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menley se glissa hors des bras d'Adam et se déplaça doucement vers le bord du lit. Il marmonna son nom sans ouvrir l'oeil. Elle se leva, enfila sa robe de chambre et le contempla, un léger sourire aux lèvres.

Le brillant avocat d'assises capable d'ébranler un jury entier par son éloquence semblait totalement sans défense dans son sommeil. Il dormait en chien de fusil, la tête appuyée sur un bras. Ses cheveux ébouriffés, où des mèches grises apparaissaient çà et là, montraient un début de calvitie.

Il faisait froid dans la pièce, et Menley remonta la couverture sur les épaules d'Adam, lui effleura le front de ses lèvres. Le jour de ses vingt-six ans, elle avait décrété qu'elle ne trouverait probablement jamais aucun homme qui lui plairait assez pour l'épouser. Deux semaines plus tard, elle avait rencontré Adam sur un paquebot, le Sagaijord. Le bateau faisait le tour du monde et, comme elle avait écrit de nombreux articles sur l'ExtrêmeOrient, Menley avait été invitée à donner des conférences pendant l'étape Bali-Singapour.

Le deuxième jour, Adam l'avait abordée sur le pont. Il était allé recueillir des témoignages en Australie et avait sur une impulsion réservé une place pour la même traversée. "Le trajet comporte de longues escales, ce qui me permettra de prendre une semaine de vraies vacances ", avait-il expliqué. A la fin de la journée, elle avait compris qu'Adam était la raison pour laquelle elle avait rompu ses fiançailles trois ans plus tôt.

Il en était allé différemment pour lui. Il s'était épris d'elle progressivement, au long de l'année suivante. Menley se disait parfois qu'elle ne l'aurait jamais revu s'ils n'avaient habité à trois rues de distance à Manhattan.

Le fait qu'ils aient certaines choses importantes en commun avait beaucoup compté. Tous deux étaient nés àNew York et l'un comme l'autre nourrissaient une passion pour Manhattan, tout en ayant grandi dans des univers différents. La famille d'Adam possédait un duplex sur Park Avenue, et il avait fait ses études au Collegiate. Elle avait passé ses jeunes années à Stuyvesant Town, dans la 14e Rue, où sa mère vivait encore, fréquentant les écoles paroissiales du coin. Mais par une étonnante coïncidence ils étaient tous les deux diplômés de l'université de Georgetown, bien qu'avec neuf ans d'écart. Ils adoraient l'un et l'autre la mer; Adam avait passé tous ses étés au Cap Cod, tandis qu'elle avait l'habitude d'aller nager de temps en temps à Jones Beach.

Quand ils commencèrent à sortir ensemble, Menley s'aperçut qu'Adam, à trente-quatre ans, était très satisfait de sa vie de célibataire.

Et à juste titre! Avocat célèbre, il avait un bel appartement à Manhattan et quantité de petites amies. Parfois, des semaines entières s'écoulaient sans qu'il lui téléphone.

Lorsqu'il s'était déclaré, Menley avait soupçonné que sa décision avait un rapport avec l'approche de son trente-cinquième anniversaire. Mais peu lui importait. Une fois mariée, elle s'était rappelé une réflexion que lui avait faite sa grand-mère : "Dans un couple, parfois, l'homme et la femme ne sont pas amoureux avec la même intensité. Il est préférable que la femme soit la moins éprise.

Pourquoi est-ce préférable? s'était demandé Menley, et elle se posait à nouveau la question en regardant Adam

dormir si paisiblement. Qu'y a-t-il de mal à aimer davantage que l'autre?

Il était sept heures. Le soleil pénétrait à l'intérieur de la chambre à travers les stores baissés. La grande pièce était meublée simplement d'un lit à baldaquin, d'une coiffeuse, d'une armoire, d'une table de nuit et d'une chaise droite. Tous ces meubles étaient visiblement d'époque. Elaine lui avait dit que juste avant la mort de M. Paley, sa femme et lui avaient couru les salles de vente pour y trouver des meubles du début du 18 ieme Siècle.

Menley appréciait que chacune des chambres ait une cheminée, même s'il était peu probable qu'ils en eussent l'usage au mois d'août. La chambre contigué à la leur était petite, mais parfaite pour le bébé.

Menley serra plus étroitement son peignoir autour d'elle en passant dans le couloir.

Au moment où elle ouvrait la porte de la chambre d'Hannah, un courant d'air froid la saisit. J'aurais dû rajouter une courtepointe sur son lit, se reprocha Menley, consternée par sa négligence. Ils avaient jeté un dernier coup d'oeil au bébé à onze heures, avant d'aller se coucher, hésitant à la couvrir davantage. Manifestement, la température avait chuté plus que prévu durant la nuit.

Menley se hâta vers le petit lit. Hannah dormait àpoings fermés, la courtepointe bordée autour d'elle. Je n'aurais pas pu oublier, si j'étais venue pendant la nuit, songea Menley. Qui l'a couverte?

Puis elle se sentit stupide. Adam avait dû se lever et aller voir l'enfant, bien que cela lui arrivât rarement, car il avait le sommeil profond. A moins qu'elle ne se soit elle-même rendue dans sa chambre... Les médecins lui avaient prescrit un somnifere qui l'abrutissait complètement.

Elle avait envie d'embrasser Hannah, mais craignit de la réveiller. "A plus tard, mon petit ange, murmura-t-elle. J'ai d'abord besoin d'avaler tranquillement une bonne tasse de café."

Elle s'arrêta au pied de l'escalier, subitement consciente des battements accélérés de son coeur, d'une sensation d'irrépressible tristesse. Une crainte s'empara d'elle brusquement :Je vais aussi perdre Hannah. Non, non! C'est ridicule, se dit-elle farouchement.

Comment une telle pensée peut-elle même m'effleurer?

Elle entra dans la cuisine et se prépara du café. Dix minutes plus tard, une tasse fumante à la main, debout àla fenêtre du petit salon qui donnait sur la mer, elle admirait l'Atlantique tandis que le soleil apparaissait dans le ciel.

La maison faisait face à Monomoy Strip, une étroite langue de sable séparant l'océan de la baie, dont Menley avait entendu dire qu'elle avait été le théâtre d'innombrables naufrages. Quelques années auparavant, la mer avait creusé un passage dans le banc de sable; Adam lui avait montré les endroits où des maisons s'étaient abîmées au fond de l'eau. Mais Remember, assurait-il, était située suffisamment en retrait pour se trouver toujours à l'abri.

Menley contempla les vagues qui montaient à l'assaut du banc de sable, rejetant des gerbes d'écume vers le ciel. Le soleil dansait sur les crêtes immaculées. L'horizon était déjà constellé de bateaux de pêche. Elle ouvrit la croisée et écouta le cri des mouettes, le pépiement assourdissant des moineaux.

Souriant, elle se détourna de la fenêtre. Au bout de trois jours, elle se sentait déjà à l'aise. Elle passa d'une pièce à l'autre, imaginant ce qu'elle ferait si elle avait àles décorer. La chambre principale contenait le seul mobilier d'époque. Les meubles des autres pièces ressemblaient pour la plupart à ceux que les gens mettent dans les maisons qu'ils ont l'intention de louer - divans bon marché, tables de Formica, lampes de récupération. Mais le banc ancien vert pomme pouvait être décapé et restauré. Elle passa la main sur sa surface et sentit le grain velouté du noyer.

Les Paley avaient fait les réparations essentielles. La toiture était neuve, ainsi que le chauffage central; la plomberie et l'électricité avaient été refaites. Il restait les travaux de décoration - le papier peint fané aux motifs résolument modernes dans la salle à manger était une horreur, les faux plafonds abîmaient les belles proportions des deux salons et de la bibliothèque -' mais rien de tout cela n'avait grande importance. C'était la maison en soi qui comptait. Achever sa restauration serait un plaisir. Les deux salons, par exemple - s'ils devenaient propriétaires, Menley en utiliserait un comme bureau. Plus tard, Hannah et ses amis seraient heureux d'avoir un endroit où se tenir.

Elle passa les doigts sur le petit cabinet du pasteur encastré à côté de la cheminée. On lui avait raconté que les premiers immigrants offraient un verre d'alcool au pasteur lorsqu'il venait leur rendre visite. Le pauvre homme en avait probablement besoin, pensa-t-elle.

A cette époque, on allumait rarement du feu dans les salons. Les hommes d'Eglise étaient sûrement transis de froid.

Les premières familles du Cap vivaient dans la salle commune, ainsi qu'on appelait la cuisine, la pièce réchauffée par une grande cheminée et où flottaient d'appétissants effluves. C'est là que les enfants faisaient leurs devoirs, sur la table de réfectoire, à la lueur des chandelles, et que la famille se rassemblait pour les longues soirées d'hiver. Menley chercha à se représenter les générations d'hommes et de femmes qui avaient succédé aux premiers occupants au destin tragique.

Elle entendit des bruits de pas dans l'escalier et alla dans l'entrée.

Adam descendait en portant Hannah. "Qui a dit que je ne l'entends pas quand elle pleure? " Il semblait très content de lui. " Elle est changée et affamée."

Menley tendit les bras vers le bébé. "Donne-la-moi. N'est-ce pas merveilleux de pouvoir nous en occuper tranquillement, avec uniquement une baby-sitter a mi-temps? Si la future belle-fille d'Elaine n'est pas une empotée, nous passerons un été de rêve.

* A quelle heure doit-elle venir?

* Vers dix heures, je crois."

A dix heures pile, une petite voiture bleue s'engagea dans l'allée.

Menley regarda Amy marcher vers la maison, nota la mince silhouette, les longs cheveux blond cendré retenus en queue-de-cheval. Quelque chose d'agressif la frappa dans l'attitude de la jeune fille - la façon dont elle enfonçait les mains dans ses poches, la raideur belliqueuse de ses épaules.

"Je me demande... ", murmura Menley en allant ouvrir la porte.

Adam leva les yeux des papiers qu'il avait étalés sur la table. "Tu te demandes quoi?

* Chut."

Une fois dans la maison, cependant, Amy donna une impression différente. Elle se présenta, puis se dirigea droit vers le bébé couché dans le couffin qu'ils avaient installé pour elle dans la cuisine. "Hello, Hannah. " Elle agita doucement sa main jusqu'à ce qu'Hannah lui saisisse un doigt. "Bravo! Tu as déjà de la force.

Croîstu que nous serons copines toutes les deux?"

Menley et Adam échangèrent un regard. Sa gentillesse paraissait sincère. Après quelques minutes de conversation avec Amy, Menley eut l'impression qu'Elaine avait sous-estimé l'expérience de sa future belle-fille. Elle avait gardé des enfants depuis l'âge de treize ans, et tout récemment s'était complètement occupée de deux jumeaux d'un an. Elle voulait devenir institutrice dans une école maternelle.

Ils convinrent qu'elle viendrait garder Hannah plusieurs après-midi par semaine pendant que Menley ferait des recherches pour son livre et ses articles, et qu'elle resterait de temps en temps le soir s'ils désiraient sortir.

Au moment où Amy partait, Menley dit "Je suis tres heureuse qu'Elaine vous ait recommandée, Amy. Maintenant, avez-vous des questions à me poser?

* Oui... c'est-à-dire... non, c'est sans importance.

* Quoi donc?

* Non, rien, vraiment."

Lorsqu'elle fut hors de portée de voix, Adam dit simplement : "Cette gosse a peur de quelque chose.

Souviens-toi
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