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Alex

— Il faut que tu me dises où tu en es avec Brittany, me dit Lucky devant l’entrepôt. Des paris sont lancés et la plupart misent sur toi. Est-ce qu’ils sont au courant de quelque chose que j’ignore ?

Je hausse simplement les épaules et jette un œil à Julio, luisant de propreté. Si ma moto pouvait parler, elle me supplierait de la sauver des mains de Lucky.

Mais je ne compte pas révéler quoi que ce soit sur Brittany, du moins pas pour le moment.

C’est alors qu’Hector arrive et fait signe à Lucky de s’en aller.

— Il faut qu’on parle, Fuentes. Ça concerne le service que je t’ai demandé l’autre fois. Le soir d’Halloween, tu vas louer une voiture, conduire jusqu’au point de rendez-vous et échanger la marchandise contre des billets verts. Tu t’en sens capable ?

Mon frère a raison : le sang de papá coule bien dans mes veines. Avec ce deal de drogue, j’assurerai mon avenir au sein du Blood, une place qui me revient de droit. Les autres héritent d’une fortune ou de l’entreprise familiale. Moi, j’ai hérité du Latino Blood.

— Je suis capable de tout.

J’ai tout de même l’estomac noué. J’ai volontairement menti à Brittany. Son visage s’est illuminé quand elle a évoqué la possibilité que nous allions tous les deux dans la même université. Je ne pouvais pas lui dire la vérité : non seulement je ne quitterai pas le Latino Blood, mais je vais également échanger la marchandise contre des billets verts.

Hector me tape dans le dos.

— Tu es un frère fidèle. Je savais que le Blood te ferait oublier tes peurs.

¿Somos hermanos, c’no ?

¡Seguro !

Ce n’est pas la transaction en elle-même qui me fait peur. Mais le fait qu’elle signe la fin de mes rêves. Je vais franchir la limite. Comme papá.

— Hé, Alex !

Paco se tient à quelques mètres de moi. Je n’ai même pas remarqué qu’Hector était parti.

— Quoi de neuf ?

— J’ai besoin de ton aide, compa, me dit-il.

— Toi aussi ?

Il prend son air de grand seigneur exaspéré.

— Viens avec moi.

Trois minutes plus tard, je me retrouve assis dans une Camaro rouge.

— Tu vas finir par me dire ce dont tu as besoin ou tu comptes maintenir le suspense ? dis-je dans un soupir.

— En fait, je vais garder le suspense.

Sur le bord de la route, je lis un panneau BIENVENUE À… Winnetka ?

Qu’est-ce que Paco peut bien vouloir venir faire dans cette banlieue chic ?

— Aie confiance, dit-il.

— Quoi ?

— Les meilleurs amis doivent se faire confiance.

Je me carre dans mon siège et me contente de ruminer, pareil à un de ces personnages de mauvais western. J’ai accepté une transaction de drogue et maintenant je me dirige vers une banlieue chic, sans savoir pourquoi.

— Ah, nous sommes arrivés.

Je jette un œil à l’enseigne.

— Tu te fiches de moi ?

— Non.

— Si tu projettes de braquer cet endroit, c’est sans moi.

Paco lève les yeux au ciel.

— On ne va pas braquer des golfeurs.

— Alors pourquoi m’as-tu traîné jusqu’ici ?

— Pour te montrer mon swing. Allez, bouge-toi le cul.

— On est mi-octobre et il fait treize degrés dehors, Paco.

— Question de priorité et de point de vue.

Par quel moyen pourrais-je rentrer chez moi ? Marcher me prendra trop de temps, je ne sais pas où est l’arrêt de bus le plus proche et… et… et je vais casser la figure à Paco pour m’avoir amené jusqu’à ce foutu club de golf.

Énervé, je pars retrouver Paco, qui se prépare un panier de balles. Il doit y en avoir une centaine !

— Où est-ce que tu as trouvé ce club ?

Paco le fait voltiger comme une hélice.

— Auprès du type qui loue les balles. Tu en veux un pour en taper quelques-unes ?

— Non.

— Alors assieds-toi là, me dit-il, désignant de l’extrémité de son club un banc vert derrière lui.

De là, j’observe les autres joueurs, qui nous lancent des coups d’œil méfiants.

Paco et moi ne ressemblons en rien aux types qui sont ici, je le sais pertinemment. Pour nous : jeans, T-shirts, tatouages et bandanas, pour eux, en majorité : polos à manches longues, pantalons Dockers, peau dénuée de toute marque distinctive. En général, je m’en fiche, mais après la discussion que j’ai eue avec Hector, je n’ai qu’une envie : rentrer chez moi et qu’on cesse de me regarder comme un phénomène. Je pose les coudes sur mes genoux et contemple Paco en train de se ridiculiser complètement.

Il prend une petite balle blanche et la place sur un cercle en caoutchouc inséré dans le faux gazon. Le swing qu’il exécute me fait grimacer. Le club rate la balle et percute à la place le faux gazon. Paco se met à jurer. Son voisin le dévisage et s’éloigne un peu plus loin.

Paco retente sa chance. Cette fois, le club touche la balle mais elle ne roule que sur une courte distance. Il essaie encore et encore, mais à chaque fois il se rend risible. Est-ce qu’il pense avoir en main une crosse de hockey ?

— Tu as fini ? lui dis-je en voyant le panier à moitié vide.

— Alex, répond-il en se servant du club comme d’une canne. Penses-tu que je suis fait pour jouer au golf ?

Je le regarde droit dans les yeux.

— Non.

— J’ai entendu ta conversation avec Hector. Toi, tu n’es pas fait pour les deals de drogue.

— C’est pour me dire ça que tu m’as fait venir jusqu’ici ?

— Écoute-moi, insiste-t-il. Les clés de la voiture sont dans ma poche et je ne partirai pas tant que je n’aurai pas terminé ce panier. Alors ouvre bien tes oreilles. Je ne suis pas aussi intelligent que toi, la vie ne m’offre aucun choix, mais toi, tu es assez intelligent pour aller à l’université et devenir médecin, ingénieur ou quelque chose du genre. Si je ne suis pas fait pour jouer au golf, toi tu n’es pas fait pour trafiquer de la drogue. Laisse-moi faire la transaction à ta place.

— Pas question, mec. Merci beaucoup de te ridiculiser ainsi pour me donner une leçon, mais je sais ce que j’ai à faire.

Paco pose une nouvelle balle, swingue, et, de nouveau, la balle roule devant lui.

— Brittany est vraiment canon. Est-ce qu’elle va aller à la fac ?

Je sais ce que Paco a derrière la tête, malheureusement pour lui, mon meilleur ami est on ne peut plus transparent.

— Oui, au Colorado.

Pour être proche de sa sœur, la personne qu’elle aime plus qu’elle-même.

— Elle rencontrera certainement plein de mecs au Colorado. Tu sais, des vrais avec des chapeaux de cow-boy.

Mon corps se raidit. Je ne veux pas y penser et j’ignore Paco jusqu’à ce que nous retournions à la voiture.

— Quand est-ce que tu arrêteras de te mêler de mes affaires ?

— Jamais.

— Alors tu ne verras pas d’objection à ce que je me mêle des tiennes. Qu’est-ce qui s’est passé entre Isa et toi ?

— On s’est amusés. C’est fini.

— Toi, tu penses peut-être que c’est fini, mais elle, elle ne doit pas le savoir.

— Ça, c’est son problème.

Paco allume la radio et monte le son au maximum.

Il n’est jamais sorti avec une fille par peur de s’attacher. Même Isa ne sait pas combien il a été maltraité chez lui. Je comprends pourquoi il préfère rester à distance d’une fille qu’il aime. Il est vrai que parfois, à trop s’approcher du feu, on finit par se brûler.