CHAPITRE. XI
Pris au piège !
FRANÇOIS examina la fenêtre. Elle était en effet légèrement entrebâillée. « Comment se fait-il que nous ne nous en soyons pas aperçus quand nous sommes passés devant, il y a quelques instants ? » se demanda-t-il. Il hésita un peu. Fallait-il ou non essayer de pénétrer dans la maison ? N’aurait-il pas mieux valu frapper à la porte du fond que la pauvre femme ouvrirait peut-être ? Avec elle, ils pourraient sans doute s’expliquer.
Mais il y avait ce bossu à l’air mauvais. Il déplaisait profondément à François. Non : il valait mieux passer par la fenêtre, voir si Mick était là-haut, lui rendre sa liberté, puis s’échapper de nouveau par la fenêtre. Personne n’en saurait rien.
François s’approcha de la fenêtre et l’enjamba. Puis il tendit la main à Annie. « Viens, dit-il, je vais t’aider. » La fillette grimpa. Enfin ce fut le tour de Claude et de Richard. Claude se penchait pour encourager Dago à sauter lorsqu’un événement imprévu se produisit.
Une puissante torche électrique brilla soudain, éclairant en plein les quatre enfants qui demeurèrent immobiles, clignant des yeux effrayés. Que se passait-il ?
Annie entendit la voix de l’un des hommes qui avaient fait Mick prisonnier.
« Tiens, tiens ! Un groupe de jeunes cambrioleurs ! »
La voix se fit brusquement furieuse :
« Comment avez-vous osé pénétrer ici ? Je vais appeler la police ! »
Dehors, Dago se mit à gronder férocement. Il fit un bond et réussit presque à sauter par la fenêtre. L’homme comprit aussitôt ce qui se passait et il courut vers la fenêtre qu’il ferma violemment. Cette fois, Dago ne pouvait plus entrer !
« Laissez entrer mon chien ! » s’écria Claude qui essaya bêtement d’ouvrir la fenêtre. Mais l’homme abattit sa lampe sur la main de la fillette qui poussa un cri de douleur.
« Voilà ce qui arrive aux gosses qui m’embêtent », dit-il tandis que la pauvre Claude frottait sa main endolorie.
« Dites donc, commença François d’une voix dure, qu’est-ce qui vous prend ? Nous ne sommes pas des voleurs, et qui plus est, nous serions très, très contents que vous appeliez la police !
— Ah oui ? » grommela l’homme. Il alla vers la porte de la chambre et appela d’une voix de stentor : « Margot ! Margot ! Apporte la lampe ici tout de suite. »
Presque aussitôt la lumière d’une lampe éclaira le couloir puis la pièce, au moment où la femme à l’air minable entrait, portant une grosse lampe à pétrole. Elle considéra avec stupéfaction le petit groupe d’enfants et elle allait dire quelque chose lorsque l’homme l’écarta brutalement.
« Décampe » ordonna-t-il. Et tiens ta langue. Compris ? »
La femme sortit, courbant les épaules d’un air soumis. L’homme avait pris la lampe et examinait les enfants. La pièce était à peine meublée et semblait être un salon.
Une puissante
torche électrique brilla soudain.
« Ainsi, ça vous est égal d’être livrés à la police ? dit l’homme. Voilà qui est drôle ! Vous croyez que la police vous félicitera d’être entrés chez moi sans permission ? Comme des voleurs ?
Je vous répète que nous ne sommes pas des voleurs » dit François décidé à mettre les choses au point. Si nous sommes venus ici, c’est que nous avions des raisons de croire que vous tenez mon frère prisonnier dans cette maison. Mais vous vous êtes trompés : il n’est pas celui que vous cherchiez. »
Richard se sentait très mal à l’aise. Il avait terriblement peur d’être enfermé à la place de Mick. Il se dissimula autant qu’il le put derrière ses camarades.
L’homme jeta à François un regard perçant. Il semblait réfléchir.
« Nous ne détenons aucun garçon ici, dit-il enfin. Je ne sais pas du tout de quoi vous voulez parler. Prétendez-vous que je me promène dans la campagne pour y enlever des jeunes garçons et les enfermer ici ?
— Je ne sais pas ce que vous faites, dit François. Tout ce que je sais, c’est que vous avez emmené mon frère Mick, ce soir même, des bois de Guimillau. Vous avez cru qu’il était Richard Quentin... eh bien, vous vous êtes trompé, c’était mon frère Mick. Et si vous ne le libérez pas immédiatement, j’irai avertir les gendarmes.
— Vraiment ? Et comment savez-vous tout cela ? interrogea l’homme. Étiez-vous là quand ce garçon a été enlevé, comme vous dites ?
— L’un de nous était là, répondit François. Dans un arbre. C’est ainsi que nous avons tout appris. »
Il y eut un silence. L’homme sortit une cigarette et l’alluma.
« Eh bien, vous vous trompez complètement, dit-il. Nous n’avons pas de prisonnier. Toute cette histoire est ridicule. À présent, comme il est très tard, voulez-vous coucher ici et repartir demain matin ? Je ne veux pas mettre une bande de gosses à la porte en pleine nuit. Il n’y a pas de téléphone, sans quoi j’aviserais vos parents. » François hésita. Il était persuadé que Mick était dans la maison. S’il acceptait d’y passer la nuit avec ses compagnons, peut-être pourrait-il découvrir si son frère était vraiment là ou non. Il avait très bien compris que l’homme ne tenait pas à ce que la police fût avertie. Il y avait quelque chose de secret et de sinistre dans cette taverne de la Chouette.
« Nous allons rester ici, dit-il enfin. Nos parents sont en voyage, ils ne s’inquiéteront pas de nous. »
Il avait oublié un instant la présence de Richard. Ses parents à lui allaient sûrement se faire du souci. Mais il n’y avait pas moyen de les prévenir. La première chose à faire était de trouver Mick. Ces hommes ne seraient pas assez stupides pour le garder prisonnier une fois certains qu’il n’était pas Richard. Peut-être Julot, le bandit qui connaissait Richard, n’était-il pas encore arrivé ? En ce cas, il n’avait pas vu Mick. C’était sans doute la raison pour laquelle l’homme voulait que les enfants passent la nuit là. Bien sûr : il attendrait que Julot arrive et quand Julot aurait dit : « Non, ce n’est pas le garçon que nous cherchons ! » on laisserait partir Mick. Le contraire était impossible !
L’homme appela de nouveau Margot qui apparut aussitôt.
« Ces gosses se sont perdus, lui dit-il. Ils passeront la nuit ici. Prépare une des chambres — mets simplement des matelas par terre, avec des couvertures. Et donne-leur à manger, s’ils ont faim. »
Margot semblait stupéfaite. François devina qu’elle n’avait pas l’habitude de voir cet homme faire preuve de bonté envers des enfants perdus.
« Eh bien, ne reste pas plantée là comme une borne » cria l’homme. Fais ce que je te dis ! Emmène les gosses avec toi. »
Margot fit signe aux enfants de la suivre. Mais Claude hésita.
« Et mon chien ? dit-elle. Il est toujours dehors, et je l’entends gémir. Je n’irai pas me coucher sans lui.
— Vous serez bien forcée de vous passer de lui, répliqua l’homme d’un ton rogue. Je ne le laisserai pas entrer dans la maison, ça, rien à faire.
— Il sautera sur les gens qu’il rencontrera, dit Claude.
— Il ne rencontrera personne par ici, dit l’homme. À propos... comment êtes-vous .entrés dans le parc ?
— Une voiture sortait au moment où nous sommes arrivés, dit François, et nous sommes entrés avant que le portail se referme. Comment fonctionne-t-il ? Par un système électrique ?
— Ça ne vous regarde pas », dit l’homme, et il disparut dans le couloir.
« Un vrai gentleman, dit François à Claude.
— Oh oui ! une belle nature », répondit la fillette. La femme les regarda d’un air surpris. Elle ne paraissait pas se rendre compte qu’ils pensaient tous deux exactement le contraire de ce qu’ils venaient de dire !
Margot les conduisit au premier étage, dans une grande chambre ornée d’un tapis. Il y avait un petit lit dans un coin, et une ou deux chaises. C’était là tout le mobilier.
« Je vais chercher des matelas, dit-elle.
— Voulez-vous que je vous aide ? » proposa François, songeant que ce serait une bonne idée de jeter un coup d’œil dans la maison.
« Oui, venez, dit la femme. Vous autres, restez ici. » Elle sortit avec François. Ils se dirigèrent vers un placard d’où la femme essaya de sortir deux grands matelas. François vint à son aide, ce qui sembla la toucher.
« Merci, dit-elle, ils sont très lourds, ces matelas.
— Je ne suppose pas que vous ayez souvent des enfants ici, n’est-ce pas ? demanda François.
— Eh bien, c’est bizarre que vous arriviez juste après... », commença la femme, puis elle se mordit les lèvres en regardant autour d’elle d’un air inquiet.
« Juste après quoi ? insista François. Juste après l’autre garçon, vous voulez dire ?
— Chut ! murmura la femme, l’air affolé. Pourquoi avez-vous dit ça ? M. Bertaud me battrait s’il savait que vous avez dit une chose pareille. Il croirait que c’est moi qui vous ai mis au courant. N’y pensez plus.
— C’est le garçon qui est enfermé dans le grenier, n’est-ce pas ? » reprit François tout en l’aidant à porter l’un des matelas dans la grande chambre. Dans sa peur, elle lâcha l’extrémité du matelas.
« Mon Dieu, taisez-vous donc ! Est-ce que vous tenez à m’attirer des ennuis terribles... et à vous aussi ? Voulez-vous que M. Bertaud dise à La Bosse de vous fouetter tous ? Vous ne connaissez pas cet homme ! Il est mauvais comme le diable !
— Quand Julot doit-il arriver ? » continua François, décidé à tirer tous les renseignements possibles de Margot en lui faisant peur. Elle se figea sur place, tremblant de tous ses membres et regardant François comme si elle n’en croyait pas ses oreilles.
« Que savez-vous sur Julot ? chuchota-t-elle. Est-ce qu’il doit venir ici ? Ne me dites pas qu’il doit venir ici !
— Pourquoi ? Vous ne l’aimez pas ? » Le jeune garçon posa la main sur l’épaule de Margot. « Pourquoi avez-vous si peur ? Qu’est-ce qu’il y a ? Dites-le-moi, je pourrai peut-être vous aider.
Julot est un méchant homme, dit la femme. Je croyais qu’il était en prison. Ne me dites pas qu’il en est sorti et qu’il va venir !»
Elle était si terrifiée qu’elle ne put ajouter un mot. Elle se mit à pleurer et François n’eut pas le cœur d’insister. En silence, il l’aida à porter les matelas dans la chambre.
« Je vais vous chercher de quoi manger, dit la pauvre femme en reniflant pitoyablement. Vous trouverez des couvertures dans ce placard là-bas. »
Elle disparut, et François se hâta de raconter à ses amis ce qu’il avait appris.
« Nous allons voir si nous pouvons trouver Mick dès que ces gens dormiront, dit-il. Cette maison est inquiétante : il s’y passe certainement des choses louches. Plus tard, j’irai jeter un coup d’œil aux alentours. Je crois que cet homme, ce Bertaud, attend l’arrivée de Julot pour savoir si Mick est Richard ou non. Quand il s’apercevra de son erreur, il le laissera sûrement repartir, et nous aussi.
— Et moi ? interrogea Richard. Une fois qu’il m’aura vu, je serai perdu. C’est moi qu’il cherche. Il déteste mon père et il me déteste aussi. Il va m’enfermer quelque part et demander une énorme rançon à mon père, simplement pour se venger de nous !
— Eh bien, il faut faire en sorte qu’il ne te voie pas, dit François. Mais je ne crois pas qu’il s’intéressera à toi, parce qu’il croira que tu es aussi mon frère. En tout cas, c’est ce que je lui affirmerai. Mais, pour l’amour du ciel, ne recommence pas à pleurer ! Je n’ai jamais vu un lâche comme toi ! Tu n’as donc pas un peu de courage ?
— Tout est arrivé par ta faute, déclara Claude d’un ton irrité. Parce que tu nous as menti ! C’est à cause de toi que Mick est prisonnier et que le pauvre Dago est tout seul dehors. »
Richard parut abasourdi d’être ainsi traité. Il se mit dans un coin et n’en bougea plus. Il se sentait très malheureux. Personne ne l’aimait, personne n’avait confiance en lui !