André Breton
(1896-1966)
LES ATTITUDES SPECTRALES
Je n’attache aucune importance à la vie
Je n’épingle pas le moindre papillon de vie à l’importance
Je n’importe pas à la vie
Mais les rameaux du sel les rameaux blancs
Toutes les bulles d’ombre
Et les anémones de mer
Descendent et respirent à l’intérieur de ma pensée
Ils viennent des pleurs que je ne verse pas
Des pas que je ne fais pas qui sont deux fois des pas
Et dont le sable se souvient à la marée montante
Les barreaux sont à l’intérieur de la cage
Et les oiseaux viennent de très haut chanter devant ces barreaux
Un passage souterrain unit tous les parfums
Un jour une femme s’y engagea
Cette femme devint si brillante que je ne pus la voir
De ces yeux qui m’ont vu moi-même brûler
J’avais déjà cet âge que j’ai
Et je veillais sur moi sur ma pensée comme un gardien de nuit dans une immense fabrique
Seul gardien
Le rond-point enchantait toujours les mêmes tramways
Les figures de plâtre n’avaient rien perdu de leur expression
Elles mordaient la figue du sourire
Je connais une draperie dans une ville disparue
S’il me plaisait de vous apparaître vêtu de cette draperie
Vous croiriez à l’approche de votre fin
Comme à la mienne
Enfin les fontaines comprendraient qu’il ne faut pas dire Fontaine
On attire les loups avec les miroirs de neige
Je possède une barque détachée de tous les climats
Je suis entraîné par une banquise aux dents de flamme
Je coupe et je fends le bois de cet arbre qui sera toujours vert
Un musicien se prend dans les cordes de son instrument
Le Pavillon Noir du temps d’aucune histoire d’enfance
Aborde un vaisseau qui n’est encore que le fantôme du sien
Il y a peut-être une garde à cette épée
Mais dans cette garde il y a déjà un duel
Au cours duquel les deux adversaires se désarment
Le mort est le moins offensé
L’avenir n’est jamais
Les rideaux qui n’ont jamais été levés
Flottent aux fenêtres des maisons qu’on construira
Les lits faits de tous les lys
Glissent sous les lampes de rosée
Un soir viendra
Les pépites de lumière s’immobilisent sous la mousse bleue
Les mains qui font et défont les nœuds de l’amour et de l’air
Gardent toute leur transparence pour ceux qui voient
Ils voient les palmes sur les mains
Les couronnes dans les yeux
Mais le brasier des couronnes et des palmes
S’allume ne fait à peine que s’allumer au plus profond de la forêt
Là où les cerfs mirent en penchant la tête les années
On n’entend encore qu’un faible battement
D’où procèdent mille bruits plus légers ou plus sourds
Et ce battement se perpétue
Il y a des robes qui vibrent
Et leur vibration est à l’unisson de ce battement
Mais quand je veux voir le visage de celles qui les portent
Un grand brouillard se lève de terre
Au bas des clochers derrière les plus élégants réservoirs de vie et de richesse
Dans les gorges qui s’obscurcissent entre deux montagnes
Sur la mer à l’heure où le soleil fraîchit
Les êtres qui me font signe sont séparés par des étoiles
Et pourtant la voiture lancée au grand galop
Emporte jusqu’à ma dernière hésitation
Qui m’attend là-bas dans la ville où les statues de bronze et de pierre ont changé de place avec les statues de cire
Banians banians
Le Revolver à cheveux blancs