CHAPITRE II
 
À l’aventure

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« JE SUPPOSE que les freins fonctionnent bien ? » demanda l’oncle Henri, pensant qu’il devait montrer quelque intérêt aux préparatifs de départ, et se souvenant que, lorsqu’il était lui-même un jeune garçon doté d’une bicyclette, les freins ne marchaient jamais.

« Bien sûr qu’ils marchent, oncle Henri ! affirma Mick. Jamais nous ne partirions sur des bicyclettes en mauvais état. Le code de la route est très strict sur ces choses-là, tu sais... »

L’oncle Henri semblait n’avoir jamais entendu parler du code de la route, et il était possible, en effet, que ce fût le cas. Car il vivait dans un monde à part, un monde de théories, d’équations et de diagrammes, et il avait hâte d’y retourner. Toutefois, il attendit que les enfants aient fini leurs derniers préparatifs. Enfin, ils furent prêts au départ.

« Au revoir, tante Cécile ! Nous penserons bien à toi et à notre oncle » dit François »

— Au revoir, maman. Ne t’inquiète pas de nous... nous allons bien nous amuser ! s’écria Claude.

— Au revoir, tante Cécile, au revoir, oncle Henri !

— Au revoir, mon oncle ! Tante Cécile, nous partons »

Et ils s’éloignèrent en effet, pédalant ferme le long du sentier qui partait de la villa des Mouettes. M. et Mme Dorsel demeurèrent près de la porte du jardin, agitant la main jusqu’à ce que la petite troupe eût disparu dans un tournant. Le soleil brillait. Dago bondissait sur ses longues et robustes pattes près de la bicyclette de Claude, fou de joie à l’idée d’une belle randonnée.

« Eh bien, nous voilà partis » dit François au moment où ils prenaient le tournant. Quelle chance nous avons de pouvoir nous balader comme ça, tout seuls. Ce cher oncle Henri ! Ce que je suis content qu’il soit forcé d’aller à ses réunions de savants !

— Combien de kilomètres allons-nous faire aujourd’hui ? demanda Annie. Pas trop, j’espère, pour le premier jour... sans ça, j’aurai les jambes toutes raides, demain...

— François et moi n’avions pas l’intention d’en faire plus d’une centaine jusqu’à ce soir, répondit Mick. Mais si tu es fatiguée avant, tu n’auras qu’à le dire. Nous pouvons nous arrêter n’importe où. »

La matinée était très chaude, et les enfants furent bientôt couverts de sueur. Ils enlevèrent leurs blousons et les attachèrent sur les porte-bagages. Claude avait l’air plus que jamais d’un garçon, avec ses courts cheveux bouclés, soulevés par le vent. Tous portaient des shorts et des chandails légers, sauf Annie, qui était en jupe grise. Elle releva les manches de son chandail et les autres firent de même.

Ils parcoururent kilomètre après kilomètre, jouissant du soleil et du vent. Dago galopait à leurs côtés, infatigable, sa langue rose pendant de sa gueule. Quand la route était bordée d’herbe, c’était là qu’il courait. Oui, c’était un chien vraiment malin !

Ils s’arrêtèrent à un petit village appelé Le Faouet. Il ne possédait qu’un seul magasin, mais on y vendait de tout.

« J’espère qu’il y aura de la limonade ! dit François. Ma langue est desséchée de soif. Tellement que je pourrais la laisser pendre, comme Dago ! »

La petite boutique vendait de l’orangeade, de la citronnade, de la limonade et de la bière. Il était vraiment difficile de faire un choix. Elle vendait également des glaces, et bientôt les enfants s’attablèrent devant des verres de limonade et des glaces d’aspect délicieux.

« Dago doit en avoir une, dit Claude. Il les aime tant, n’est-ce pas, Dago ?

— Ouah ! » répondit Dago, et il avala sa glace en deux coups de langue.

« C’est vraiment dommage de lui en donner, fit observer Annie. Il a à peine le temps de les goûter, il les engouffre d’un seul coup. Non, Dago, bas les pattes ! Je vais finir ma glace jusqu’au bout et tu n’auras même pas la coupe à lécher. »

Dago alla boire le bol d’eau que la patronne du magasin mit par terre pour lui. Après avoir bu tout son soûl, il s’écroula sur le sol, hors d’haleine.

Les enfants emportèrent en partant une bouteille de limonade destinée à leur déjeuner. Ils commençaient déjà à penser avec plaisir aux sandwiches bien empaquetés dont ils s’étaient munis.

Au moment où ils longeaient une prairie, Annie aperçut des vaches en train de paître.

« Ça doit être terrible d’être une vache et de ne manger que de l’herbe insipide, dit-elle à Claude. Songe à toutes les bonnes choses que les vaches ne connaîtront jamais : un œuf dur, un éclair au chocolat, un verre de limonade. Pauvres bêtes ! »

Claude se mit à rire.

« Tu dis des bêtises, Annie ! Et maintenant j’ai encore plus faim qu’avant, avec tes histoires d’œufs durs et de limonade. Je sais que maman nous a fait des sandwiches aux œufs et aussi au jambon.

— Inutile d’aller plus loin, intervint Mick qui dirigeait sa bicyclette vers un petit hallier. Inutile d’aller plus loin si vous, les filles, vous commencez à parler sans arrêt de nourriture... François, si on déjeunait ? »

Ce fut un beau pique-nique que ce premier repas dans le hallier. Il y avait partout des touffes de primevères, et les violettes modestement cachées embaumaient délicieusement. Une grive chantait sur une branche ; chaque fois qu’elle s’interrompait, deux pinsons sifflaient à leur tour.

« Rien ne manque, pas même l’orchestre et les fleurs », dit François en désignant de la main les oiseaux et les primevères. « Maintenant, nous n’avons plus qu’à attendre que le garçon nous présente le menu !»

Un lapineau apparut, ses grandes oreilles dressées toutes droites pour mieux entendre.

« Ah ! voici le garçon ! dit Mick. Qu’avez-vous à m’offrir, monsieur Janot ? Un bon pâté de lapin ? »

Le lapineau s’enfuit à toutes pattes. Il avait senti l’odeur de Dagobert et avait été pris de panique. Les enfants se mirent à rire, car on aurait pu croire que c’était l’allusion au pâté de lapin qui l’avait fait fuir. Dago le regarda s’éloigner, mais ne fit pas mine de le suivre.

« Eh bien, Dago, c’est la première fois que tu laisses partir un lapin sans lui donner la chasse, dit Mick. Tu dois être vraiment fatigué... Est-ce qu’il y a quelque chose à manger pour lui, Claude ?

— Bien sûr, dit la fillette. C’est moi-même qui lui ai fait ses sandwiches. »

En effet, elle était allée acheter de la viande hachée chez le boucher et avait préparé pour Dago douze sandwiches, tous bien coupés et bien emballés.

Les autres se mirent à rire. Claude ne ménageait jamais sa peine quand il s’agissait de Dago. Il avala ses sandwiches en quelques bouchées, puis agita vigoureusement la queue contre le sol couvert de mousse. Les enfants s’assirent et déjeunèrent joyeusement, heureux d’être tous ensemble en plein air à faire un si bon repas.

Annie poussa un cri.

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« Rien ne manque, pas même l’orchestre et les fleurs. »

« Claude, regarde ! Tu manges un des sandwiches de Dago !

— Flûte ! s’exclama Claude. Il me semblait bien qu’il était un peu fade. J’ai dû me tromper et donner un des miens à Dago. Excuse-moi, Dago !

— Ouah ! » dit poliment le chien, et il accepta le sandwich entamé.

« À la vitesse à laquelle il mange, il ne remarquerait même pas si on lui en donnait douze ou cinquante, fit observer François.

— Il a mangé tous les siens, n’est-ce pas ? Alors faisons attention qu’il ne prenne pas les nôtres. Tiens ! L’orchestre recommence à jouer ! »

Chacun écouta chanter la grive.

« J’écout’écout’écout’, disait-elle. J’suis tout’ouïe, j’suis tout’ouïe, tout’ouïe ! »

« Eh bien, écoute-nous », dit Mick en posant sa tête sur un coussin de mousse. « Mais nous n’allons plus parler, nous allons faire un petit somme, alors mets une sourdine.

— Oui, c’est une bonne idée de dormir un peu, dit François. Inutile de trop nous fatiguer le premier jour. Ôte-toi de mes pieds, Dago. Tu es horriblement lourd avec tous ces sandwiches que tu as dévorés. »

Dago se leva et alla s’allonger auprès de Claude, et se mit à lui lécher la figure. Elle le repoussa.

« Ce n’est pas le moment, dit-elle d’une voix ensommeillée. Fais la garde comme un bon chien et veille à ce que personne ne vole nos bicyclettes. »

Dago savait très bien ce que signifiait « faire la garde ». Il se mit sur son séant en entendant ces mots et jeta un long regard autour de lui, tout en reniflant. Quelqu’un aux environs ? Non. Il ne vit, n’entendit, ne sentit personne. Alors il se recoucha, une oreille à demi dressée et un œil légèrement ouvert. Claude trouvait toujours merveilleux qu’il pût dormir ainsi d’un seul œil... et d’une seule oreille. Elle allait faire part aux garçons de son étonnement, mais elle s’aperçut qu’ils sommeillaient déjà.

Elle s’endormit à son tour. Personne ne vint les déranger. Un petit rouge-gorge s’avança en sautillant d’un air curieux et, penchant la tête d’un côté, se demanda si ce ne serait pas une bonne idée que d’enlever quelques poils à la queue de Dago pour en orner son nid tout neuf. L’œil mi-clos du chien s’ouvrit un peu plus. Malheur au rouge-gorge s’il essayait sur Dago ce genre de plaisanterie !

Le rouge-gorge s’envola. La grive reprit sa chanson et le lapin apparut de nouveau. Du coup, l’œil de Dago s’ouvrit tout grand. Le lapin fila. Dago fit entendre un léger ronflement. Était-il endormi, ce chien, ou ne l’était-il pas ? se demanda le lapineau. Mais, dans le doute, mieux valait ne pas approfondir.

Il était trois heures et demie lorsque les enfants se réveillèrent, l’un après l’autre. François regarda sa montre.

« Sapristi, il est presque l’heure du goûter ! s’écria-t-il.

— Oh non » fit Annie, nous venons juste de déjeuner, et je n’aurais pas de place pour la plus minuscule bouchée. »

François se mit à rire.

« Bon, nous nous réglerons sur nos estomacs et non sur nos montres. Allons, Annie, lève-toi, sinon nous partons sans toi. »

Ils sortirent les bicyclettes de la petite clairière et remontèrent dessus. Une brise agréable leur soufflait au visage. Annie poussa un grognement.

« Mon Dieu, j’ai déjà les jambes raides ! Est-ce que nous allons faire encore beaucoup de kilomètres, François ?

— Non, pas beaucoup, dit le garçon. Je pensais que nous pourrions goûter quelque part dès que nous aurions faim, puis acheter ce qu’il faut pour le dîner et le petit déjeuner de demain et ensuite trouver un endroit vraiment bien pour y dresser les tentes. J’ai vu sur la carte un petit lac où nous pourrions nous baigner, si nous le découvrons... pas en chair, mais en eau ! »

(François aimait beaucoup les jeux de mots, surtout quand ils étaient mauvais.)

Mais si la plaisanterie était mauvaise, le projet, lui, était bon. Claude aurait pu encore parcourir des kilomètres et des kilomètres pour prendre un bain dans un lac.

« C’est une excellente idée, approuva-t-elle. Vraiment épatante. Je trouve que toute notre randonnée devrait se passer autour de lacs, comme ça on pourrait nager le matin, l’après-midi et le soir.

— Ouah ! » fit Dago, qui courait près de la bicyclette de Claude. « Ouah, ouah !

— Dago est tout à fait de mon avis, dit Claude en riant... mais je crois bien qu’il a oublié son costume de bain ! »