71

 

ON REPREND TOUT À ZÉRO.

— Tu déconnes là ?

— J’en ai l’air ? Joue le jeu, Kasdan, et dans quelques heures, tu es chez toi.

— Putain...

— Comme tu dis. Alors, cette histoire ?

Kasdan recommença. Saint-Jean-Baptiste. Wilhelm Goetz. L’interrogatoire des gamins. Le témoignage de Naseer. La découverte des micros. Il n’avait plus aucune raison de cacher quoi que ce soit. Autant nourrir leur dossier ras la gueule. Et en finir au plus vite.

— Sur le meurtre de Wilhelm Goetz, qu’est-ce que tu sais ?

— Le mec est mort de douleur. On lui a perforé les deux tympans.

— Avec quelle arme ?

— L’arme pose un problème. On n’a retrouvé aucune particule d’aucune matière, après analyse au microscope des organes auriculaires. Mais tu sais tout ça. Pourquoi me faire répéter ces informations ?

En guise de réponse, Marchelier frappait sur le clavier de son ordinateur. Il y avait quelque chose de comique à être assis là, dans son ancien bureau, installé sur la chaise du témoin, ou de l’accusé. Il n’avait pas compris ce qu’il était au juste.

— Sur ce premier meurtre, reprit le flic de la Crim, tu as entendu parler d’indices ?

Kasdan parla des empreintes de chaussures. Des particules de bois. Puis, de lui-même, il passa au deuxième meurtre. Naseer et son sourire tunisien. L’arme utilisée pour les mutilations, différente de celle qui crevait les tympans. Une arme en fer, qui devait dater du XIXe siècle. Il évoqua aussi la citation du Miserere. Le sens profond de cette prière. Le péché et le pardon.

Ce commentaire renvoyait directement à Volokine mais il avait décidé de ne pas parler du gamin. Pour ne pas lui attirer d’emmerdes. Après tout, Volo avait encore sa carrière devant lui.

— Pourquoi a-t-on tué Goetz et Naseer, à ton avis ?

Kasdan se tassa au fond de son siège et répondit, d’un ton plus tassé encore :

— Pour les réduire au silence. Goetz s’apprêtait à témoigner contre la Colonie. Il avait sans doute parlé à Naseer. Vous êtes parfaitement au courant. Les deux hommes étaient sur écoute !

— Le meurtre du père Olivier. Qu’est-ce que tu sais là-dessus ? Kasdan évoqua la logique du ou des meurtriers. La prière. Les mutilations. Toujours la faute et l’absolution. Le soupçon de pédophilie qui pesait sur le prêtre. La piste des chorales et des enlèvements d’enfants, qui se profilaient derrière Goetz et Manoury...

— Pourquoi tu ne me parles pas de ton équipier, Cédric Volokine ?

Kasdan n’était pas étonné. Il avait présenté le Russe à Vernoux et à Puyferrat. En toute logique, sa présence était revenue aux oreilles de Marchelier.

— Un flic de la BPM, dit-il à reculons. Il s’intéressait aussi à l’enquête. A cause des mômes enlevés. On a fait équipe un moment mais il a quitté l’affaire en route. Le gars a des problèmes de drogue.

— Où est-il maintenant ?

— Retourné dans son foyer de désintox, dans l’Oise.

— On vérifiera. Revenons au père Olivier.

Kasdan déroula la suite. L’indice du bois sacré. Puis le virage de l’enquête, avec Goetz dans la peau d’un ancien tortionnaire. Il évoqua le témoignage de Peter Hansen et effectua un raccourci. C’était Hansen qui lui avait parlé de la colonie chilienne et l’avait rancardé sur la présence de la secte en France. Kasdan ne voulait pas évoquer les trois généraux. Parler de Condeau-Marie, de La Bruyère et de Py, c’était dresser un lien entre lui et le meurtre de Py, alias Forgeras.

Marchelier pianotait toujours, s’arrêtant brusquement, fixant son clavier comme s’il y cherchait une lettre qui n’existait pas. Kasdan voyait l’heure tourner. 15 h à la pendule murale.

Il acheva son histoire. Les dernières trouvailles. La secte. Ses règles. Son statut. Ses enfants. Le meurtre de Régis Mazoyer, un « ancien » d’Asunción. Il ne parla pas de l’affrontement avec les gamins masqués. Il ne voulait pas évoquer à nouveau le Russe.

Il conclut en résumant le contexte général des meurtres. Une secte religieuse qui travaillait à de mystérieuses recherches sur la voix humaine, consacrant une importance particulière aux chœurs d’enfants. Des enfants qui étaient élevés dans la souffrance et dans la foi, conditionnés jusqu’à devenir des enfants-tueurs. Une secte qui était brutalement sortie du bois pour réduire au silence des hommes susceptibles de révéler, justement, le sens de ces recherches.

Le flic de la Crim leva le nez de son clavier :

— Tu crois pas que tu pousses un peu, non ?

— Non. Ces enfants sont commandés, guidés par les chefs de la secte. Et surtout par son gourou, Bruno Hartmann, le fils de Hans-Werner. Personne ne l’a jamais vu sur le sol français. Mais il est là, quelque part, et c’est lui qui tire les ficelles.

Marchelier croisa les bras, arrêtant d’écrire :

— Selon toi, où va cette histoire ?

— Il y a peut-être d’autres témoins à éliminer. Une seule chose est sûre.

— Quoi ?

— Il s’est passé un événement au sein de la secte qui provoque ce vent de panique. Tout est parti de ce fait, j’en suis certain.

— A quoi penses-tu ?

— Je ne sais pas. La secte prépare peut-être un attentat contre les « impies ». Comme les Japonais de la secte Aun, en 1995. Ce qui aurait décidé Goetz à parler.

— Ton histoire, c’est du roman. Kasdan se pencha au-dessus du bureau :

— Tu n’as pas les mêmes infos ?

— Si, mais...

— Mais quoi ? Il faut les arrêter. Putain. D’une manière ou d’une autre, il faut stopper ces tarés !

Le flic leva les yeux. Pour la première fois, il avait lâché son expression narquoise et hostile :

— Tu te rends compte que ton enquête ne repose sur rien ? Que t’as pas l’ombre d’une preuve directe ?

— Il y a les empreintes de chaussures. Ces pompes qui datent de la dernière guerre mondiale. Et les particules de bois. Un acacia spécifique, qui porte des traces de pollens venus du Chili.

— Tout ça ne vaut rien si on ne peut pas dresser un lien direct entre la secte et les victimes. Je suis sûr que, de ce côté-là, tout le monde a pris ses précautions. Crois-moi, ni Goetz ni Manoury n’envoyait des e-mails à Hartmann.

Kasdan frappa le bureau :

— Ces mecs enlèvent et torturent des enfants ! Ils tuent en série. Il faut les arrêter. Pas de quartier !

— Calme-toi. On a beau avoir un dossier épais comme ça sur ces gars, on ne peut rien faire et tu le sais. En réalité, on ne peut même pas les approcher. Les gens d’Asunción sont surarmés. A la moindre attaque, ce qu’on obtiendrait, au mieux, c’est un suicide collectif, tendance Temple Solaire. Au pire, une bataille rangée à la Waco, avec des morts des deux côtés.

— Alors quoi ?

Marchelier frappa une touche de son clavier. La commande d’impression.

— Tu signes ton PV et tu retournes à ta tranquillité. Nous, on continue l’enquête. On a peut-être une autre piste.

— Quelle piste ?

— La thune. Ces mecs manipulent trop de fric. Soit ils blanchissent de l’argent sale, venu du Chili, soit ils se livrent à des trafics cachés. La brigade financière est sur la trace de leurs comptes en Suisse. On attend des autorisations côté banques. On étudie aussi leurs sociétés anonymes, qui sont encastrées comme autant d’écrans.

— Tout ça prendra des mois.

— Des années peut-être. Mais c’est tout ce qu’on a. Marchelier attrapa les feuilles imprimées et les tendit à Kasdan :

— Signe ta déposition. On la mettra dans la catégorie : « heroic fantasy ».

Kasdan s’exécuta, soulagé de pouvoir partir, irrité de voir la machine policière au point mort. Il tentait de déglutir, sans y parvenir. Cela lui rappelait les années 80, le temps des crises, quand les neuroleptiques lui asséchaient la gorge.

Kasdan se leva et salua le flic d’un signe de tête.

Il attrapait la poignée de porte quand l’autre l’interpella :

— Il y a une autre solution.

— Laquelle ?

— Infiltrer la Colonie. Trouver Hartmann. On a la certitude que l’Allemand vit dans le Causse. Il faudrait l’enlever et le ramener en France, pour le juger en toute discrétion. Comme les Israéliens l’ont fait avec les nazis.

— Qui pourrait faire ça ?

— Pas nous en tout cas. Ni les forces de police officielles. Ni l’armée. Seuls des francs-tireurs pourraient agir. Des gars qui n’ont rien à perdre.

Kasdan comprit que le flic pensait à lui-même dans le rôle de l’infiltré. Un bonhomme de 63 ans, repérable à cent kilomètres...

— C’est une bénédiction ?

— Il faut faire le ménage. Peu importe qui se charge du boulot.

— Tu ferais confiance à un vieil Arménien ?

— Non. Mais je ne peux pas t’empêcher de partir en classe de neige.

— Il ne neige pas cette année dans le Causse Méjean.

— Cherche bien. Au sommet, il doit y avoir de quoi faire du sport.

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