XIV
Une sueur froide couvrit Bob Morane tout entier, et il balbutia :
— Je dois me tirer au plus vite !… Au plus vite !…
Il se glissa par l’ouverture de la porte et, éperdu de terreur, il se mit à courir vers le puits. Il en atteignit le fond en un temps record, longea le boyau horizontal sans prendre garde s’il se heurtait ou non à la paroi. Alors qu’il débouchait au fond du second puits, sa lampe frappa la muraille, se brisa et s’éteignit. Mais Bob n’en avait cure. Il atteignit l’échelle et se mit à en gravir les échelons à toute vitesse.
Cette fois, quand il émergea dans la cour intérieure du château, il ne s’attarda pas à contempler le ciel. Il s’attendait à ce qu’à tout moment le sol s’ouvrit sous lui, pour l’engloutir dans des gerbes de lumière verte.
Comme un bolide, il traversa la cour, franchit le portail, puis l’arche du pont de pierre. Il s’élança alors sur le chemin en colimaçon menant au pied du piton rocheux, dévalant la pente à toute allure. Tout en courant, il avait l’impression que la montagne bougeait sous lui, comme si elle voulait le précipiter dans le vide.
Jamais il ne devait comprendre comment il avait pu atteindre la vallée sans s’écrouler, épuisé. Sous ses pieds, le sol cessa soudain de s’incliner. Des lumières s’agitèrent devant lui, puis trois formes humaines se dressèrent.
« Bill, Lucile, Sarvory ! », songea Morane avec allégresse.
Il avait rejoint ses amis. C’est alors que, dans son dos, il y eut comme un prodigieux déchirement. Il tourna la tête, pour se rendre compte que le piton venait de crever de toutes parts, comme sous une irrésistible pression intérieure. De mille fissures, des flots de fumée verte jaillissaient, tandis que la montagne tout entière tremblait sur sa base. Pourtant, elle ne s’écroula pas et, à son sommet, le château de Beaugaillard demeura fièrement dressé, intact semblait-il et auréolé d’un nimbe de fumée glauque.
Brusquement, une joie sauvage empoigna Adrien Sarvory, qui se mit à danser sur place, en hurlant :
— Nous avons gagné !… Mes collections sont sauvées !… Nous avons gagné !…
Mais Bob Morane, lui, ne pensait pas aux collections du vieux châtelain. Il songeait aux milliers de vies humaines que son action désespérée avait épargnées, et il ne put s’empêcher de murmurer, lui aussi :
— Nous avons gagné !… Nous avons gagné !…
De son côté, Bill Ballantine avait posé la main sur l’épaule de son ami, se contentant de dire :
— Beau travail, commandant !
Ces simples mots, dans la bouche du géant, avaient plus de valeur que tous les honneurs de la terre.
Lucile Blaise crut devoir ajouter son admiration à celle de l’Écossais, en déclarant de son côté :
— J’ai eu tort de dire, il y a quelques jours, que vous faisiez mentir votre légende, Bob. Vous êtes bien le chevalier sans peur de votre légende. Une fois de plus, vous avez vaincu le dragon…
« Le dragon ! », songea Bob. L’avait-il réellement vaincu ? Il l’avait terrassé seulement, car Xhatan était toujours en vie, prêt à commettre de nouveaux crimes dès qu’il aurait oublié l’amertume de cette nouvelle défaite.
Xhatan, que Bob Morane devrait abattre un jour, ou être abattu par lui…
FIN