XII
Lorsque Bill Ballantine avait aperçu Bob Morane en compagnie de la jeune fille blonde et de l’homme aux cheveux blancs – dans lequel il avait reconnu aussitôt Sarvory, le vrai sans doute – il n’avait pu s’empêcher de pousser une exclamation de joie et de se porter en avant.
— Commandant !… Je n’espérais plus vous retrouver vivant…
Bob Morane avait eu un sourire.
— Tu sais bien, Bill, que j’ai l’âme chevillée au corps…
— De votre côté, vous n’avez pas l’air bien surpris de me voir, fit remarquer l’Écossais.
— Xhatan m’avait mis au courant du piège dans lequel il voulait te faire tomber en t'envoyant, en mon nom, un message lumineux, expliqua Morane. Je vois que son plan a réussi au-delà de toutes ses espérances…
Tout en échangeant ces paroles, les deux amis se serraient vigoureusement la main en se bourrant les épaules de grandes claques sonores. Cela arracha un petit rire narquois à la jeune fille blonde, qui s’exclama :
— Voilà donc le commandant Morane et son inséparable Bill Ballantine réunis dans le malheur ! Prisonniers et impuissants, voilà ce qu’ils sont, eux qui ont l’habitude de libérer les belles princesses captives !… Vraiment, rien n’est plus surfait qu’une réputation…
Bill Ballantine foudroya la jeune fille du regard et demanda à l’adresse de Morane :
— Qui c’est, cette souris ?
— Je te présente Mlle Lucile Blaise, fit Bob avec un sourire amusé.
— La gratteuse de papier ?
— Elle-même, mais ne sois pas trop dur à son égard, Bill, car c’est grâce à elle et au message qu’elle a laissé dans les souterrains du Temple que nous avons pu retrouver la trace de Xhatan…
— Grâce à elle surtout que nous sommes venus nous fourrer dans la gueule du loup, fit remarquer Bill.
— Est-ce ma faute si vous vous êtes conduits avec autant de discernement qu’une mouche se promenant sur un papier couvert de glu ? intervint Lucile Blaise sur un ton mi-taquin, mi-agressif.
— Écoutez, petite vipère dorée…, commença le géant.
Mais Bob Morane lui coupa la parole.
— Laisse tomber, Bill. Raconte-nous plutôt comment tu as fait pour retrouver ma trace…
Rapidement, Ballantine mit son ami au courant des événements qui s’étaient passés depuis qu’il avait découvert sa disparition, à Paris. Quand il eut terminé, Morane approuva :
— Tu ne pouvais agir autrement. Je te reproche une seule chose, c’est de n’avoir pas averti la police avant de venir ici.
— Les autorités locales ne m’auraient pas suivi, répliqua l’Écossais. Et quant à toucher le commissaire Daudret à Paris en pleine nuit ! Et puis, je vous croyais en danger de mort et aussitôt je n’ai eu qu’une idée : voler à votre secours…
— Nous voilà bien avancés, glissa Lucile Blaise. Vous êtes parvenu à vous faire prendre au piège vous aussi, tout simplement, monsieur Ballantine… Comment allons-nous réussir à nous en tirer à présent ?
Bill désigna Sarvory, qui se tenait immobile sur son banc de bois.
— M. Sarvory pourra peut-être nous aider, dit-il. Comme propriétaire du château, il doit connaître tous les secrets de ses souterrains…
— Il les connaissait, corrigea Morane, mais à présent, il ne peut plus rien pour nous, car le fait d’être prisonnier en sa propre demeure lui a causé un grand choc, auquel sa raison n’a pas résisté, et il a perdu la mémoire…
Bill se tourna vers le châtelain.
— Essayez de vous souvenir, monsieur Sarvory… Essayez de vous souvenir…
Le vieillard secoua la tête.
— Je ne sais plus, murmura-t-il. Je ne sais plus…
Il se prit le front entre les mains, le pressa comme s’il voulait en faire jaillir des lambeaux de souvenirs, et il répéta :
— Je ne sais plus… Je ne me rappelle rien…
Bob Morane et Bill Ballantine échangèrent de longs regards, grâce auxquels ils se comprirent sans avoir besoin d’échanger la moindre parole. Ils réalisaient que leur situation était désespérée. Privés de tout moyen de défense, ils étaient définitivement au pouvoir d’un monstre prêt à tous les crimes, en compagnie d’une jeune femme et d’un vieillard incapables de leur apporter aucune aide. Quant à celle qui pouvait leur venir du dehors, elle était aussi improbable que la naissance d’un arc-en-ciel dans la nuit.
Plusieurs jours devaient s’écouler sans que rien n’apportât le moindre changement à la situation. Chaque soir, les prisonniers réintégraient leurs cellules particulières. Le jour, ils pouvaient se réunir, mais cela ne leur servait pas à grand-chose, car non seulement toutes leurs conversations devaient être surveillées grâce à des micros dissimulés dans la muraille, mais, en outre, qu’auraient-ils pu faire contre la poignée de mercenaires de Xhatan. Morane possédait bien un canif, qu’on lui avait laissé par mégarde, mais ce n’était pas avec cette arme dérisoire qu’il pouvait espérer retourner la situation en faveur de ses amis et de lui-même.
Au soir du quatrième jour, tout changea avec la venue du Dr Xhatan…
●
Le Maître de la Lumière, suivi de quatre mercenaires armés de mitraillettes, s’avança dans l’étroite salle voûtée où se tenaient Bob Morane et ses trois compagnons.
— Messieurs, mademoiselle, dit-il simplement, l’heure de la vérité a sonné… Il s’interrompit puis, s’adressant plus particulièrement à Bob, il reprit : – Mon condensateur de photons a désormais atteint sa charge maximale et l’heure de l’action est venue. En ce moment, je suis prêt à quitter le château avec mes collaborateurs et mes otages. Seul, avec M. Ballantine, Mlle Blaise et M. Sarvory, vous demeurerez ici. Vous, commandant Morane, et vous monsieur Ballantine, simplement parce que vous êtes des adversaires trop dangereux pour que je puisse courir le risque de vous emmener. Mlle Blaise, elle, est trop intelligente, trop observatrice, et je ne tiens pas à ce qu’elle divulgue par ses articles à sensation ce qu’elle sait de moi et de mes projets. Quant à M. Sarvory, il a perdu la raison et ne peut plus être utile à personne. Je suis persuadé d’ailleurs qu’il sera enchanté de ne pas survivre à la destruction de son manoir et de sa collection d’armes anciennes, pour lesquels il éprouvait tant d’attachement… Bien entendu, en ce qui vous concerne, commandant Morane, il y aurait un moyen d’échapper à la mort… Lors de notre premier entretien, je vous avais fait une offre… Y avez-vous réfléchi ?
— Devenir votre complice ? interrogea Bob.
— Disons plutôt mon… collaborateur, corrigea Xhatan. C’est bien cela… Cette offre vaut également pour M. Ballantine…
Il y eut un moment de silence, puis Morane jeta d’une voix sourde :
— M’associer à un scélérat de votre espèce, Xhatan… Jamais !… Vous m’entendez, jamais !
Avec un grondement de colère, Bill Ballantine se dressa, ses énormes mains tendues.
— Au lieu de discuter avec une vermine de cette espèce, gronda-t-il, nous ferions mieux de lui tordre le cou…
Les mitraillettes des mercenaires s’étaient braquées sur la poitrine du géant qui, déjà, s’avançait vers Xhatan. Bob Morane retint son ami par le bras et le repoussa en arrière.
— Reste assis, Bill, tu m’entends ? Reste assis… Tu n’as aucune chance…
Ballantine remarqua les mitraillettes pointées vers lui et il n’insista pas. Il se rassit en maugréant :
— C’est bon, Xhatan. Pour cette fois, vous échappez encore au coup du lapin, mais la prochaine…
— Il n’y aura pas de prochaine fois, fit le Maître de la Lumière avec un mauvais sourire. Puisque le commandant Morane et vous n’acceptez pas l’offre amicale que je vous ai faite, il ne me reste plus qu’à vous tirer ma révérence. Bientôt, mon condensateur de photons, commandé par une minuterie, déversera automatiquement ses rayons mortels sur la région, où toute vie sera anéantie. Mais, à ce moment, je serai loin. Quand les réserves d’énergie du condensateur seront épuisées, une nouvelle minuterie en provoquera la destruction. De cette façon, mes appareils ne tomberont pas au pouvoir des savants français qui pourraient en découvrir le fonctionnement. Quand les charges d’explosif destinées à détruire ces appareils exploseront, vous périrez en même temps, ensevelis sous les débris…
— Et si, pour une raison ou pour une autre, le mécanisme commandant le déclenchement de votre condensateur ne fonctionnait pas ? interrogea Morane.
— Dans ce cas, répondit Xhatan, vous périrez quand même, car j’ai prévu qu’en cas de panne la destruction de l’appareillage aurait lieu de toute façon, automatiquement. Je veux qu’en aucun cas mes découvertes ne tombent aux mains d’étrangers…
Lentement, Xhatan recula vers la porte. Quand il fut sur le seuil, il s’inclina légèrement, comme s’il s’était trouvé dans un salon, et il dit d’une voix douce :
— Mademoiselle Blaise, messieurs, j’ai bien l’honneur de vous saluer…
Le Maître de la Lumière sortit, suivi de ses gardes. Le battant claqua et les prisonniers entendirent le glissement du lourd verrou que l’on poussait dans sa gâche. Pendant de longues minutes, ils perçurent encore des bruits de pas à travers le souterrain, puis ce fut le silence. Un silence profond, pesant, épais comme le manteau même de la Mort.