeau dont j’aurais rabattu les bords pour cacher mon visage. La plage pullulait de gens : personne ne s’en serait aperçu. Comme, à cette époque, je ne portais presque jamais de vêtements occidentaux, m’aurait-on remarquée, on ne m’aurait pas reconnue. Nous nous serions donné rendez-vous entre dix heures du matin et midi, quand mon mari se serait trouvé sans aucun doute à Ôsaka. Quant à la date, s’il ne pleuvait pas, j’aurais préféré dans trois jours ; et si cela ne marchait pas, on reporterait la chose au quatrième ou au cinquième jour et ainsi de suite ; Mitsuko et Umé viendraient tous les jours, jusqu’à ce que je pusse m’enfuir. Tout en réfléchissant, nous avons eu alors une autre excellente idée : Mitsuko, la veille de ma fugue, se rendrait le soir avant nous à Hamadera. Ainsi, si jamais mon mari téléphonait chez elle pour avoir de mes nouvelles, on lui répondrait :

« Depuis hier, Mitsuko est à la campagne. »

Et quand il aurait réussi à la joindre, elle lui dirait, elle-même :

« Grande sœur ne sait pas que je suis ici. Il n’est pas possible qu’elle vienne ici. »

Il aurait alors pensé que je n’étais pas partie bien loin, que peut-être je m’étais noyée, et avant tout, il m’aurait fait chercher dans la mer. Au moment opportun, Umé lui aurait téléphoné :

« Je dois vous avertir que votre femme est arrivée tout à l’heure. Je me suis absentée un instant et entre-temps un malheur terrible est arrivé. »

Nous avons essayé de calculer le temps nécessaire à la réalisation de ce plan : une heure et demie, peut-être deux, pour que ma bonne s’en aperçût, une autre pour qu’elle avertît mon mari à Ôsaka, pour qu’il commençât les recherches par téléphone et revînt à la maison, une heure ou deux pour passer au peigne fin la plage et le voisinage, une heure et demie environ pour qu’il arrivât à Hamadera après le coup de fil d’Umé. Bref, nous aurions eu devant nous cinq ou six heures, ce qui était suffisant pour mener à bien nos préparatifs. Ça m’ennuyait pour Umé qui serait obligée d’accompagner la veille Mitsuko à Hamadera et qui, le jour fixé, devrait revenir à dix heures à Kôroen pour m’attendre sur la plage, restant s’il le fallait une heure ou deux en pleine canicule. Et peut-être en plus devrait-elle m’attendre en vain et revenir deux ou trois jours d’affilée. Mais Mitsuko m’a rassurée :

— Elle le fera sans problème. Elle adore ce genre d’intrigues.

Nous avons tout réglé dans le détail pour que rien ne nous échappe et en nous quittant nous nous sommes souhaité « bonne chance ». Il était une heure de l’après-midi, quand Mitsuko est partie et elle avait failli croiser mon mari qui est rentré presque aussitôt après. Je pensais que nous avions eu de la chance de ne pas avoir choisi ce jour-là pour notre escapade.