André Suarès
(1868-1948)

LE MILLIAIRE D’OR
(extrait)

Entre Cesena et Savignano.

Quel che fù, poi ch’ egli usci di Ravenna
E saltó’l Rubicon.        

Or, tel il fut, après avoir laissé Ravenne
Et fait le saut du Rubicon.       

Midi éblouissant. Il faut mettre pied à terre, ici, où nul ne vient.

Mais que nul ne le tente, s’il ne porte à ce lieu désert une passion égale qu’il garde jalousement.

À chacune de ses flèches, le sagittaire d’or fait cible dans mes yeux. Je suis noir et rouge à moi-même, dans la clarté. Je marche dans la flamme de la volonté et dans les tisons de la force solaire. Noms sacrés ! Il est des noms qui ont la vertu d’un acte.

Entre les montagnes grises, où poudroie l’olivier, et la mer proche, une plaine brûle, creusée d’étroits vallons, pareils aux douves d’une citadelle abîmée dans le sol. La terre est de cuivre et d’argent ; et les ombres, de bronze. Le lit des torrents est fait de lingots jaunes, fendillés par la chaleur. Une poussière éclatante dort sur la route, une farine de clarté torride, blanche comme le fer rougi à blanc, et, quand on lève les yeux, bleue comme l’irradiation de la masse incandescente.

Voici l’heure que le soleil fait un manteau royal à l’homme marchant. Il vêt de pourpre celui qui ose. César n’est plus un nom que les princes d’occasion portent comme un masque. Ô César, tu es l’homme, et mon homme.

Que cette terre dure, que craquèle la canicule, est bonne au talon d’un conquérant ! Comme elle le frappe, coup pour coup ! comme elle le repousse ! comme elle le fait bondir, lentement, sûrement, lui refusant les attaches puériles du plaisir ! Il faut avancer sous ce soleil. Il n’est que de suivre la ligne la plus droite. Je bats du pied les sillons rouges. Bonne terre, qui fait la sueur du héros, qui le force à rendre jusqu’au dernier atome de sa graisse, cet amour pour la paix qui finit par barder les plus forts d’indifférence.

Voyage du condottiere

© Granit