I

 

Le puissant Boeing à quatre réacteurs de la World Airlines brassait des kilomètres de ciel au-dessus du Pacifique Sud et, parfois, très bas sous son ventre, entre le moutonnement des nuages, on distinguait des groupes d’îles verdoyantes, pareilles à des paquets de salade flottant sur la mer bleue. Tout semblait aller pour le mieux quand, soudain, à l’intérieur de la cabine des passagers, la voix de l’hôtesse se fit entendre, lançant les phrases habituelles :

— Attachez vos ceintures de sécurité s’il vous plaît, et cessez de fumer.

Bill Ballantine, un géant roux qui devait peser dans les deux cents livres et pas mal de poussières, se tourna vers son compagnon de gauche, un grand gaillard costaud, au visage bronzé et dur éclairé par des yeux gris et couronné de cheveux noirs et drus.

— Je me demande pourquoi on nous fait attacher nos ceintures ? interrogea le colosse. Nous n’allons quand même pas nous poser en pleine mer, je suppose… Qu’en pensez-vous, commandant ?

Bob Morane, c’était le nom de l’homme aux yeux gris, haussa les épaules avec indifférence.

— Comment veux-tu que je sache, Bill ? Je ne suis pas sorcier, moi. Peut-être que, si tu allais interroger le pilote…

— Ou Dieu le Père, ronchonna Ballantine en achevant de boucler sa ceinture.

Le troisième personnage qui occupait la rangée, un petit vieillard encore vert, à la barbiche de chèvre et aux lunettes cerclées d’acier chevauchant un nez de bébé, s’immisça dans la conversation, en disant :

— Je crois pouvoir répondre à votre question, Bill. Regardez ce qui s’amène là-bas !…

Par le hublot, il montrait les lourdes nuées noires qui s’amoncelaient à l’horizon, annonciatrices de la tempête. Bill Ballantine fit la grimace.

— Avant longtemps nous allons danser, constata-t-il.

— Aucun doute, fit calmement Morane. Nous allons danser, et sur une musique que le génie tonitruant de Wagner lui-même n’aurait osé imaginer.

Bob Morane, son ami écossais Bill Ballantine et le professeur Aristide Clairembart, archéologue de réputation internationale, venaient de vivre une aventure dangereuse quelque part en Papouasie et, au lieu de regagner directement l’Europe par l’ouest, ils s’en revenaient par le chemin des écoliers via l’Amérique du Sud. Tout ce qu’ils espéraient, c’était le calme et la tranquillité qui pourtant ne semblaient pas être faits pour eux, puisque le temps lui-même s’ingéniait à troubler la paix de leur voyage.

Le visage grave, Bill Ballantine, penché en avant, contemplait, à travers le hublot, les nuages de plus en plus lourds.

— Bien notre chance ! maugréa-t-il encore. Cette petite excursion à travers l’océan s’annonçait pourtant si bien. Passerait encore si c’était la saison des ouragans ! Faut dire qu’avec ces explosions atomiques on ne sait plus où on en est…

— Ne parlez pas comme un journaliste ignare, Bill, intervint Clairembart. Les explosions atomiques n’ont rien à voir avec le temps.

Mais l’Écossais ne semblait pas convaincu.

— On dit ça, protesta-t-il, on dit ça…

— Que ce soit la faute des explosions atomiques ou non, fit Morane, on ne va pas tarder à en voir de toutes les couleurs. Je ne sais si ce sera au rythme d’une samba ou d’une valse viennoise, mais ça va danser ferme.

Morane venait à peine de prononcer ces dernières paroles qu’une bourrasque fit se cabrer le lourd appareil qui tressauta tel un grand oiseau frappé par une charge de plomb. Au cours des minutes qui suivirent, l’appareil ne fut plus désormais que le jouet de la tempête. Entouré par les éclairs, frappé par les bourrasques, on avait l’impression qu’à tout moment il pouvait se briser, ses ailes arrachées, son fuselage éventré. Pourtant, il tenait bon, car il avait été construit pour résister.

À l’intérieur, l’angoisse régnait. Les passagers, rivés à leurs sièges, raidis, s’attendaient à tout instant à encaisser le choc fatal qui les précipiterait, quelques milliers de mètres plus bas, au creux des vagues déchaînées où l’avion ne serait plus qu’une épave que, bientôt, les profondeurs marines engloutiraient.

Bob Morane, Bill Ballantine et le professeur Clairembart auraient préféré bien sûr voler par temps calme, mais ils n’éprouvaient pas de peur réelle. Ils en avaient vu d’autres, et ils étaient depuis longtemps vaccinés contre la panique. Et puis, comme disait Bill, autant valait mourir dans une catastrophe aérienne que d’un coup de sabot.

Le premier, l’Écossais concrétisa sa pensée.

— Cette inaction me pèse. Être là, sans pouvoir rien faire… sauf espérer que le zinc tienne le coup !

— Si au moins nous étions dans le poste de pilotage, aux commandes, enchaîna Morane, on pourrait lutter contre l’ouragan et cela nous ferait passer le temps.

— Lutter ou non, fit remarquer Clairembart, cela ne changerait rien. Tout ce que nous pouvons faire, c’est prendre notre mal en patience !…

Un éclair fulgurant zébra la nuit et des étincelles coururent le long de l’appareil qui se cabra.

— J’ai l’impression qu’on a été touchés, fit Ballantine auquel, pas plus qu’à Morane, rien de ce qui touchait l’aviation n’était étranger.

Quelques secondes s’écoulèrent, puis il y eut un second éclair et, à nouveau, l’avion frémit.

— Deuxième coup au but ! commenta Morane. Si ça continue, ce coucou va ressembler au heaume de Godefroid de Bouillon après la prise de Jérusalem.

Dans la cabine de pilotage, l’équipage faisait de son mieux pour maintenir le Boeing en équilibre. La moindre fausse manœuvre et c’eût été la catastrophe irrémédiable. Pourtant, le commandant de bord n’avait pu s’empêcher de constater :

— Un des réacteurs est hors d’usage, le gouvernail ne répond plus que difficilement aux commandes. Sans doute le servo a-t-il été faussé. Si l’ouragan ne se calme pas, il ne nous restera que bien peu de chances de nous en sortir.

Cependant, au moment où tout paraissait perdu, l’appareil quitta soudain la zone dangereuse. Laissant les ténèbres de la tempête derrière lui, il vogua à nouveau dans un ciel serein, brillant et clair. Pourtant, il était évident que, dans l’état où il se trouvait, il lui serait impossible d’atteindre Tahiti, sa prochaine escale.

Cette fois, dans la cabine des passagers, ce ne fut plus la voix de l’hôtesse qui se fit entendre, mais celle du chef pilote lui-même. Elle disait :

— Gardez votre calme ! En raison d’avaries sans gravité immédiate, nous allons devoir atterrir sur une île voisine. Il n’y a aucun danger. Gardez votre calme !

— Aucun danger ! ironisa Bill. Qu’on me laisse me marrer doucement ! J’aimerais autant devoir me poser sur une pièce d’un shilling avec une fusée interplanétaire que sur un de ces îlots avec notre mastodonte !…

— Cesse de jouer les oiseaux de mauvais augure, Bill, fit Morane. Tout s’est bien passé jusqu’ici. Il n’y a pas de raison pour que cela ne continue.

— Les Écossais sont des femmelettes, ironisa Clairembart. D’ailleurs, ils portent des jupes. C’est bien connu.

Le rouge de la colère envahit le large visage de Bill Ballantine qui, déjà, avait normalement la couleur des briques mal cuites.

— Professeur, commença le géant, si vous ne cessez de dire du mal des Écossais, je…

Penché, Morane regardait par le hublot. Il interrompit son ami en disant :

— Un groupe d’îles devant nous ! Voilà sans doute le moment de vérité !

Depuis de nombreuses minutes déjà, le Boeing ne volait qu’à quelques dizaines de mètres au-dessus des flots. Il pointa le nez vers une des îles, qui offrait une longue plage frangée de cocotiers. Il perdit encore de l’altitude, et il devint bientôt évident que le pilote avait choisi ladite plage pour tenter de se poser.

— On va devoir atterrir sur le ventre, dit Bob. En sortant le train, on risquerait de capoter.

Au ras des flots, l’avion s’approcha de l’île, cherchant à prendre la plage en enfilade, et y parvenant. Il y eut un léger choc quand la partie inférieure de la carlingue toucha pour la première fois le sable, fait de corail pulvérisé. Il rebondit, puis il y eut un nouveau choc, un peu plus violent que le premier celui-là, suivi d’une longue glissade crissante.

Morane savait que si, à cet instant, l’appareil rencontrait un obstacle quelconque, ce serait la catastrophe, mais il préféra garder cette remarque pour lui.

Après des secondes qui parurent à tous s’étirer comme des siècles, la glissade prit fin et le Boeing s’immobilisa, penché légèrement de côté, tel un grand albatros blessé, une de ses ailes baignant dans la mer, l’autre relevée, frôlant le tronc d’un cocotier, qui, s’il avait été touché en plein, aurait assurément provoqué la catastrophe à laquelle Morane venait de penser. Quand l’appareil s’était immobilisé, il y avait eu un long silence parmi les passagers, puis on entendit comme un grand souffle : le soupir collectif de plusieurs dizaines de poitrines qui se relâchaient après une trop longue oppression.

 

*

 

C’était une île pareille à la plupart des petites terres disséminées à travers le Pacifique : une masse volcanique autour de laquelle était venue s’agglomérer une ceinture corallienne. Apportées par le vent, des graines avaient germé et une jungle touffue avait pris naissance, tandis que des cocotiers élevaient très haut, face à l’océan, leurs bouquets de palmes bruissantes.

Se conformant aux directives de l’équipage, tous les passagers avaient mis pied à terre et les bagages avaient été déchargés, car il allait falloir procéder à l’installation d’un camp provisoire.

À présent, un peu à l’écart, Bob Morane, Bill Ballantine et le professeur inspectaient avec attention les environs, essayant de détecter des présences humaines autres que les leurs, mais en vain : l’île paraissait déserte. Il était probable d’ailleurs que, si elle avait été habitée, l’atterrissage forcé du Boeing ne serait pas passé inaperçu aux indigènes qui, déjà, d’une façon ou d’une autre, se seraient manifestés.

— Allons bon, fit Ballantine, me voilà encore condamné à jouer les Robinson, moi qui aime mon confort, un lit douillet et un petit verre de whisky de temps à autre !

— Dis plutôt un grand verre de whisky, ou même deux, corrigea Bob.

Et le professeur Clairembart crut bon d’ajouter :

— Quand ce n’est pas la bouteille… Mais je crois qu’il y a du nouveau…

Le chef de bord venait en effet de quitter le poste de pilotage et s’avançait vers les passagers. La joie se lisait sur ses traits et Bob, Bill et Clairembart crurent bon de rejoindre le gros de la troupe.

— J’ai une excellente nouvelle à vous annoncer, déclara le chef pilote. Nous avons réussi à contacter le port le plus proche. On va nous envoyer un bateau, mais il ne sera pas ici avant plusieurs jours. En attendant, il faudra nous organiser.

— Ne croyez-vous pas qu’il serait sage d’explorer un peu les alentours, intervint Bob.

Le chef de bord hocha la tête.

— Peut-être, commandant Morane, peut-être. Je ne crois pas qu’il y ait danger, mais il serait bon néanmoins de s’en assurer… Je suppose que vos amis et vous-même êtes tout désignés pour cela… Vous devez avoir l’habitude, depuis le temps…

— Nous avons l’habitude, en effet, assura Ballantine sans fausse modestie.

— Parfait. Allez-y. Mais je vous conseille d’être prudents…

— Prudents, prudents, ronchonna Bill tandis que ses amis et lui se dirigeaient vers l’endroit où ils avaient laissé leurs valises. Comme si nous n’avions pas dans nos bagages de quoi dissuader d’éventuels agresseurs…

— Essayons de prendre nos armes en douce, conseilla Clairembart avec le sourire. Vous savez qu’il n’est pas très réglementaire d’avoir des cartouches dans ses valises à bord d’un avion de ligne.

— Ah ! ouais ? lança Bill avec une évidente mauvaise foi. Bien la première fois que j’entends parler de çà !

— C’est drôle, moi aussi, fit à son tour Morane avec une innocence digne de l’enfant qui vient de naître.

— Assez plaisanté, à présent, remarqua Clairembart Mettons-nous en route afin d’être de retour avant la nuit.

Quelques minutes plus tard, tandis que les autres passagers installaient le camp, Bob Morane et ses deux amis s’enfonçaient à travers la jungle. Sous leurs vestes, ils s’étaient bouclé leurs ceintures d’armes autour de la taille.

Au fur et à mesure qu’ils avançaient, la végétation se faisait plus touffue, à tel point qu’à différentes reprises Bob devait faire usage de la machette qu’il avait eu soin d’emporter.

Un silence total régnait et les seuls indices de vie animale étaient, par moments, l’un ou l’autre cochon sauvage qui s’enfuyait effarouché devant eux, ou un vol d’oiseaux de mer au-dessus de leurs têtes.

— Je ne crois pas qu’il soit bien utile de continuer, finit par décréter Clairembart. À part nous et les autres passagers de l’avion, il y a bien longtemps sans doute qu’un être humain n’a posé le pied sur cette terre…

— Je propose de continuer quand même, insista Bob. J’aimerais reconnaître les lieux. Si un jour j’ai réellement besoin de solitude, cette île me paraît idéale. Il y a du gibier, de l’eau, et le lagon doit être poissonneux.

Ils continuèrent sur une distance de plusieurs centaines de mètres. Soudain, Morane, qui s’était légèrement écarté de la route suivie par ses amis, lança un appel.

— Bill, professeur !… Venez voir !…

Ballantine et Clairembart rejoignirent leur compagnon. Celui-ci leur désigna, de l’autre côté d’un petit lac bordé de plantes aquatiques, un escalier de pierre qui montait à flanc de colline et dont le sommet se perdait parmi la végétation.

— Un escalier, dit Ballantine, l’air incrédule, et de pierre encore ! Pourquoi pas un ascenseur ?

— Un fait est certain, dit Bob. Cet escalier existe, et ce ne sont pas les cochons sauvages ni les crabes de terre qui l’ont construit.

— Très juste, approuva Clairembart. Allons voir de plus près.

Ils contournèrent le petit lac et atteignirent le bas des degrés. S’accroupissant, Clairembart se mit en devoir d’étudier le premier d’entre eux. Au bout d’un moment, il se redressa pour déclarer :

— Joints sans ciment, ce qui indique une construction archaïque. De toute façon, si j’en juge uniquement par l’usure, cela doit être très ancien.

— Allons voir où ça mène, décida Bob.

Tous trois se mirent à gravir les marches. À l’usage, celles-ci se révélèrent en mauvais état. Beaucoup d’entre elles étaient affaissées et, à de nombreux endroits, les végétaux, en insinuant leurs racines entre les pierres, avaient fait éclater celles-ci.

— Le moins que l’on puisse dire, c’est que le service d’entretien ne passe pas très souvent par ici, fit Bill, que ses origines nordiques poussaient à un amour immodéré de l’ordre… quand il s’agissait des autres.

L’escalier grimpait sur une distance de cinquante mètres environ. Soudain, il prit fin et les explorateurs débouchèrent sur un large plateau dominant la colline. Tout de suite, ils s’immobilisèrent, le souffle coupé. Devant eux, s’étendait un vaste champ de ruines : murs cyclopéens aux énormes moellons taillés avec précision et joints sans ciment, portiques monumentaux à présent enguirlandés de lianes, colonnes monolithiques aux sculptures à demi rongées par la mousse… Un peu partout, d’énormes statues se dressaient, hiératiques, aux visages élémentaires taillés d’une pièce, nez et menton pointus, qui n’en finissaient plus, yeux énormes, fixes et qui, de dessous des arcades sourcilières en visière, semblaient regarder à jamais dans l’infini. À l’autre extrémité du plateau se dressait la silhouette géométrique d’une pyramide à degrés.

— Une vieille cité, ici ? s’effara Ballantine. Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Il ne faut pas nous étonner, dit le professeur Clairembart. Les îles du Pacifique abondent ainsi en vestiges de civilisations mystérieuses. À Ponape, aux îles Carolines, on a découvert des ruines immenses. Il y a aussi les pyramides des îles Kingsmill, les colonnes tronquées des Mariannes, les ruines de Kikii aux Hawaii et, bien entendu, les énigmatiques statues de l’île de Pâques.

— A-t-on essayé de trouver l’origine de ces vestiges ? interrogea Morane, qui n’ignorait rien des vestiges en question, mais voulait mettre le vieil archéologue sur la voie des confidences.

— Toutes les suppositions ont été émises, répondit Clairembart, et vous les connaissez tous deux aussi bien que moi. Vous savez également que, en ce qui me concerne, la seule valable est que ces monuments ont jadis appartenu au continent Mu.

Ballantine se mit à rire silencieusement.

— Encore ce continent Mu, professeur !… Votre vieux dada ?…

— Cette explication en vaut une autre, Bill. Après tout, nous avons la certitude que, jadis, une civilisation florissante a existé dans le Pacifique. Qu’on lui donne le nom de Mu ou un autre, cela ne change rien au fait…

L’archéologue s’interrompit puis, désignant une des gigantesques statues, il reprit :

— Dites-moi, d’ailleurs, où l’on pourrait admirer une sculpture semblable, sauf peut-être sur l’île de Pâques, qui est à des milliers de kilomètres d’ici ? Avouez qu’il y a là une continuité troublante…

Bob Morane et l’Écossais se sentaient lentement gagnés par l’enthousiasme de leur compagnon qui les entraîna à travers les ruines, véritable labyrinthe de pierre où ils devaient errer durant deux heures, en allant d’émerveillement en émerveillement.

Le premier, Morane devait reprendre contact avec la réalité.

— Il serait temps de regagner la plage, professeur, dit-il à l’adresse de Clairembart qui s’attardait à essayer de déchiffrer un indéchiffrable hiéroglyphe. Les autres passagers de l’avion doivent commencer à s’inquiéter, car la nuit tombe rapidement.

— Vous avez raison, Bob, reconnut le savant. Bientôt nous n’y verrons plus rien et, de toute façon, nous pourrons revenir ici demain dès l’aube.

Pourtant, sur le chemin du retour, les trois hommes devaient bientôt se rendre compte qu’ils s’étaient égarés. Après une statue, c’en était une autre, mais ils avaient cependant la sensation de retrouver sans cesse la même.

— J’ai l’impression que nous tournons en rond, finit par dire Bob. Toutes ces ruines qui se ressemblent…

— À moins que les statues ne bougent pour nous dérouter, dit Ballantine avec le plus grand sérieux, car, par son ascendance celtique, il avait tendance à se laisser entraîner vers le surnaturel.

De la main, le professeur Clairembart désigna une pyramide à degrés, en partie éboulée, et dont la silhouette massive se détachait en sombre sur l’écran bleu de la nuit maintenant tout à fait tombée.

— Grimpons au sommet de cette pyramide, proposa l’archéologue. Peut-être parviendrons-nous à nous orienter…

Morane avait allumé la petite torche-stylo qui ne le quittait jamais, et tous trois se mirent à gravir l’escalier menant au sommet de la pyramide. Là, ils entreprirent de s’y retrouver. Heureusement, la nuit était relativement claire et cela leur facilita la besogne. Finalement, Morane désigna une direction précise en décidant :

— C’est de ce côté que nous devons nous diriger en nous repérant sur les étoiles…

À ce moment, Clairembart tendit le bras vers le ciel en criant :

— Là-bas !… Regardez !…

Plusieurs points brillants grossissaient rapidement, laissant derrière eux de longs sillages de lumière blanche.

— Des aérolithes ! fit Bob.

L’un des corps célestes semblait se diriger directement vers le sommet de la pyramide, à tel point que les trois amis se sentirent saisis par une même appréhension : une appréhension que Bill concrétisa en hurlant :

— Attention !… Il vient droit sur nous !…

Le météore était si près à présent que sa masse paraissait envahir tout le ciel. Et, soudain, il y eut un énorme éclatement rouge, une lumière aveuglante éclaboussa Morane et ses deux compagnons, sans qu’il y eût pourtant le moindre dégagement de chaleur. Tous trois eurent l’impression d’être emportés dans un flux qui les entraînait loin, très loin. Le sol se déroba sous leurs pieds et ils sombrèrent dans un abîme d’inconscience, aux profondeurs voisines du néant.