PREMIER CONTACT
Timothy Zahn
Premier contact est probablement l’une des nouvelles les plus connue de Timothy Zahn. Publiée pour la première fois en 1994 dans le premier numéro du Star Wars Adventure Journal, elle fut reprise en 1996 dans un numéro best of du même magazine, puis en 1997 dans le recueil Tales from the Empire avant d’ouvrir le bal des publications du service Hyperspace du site officiel en 2004.
Zahn, comme il aime à le faire dans ses nouvelles, continue de développer son univers personnel en racontant des moments clés de la vie de ses personnages fétiches. Ainsi, à l’instar de Transfert (Handoff) ou de Mist encounter qui contaient respectivement les rencontres de Mara Jade et Ghent et celle de Talon Karrde et Thrawn, First Contact nous présente celle de Mara Jade et Karrde.
Sur Voronat, une planète de seconde zone sans grand intérêt, Talon Karrde vient enquêter sur les activités d’un contrebandier Krish nommé Gamgalon. Sous couvert d’un safari aux Morodins, un animal local, il compte bien trouver un moyen de tirer profit du trafic mis en place par le Krish. Cependant, les safaris ne sont pas des promenades d’agrément et les accidents sont si vite arrivés…
Titre original : First Contact
Les répulseurs du yacht spatial Uwana Buyer grésillèrent une dernière fois avant qu’il ne se pose sur l’aire d’atterrissage grossièrement taillée à travers la jungle de Varonat.
— Mais quel joli monde civilisé nous avons là, commenta Quelev Tapper, en regardant par delà la verrière du cockpit. Êtes-vous sûr que nous n’avons pas été trop loin et que nous ne nous sommes pas posés sur un tas de débris végétaux ?
Talon Karrde examina les arbres jaune pâle qui entouraient la zone et la trentaine de bâtiments délabrés nichés en dessous.
— Non, c’est bien ici, confirma-t-il à son lieutenant. La Grande Jungle de Varonat. Site d’installation d’une poignée de dépôts de marchandises de troisième zone et quelques milliers de colons trop bêtes pour aller voir ailleurs.
— Et d’un Krish très laid nommé Gamgalon, fit Tapper. Je ne sais pas, Karrde. Je continue de penser que nous aurions du venir avec le Wild Karrde et le Starry Ice accompagnés d’une puissance de feu décente. Nous avons l’air de mynocks assis ici.
— Nous sommes là pour observer, et non pour nous attirer des ennuis, lui rappela Karrde, en se levant. Gamgalon ne s’embêterait pas avec ces chasses privées aux Morodins si elles n’impliquaient pas d’importants profits. Je veux juste savoir ce qu’il prépare, et si nous pouvons en tirer bénéfice.
— Raison de plus pour venir avec une assurance, maugréa Tapper, en ajustant le viseur de son blaster tout en suivant Karrde jusqu’à l’écoutille arrière. Mais c’est vous le patron.
— Exact. Tu es prêt ?
Tapper inspira profondément, puis expira bruyamment.
— Allons-y.
Karrde frappa du poing la commande de l’écoutille qui coulissa dans la carlingue. Humant les arômes exotiques, il descendit la rampe accompagné de Tapper, puis ils traversèrent l’aire dégagée en direction d’un bâtiment pourvu d’un panneau Installations Portuaires défraichi.
Ils étaient à peine à mi-parcours lorsque deux hommes qui paraissaient près d’un autre bâtiment s’en éloignèrent, s’approchant avec nonchalance des nouveaux venus.
— Salut, fit l’un d’entre eux alors qu’ils arrivaient à portée de voix. Bienvenue à Tropis-sur-Varonat. Vous venez faire du tourisme ?
— Très amusant, le complimenta Karrde. Non, nous sommes venus ici dans l’espoir de trouver un mécanicien spécialisé en hyperdrive.
— Ah, dit l’autre, en jetant un coup d’œil à l’Uwana Buyer. Ouais, je ne suis pas surpris. Plus la coque brille, plus l’intérieur est pourri.
— Garder votre accent pittoresque pour les touristes, grogna Tapper. Y a-t-il oui ou non un mécanicien d’hyperdrive ici ?
L’autre l’observa un moment, puis il se tourna de nouveau vers Karrde.
— Les manières de votre ami sont un peu abruptes, dit-il.
— Mais son habileté le rattrape, répondit Karrde. (Il tira une poignée de pièces de monnaie de valeur de sa poche et commença à les trier avec ostentation sous leurs yeux.) Il faut que vous compreniez. D’importantes affaires nous attendent sur Svivren.
— Bien sûr, je comprends, fit l’autre. Il n’y a pas de problèmes, euh…
— Syndic Pandis Hart du Conseil de Sif-Uwana, s’identifia Karrde. Voici mon pilote, le Capitaine Seoul. (Il choisit l’une des pièces et la lui tendit.) Et nous sommes plus que pressés.
— Eh, pas de problème. (L’homme sourit et montra du doigt les bâtiments portuaires tout en s’emparant habilement la pièce de la main de Karrde.) Buzzy, va leur dire qu’ils ont un client. Pour un travail urgent.
Son compagnon acquiesça silencieusement et s’élança vers les constructions.
— Je m’appelle Fleck, Syndic, continua-t-il. À première vue, je dirais que vous allez rester coincés quelques jours ici. Vous avez des projets ?
Karrde regarda ostensiblement autour de lui.
— Y a-t-il des choses à faire ?
— En fait, oui, fit Fleck. Les habitants d’ici organisent un agréable safari dans la jungle – il y a d’ailleurs un départ demain matin à la première heure. Connaissez-vous les Morodins ?
— Je ne pense pas, dit Karrde. C’est un gros gibier ?
— Le plus gros qui soit, lui assura Fleck. Un genre de lézard-limasse géant, long de dix à vingt mètres. Un joli trophée à mettre dans une entrée ou sur un grand mur. (Ses lèvres s’étirèrent en un sourire sardonique). Ils ne sont ni rapides, ni féroces. La proie idéale pour un débutant.
— C’est bon à savoir. (Karrde regarda Tapper.) Qu’en penses-tu, Seoul ?
— Ça n’a pas l’air trop dangereux, monsieur, fit Tapper avec juste ce qu’il fallait d’intérêt. J’espère que vous ne serez pas seul ?
— Nan, il y a quatre autres chasseurs engagés, dit Fleck. Et le patron prend toujours une escorte d’un ou deux guides. Vous vous y sentirez autant en sécurité que dans un cocon.
— Je préfèrerais vous accompagner, monsieur, persista Tapper. Je me débrouille plutôt bien avec un BlasTech A280.
— Attendons d’abord de savoir combien il nous en coûtera de ce cocon, fit sèchement Karrde.
— Presque rien, renifla Fleck. Pour un gentleman comme vous. Seulement douze mille par personne.
Karrde sourit.
— Un homme comme moi n’en arrive pas là où il en est en jetant l’argent par les fenêtres. Quinze mille pour nous deux.
Fleck sourit.
— Vous êtes dur en affaire, hein ? Vingt.
— Et vous un homme d’affaire averti, le corrigea Karrde. Dix-sept.
Il plissa le front puis se détendit.
— D’accord pour dix-sept.
— Très bien, dit Karrde. Quand partons-nous ?
— Demain matin, à cinq heure et demie, répondit Fleck. Ici même. Je dirai au patron que vous venez. N’oubliez pas d’apporter les crédits. (Il indiqua le champ.) Vous pouvez vous équiper de la tête aux pieds dans ce bâtiment là, et prendre une chambre pour la nuit à l’hôtel à côté. C’est, heu, mieux à l’intérieur qu’il n’y paraît.
— C’est à espérer, acquiesça Karrde. Je suis sûr que personne ne s’offusquera si nous faisons l’impasse sur la chambre. Les équipementiers connaissent-ils le matériel nécessaire ?
— Bien sûr, lui confirma Fleck. Comme je vous l’ai dit, le patron organise tout le temps ce genre de safaris.
— Très bien. Venez, Seoul, allons voir ce qu’ils ont à nous proposer.
Le temps que Karrde et Tapper finissent par revenir à l’Uwana Buyer avec leurs achats, le soleil de Voranat commençait à se coucher derrière la jungle.
— J’espère que nous leur avons laissé assez de temps, commenta Tapper en escaladant la rampe.
— J’en suis persuadé. Il ne faut pas longtemps à un professionnel pour fouiller un vaisseau de cette taille. Et je ne pense pas que Gamgalon emploie des amateurs.
Brusquement, Tapper lui toucha le bras.
— C’est peut-être le cas, dit-il, en baissant la voix.
Karrde fonça les sourcils. Puis il l’entendit : un bruit métallique étouffé provenant de la section arrière du vaisseau.
— Peut-être devrions-nous jeter un coup d’œil ? murmura Tapper.
— Il paraitrait suspect que nous ne le fassions pas, dit Karrde, en grimaçant. (Si tout tombait à l’eau à cause de l’incompétence des hommes de Gamgalon…) Gentiment et en douceur.
En silence, ils descendirent le couloir principal vers la sale des machines ; percevant un nouveau bruit métallique alors qu’ils atteignaient la porte. Karrde capta le regard de Tapper, puis hocha la tête. Ce dernier lui retourna son signe de tête tout en posant ses paquets sur le pont pour saisir son blaster. Karrde actionna le mécanisme de contrôle et la porte s’ouvrit en glissant…
Une femme jeune et séduisante se tenait assise sur le sol à côté du panneau d’accès ouvert, une cascade de cheveux roux-dorés relevés et attachés derrière la tête. Son visage était calme et posé lorsqu’elle leva les yeux suite à leur entrée soudaine ; sous son survêtement, sa silhouette paraissait mince, athlétique et joliment proportionnée.
Dans la main elle tenait une clé hydraulique et l’un des connecteurs de flux d’énergie provenant de l’hyperdrive de l’Uwana Buyer.
— Je peux vous aider ? demanda-t-elle froidement.
— Je pense que vous l’avez déjà fait, dit Karrde, le bref moment de surprise passé. (Les hommes de Gamgalon n’avaient pas tout gâché, en définitive.) J’y suis, vous êtes le mécanicien d’hyperdrive.
— Bonne déduction, dit-elle. Célina Marniss. Vous avez des problèmes ?
— Seulement avec l’hyperdrive, répondit Karrde. Pourquoi, pensiez-vous à autre chose ?
Célina haussa les épaules, ramenant son attention sur le connecteur de flux d’énergie.
— J’ai connu des hommes dans ma vie qui ne pensaient pas qu’une femme puisse être à la fois physiquement agréable et compétente.
— Personnellement, c’est la combinaison que je préfère, lui répondit Karrde.
Elle le gratifia d’un regard un mi-figue, mi-raisin.
— Donc, vous êtes le Syndic Hart. Vous avez grandement impressionné Buzzy.
— C’est toujours un plaisir, dit Karrde. Je ne vous demanderai pas ce qui l’a impressionné. (Il fit un signe de tête en direction de l’accès ouvert.) Une idée de ce qui ne va pas ?
— Et bien, pour commencer, vos connecteurs de flux sont désynchronisés d’environ quatre degrés, commença Célina en soupesant le premier dans sa main. Ils n’ont pas du être vérifiés depuis longtemps pour avoir dérivé à ce point.
— Je vois, fit Karrde, l’impression favorable qu’elle lui avait faite de prime abord s’améliorant encore. (Chin lui avait assuré que trouver le coup du connecteur de flux prendrait en au moins une journée à un mécanicien d’hyperdrive moyen.) Je vais devoir parler à mon homme de maintenance.
— Personnellement, je le renverrai, dit Célina. Je vais m’occuper de ces réajustements, puis nous pourrons nous occuper des autres choses qui ne vont pas.
— Bien, fit Karrde. Comme Buzzy l’a peut-être mentionné, nous sommes assez pressés.
— Drôle de façon de le montrer, dit-elle, en indiquant les paquets dans le couloir derrière eux. Les safaris de Gamgalon prennent habituellement plus de quatre jours.
— Je sais d’expérience qu’une panne d’hyperdrive demande en général au moins six à dix jours pour être réparée, dit Karrde.
— Une autre raison de licencier votre mécanicien, grommela Célina. Je pense être capable de le faire en deux ou trois jours.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que nous partons en safari ? Demanda Tapper suspicieux.
— Vos achats, pour commencer, lui répondit Célina. Par ailleurs, vous êtes apparemment riches, et vous avez discuté avec Fleck. C’est le rabatteur en chef de Gamgalon… et il fait plutôt bien son travail. (Elle haussa les épaules, ramenant son attention sur le connecteur de flux.) De plus, qu’y a-t-il d’autre à faire par ici ?
— Bien raisonné, fit Karrde. Cependant, vous faîtes fausse route en ce qui concerne ma fortune personnelle. Je suis simplement l’acheteur principal du Conseil de Sif-Uwana.
— Un titre honorifique, commenta Célina. Cela témoigne sûrement de la manière prudente avec laquelle les Sif-Uwanis abordent les questions de gestion et d’argent.
— Vraiment, fit Karrde, conforté dans la bonne impression qu’il s’était fait d’elle. (Il aurait parié n’importe quoi que personne sur Varonat n’avait jamais entendu parler de Sif-Uwana, et encore moins su la moindre chose à son sujet.) Y-êtes-vous déjà allé ?
— Une fois, dit Célina. C’était il y a quelques années.
— Pour les affaires ou le plaisir ?
— Les affaires.
— Quelles genres ?
Elle haussa les sourcils.
— Je ne me souviens pas avoir été invitée à jouer aux Trois Questions avec vous, Syndic.
— Je ne voulais pas vous offenser, dit Karrde. C’est juste que je trouve intrigante votre présence ici. Vous avez l’air trop qualifiée et d’avoir trop voyagé pour vous retrouver coincée ici, dans ce trou perdu du Corridor d’Ison. Sans parlé de vos autres qualités évidentes.
Il espérait engendrer une réaction, chambouler un peu sa façade calme. Mais elle refusa de mordre à l’hameçon.
— Peut-être que j’aime simplement la paix et le calme, le contra-t-elle. Peut-être que je recherche la meilleure opportunité pour partir d’ici. Elle riva son regard sur le sien. Des yeux verts, nota distraitement Karrde. Un vert saisissant, en plus de cela.
« Ou peut-être que je me cache de quelque chose. »
Karrde se força à soutenir son regard. Derrière ses yeux couvait un feu presque glacial, alimenté par une tempête d’émotions. Il avait vu juste : elle n’était pas qu’un simple mécanicien d’hyperdrive dans un trou perdu.
— Vous devez m’inspirer confiance, parvint-il à dire.
Un sourire sardonique se dessina aux coins de ses lèvres ; et brusquement le feu s’évanouit comme s’il n’avait jamais existé. Ou peut être n’avait-ce été qu’une illusion.
— Bien, dit-elle abruptement. Peut-être que la prochaine fois vous tiendrez vous à distance de votre mécanicien d’hyperdrive.
— Je vois ce que vous voulez dire, dit Karrde, en s’inclinant légèrement. Nous serons dans les quartiers d’habitation avant si vous avez besoin de quelque chose. Bonne soirée.
Il fit signe à Tapper, et ensemble ils sortirent de la salle des machines, ramassant leurs paquets comme la porte se refermait.
— Qu’en penses-tu ? demanda Karrde comme ils progressaient vers l’avant.
— Vous avez raison, elle n’est pas ce qu’elle dit être, convint l’autre. Un des agents de Gamgalon ?
— Probablement, fit Karrde. Peut-être une doublure pour Fleck, ou une simple fouineuse. Les mécaniciens et les personnels d’entretien ont tendance à être invisibles.
— C’est possible. (Tapper jeta un coup d’œil dans le corridor derrière eux.) Si vous me le demandez, cependant, c’est gâché son talent que de l’utiliser pour de la surveillance pure.
— Je suis d’accord, dit Karrde, en pinçant ses lèvres. Pourrait-elle également faire office de saboteur.
— Ou de voleur de vaisseau, renchérit Tapper. Gamgalon dissimule quelque chose derrière ces safaris.
Ils avaient atteint les quartiers d’habitation du Yacht.
— Bien, il ne pourra pas voler celui-là sans un effort considérable, lui rappela Karrde en se déchargeant de ses bagages sur sa couchette. Quant à le saboter ; et bien, nous devrions être capable de réactiver l’hyperdrive en vingt minutes si nous devons partir. Et le Wild Karrde peut être ici en quatre heures en cas de besoin.
— Je suppose que cela signifie que vous prévoyez toujours d’emmener un relais-com ?
— Absolument, lui assura Karrde. Mais je ne pense pas que nous aurons à l’utiliser. À mon avis nous allons tout simplement découvrir que ces safaris ne sont pour Gamgalon qu’un moyen d’organiser des rencontres clandestines de contrebandiers, et que Fleck et ses hommes sont là pour écarter les fonctionnaires impériaux qui pourraient gêner leurs affaires. Viens, nous devons préparer nos affaires. Cinq heures et demie viendra bien assez tôt comme ça.
Les autres participants du safari s’étaient déjà rassemblés lorsque Karrde et Tapper émergèrent de l’Uwana Buyer peu avant cinq heures et demi le lendemain matin.
— Un groupe bien éclectique, commenta Tapper tandis qu’ils se rapprochaient d’eux et de trois airspeeders Aratech Arrow-17.
— En effet, dit Karrde, en les passant en revue. Un Thenngora, un Saffa, et deux Duros, leurs tenues et leurs matériels aussi rutilants que s’ils venaient de sortir de l’emballage, tout comme ceux que Tapper et lui portaient. Un Krish, un Rodien et Burry, l’homme laconique, se tenaient légèrement à l’écart, vêtus d’habits d’aspect bien plus usagés.
Tapper indiqua le Krish d’un signe de tête.
— Ce n’est pas Gamgalon, n’est-ce pas ?
Karrde secoua la tête.
— Un de ses lieutenants, je pense. Je doute que Gamgalon en personne nous accompagne.
— Eh, les appela le Krish, avec autant d’allégresse qu’un Krish pouvait physiquement en montrer alors qu’il pointait Karrde et Tapper du doigt. Bienvenue. Vous devez être le Syndic Hart. Je m’appelle Falmal ; je mènerai votre expédition.
— Ravi de vous rencontrer, le salua Karrde. Sommes-nous en retard ?
— Pas du tout, dit Falmal. Les autres étaient simplement en avance. Permettez que je vous présente ceux qui chasseront avec vous : Tamish – il fit un geste en direction du Thenngora – Hav et Jivis – les Duros – et Cob-caree – le Saffa. Messieurs : le Syndic Hart et le Capitaine Seoul de Sif-Uwana.
— Je suis heureux de faire votre connaissance, dit Karrde, en les regardant un par un. Aucun de ces noms ne lui était familier, mais cela ne voulait évidemment rien dire. Tapper et lui n’utilisaient pas non plus leurs véritables identités.
— Nous perdons du temps, grogna Tamish. Mettons-nous en chasse, Falmal.
— Certainement, répondit-il. Si vous voulez bien prendre tous place à bord.
Karrde et Tapper choisirent l’un des airspeeders et s’y sanglèrent. Quelques minutes plus tard Falmal grimpa derrière leur pilote Krish, puis ils s’élancèrent.
— Vous organisez souvent ce genre de safari ? demanda Karrde comme ils survolaient lentement les ondulations dorées de la jungle.
— Quelques fois à chaque saison. (Falmal lui adressa un regard spéculatif.) En fait, vous avez eu de la chance d’arriver au bon moment.
Karrde indiqua le râtelier de fusils BlasTech à l’arrière de l’airspeeder.
— Je ne le considérerai ainsi que si nous attrapons quelque chose, dit-il. J’ai dépensé bien trop d’argent pour une simple ballade dans la jungle.
— Vous serez comblé, lui promit Falmal. Tout le monde l’est toujours. Soyez-en assuré.
Ils volèrent une heure avant de se poser dans une clairière au sommet d’une colline. Un petit camp apparemment semi-permanant avait été construit là, quatre bâtiments groupés autour de l’aire d’atterrissage calcinée.
— Vous devez utiliser souvent cet endroit, commenta Karrde comme ils se posaient au sol.
— Ce camp de base sert pour tous les safaris, dit Falmal. Les pilotes et les airspeeders attendront ici pendant que nous continuerons à pieds. Prenez vos sacs et vos armes, s’il vous plait. Nous partons immédiatement.
— Dix minutes plus tard tous suivaient un sentier quasiment indiscernable qui serpentait entre des arbres jaunes, des buissons jaune-verts, et sur un sol violet pâle à l’aspect perturbant d’une masse de vers gras. Falmal avançait en tête, Tamish, Karrde, et Tapper derrière lui. Buzzy venait ensuite, suivi par Hav, Jivis et Cob-caree, le Rodien fermant la marche.
Ils avancèrent presque une heure durant avant que Falmal ne décide d’une pause dans une petite clairière sur laquelle débouchait le chemin.
— Je manque un peu d’entraînement pour ce genre d’exercice, souffla Karrde alors qu’il se débarrassait de son sac et le laissait tomber sur le sol. Quelle distance devons-nous parcourir aujourd’hui, Falmal ?
— Vous êtes déjà épuisé ? demanda le Krish, en lui adressant un sourire carnassier. Ne vous inquiétez pas, Syndic Hart. Encore trois heures, peut-être quatre, et nous arriverons dans la zone de chasse principale.
— Des Morodins sont venus ici, grogna Tamish derrière lui.
Karrde se retourna pour le regarder. Le Thenngora s’était accroupi à la lisière de la clairière, examinant à l’aide d’un couteau une sombre décoloration entaillant le revêtement du sol.
— De la bave de Morodin ici, dit-il. Vieille de plusieurs semaines.
— Bien observé, approuva Falmal. Il y a deux mois l’un de nos safaris a tué des Morodins dans cette région. Malheureusement, leur migration les a depuis menés bien plus loin.
— Je me demande pourquoi nous ne nous sommes pas posés plus près pour commencer alors, murmura Tapper.
— Peut-être les airspeeders effraient-ils nos futures proies, suggéra Karrde, en fronçant les sourcils.
À un mètre derrière Tamish, sur le bord de la marque baveuse, un rang régulier de courtes pousses rosées sortait du couvert d’un groupe de buissons jaune-verts.
Et derrières elles, un éclat métallique scintillait dans l’ombre. Contournant Tapper, il passa derrière lui et s’approcha pour mieux voir…
— Il est temps d’y aller, appela Falmal, en frappant brusquement dans ses mains. Prenez tous vos sacs. Nous devons continuer si nous voulons arriver suffisamment tôt pour commencer à chasser.
Karrde hésita à examiner quand même l’objet métallique, puis renonça, retournant là où il avait laissé son sac.
— Êtes-vous botaniste, Syndic Hart ? demanda Falmal.
— Non, répondit Karrde comme Tapper l’aidait avec son sac. Pourquoi ?
— Je vous ai vu examiner les pousses de Yagaran aleudrupe là-bas, dit-il, en pointant un long doigt en direction des pousses roses. J’ai peur que vous ne découvriez un grand nombre de ces plantes étrangères dans la jungle – des souvenirs de précédents visiteurs de la jungle de Voronat plus qu’imprudents avec leurs provisions.
— Leurs provisions ? Demanda Tapper comme il se chargeait de son propre sac.
— Les baies d’Aleudrupe sont considérées comme des mets raffinés sur de nombreux mondes, dit Falmal. Certains de ceux qui se sont joints à nos safaris insistent pour apporter leurs propres provisions. Quelques-uns en ont imprudemment laissé tomber des graines… (Il fit un geste compliqué.) Nous ne pouvons qu’espérer que la jungle elle-même traite ce genre d’intrusion. Venez, nous devons partir.
Ils ne repérèrent aucun autre vestige visqueux avant d’atteindre l’emplacement choisi par Falmal pour établir le camp, du moins rien que Karrde ne pu identifier comme tel. De la même manière, aucune autre aleudrupe ne fut découverte. Peut-être les visiteurs imprudents avaient-ils été avertis par la suite.
— Alors, dit Tapper, en apportant deux tasses pleines d’un liquide fumant jusqu’à Karrde, exténué et appuyé contre un arbre à côté de leur tente. Que pensez-vous de nos compagnons de voyage.
Karrde les passa en revue alors qu’ils se débattaient toujours pour planter leurs propres abris avec l’aide de leur escorte.
— D’après les plaintes de ces dernières heures, je dirais qu’ils sont exactement ce qu’ils semblent être : fatigués, des nantis à la recherche d’excitation quelque peu contrariés d’avoir à travailler pour l’obtenir.
— Pas tout à fait des contrebandiers typique, en d’autres termes.
Karrde haussa les épaules.
— Peut-être s’agit-il d’hommes d’affaire à demi honnêtes avec lesquels Gamgalon souhaite travailler.
La galaxie regorge de lieux où il pourrait organiser des rencontres privées avec moins de difficultés, lui fit remarquer Tapper, en sirotant sa tasse.
— C’est vrai. De la même manière, as-tu remarqué cette pièce métallique enfoncée dans le sol derrière les aleudrupes lors de notre première halte.
— Oui, acquiesça Tapper d’un signe de tête. Elle m’a fait penser à la balise d’un transpondeur. Elle sert probablement à la fois à marquer le chemin et à garder trace de la migration des Morodins.
— Peut-être, dit Karrde. Cependant, je ne peux m’empêcher de penser que Falmal a réagi plutôt vivement lorsque je m’en suis approché.
— Vous pensez qu’il s’agit de quelque chose de moins inoffensif ?
— C’est possible, fit Karrde. Peut-être un débris de senseur déployé pour…
Il s’interrompit brutalement. Un grondement proche, profond et ronflant, émergea des arbres. Dans le camp, Falmal se redressa alors que Buzzy et le Rodien saisissaient le fusil blaster qu’ils portaient à l’épaule.
— Ça pourrait en être un, murmura Karrde. (Il saisit sa propre arme et se dressa sur ses pieds.) Falmal ?
— Chut ! siffla le Krish. Vous allez l’effrayer. Reformons les équipes de trois des airspeeders.
Il se hâta de rejoindre Karrde et Tapper alors que les autres retrouvaient leurs groupes et pénétraient dans la jungle.
— Venez. Rapidement et en silence.
Ils avancèrent, fusils blaster prêts à faire feu.
— Comment les Morodins font-ils pour circuler entre ces arbres ? demanda Tapper. Je croyais qu’ils étaient grands.
— Les Morodins sont longs mais minces, indiqua Falmal, en scrutant attentivement l’espace entre les arbres. Ils peuvent circuler aisément dans la jungle. Ah… regardez !
Karrde balayait les alentours de son fusil blaster ; mais Falmal ne visait que le sol.
— Des traces de bave fraîche, intervint le Krish. Vous voyez ?
— Oui, répondit Karrde, en observant la longue ligne argentée qui parcourait la végétation au sol et disparaissait entre les arbres.
Une trace remarquablement droite, ne déviant que pour contourner d’occasionnels arbres.
— Et très large, également, compléta Falmal. Venez. Nous allons la suivre.
— Ça n’a pas l’air très sportif, grogna Tapper comme Falmal ouvrait la marche à travers les arbres.
— La piste ne sera plus très longue, fit le Krish par dessus son épaule. Elle apparaît et disparaît.
Karrde examina le terrain sur sa droite. Difficile à dire à travers tous ces buissons, mais…
— Ne serait-ce pas une autre trace là-bas ? demanda-t-il à Falmal. À trois mètres, parallèle à la notre.
— Oui, ils se déplacent généralement par deux, répondit Krish. Silence maintenant. Regardez, la piste tourne.
Devant eux, la piste déviait brusquement vers la gauche. Karrde tendit le cou ; l’autre trace tournait bien parallèlement.
— Le virage est plutôt raide, murmura Tapper. Vous pensez que quelque chose les a effrayés ?
— Silence, répéta Falmal.
Discrètement, ils suivirent la trace. Dans les minutes qui suivirent, elle changea deux fois de plus de direction, bifurquant aussi abruptement et précisément que la première fois. Et puis, à la surprise de Karrde, elle se scinda, suivant deux directions différentes.
— Comment a-t-il fait cela ? demanda-t-il.
— Un troisième Morodin les a rejoints, expliqua Falmal. Taisez-vous. Ils sont peut-être justes devant.
— Peut-être un troisième, un quatrième, un cinquième, intervint Tapper, en agitant la tête vers la droite. La trace de bave parallèle se séparait en trois dont deux tournaient brusquement trois mètres plus avant sur le sol. Karrde déglutit puis leva son fusil blaster et fit un nouveau pas…
… et soudain, il apparut : long de cinq mètres, dressant l’avant de son corps arrondi à trois mètres au-dessus du sol, une créature jaune tachetée pourvue d’un museau en forme de spatule, de pattes boudinées, et de larges dents.
Un Morodin.
— Tirez ! éructa Falmal. Vite !
Karrde avait déjà épaulé son fusil, le canon visant l’énorme créature devant eux. Le Morodin s’éleva d’un mètre de plus au-dessus du sol, produisant le même grondement profond que celui entendu au camp. Karrde plissa les yeux dans le viseur…
— Attendez une minute, dit-il à Tapper. Ne tirez pas. Il ne fait qu’attendre ici.
— C’est un Morodin, grogna Falmal. Tirez avant qu’il ne soit trop tard.
Mais il était déjà trop tard. Une soudaine bordée de tirs de blaster crépita à leur droite, frappant de plein fouet le flanc du Morodin. Tamish et Cob-caree, suivis du Rodien, les avaient rejoints en suivant une autre des pistes de bave. Le Morodin gronda une fois de plus, puis percuta le sol dans un bruit de tonnerre.
— Joli tir, exulta Falmal. Nous préviendrons les airspeeders, et les pilotes prépareront votre trophée. Retournons au camp maintenant ; le bruit a du chasser les autres. (Il observa Karrde l’air incertain.) Peut-être que demain ce sera votre tour, Syndic Hart.
— Peut-être, répondit Karrde, en regardant le Morodin au sol. Ce n’était donc que cela. Le grand, le dangereux safari aux Morodins… ne s’avérait guère plus stimulant que l’abatage d’un bruallki piégé dans un filet.
« J’ai hâte d’y être. »
Les pilotes arrivèrent dans l’heure, et environ deux heures plus tard le camp grouillait d’activité quand ils rapportèrent des tranches de viande de Morodin du lieu de l’abattage, discutant interminablement avec Tamish et Cob-caree pour déterminer qui aurait quelle partie de la tête et leurs préférences quant au montage et à l’encadrement de leur trophée. Karrde se tenait à l’écart, retranché sur son siège à la lisière des arbres, un mélodium portable entre les mains, laissant à Tapper le soin d’effectuer leur part du travail. Il perçut un ou deux commentaires plutôt bien sentis à son encontre, à propos d’un manque d’esprit sportif, mais il les ignora. Penché en arrière contre un arbre, les yeux à demi-clos, il laissa la musique émanant du mélodium l’envelopper…
… et, furtivement, manœuvra les réglages du relais-com dissimulé à l’intérieur du dispositif.
Le temps que les pilotes finissent leur travail et que les airspeeders reviennent à proximité du camp de base, le soleil disparaissait déjà derrière la forêt.
— J’espère que vous êtes content de vous, intervint Tapper, en s’asseyant à côté de Karrde. (Il s’essuya le visage d’un revers de la manche de son habit de chasse bien moins rutilant.) Certains parmi les autres pensent que vous boudez.
— Qu’ils pensent ce qu’ils veulent, fit Karrde. Ne t’installe pas, nous allons faire un tour.
— Merveilleux, grommela Tapper, en se remettant péniblement sur ses pieds. Dans quel but ?
— Je me suis un peu occupé du relais-com, répondit Karrde, en plaçant la bretelle du mélodium en bandoulière. Si Falmal et ses hommes ont planté des transpondeurs dans le voisinage, nous serons capables de les repérer. Pratique et élégant ; sans risque d’attirer l’attention.
Ils sortirent du camp et pénétrèrent dans la jungle. L’intuition de Karrde était bonne : presque immédiatement, le relais-com trafiqué détecta un signal, en provenance du lieu d’abatage du Morodin. Suivant de nouveau la piste de bave, ils atteignirent rapidement les restes de la dépouille, déjà prise d’assaut par des charognards.
— Il est là-bas, indiqua Tapper, en pointant du doigt un bosquet de buissons à quelques mètres de là. C’est effectivement un transpondeur. Et encore une fois juste à proximité d’une piste.
— Oui, confirma Karrde, s’agenouillant pour mieux voir. Il vit que le sol sur le bord de la trace avait récemment été retourné. Presque comme si l’on avait planté quelque chose ici…
Il leva brusquement les yeux, attirant l’attention de Tapper. L’autre répondit d’un signe de tête : il avait également perçu le léger crissement.
— Ça vient du camp, murmura-t-il.
Le son se reproduisit.
— Prenons un chemin détourné, murmura Karrde, indiquant la portion de piste baveuse par laquelle Tamish et Cob-caree étaient arrivés plus tôt.
Il pourrait être difficile d’expliquer à Falmal et sa clique pourquoi il avait emporté son mélodium pour une promenade dans la jungle. Surtout s’ils y découvraient le relais-com trafiqué.
Ils perçurent une nouvelle fois le crissement au moment où ils quittaient le site, mais il sembla disparaître derrière eux par la suite. C’était aussi bien. Après à peine quinze mètres dans la jungle la trace s’interrompit ; et lorsqu’elle reparut à trois mètres de là, elle compta soudain trois branches de plus.
— Euh-oh, marmonna Tapper. Quel chemin ?
— Je ne suis pas sûr, fit Karrde, en jetant un coup d’œil derrière lui. (L’idée d’un troupeau entier de Morodins rodant alentour n’était pas spécialement plaisante.) Essayons celle-ci, dit-il, en indiquant la plus à droite des deux. Avant toute chose, nous marquerons l’un de ces trois arbres pour pouvoir revenir sur nos pas en cas de besoin.
Tapper regarda fixement la jungle.
— Essayons d’abord d’aller un peu plus loin, suggéra-t-il lentement. Nous pourrons toujours faire marche arrière.
Karrde le regarda en fronçant les sourcils.
— Une idée ?
— Un pressentiment, fit Tapper. Juste un pressentiment.
Karrde pinça les lèvres.
— À quelle distance veux-tu aller ?
— À environ trois cents mètres, répondit Tapper. Je me souviens d’avoir vu une crête dans cette direction sur la carte, surplombant une sorte de dépression dans le sol.
Karrde grimaça. Trois cents mètres dans une jungle inhospitalière ne devaient pas être pris à la légère. Mais d’un autre côté, les rares pressentiments de Tapper valaient presque toujours le coup d’être suivis.
— Très bien, dit-il. Mais pas plus loin que la crête. Et nous ferons demi-tour plus tôt si notre piste s’arrête.
— Ça marche. Allons-y.
La trace baveuse se scinda de nouveau sur quelques mètres encore, puis s’interrompit deux fois de plus sur trois mètres de distance avant de réapparaître, formant de nouvelles branches partant dans différentes directions. Pendant un temps Karrde essaya de garder en mémoire le nombre de pistes, espérant pouvoir évaluer la quantité d’animaux à laquelle ils étaient confrontés. Mais il arrêta rapidement. Si les Morodins décidaient de devenir agressifs, la différence entre six ou soixante ne serait que sémantique.
— Voilà la crête, intervint Tapper, en pointant du doigt la dernière rangée d’arbres qui semblait s’ouvrir sur le ciel bleu au-devant d’eux. Allons y jeter un œil.
Ils continuèrent d’avancer, marchant entre les arbres. Là, une large dépression ressemblant à la vallée décrite par Tapper s’étendait en-dessous d’eux sur peut-être cent mètres. Et, à l’une de ses extrémités, plus d’une cinquantaine de Morodins s’étaient regroupés.
— Nous avons trouvé le troupeau, très bien, marmonna Karrde, mal à l’aise. La pente menant de la crête où ils se trouvaient jusque dans la vallée était légèrement escarpée, mais il doutait que cela puisse gêner une chose de la taille et de la musculature d’un Morodin. En fait il en était sûr ; les traces gluantes qu’ils avaient suivies contournaient la crête puis descendaient sans marquer d’arrêt.
— Ne regardez pas les Morodins, commença Tapper. Regardez leurs traces visqueuses.
— Qu’est-ce qu’elles ont ?
— Regardez-les, le pressa Tapper. Dites-moi que vous les voyez également.
Karrde fronça les sourcils, se demandant là où il voulait en venir. La dépression tout entière était pleine de trainées, clairement visibles entre les arbres et sur les buissons piétinés. Un grand nombre d’entre elles, montraient les mêmes sinuosités et ramifications que celles rencontrées plus tôt…
Et puis, brusquement, il comprit.
— Je ne peux pas le croire, soupira-t-il.
— Moi non plus, fit Tapper. Regardez… Il y en a un qui essaye.
L’un des Morodins s’était détaché du reste du groupe s’engageant dans l’espace de trois mètres séparant deux des traînées. Se dandinant rapidement sur ses courtes pattes, il gagna le premier virage et tourna à gauche…
… dans la première portion d’un labyrinthe minutieusement élaboré.
— Faisons demi-tour, fit Karrde, en secouant la tête, incrédule. J’ai l’intuition qu’il ne faudrait pas que les hommes de Gamgalon nous trouvent ici.
— Trop tard, fit une voix douce.
Prudemment ; Karrde regarda par-dessus son épaule. Falmal et deux des pilotes Krish se tenaient à deux mètres derrière lui, fusils blaster au poing. Derrière eux un quatrième Krish attendait, le regardant pensivement.
— En effet, convint Karrde. (Il baissa le canon de sa propre arme et se retourna vers eux.) Et bien, au moins nous n’aurons pas de problème pour retrouver le chemin du camp.
— Le retour au camp doit encore être décidé, intervint le quatrième Krish de cette même voix douce. Posez vos armes, s’il vous plait. Et dites moi ce que vous faîtes ici.
— Nous recherchons des Morodins, répondit Karrde comme Tapper et lui posaient leurs fusils blaster sur le sol. En cours de route, nous nous sommes aperçu qu’ils sont plus que de simples animaux. (Il leva un sourcil.) Ce sont des êtres d’une extrême conscience, n’est-ce pas, Gamgalon ?
Le Krish sourit.
— Bien joué, dit-il. Pour votre double analyse. Vous connaissez mon nom ; quel est le votre ?
Vues les circonstances, continuer cette mascarade ne leur apporterait rien de plus.
— Talon Karrde, s’identifia-t-il. Voici mon associé, Quelev Tapper.
Falmal siffla.
— N’est-ce pas comme je l’avais dit, monseigneur ? grogna-t-il. Des contrebandiers. Et des espions.
— Il semblerait bien, répondit Gamgalon. Pourquoi êtes-vous ici, Talon Karrde ?
— La curiosité, fit le contrebandier. J’avais entendu des histoires à propos de vos safaris. Je voulais découvrir ce qui s’y passait.
— Et avez-vous réussi ?
— Vous chassez des êtres conscients, fit-il. En violation de la loi Impériale. Même à l’heure actuelle, j’imagine que ce qui reste de l’Empire ne serait pas tendre avec vous s’il le savait.
Gamgalon sourit encore.
— Vous imaginez mal. Il se trouve que le gouverneur Impérial en charge de Varonat est pleinement conscient de ce qui se passe ici. Sa part sur les profits suffit pour éviter ce genre de questions sur les chasses.
Karrde fronça les sourcils.
— Vous ne devez pas soudoyer un gouverneur Impérial avec des tickets de safari.
— Non, en effet, confirma Gamgalon. Mais comme les safaris fournissent une couverture idéale pour nos opérations de plantation et de récolte, il est dans son intérêt de permettre qu’ils continuent.
— Vous ne le soudoyez pas avec des baies d’aleudrupe, n’est-ce pas, indiqua Tapper. Vous pouvez en acheter sur le marché libre pour trente ou quarante crédits le chargement.
— Oh… mais il ne s’agit pas ce type de baies d’aleudrupe, fit Gamgalon d’un air suffisant. Celles-ci sont cultivées dans une terre saturée en bave de Morodin… et au cours de leur croissance, elles subissent une modification chimique extrêmement intéressante.
— De quel genre ?
Falmal siffla à nouveau.
— Monseigneur… ?
— Ne t’inquiète pas, l’apaisa Gamgalon. Imaginez, Talon Karrde, un navire marchant transportant trois chargements vers un monde politiquement tendu : du rethan-K, du promhassic triaxli et des baies d’aleudrupe. Tous inoffensifs, tous légaux, aucun ne valant suffisamment pour déclencher une quelconque protestation de la douane Impériale ou des fonctionnaires de la Nouvelle République. Le vaisseau gagne ensuite la surface, où il est accueilli avec enthousiasme par ses commanditaires…
… qui, à peine une heure plus tard, lanceront une attaque contre leurs ennemis politiques ou militaires. Avec des armes utilisant une formulation de blaster aussi puissante que du gaz Tibanna condensé.
Karrde le regarda fixement, un nœud à l’estomac.
— Les baies servent de catalyseur ?
— Excellent, approuva Gamgalon. Falmal était dans le vrai… vous êtes en effet assez intelligent pour être dangereux. Pour être précis, ce sont les noyaux des baies qui créent ce nouveau gaz à partir du rethan et du promhassic. Le fruit en lui même est tout à fait normal, et peut supporter les tests chimiques.
— Et les safaris masquent à la fois la plantation et la récolte, acquiesça Karrde. Les transpondeurs vous servent à retrouver les cultures une fois plantées. Tous les profits de la contrebande d’armes, sans aucun de ses risques.
— Vous avez compris, exulta Gamgalon. Vous devez également comprendre pourquoi nous ne pouvons laisser transpirer le moindre indice sur tout cela.
Il fit un geste, et l’un des pilotes Krish avança d’un pas, se baissant maladroitement pour ramasser les fusils blaster posés à terre par Karrde et Tapper.
— Bien sûr que je comprends, répondit Karrde. Peut-être pourrions-nous discuter d’un arrangement ? Mon organisation…
— Il n’y aura aucune discussion, fit Gamgalon. Et je décide moi-même de mes arrangements. Par ici, s’il vous plait. Le pilote se redressa, leur indiquant le chemin à l’aide du fusil de Karrde…
Soudain les bras de Tapper surgirent, arrachant le fusil des mains du pilote, plantant fermement le canon contre le torse du Krish. Plongeant sous le couvert de l’arbre le plus proche, il retourna l’arme en direction de Falmal et Gamgalon…
… et roula au sol comme deux tirs de blaster provenant de la crête, à sa droite, le transpercèrent. Il hoqueta une dernière fois, puis s’immobilisa.
— Je suis sûr, Talon Karrde, fit Gamgalon, rompant le silence, que vous ne serez pas assez fou pour faire montre d’une pareille résistance.
Karrde leva les yeux du visage crispé de Tapper, et vit le troisième pilote Krish sortir du couvert de la crête, son fusil pointé vers la poitrine du contrebandier.
— Pourquoi le serai-je ? demanda-t-il. (Sa voix résonnait désagréablement à ses oreilles.) Vous allez me tuer de toute façon, n’est-ce pas ?
— Choisissez-vous mourir ici ? riposta Gamgalon. Par ici, s’il vous plait.
Karrde inspira profondément. Tapper mort ; lui-même désarmé et seul. Complètement seul… même les Morodins en contrebas s’étaient évanouis, apparemment effrayés par le tir de blaster.
Mais, non, il ne souhaitait pas mourir ici. Pas tant qu’il lui resterait la moindre chance de survivre assez longtemps pour venger la mort de son lieutenant.
— D’accord, soupira-t-il. Deux des pilotes firent un pas un avant et le saisirent par les bras, puis ils se mirent en route tous ensemble.
Karrde n’avait pas espéré qu’ils le ramènent jusqu’au camp, et ils ne l’y ramenèrent pas. Vu la direction dans laquelle Falmal les entrainait, il semblait se diriger vers l’une des clairières qu’ils avaient franchies juste avant d’installer le camp. À n’en pas douter l’airspeeder de Gamgalon les y attendrait.
— Quel genre de système de distribution avez-vous ? demanda-t-il.
— Je n’ai aucun besoin d’aide, fit Gamgalon, en regardant par-dessus son épaule. Comme je l’ai déjà dit.
— Mon organisation pourrait toujours vous être utile, signala Karrde. Nous avons des contacts tout autour du…
— Vous allez vous taire, le coupa Gamgalon.
— Gamgalon, écoutez…
Un grognement profond se fit entendre derrière eux. Un grognement qui se répéta un instant plus tard sur leurs deux flancs.
Le groupe s’arrêta brusquement.
— Falmal ? fit sèchement Gamgalon. Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi y-a-t’il des Morodins ici ?
— Je n’en sais rien, répondit Falmal, d’une voix incertaine. Ça ne leur ressemble pas.
Les grognements se répétèrent, provenant apparemment des mêmes positions.
— Peut-être se sont-ils finalement fatigués d’être les proies, intervint Karrde, en regardant autour de lui. Peut-être ont-ils décidé de faire leur propre safari.
— N’importe quoi, s’agaça Falmal. Mais il scrutait les alentours lui aussi. Et il commençait à trembler. Monseigneur, je suggère que nous partions. Vite.
Un nouveau rugissement retentit.
— Falmal, prenez le prisonnier, ordonna Gamgalon, sa voix se faisait brusquement plus sombre comme il sortait un blaster de sous sa tunique. Les autres : couvrez les côtés et l’arrière. Tirez sur tout ce que vous verrez.
Méfiants, les trois pilotes se dispersèrent dans la jungle, fusils blaster levés. Falmal marchait à côté de Karrde, une main fermement enserrée autour de son bras.
— Dépêchez-vous, siffla-t-il.
Gamgalon se tenait de l’autre côté du contrebandier, et tous trois se dépêchaient d’avancer. Devant eux, entre les arbres, Karrde percevait les reflets de la lumière du soleil sur l’airspeeder. Un autre chœur de grondement de Morodins se fit entendre, tous en provenance de l’arrière cette fois. Ils atteignirent la dernière ligne d’arbres, pénétrèrent dans la clairière…
… et avec un hoquet de surprise Falmal relâcha soudain le bras de Karrde et trébucha avant de s’affaler sur le sol, un manche de couteau sortant de son flanc. Gamgalon grogna et se retourna de tous côtés, son blaster recherchant une cible.
Il n’en trouva pas. Au moment même où, par réflexe, Karrde plongeait sur le côté, la tunique du Krish fut transpercée d’un bref jet de flammes lorsqu’un tir de blaster silencieux le frappa en plein milieu du torse. Il tomba à la renverse sur le sol, immobile.
Karrde se retourna ; mais ce ne furent pas ses compagnons de chasse qu’il vit émerger du couvert des arbres qu’ils venaient juste de traverser.
— Ne restez pas là, grommela Célina Marniss, en baissant le petit blaster qu’elle tenait à la main alors qu’elle passait à côté de lui et avançait vers l’airspeeder. Mon airspeeder est trop loin, nous prendrons le leur. À moins que vous ne souhaitiez être encore ici quand les autres Krish nous rejoindront.
— Beau travail, commenta Karrde alors que l’Uwana Buyer fonçait à travers les hautes couches de l’atmosphère de Varonat vers l’espace profond. Très beau travail. Bien que j’avoue être déçu que ce ne soient finalement pas les Morodins qui aient pris leur revanche.
À côté de lui, Célina grogna à voix basse.
— Considérant qu’ils ne peuvent probablement pas discerner un humain d’un Krish, et encore moins un humain d’un autre, vous pouvez vous estimer heureux qu’il ne ce soit pas agit d’eux. Ils vous auraient taillé en pièces de la même manière que Gamgalon et sa clique.
— C’est fort probable, concéda Karrde. Où vous êtes vous procuré les enregistrements des grognements de Morodins ?
— Un fois, Gamgalon m’avait fait participer à l’un de ses safaris, commença Célina. Cela remonte au temps où il pensait encore avoir une chance de me recruter dans son organisation.
— Vous ne travaillez donc pas pour lui. Nous nous posions la question.
— Je n’aime pas les Krish, dit-elle d’un ton catégorique. Même les plus honnêtes ne sont pas très longtemps dignes de confiance, et Gamgalon pouvait difficilement être qualifié d’honnête. D’ailleurs, il n’attendait qu’une chose de moi, que je joue les espions pour lui au spatioport. Pas vraiment une perspective d’avenir.
— Plus maintenant, acquiesça Karrde. Alors dès que vous sortiez dans la jungle, vous partiez devant pour enregistrer des grognements de Morodins ?
Elle haussa les épaules.
— Je pensais qu’il pourrait être utile d’avoir quelque chose comme ça en réserve. Avec le recul, j’avais raison. (Elle lui jeta un regard.) Au fait, vous m’êtes redevable de ces trois enregistrements. Ils ne vont pas être bon marché.
— Je vous suis redevable de bien plus que cela, lui rappela sobrement Karrde. Mais, pourquoi êtes-vous partie avec nous ?
— Oh, allons, se moqua-t-elle. Hart et Seoul ? Sans parler d’un vaisseau du nom d’Uwana Buyer ? C’est très malin ; et je me rappelle avoir entendu parler d’un chef de la contrebande qui a un penchant pour les jeux de mots malins. J’ai donc tenté ma chance.
— Et ça a porté ses fruits, fit Karrde. Vous avez gagné une récompense considérable. Demandez ce que vous voulez.
Elle tourna vers lui ses yeux verts pour le regarder.
— Je veux un travail, déclara-t-elle.
Karrde fronça les sourcils. Ce n’était pas la réponse à laquelle il s’attendait.
— Quel genre de travail ?
— Peu importe, dit-elle. Je peux piloter, me battre, rabattre les clients dans les spatioports…
— Mécanicien d’hyperdrive ?
— Aussi, répondit Célina. Tout ce que vous avez, je peux l’apprendre. (Elle inspira profondément puis expira.) Je veux juste reprendre pied dans une société normale.
Karrde haussa un sourcil.
— Vous avez une vision étrange de la contrebande si vous la considérez comme une société normale.
— Faites-moi confiance, dit-elle sombrement. Comparé à certaines choses que j’ai faites, elle l’est.
— Je n’en doute pas, répondit-il, en étudiant son visage. (Un visage très marquant, et un corps qui l’était tout autant. Belle et compétente ; sa combinaison préférée.) Très bien, dit-il. Marché conclu. Bienvenue à bord.
— Merci, dit-elle. Vous ne regretterez pas de m’avoir engagée.
— J’en suis sûr. (Il sourit légèrement.) Et puisque nous travaillons officiellement ensemble… (Il leva sa main.) Vous pouvez m’appeler Talon Karrde.
Elle sourit doucement en prenant sa main.
— Enchantée de vous connaître, Talon Karrde. Vous pouvez m’appeler Mara Jade.