Pourquoi Vasilika avait-elle besoin d’un maçon ? C’est ce que nous allons voir par les quelques mots qu’elle échangea avec l’Italien Beruto.
– Madame, demanda le valet de chambre, est-ce que vous voulez faire murer la porte de ce caveau ?
– Non, dit la comtesse.
– Excusez-moi, je l’avais cru…
– Au contraire, reprit Vasilika, j’y veux faire percer une fenêtre.
Beruto regarda la belle Russe avec un étonnement croissant, et il sembla même se demander si elle n’avait pas perdu l’esprit. Vasilika poursuivit :
– Tu vois cette voûte ?
– Oui, madame.
– En quelques coups de marteau, un maçon en détachera deux pierres.
– Mais, madame, nous sommes à plus de trente pieds sous terre, reprit Beruto.
– Eh bien ?
– Sur quoi donc prendra jour la fenêtre que vous voulez percer ?
Vasilika ne répondit pas. Seulement elle eut un geste impérieux et dit :
– Va me chercher un maçon.
Beruto reprit la lampe qui se trouvait placée dans un coin du caveau.
– Non, dit Vasilika, laisse-la ici.
– Est-ce que madame va rester ?
– Oui, j’attends le maçon. Donne-lui ce qu’il voudra. Seulement, il est inutile qu’il connaisse le chemin exact de ce caveau.
– Je lui banderai les yeux.
– J’allais te l’enjoindre. Va !
Et Vasilika s’assit sur une espèce de banc, sur lequel se trouvait placée la lampe. Beruto remonta à tâtons l’escalier du souterrain. L’Italien avait coutume de ne pas discuter les volontés souvent étranges de sa maîtresse. Cependant, cette fois, il était si fort intrigué, que Vasilika l’entendit qui murmurait en s’en allant :
– Je crois que madame a un grain de folie.
Un sourire vint aux lèvres de Vasilika. Puis elle se prit à contempler Yvan, couché dans un coin du caveau et gardant l’immobilité de la mort.
– Ah ! murmura-t-elle après un long silence, c’est une passion bien voluptueuse, la vengeance, puisqu’elle donne tant d’imagination…
Un quart d’heure s’écoula. Beruto revint. Il avait été servi à souhait. Il avait rencontré Noël, bayant aux corneilles dans la rue Cassette et nous savons comment il l’avait embauché. Noël avait un bandeau sur les yeux. Mais dans l’escalier souterrain, peut-être l’avait-il un peu dérangé. Vasilika dégrafa un long manteau qui lui couvrait les épaules. En même temps, elle fit un signe à Beruto. Celui-ci prit le corps d’Yvan, le traîna dans cet angle obscur où se trouvait le squelette, et la comtesse le couvrit du manteau. En même temps, sur un autre signe d’elle, l’Italien se plaça devant le squelette. Alors Vasilika détacha elle-même le bandeau qui couvrait le visage du faux maçon. Celui-ci sut se faire une mine hébétée et craintive, et regarda la belle Russe avec une sorte de stupeur et d’effroi.
– Mon ami, lui dit Vasilika, rassurez-vous.
Sa voix avait retrouvé son timbre enchanteur et plein d’harmonie. Noël répondit :
– Qu’est-ce que vous voulez donc que je fasse, madame ?
– Rien que de fort simple : montez sur ce banc et prenez votre marteau. En même temps, elle poussa le banc vers le mur, ajoutant :
– Faites-moi un trou là-dedans.
– Mais, dit Noël, c’est de la pierre de taille, ça.
– Non, pas partout.
Et Vasilika monta sur le banc auprès de lui.
– Tenez, là, dit-elle, c’est du plâtre. On a figuré des joints de pierre, mais c’est une simple cloison.
Noël prit un marteau et frappa. Le mur rendit un son creux. Il frappa plus fort ; quelques fragments de plâtre se détachèrent. Cependant il lui fallut travailler une grande heure pour percer un trou. Ce trou percé, Beruto, qui suivait la besogne avec une curiosité croissante, vit quelque chose de noir derrière. La cloison qu’on venait de percer séparait le caveau d’un autre. Voilà tout. L’autre caveau était pareillement plongé dans les ténèbres. Le trou percé était assez grand pour laisser passer le corps d’un homme. Noël se tourna vers la comtesse et parut attendre de nouveaux ordres. Mais Vasilika lui dit :
– C’est bien, mon garçon, nous n’avons plus besoin de toi.
Et comme un nouvel étonnement se peignait sur le visage du faux maçon :
– Qu’as-tu promis à ce brave homme ? dit-elle à Beruto.
– Deux louis.
– En voilà cinq, dit la comtesse qui mit un billet de banque dans la main de Noël.
Celui-ci joua un ébahissement si profond, il eut une joie si complète, que la belle Russe ne put s’empêcher de sourire.
– À présent, dit-elle, tu peux t’en aller.
Noël se laissa rajuster le bandeau de bonne grâce et Beruto le prit de nouveau par la main, lui disant :
– Viens, mon garçon.
Cependant Rocambole, en quittant Noël une heure auparavant, ne s’était pas éloigné. Il était simplement allé s’établir dans cette chambre d’hôtel garni où nous l’avons déjà vu, lorsqu’il s’occupait de tirer Antoinette de Saint-Lazare, au coin du faubourg Saint-Honoré et de la rue de la Pépinière. Il avait été convenu avec Noël que si ce dernier avait besoin de lui, il l’enverrait chercher par le caniche, ce singulier messager. En effet, le caniche, une heure après, grimpa lestement l’escalier et gratta à la porte. Rocambole sortit et regarda l’intelligent animal. Le chien remuait la queue et faisait mine de redescendre l’escalier.
– C’est bien, dit Rocambole ; je te suis.
Une fois dans la rue, le chien piqua tout droit vers le faubourg Saint-Germain. Rocambole comprit que Noël était sur la trace d’Yvan.
Trois quarts d’heure après, toujours guidé par le chien, il arrivait rue Cassette. Mais Noël n’y était pas. Noël était encore occupé à la mystérieuse besogne que lui avait donnée Vasilika. Seulement, sur un signe de Rocambole, le chien prit sa piste et s’arrêta à la porte du vieil hôtel. Rocambole regarda cette maison vermoulue, puis un souvenir rapide traversa son cerveau.
– Hé ! hé ! dit-il, je connais cela.
Il alla faire le guet à l’autre extrémité de la rue, dans le renfoncement d’une porte. Un quart d’heure après Noël reparut. Beruto s’était contenté de lui ôter son bandeau et de lui entrebâiller la porte de l’hôtel. Mais il n’était pas sorti dans la rue. Rocambole siffla, Noël se dirigea sur lui.
– Eh bien ! fit le maître.
– Je viens de voir des choses auxquelles je ne comprends rien.
– Voyons ?
– Un homme est sorti de cette maison, est venu à moi et m’a dit qu’il avait besoin d’un maçon.
Et Noël raconta que dans l’escalier, il s’était heurté volontairement au mur, ce qui avait un peu déplacé son bandeau et lui avait permis de voir, d’abord Vasilika qu’il avait fort bien reconnue, puis un homme endormi et comme frappé de léthargie, qu’on avait poussé dans un coin sur lequel la comtesse avait jeté son manteau. Enfin le squelette devant lequel Beruto s’était placé.
– Et, lui dit Rocambole, tu ne sais pas pourquoi tu as percé ce mur ?
– Non.
– Qu’y a-t-il derrière ?
– Je ne sais pas.
– Tu n’as pas reconnu cette maison dans laquelle tu es entré ?
– Non, dit encore Noël.
Rocambole fit appel à ses souvenirs.
– Après ça, dit-il, je crois que tu n’étais pas encore dans la bande des Valets de cœur.
– Quand ?
– Lorsque le baronnet sir Williams et moi, nous fîmes une descente dans ce vieil hôtel.
Et Rocambole prenant Noël par le bras :
– Viens, dit-il, entrons dans ce bouchon qui est là, rue du Vieux-Colombier. Nous verrons entrer et sortir les gens de cette maison, et je te conterai une bien étrange histoire.
Noël le suivit.