DICTIONNAIRE DES AUTEURS

AMIS (KINGSIEY). – Romancier et poète anglais né en 1922, surtout connu pour des romans sociaux humoristiques comme Lucky Jim (1954), Kingley Amis s’est par la suite essayé à d’autres genres : le pastiche de James Bond, avec Colonel Sun (1968), ou la science-fiction. Dans ce dernier genre, on retiendra surtout Spectrum, la série d’anthologies qu’il a signées avec Robert Conquest, The Alteration (1976), uchronie située dans un monde parallèle où la Réforme n’a pas eu lieu, et New Maps of Hell (1960, L’Univers de la Science-Fiction), survol critique superficiel, mais qui eut le mérite d’attirer l’attention de certains milieux littéraires et universitaires sur le genre.

CARR (CAROL). – Signature apparue pour la première fois il y a une dizaine d’années sous des textes de science-fiction.

DICK (PHILIP KINDRED). – Né en 1928, Philip K. Dick fait, à ses débuts, figure de stakhanoviste de la science-fiction, publiant près de soixante nouvelles en 1953 et 1954. Son premier roman, Solar Lottery (1955, Loterie solaire), le pose en disciple de van Vogt, mais certains de ses textes, comme The Father-Thing (1954, Le Père truqué), sont déjà plus personnels. Dans les années suivantes, il publie surtout des romans, et son originalité s’affirme progressivement pour aboutir à The Man in the High Castle (1962, Le Maître du haut château) qui lui vaut le prix Hugo, et le place au tout premier plan des spécialistes du genre. Suit une période exceptionnellement féconde ; en 1964, paraissent à la fois The Three Stigmata of Palmer Ëldritch (Le Dieu venu du Centaure), The Simulacra (Simulacres), The Penultimate Truth (La Vérité avant-dernière) et Clans of the Alphane Moon (Les Clans de la Lune Alphane). Sa maîtrise de l’art d’écrire est d’autant plus remarquable qu’il travaille très vite. Plus remarquable encore est la cohérence de son inspiration ; toute son œuvre est articulée autour de quelques thèmes centraux, tels que le nombre infime des détenteurs du Pouvoir, leur tyrannie, leur habilité à se maintenir en place en dupant leurs victimes, la vocation de celles-ci pour les illusions, les mirages à la limite de la folie, le poids de la contrainte et les caprices cruels du hasard. Peu à peu, cependant, la critique sociale devient moins importante, tandis que son expérience de la drogue et ses tendances délirantes conduisent à l’éclatement du récit ; cette période culmine avec Ubik (1969, Ubik) et aboutit à un silence de plusieurs années que l’écrivain consacre surtout à se soigner. A Scanner Darkly (1977, Substance mort) témoigne de cette étape par une violente dénonciation de la drogue, tandis que les derniers textes montrent une fascination pour une combinaison de mysticisme et de contrôle par des extra-terrestres : Valis (1981, Siva), The Divine Invasion (1981, L’Invasion divine), The Transmigration of Timothy Archer (1982, La Transmigration de Timothy Archer). Philip K. Dick est mort en 1982, année de la sortie de Blade Runner, l’adaptation cinématographique, signée Ridley Scott, de Do androids dream of electric sheep ? (1968, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?).

DISCH (THOMAS MICHAEL). – Né en 1940, Thomas M. Disch travailla dans une agence de publicité et dans une banque avant de se lancer dans une carrière littéraire. Ses récits de science-fiction, proches des textes expérimentaux de la new wave anglaise – alors qu’il est lui-même américain –, se caractérisent souvent par leur allure sombre, soit qu’ils décrivent la totale indifférence d’entités qui manipulent les humains, comme The Genocides (1965, Les Génocides), soit qu’ils baignent dans le pessimisme comme Camp Concentration (1968, Camp de concentration). Pénétrant, ironique, cruel, alternant la froideur et l’austérité, Thomas M. Disch, comme le confirment également 334 (1972, 334) ou On Wings of Song (1978, Sur les ailes du chant), paraît avoir hérité quelque chose de la noirceur inspirée qui distinguait C.M. Kornbluth, pour l’unir à une facture qui lui est personnelle.

ELLISON (HARLAN). – NÉ EN 1934, Harlan Ellison est un des écrivains de science-fiction – de Science-Fiction, et ce, malgré sa volonté particulièrement affirmée de se situer à l’extérieur du genre ! – qui éprouve le plus violemment le besoin de s’expliquer. Ses recueils comportent habituellement un substantiel appareil para-fictif, sous forme de préface, introductions séparées des nouvelles, réflexions de l’auteur, aperçus autobiographiques, etc. Une manière plus rapide d’évaluer le personnage consisterait à lire son portrait de jeunesse tracé par son ami Robert Silverberg dans le numéro spécial (juillet 1977) que The Magazine of Fantasy and Science Fiction lui consacra ; que l’on sache simplement qu’il n’est pas rare de le voir jouer de la machine à écrire dans des lieux assez insolites (la vitrine d’une librairie ; une tente de camping installée dans les salons d’une convention mondiale), et que seules quelques rares personnes peuvent arborer le badge suivant : Never insulted by Harlan Ellison. Dans ses écrits, il apparaît comme une sorte d’écorché agressif, dont le style oscille de l’opportunisme « nouvelle vague » à la simple faconde, et s’appuie sur un talent narratif nerveux. S’il ne s’est pas beaucoup intéressé au roman, Ellison a signé un nombre considérable de nouvelles, dans lesquelles on distingue certains thèmes principaux : son aversion pour la science – qu’il ne traite d’ailleurs pas de façon rigoureuse –, son intérêt pour les archétypes des mythes juifs et chrétiens, sa méfiance envers l’amour. Ces écrits lui ont rapporté un nombre appréciable de prix Hugo et Nebula. Il a publié trois anthologies notables : Partners in Wonder (1971, La Chanson du zombie), Dangerous Visions (1967, Dangereuses visions) et Again, Dangerous Visions (1972). La première rassemble des récits dont chacun résulte de la collaboration d’Ellison avec un auteur différent. Les deux dernières, qui ont fait l’effet d’une bombe par la qualité, l’originalité et l’« avant-gardisme » des textes retenus – quoique la série des Orbit de Damon Knight ne leur cède en rien –, ne sont que l’apéritif à Last Dangerous Visions, superstructure, pour l’instant limitée à trois épais volumes, en gestation depuis plus de dix ans, et dont on espère la publication prochaine…

HOLLIS (H.H.). – Pseudonyme de Ben N. Ramey (1921-1977), juriste qui publia des nouvelles de science-fiction à partir de 1966. Dans un style généralement clair et sans prétention, il y exprimait ses préoccupations à l’égard de problèmes contemporains tels que l’écologie, la drogue et la violence.

KUTTNER (HENRY). – Né en 1914, formé par la lecture de la revue Weird Taies, où il fit ses débuts en 1936 avec des récits d’horreur et d’heroic fantasy, il passa à la science-fiction pour des raisons alimentaires, et fit du tout-venant pendant quelques années sous divers pseudonymes. En 1940, il épousa Catherine Moore, et, en 1942, ils commencèrent à écrire des nouvelles en collaboration, généralement sous les noms de Lewis Padgett ou Lawrence O’Donnell ; elle apporte son style, son imagination, son sens de l’épopée, il ajoute construction, goût du morbide et humour. Tout de suite, c’est le succès ; Deadlock (1942), The Twonky (1942, Le Twonky), Mimsy Were the Borogoves (1943, Tout smouales étaient les Borogoves) et Shock (1943, Choc) imposent le nouvel « auteur » comme un grand technicien de la nouvelle, le premier dans l’histoire de la science-fiction. En ce sens, Henry Kuttner a influencé la plupart des auteurs de la génération suivante. Il a aussi écrit des romans estimables : The Fairy Chessmen (1946, L’Homme venu du futur), Fury (1947, Vénus et le Titan) et Mutant (1953, Les Mutants). Il commença sur le tard des études universitaires, et allait obtenir le grade de « Master of Arts » quand il mourut en 1958.

LAFFERTY (RAPHAËL ALOYSIUS). – Né en 1914, R.A. Lafferty donna à Judith Merril les notes suivantes en guise d’esquisse d’autoportrait : « Si j’avais eu une biographie intéressante, je n’écrirais pas de la science-fiction et du fantastique pour l’intérêt de remplacement. Je suis, dans le désordre, quinquagénaire, ingénieur électricien, corpulent. » Venu tardivement à l’écriture, il a montré rapidement qu’il ne ressemblait à aucun autre ; ses idées n’appartiennent qu’à lui, et il en va de même de son style narratif, qui peut paraître bâclé et mal équilibré de prime abord, mais qui possède en réalité une vivacité et une souplesse rythmique peu communes.

Dans les univers de Lafferty, l’absurde et l’impossible peuvent se succéder sans attirer l’attention des personnages, ni heurter le lecteur. Ils suffisent, avec les étincelles d’une imagination infatigable, à justifier des récits sans message ni confession. Parmi ses romans, Past Master (1968, Le Maître du passé) met en scène Thomas More, appelé dans le futur pour résoudre les problèmes d’une société qui devrait être utopique – thème qui donne un aperçu de la manière dont agit la « logique » de l’auteur. Ce dernier est cependant encore plus à l’aise dans le genre de la nouvelle, pour concocter de petits concentrés d’humour – Does anyone else have something further to add ? (1974, Lieux secrets et vilains messieurs) en constitue un bon recueil – qui aboutissent, pour la science-fiction, à un enrichissement aussi substantiel qu’imprévisible : une nouvelle forme de rationalisation ae la démence.

LEIBER (FRITZ). – Fils d’un acteur de théâtre et de cinéma qui eut son heure de célébrité dans les années 20 – on peut le voir dans Le Fantôme de l’Opéra –, et qui portait le même prénom que lui, Fritz Leiber Jr., naquit en 1910, et découvrit très tôt Shakespeare dans les tournées de son père. Il obtint un diplôme de psychologie, et s’essaya à divers métiers (prédicateur religieux, acteur dans la troupe paternelle). Il débuta, en 1939, dans Unknown, l’excellente – mais éphémère – revue de fantastique que John W. Campbell Jr. menait parallèlement à Astounding, et où il publia les premières aventures héroïques du Souricier gris et de Fafhrd (Le Cycle des épées, Le Livre de Lankhmar). En même temps, paraissaient, dans Weird Taies, des nouvelles fantastiques comme The Hound (1942), sur les « êtres surnaturels d’une cité moderne ». Enfin, il passa au roman, avec Conjure Wife (1943, Ballet de sorcières), puis Gather, Darkness ! (1943, À l’aube des ténèbres) et Destiny Times Three (1945) – dans ces deux derniers récits, il se convertit à la science-fiction, mais comme à regret, et en conservant de nombreuses références à la sorcellerie. En mai 1945, il devient co-rédacteur en chef de Science Digest, et s’arrête d’écrire. De 1949 à 1953, il signe une série de nouvelles sarcastiques pour Galaxy, dont Corning Attraction (1950, Le Prochain Programme au spectacle) et The Moon is Green (1952, La Lune était verte). Cette double activité professionnelle finit par le mener à la dépression ; il se met à boire, et tout finit par une cure de désintoxication. Enfin, il quitte Science Digest en 1956, et recommence à publier en 1957. Cette troisième carrière est de beaucoup la plus brillante, avec notamment deux romans qui obtiennent le prix Hugo : The Big Time (1958, Guerre dans le néant) et The Wanderer (1964, Le Vagabond). Fritz Leiber est peut-être, avec Théodore Sturgeon, l’auteur le plus original de sa génération ; son ton inimitable, où l’horreur et l’humour font pour une fois bon ménage, lui a souvent valu d’être tout d’abord incompris, et ce n’est que depuis les années 60 qu’on lui rend pleinement justice. Le numéro de juillet 1969 de The Magazine of Fantasy and Science Fiction lui a été consacré.

MOORE (CATHERINE LUCILE). – Née en 1911. Profondément marquée par la lecture de Frank L. Baum et d’Edgar Rice Burroughs, qui lui donne un goût, très vif pour le merveilleux, elle réussit, avec Shambleau (1933, Shambleau), pour son coup d’essai, un coup de maître. C’est toujours dans Weird Taies qu’elle publie les aventures de Northwest Smith, qui relèvent du space opéra, et celles de Jirel de Joiry, plus proche de la sword and sorcery. Sa production se ralentit beaucoup à la fin des années 30, s’arrête presque complètement, pour repartir sur des chemins différents lorsqu’elle devient la collaboratrice de son mari Henry Kuttner sous les pseudonymes de Lewis Padgett et Lawrence O’Donnell. Elle signe cependant encore une demi-douzaine de nouvelles et deux romans, Judgment Night (1952, La Nuit du jugement) et, après la mort d’Henry Kuttner, Doomsday Morning (1957, La Dernière Aube), puis se laisse absorber par des scénarios pour la télévision et des cours de technique littéraire qu’elle donne à l’université de Californie.

PHILLIPS (PETER). – Né en 1920, Peter Phillips est un journaliste anglais qui a eu une carrière professionnelle variée ; il fut notamment chroniqueur criminel, et aussi « rédactrice » – signant : Anne – d’une page féminine. Il connut sa plus grande période de production littéraire entre 1948 et 1952, écrivant une trentaine de récits policiers et de science-fiction – souvent mémorables – qui firent de lui un auteur estimé aux États-Unis aussi bien qu’en Grande-Bretagne.

SHECKLEY (ROBERT). – Né en 1928, Robert Sheckley fit ses débuts en 1952, et s’imposa, au cours des années suivantes, comme l’auteur-vedette de Galaxy, qui, à certaines époques, publiait une nouvelle de lui tous les mois, et parfois plus – les textes excédentaires étaient signés Phillips Barbee ou Finn O’Donnevan. Il contribua, plus qu’aucun autre, à donner du rythme au récit de science-fiction en éliminant tout ce qui ralentissait l’action. L’absence particulièrement voulue de références – et de cohérence – scientifiques rapproche beaucoup ses écrits de la fable philosophique où il excelle dans l’art du sous-entendu ironique à la manière de Voltaire, tirant des effets brillants du contraste entre la lettre et l’esprit d’une situation. Du Sheckley romancier, on retiendra The Status Civilization (1960, Oméga), Immortality, Inc. (1959, Le Temps meurtrier) et Dimension of Miracles (1968, La Dimension des miracles), sans oublier ses incursions dans le roman noir, policier ou d’espionnage. Ses nouvelles Seventh Victim (1953, La Septième Victime) et The Prize of Péril (1958, Le Prix du danger) ont été portées à l’écran respectivement par Elio Pétri (1965, La Décima Vittima) et Yves Boisset (1983). Depuis quelques années, la signature de Robert Sheckley apparaît moins souvent dans les revues spécialisées, mais les récits qu’il publie dans des magazines comme Playboy prouvent que son talent satirique ne s’est aucunement émoussé.

SILVERBERG (ROBERT). – La carrière de Robert Silverberg, né en 1936, peut se décomposer facilement comme suit : tout d’abord, de 1954 à 1960, fécondité et production en série – plus de deux cents titres publiés, sans compter les nouvelles signées de pseudonymes ; ensuite, polygraphie en tout genre, pornographie, livres pour la jeunesse, vulgarisation scientifique et historique, et même un livre sur la fondation de l’État d’Israël : enfin, retour à la science-fiction, mais cette fois pour signer des romans que l’on peut qualifier de chefs-d’œuvre du genre, Nightwings (1969, Les Ailes de la nuit), The World Inside (1971, Les Monades urbaines), Son of Man (1971, Le Fils de l’Homme), A Time of Changes (1971, Le Temps des changements), The Book of Skulls (1971, Le Livre des crânes), Dying Inside (1972, L’Oreille interne). Avec ces textes, le « science » de « science-fiction » s’identifie à psychologie », « sociologie », à tout ce qu’il y a d’« humain » dans l’homme, pour le meilleur et pour le pire. Mais qualité ne rime pas avec rentabilité, et Robert Silverberg, déçu par les ventes de ce qu’il jugeait – à juste titre – comme le meilleur de sa prose, après un silence de quelques années, s’est à nouveau orienté vers des écrits plus commerciaux, comme en témoigne Lord Valentine’s Castle (1980, Le Château de lord Valentin).

SMITH (GEORGE HENRY). – NÉ EN 1922, il mène depuis 1953 une activité d’auteur dans un grand nombre de genres, et sous divers pseudonymes. Sa science-fiction comprend notamment un cycle de romans – commencé avec Druid’s World (1967) – qui se déroule dans un univers parallèle régi par la magie, et qui reflète l’intérêt de l’auteur pour les mythologies. Peu soigné à ses débuts – lorsqu’il écrivait surtout pour des éditeurs de second plan –, le style de George H. Smith a évolué vers une forme claire et équilibrée.

ZELAZNY (ROGER). – NÉ en 1937, d’ascendance polonaise, irlandaise, hollandaise et américaine, Roger Zelazny se consacre depuis 1969 à la carrière d’écrivain. Il s’est imposé comme auteur de premier plan avec A Rose for Ecclesiastes (1963, Une rose pour l’Ecclésiaste), The Doors of His Face, The Lamps of His Mouth (1965, Les Portes de son visage, les lampes de sa bouche), This Immortal (1965, Toi l’immortel). Isle of the Dead (1969, L’Ile des morts), variations sensibles et brillantes sur des thèmes connus – relations entre humains et extra-terrestres, immortalité, monde post-atomique. Par la suite, Roger Zelazny se montra souvent moins exigeant envers lui-même sur le plan de l’écriture, mais non sur celui de l’imagination ; celle-ci s’inspire aussi bien d’antiques mythologies – Lord of Light (1967, Seigneur de lumière) – et d’explorations psychanalytiques – The Dream Master (1966, Le Maître des rêves) – que de rationalisations de pouvoirs magiques – le cycle d’Ambre, commencé en 1970. Bien que classé parfois parmi les représentants de la « nouvelle vague », Roger Zelazny possède un talent trop varié et une créativité trop originale pour qu’une telle étiquette suffise à le décrire.