46.
Swan n’était pas le plus sage des petits garçons, mais c’était mon petit garçon. Je l’aimais par-dessus tout. J’aurais tué pour lui. Je serais morte pour sauver sa peau. Mais voilà, c’est moi qui suis encore là, à penser à lui chaque jour que le bon Dieu fait. Ses yeux et la fossette creusant sa joue gauche. Ses mains toujours froides et ses pieds tordus. Son ventre ferme et ses épaules cagneuses. Ses piaillements et sa langue rose. Son haleine. Tous ces souvenirs qui affleurent dans mes rêves et mes cauchemars, ces sensations que je revis chaque nuit et qui me donnent l’impression de crever dès que ce putain de soleil se pointe tous les matins.
Je me rappelle ses jouets qu’il jetait sans raison contre les murs de sa chambre, ce bruit mat du plastique qui explosait contre le béton. Et ma mère qui refusait que j’intervienne. Laisse-le. Il va se calmer.
La moindre petite idée de sottise le séduisait. Les flammes attiraient ses mains et les flaques narguaient ses pieds. Parfois, ses yeux sombres plantés dans les miens, il prenait cet air gorgé de défiance. Il m’effrayait quelquefois, muré dans ces silences qu’il m’adressait comme des insultes, ses yeux insolents rivés sur moi. Je l’ai détesté dans ces moments-là. Presque autant que je m’écœure aujourd’hui.
Plus les jours passaient, moins il s’apaisait. Il n’y avait que lorsque cette vieille folle s’absentait que je parvenais à le raisonner. Alors il mollissait entre mes doigts et se collait à moi. Je sentais son souffle chaud et régulier couler à flux constant à l’intérieur de mon cou. Il s’endormait parfois, sa tête lourde posée contre ma poitrine, ses petits doigts battant la mesure.
Maintenant je sais. Ma mère le terrorisait. Ma mère était un putain de croque-mitaine qui a dévoré tous ceux qu’elle a pu croiser. Elle a bouffé ceux qui l’ont aimée, et les autres. Je ne sais pas ce qu’elle a fait à mon fils. Mais je peux jurer que je trouverai.