CHAPITRE XV
Prisonniers !
LES ENFANTS se jetèrent sur la pelouse, complètement découragés. « Pourquoi ont-ils fait ça, juste au moment où nous sortions ? interrogea Mick. Croyez-vous qu’ils se soient trompés ? Je veux dire : ont-ils cru que nous avions déjà eu le temps de sortir ?
— S’il s’agit d’une erreur, elle sera facile à réparer, dit François. Je vais retourner jusqu’à la maison et leur annoncer qu’ils ont fermé le portail trop tôt.
— Oui, vas-y, dit Claude. Nous t’attendons ici. » Mais avant même que François ait pu remonter sur sa bicyclette, on entendit le bruit d’une voiture qui avançait le long de l’allée. Les enfants sautèrent sur leurs pieds. Richard, pris de panique, se réfugia derrière un buisson. Il était terrifié à la pensée d’affronter de nouveau Julot.
La voiture s’arrêta près des enfants.
« Oui, ils sont encore là », dit la voix de M. Bertaud. Il sortit de l’auto, suivi de Julot.
Ce dernier jeta aux enfants un regard rapide.
« Où est l’autre garçon ? demanda-t-il aussitôt.
— Je n’en sais rien, répondit froidement François. Il a dû avoir le temps de franchir le portail... Pourquoi avez-vous refermé les grilles aussi vite, monsieur Bertaud ? »
Mais Julot avait aperçu Richard derrière son buisson. Il s’avança vers lui et l’examina avec soin. Puis il le poussa vers M. Bertaud...
« Oui, c’est bien ce qu’il me semblait... Voilà le garçon que nous cherchions » Il s’est noirci les cheveux avec de la suie, c’est pour ça que je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Mais j’avais bien l’impression que sa tête m’était familière... et je voulais l’examiner de nouveau. »
Tout en parlant, il secouait Richard comme un prunier.
« Eh bien... qu’est-ce qu’on fait de lui ? demanda M. Bertaud, sombrement.
— On le garde ici, évidemment, dit Julot. Je vais enfin pouvoir me venger de son père. Il va falloir qu’il paie une jolie somme s’il tient à revoir son horrible fils ! Et je vais faire payer à ce sale gosse les mensonges qu’il a racontés à son père sur mon compte ! »
Il secoua Richard plus violemment encore. François, pâle de colère, fit un pas en avant.
« Arrêtez ! dit-il. Laissez ce garçon tranquille ! Ça ne vous suffit pas d’avoir enlevé mon frère et de nous avoir gardés ici toute la nuit ? Tenez-vous à retourner en prison ? »
Julot lâcha Richard et se précipita sur François. Mais, avec un grognement féroce, Dagobert se jeta entre eux et mordit l’homme à la main. Julot poussa un cri de rage et hurla :
« Rappelez ce chien ! Rappelez ce chien !
— Je le rappellerai si vous vous conduisez comme il faut, dit François. Vous allez nous laisser tous partir immédiatement. Ouvrez ce portail ! »
Dago grognait toujours de façon terrifiante et les deux hommes reculèrent. Julot ramassa une grosse pierre.
« Si vous osez lancer ça, mon chien vous étranglera », s’écria Claude, affolée. M. Bertaud fit signe à son compagnon de laisser tomber la pierre.
« Ne faites pas l’imbécile, lui dit-il. Cette brute d’animal pourrait nous réduire en chair à pâté... regardez ses dents » Pour l’amour du Ciel, laissez partir ces gosses, Julot !
— Pas avant que notre plan soit établi, répondit Julot d’un ton rogue, tout en tenant sa main blessée. On va tous les garder prisonniers ici. Il ne faudra pas longtemps pour que nous ayons fini notre besogne. Et qui plus est, je vais emmener ce petit misérable avec moi en partant. Ah ! je vais lui en faire voir de toutes les couleurs... et à son père aussi. »
Dago gronda de nouveau. Mais Claude, qui craignait véritablement de le voir se jeter à la gorge de l’homme, le tenait solidement par le collier. Richard s’était mis à trembler en entendant les menaces de Julot, et des larmes lui coulèrent sur le visage.
« Oui, tu peux toujours pleurer, dit Julot en lui jetant un regard féroce. Attends un peu, misérable petit froussard ! Tu n’as jamais eu un gramme de courage. Tu n’as pas cessé de raconter des mensonges sur moi !
— Écoutez, Julot, vous feriez mieux de revenir à la maison et de soigner votre main, dit M. Bertaud. Elle saigne terriblement. Il faut la laver et la passer au mercurochrome. Vous savez bien qu’une morsure de chien peut être dangereuse. Venez. Vous vous occuperez de ces enfants plus tard.»
Julot finit par se laisser convaincre. Il brandit son poing valide en direction des enfants.
« Sales moutards ! »
Mais le restant de ses injures se perdit dans le bruit du moteur. M. Bertaud était déjà remonté en voiture et, Julot l’ayant suivi, l’automobile tourna et s’éloigna en direction de la maison. Les cinq enfants s’assirent sur le bord de la pelouse. Richard commença à sangloter.
« Tais-toi, Richard, lui dit Claude. Julot a bien raison de dire que tu n’as aucun courage. C’est vrai. Annie en a bien plus que toi. Je voudrais ne jamais t’avoir rencontré ! »
Richard se frotta les yeux de ses mains salies par la suie et de longues traînées noires se mêlèrent aux larmes, sur son visage. Il avait vraiment l’air pitoyable.
« Je regrette, dit-il, en reniflant. Oui, c’est vrai que je suis un lâche. Je l’ai toujours été. Je n’y peux rien.
— Si, tu y peux quelque chose, dit François d’un ton méprisant. N’importe qui est capable d’avoir du courage. La lâcheté, c’est de penser à sa misérable petite personne avant de penser aux autres. Regarde, même la petite Annie s’inquiète plus de nous que d’elle-même. C’est ce qui la rend brave. »
C’était là une idée qui n’était jamais venue à Richard. Il s’essuya les yeux.
« Je vais essayer d’être comme vous, dit-il d’une voix sourde. Vous êtes tellement gentils. Je n’ai jamais eu des amis comme vous, jamais. Honnêtement, je vais essayer d’être courageux.
— Eh bien, nous verrons, répondit François d’un ton incrédule. Ce serait certainement une surprise pour nous que de te voir agir en héros — une surprise très agréable. Mais en attendant, cesse de pleurer et examinons tous ensemble la situation. »
Richard obéit et François se tourna vers les autres.
« C’est exaspérant ! dit-il. Juste au moment où nous allions partir ! Je suppose que maintenant ils vont nous enfermer dans une pièce où ils nous garderont jusqu’à ce qu’ils aient fini leur « besogne ». Je crois que la besogne en question consiste à mettre en sûreté l’homme caché derrière la bibliothèque.
Tu n’as aucun
courage. C’est vrai.
Annie en a bien plus que toi.
— Les parents de Richard ne vont-ils pas mettre les gendarmes au courant de sa disparition ? » demanda Claude en caressant Dago, qui ne cessait de lui lécher les mains, dans sa joie de l’avoir retrouvée.
« Sûrement. Mais à quoi cela servira-t-il ? répondit François. Les gendarmes ne se douteront pas de l’endroit où est Richard. Personne ne sait que nous sommes ici, d’ailleurs, et tante Cécile ne se fera pas de bile : elle se dira que nous ne pouvons pas lui écrire tous les jours.
— Crois-tu que ces hommes vont vraiment m’emmener avec eux en partant ? questionna Richard.
— Espérons que d’ici là, nous aurons tous réussi à nous échapper », dit François qui ne pouvait guère donner à Richard que ce faible encouragement.
« Mais comment pourrions-nous nous échapper ? demanda Annie. Jamais nous ne pourrons franchir ces murs si hauts. Et je ne pense pas qu’il passe beaucoup de monde par ici. Aucun commerçant ne doit monter jusqu’au sommet de cette colline.
— Même pas le facteur ? dit Mick.
— Il est probable, qu’ils vont chercher leur courrier eux-mêmes à la poste, répondit François. Ils ne tiennent sûrement pas à ce que quelqu’un vienne ici. Ou... il y a peut-être une boîte aux lettres devant le portail. Je n’avais pas songé à cela ! »
Ils allèrent voir. Mais bien qu’ils tendissent le cou pour regarder à droite et à gauche du portail, ils ne virent pas de boîte aux lettres... Ainsi il n’y avait aucun espoir de pouvoir passer un message au facteur.
« Tiens, voilà cette femme... Margot », dit soudain Claude tandis que Dagobert se mettait à gronder. Les enfants tournèrent la tête. Oui, Margot s’avançait rapidement le long de l’allée. Allait-elle sortir ? Les portes s’ouvriraient-elles pour la laisser passer ?
Mais c’étaient les enfants qu’elle venait voir.
« J’ai un message pour vous, dit-elle. Vous pouvez rester dans le parc toute la journée ou rentrer dans la maison. Vous serez enfermés dans une des pièces. »
Elle jeta un regard prudent autour d’elle et baissa la voix.
« Je regrette que vous n’ayez pas pu partir. Vraiment, je le regrette bien. Ce n’est déjà pas drôle pour une vieille femme de rester ici avec La Bosse, mais pour des enfants, c’est un bien vilain endroit. Surtout que vous êtes des enfants bien élevés et gentils.
— Merci, dit François. Puisque vous nous trouvez gentils, dites-nous s’il y a un autre moyen de sortir d’ici que par le portail.
— Non, il n’y en a aucun, dit la femme. C’est comme une prison, une fois que la grille est fermée. Personne ne rentre et on n’a le droit de sortir que si ça convient à M. Bertaud et aux autres. Alors, n’essayez pas de vous en aller. C’est impossible. »
Personne ne répondit. Margot jeta un coup d’œil par-dessus son épaule comme si elle craignait qu’on ne l’entendît — le bossu, peut-être — et elle reprit à voix basse :
« M. Bertaud m’a dit de ne pas vous donner grand-chose à manger. Et il a dit à La Bosse de donner au chien de la viande empoisonnée. Alors, ne le laissez manger que ce que je vous apporterai moi-même.
— La brute ! s’écria Claude en serrant Dagobert contre elle. Tu as entendu, Dago ? Dommage que tu n’aies pas mordu M. Bertaud aussi !
— Chut ! fit Margot d’un ton inquiet. Je n’aurais pas dû vous dire tout ça, vous le savez, mais vous avez été bons pour moi et vous m’avez donné tout cet argent... Maintenant, écoutez-moi. Dites que vous préférez rester dans le parc. Parce que, si vous êtes enfermés dans la maison, je n’oserai pas vous apporter trop à manger, au cas où Julot me verrait. Tandis que si vous êtes dehors, je pourrai vous donner beaucoup plus. Ça me sera facile.
— Je vous remercie, dit François, et les autres inclinèrent la tête. De toute façon, nous préférons rester dehors. Je suppose que M. Bertaud a peur que, si nous restions dans la maison, nous ne découvrions ses secrets. Alors, dites-lui que nous restons dans le parc. Mais pour les repas ? Comment allons-nous faire ? Nous ne voulons pas vous donner du mal, mais nous avons l’habitude de bien manger, et aujourd’hui, nous ferions volontiers un bon déjeuner.
— Ne vous inquiétez pas », dit Margot avec un léger sourire. « Seulement, attention ! que le chien ne mange rien de ce que La Bosse lui donnera ! »
Une voix cria de la maison. Margot releva la tête et écouta.
« C’est La Bosse, dit-elle. Il faut que je parte. » Elle remonta l’allée à toutes jambes.
« Eh bien, eh bien, dit François, ils s’imaginaient qu’ils allaient empoisonner ce vieux Dagobert ? Mais c’est raté, hein, mon bon vieux chien ?
— Ouah ! » fit gravement Dago. Toutefois, il ne remua pas la queue.