« Merci, dit-il. Voulez-vous en jeter une autre ?
— Oh non ! s’exclama la femme, d’un ton implorant. Vous ne savez pas comment il est quand il se met en fureur ! Ne le provoquez pas ! »
La porte de la pièce où étaient entrés les hommes s’ouvrit et quelqu’un monta l’escalier. « Pour aller chercher Mick », songea aussitôt François. Il tendit l’oreille.
Dago était là, juste devant.
Le bossu trouva une autre brosse et recommença à cirer les chaussures, tout en grommelant entre ses dents. Margot continua ses préparatifs du déjeuner. Les autres enfants écoutaient, eux aussi, car ils avaient tous deviné que l’homme était allé chercher Mick pour le montrer à Julot.
Ils entendirent cette fois que deux personnes descendaient l’escalier. Oui, Mick devait être avec cet homme. Ils reconnurent sa voix.
« Lâchez-moi ! disait-il. Vous n’avez pas besoin de me tirer comme ça. ! »
Brave Mick ! Il ne se laissait pas faire sans protester !
Il fut conduit dans la pièce où attendaient les trois hommes.
Une voix forte s’éleva :
« Ce n’est pas lui ! Espèces d’imbéciles, vous vous êtes trompés de garçon ! »
La Bosse et Margot avaient entendu eux aussi. Ils se regardèrent d’un air ébahi. Quelque chose n’allait pas ! Ils se dirigèrent vers la porte et écoutèrent silencieusement. François s’approcha de Richard.
« Passe de la suie sur tes cheveux, murmura-t-il. Noircis-les tant que tu peux, Richard. Si ces hommes viennent nous voir, ils te reconnaîtront moins aisément si tes cheveux ont changé de couleur. Vite, dépêche-toi pendant que les autres ne font pas attention à toi. »
François désignait la grille du fourneau recouverte de suie. Richard y passa ses mains tremblantes et commença à recouvrir de suie ses cheveux blonds.
« Mets-en plus, chuchota François. Bien plus que ça » Personne ne te regarde. »
Richard obéit. François hocha la tête avec satisfaction. Oui, avec des cheveux noirs, Richard était transformé.
Il était évident qu’une âpre discussion se déroulait dans la pièce de l’autre côté du hall. On entendait des éclats de voix, mais les enfants ne pouvaient pas saisir les paroles échangées. On entendait aussi la voix de Mick. Soudain, les mots suivants furent parfaitement audibles :
« Je vous avais dit que vous vous trompiez » Maintenant, vous allez me laisser partir ! »
La Bosse repoussa brutalement les enfants loin de la porte — sauf le pauvre Richard qui se tenait, tremblant de peur, dans le coin le plus sombre de la cuisine.
« Ils viennent ! » murmura Margot.
La Bosse reprit son nettoyage, la femme se remit à peler des pommes de terre, les enfants firent mine de regarder des vieux journaux.
Des pas s’approchèrent, et la porte de la cuisine s’ouvrit. M. Bertaud apparut, suivi d’un autre homme. Les enfants comprirent immédiatement qui il était !
La bouche épaisse, le nez énorme... oui, c’était le bandit Julot, l’ancien garde du corps du père de Richard, l’homme qui haïssait celui-ci parce que Richard avait raconté des histoires sur son compte et l’avait fait renvoyer.
Richard se recroquevilla dans son coin, essayant de se dissimuler derrière les autres. Annie et Claude lui avaient jeté un regard surpris en voyant ses cheveux noircis, mais aucune d’elles n’avait fait de réflexion. De leur côté La Bosse et Margot ne semblaient pas avoir remarqué cette transformation.
Mick était avec les deux hommes. Il fit aux enfants un geste amical. François sourit. Ce brave vieux Mick !
Julot regarda les enfants. Ses yeux se posèrent plus longuement sur Richard, mais il ne dit rien. Il ne l’avait pas reconnu !
« Eh bien, monsieur Bertaud, dit François, je suis heureux de voir que vous avez fait descendre mon frère de la chambre où vous le teniez prisonnier. Cela signifie, j’espère, qu’il peut partir avec nous ? Je n’arrive pas à comprendre pourquoi vous l’avez enlevé.
— Écoutez, répondit M. Bertaud d’un ton presque poli, écoutez, je vous avoue que nous avons fait une erreur. Vous n’avez pas besoin de savoir pourquoi ni comment... ça ne vous regarde pas. Ce garçon n’est pas celui que nous cherchons.
— Nous vous avions dit que c’était notre frère, déclara Annie.
— C’est vrai. Je regrette de ne pas vous avoir crus. Mais tout le monde peut se tromper. Et maintenant, nous voulons vous dédommager de... euh... des ennuis que vous avez eus...Voici de quoi vous acheter ce qui vous plaira. Vous pourrez partir quand vous voudrez.
— Mais n’allez pas raconter cette histoire à qui que ce soit » coupa soudain Julot d’une voix menaçante. On s’est trompé, d’accord, mais il faudra tenir votre langue. Si vous faites des racontars, nous dirons que nous avons trouvé ce garçon perdu dans les bois, que nous avons eu pitié de lui et que nous l’avons emmené passer la nuit ici. Quant à vous, nous dirons que vous êtes entrés dans le parc sans permission. Compris ?
J’ai très bien compris, répondit François d’une voix glacée de mépris. Eh bien... pouvons-nous partir tout de suite ?
— Oui », dit M. Bertaud. Il tira son portefeuille et tendit un billet de banque à chacun des enfants. Ils regardèrent François pour savoir s’il fallait ou non accepter cet argent. Aucun d’eux ne voulait de l’argent de M. Bertaud, mais ils le prendraient tout de même si François l’acceptait.
François prit l’argent sans un mot de remerciement et ses compagnons firent de même. Richard gardait la tête baissée, espérant que les deux hommes ne remarqueraient pas que ses genoux tremblaient. Il avait vraiment une peur horrible de Julot.
« Et maintenant, filez » dit le bandit. Et oubliez cette histoire... sinon, vous le regretterez. »
Il ouvrit la porte donnant sur le jardin. Les enfants sortirent en silence, Richard se faisant tout petit au milieu du groupe. Dago les attendait. Il poussa un aboiement joyeux et se précipita sur Claude, lui léchant le visage et les mains. Puis il lança un coup d’œil vers la porte de la cuisine et poussa un grognement qui signifiait sans doute : « Voulez-vous que j’aille donner une leçon à ces gens-là ? »
Mais Claude le prit par le collier.
« Non, dit-elle, viens avec nous, Dago. Il faut sortir d’ici aussi vite que possible.
— Donnez-moi l’argent », demanda François lorsqu’ils eurent passé un tournant de l’allée et ne furent plus visibles de la maison. Les enfants lui tendirent les billets d’un air surpris. Qu’allait-il en faire ?
Margot était sortie de la cuisine pour les regarder partir. François lui fit signe d’approcher, ce qu’elle fit d’un pas hésitant.
« Pour vous, dit le jeune garçon en lui mettant tous les billets dans la main. Nous ne voulons pas de cet argent. »
Stupéfaite, Margot prit les billets. Ses yeux s’emplirent de larmes.
« Mais... c’est une fortune, dit-elle. Non, non, reprenez cela.»
François secoua la tête.
« Comme vous êtes bon » murmura la pauvre femme. Oh ! je vous remercie bien. »
François tourna les talons et rejoignit les autres tandis que Margot le regardait s’éloigner, émue et surprise.
« Tu as eu là une très, très bonne idée », dit Annie, et tout le monde fut d’accord, car Margot leur avait fait pitié.
« Venez, dit François, ne ratons pas l’ouverture du portail. Vous entendez ce grondement ? C’est le système qui actionne les portes. Dieu soit loué, nous sommes libres... et Richard aussi. La chance nous a servis !
— Oui, j’avais tellement peur que Julot me reconnaisse, même avec des cheveux passés à la suie ! dit gaiement Richard. « Oh regardez, le portail est ouvert ! Vive la liberté ! »
— Allons prendre les bicyclettes, dit François, je sais où nous les avons laissées. Tu t’assiéras comme tu pourras sur le cadre de la mienne, Richard. Il faut rendre sa bicyclette à Mick et comme la tienne est perdue... Tenez, les voilà. »
Ils pédalèrent vers le portail. Soudain Annie poussa un cri.
« François, regarde ! Le portail se referme ! Vite, vite, nous allons être prisonniers de nouveau ! »
Les enfants s’aperçurent avec horreur que les portes se refermaient en effet. Ils pédalèrent aussi vite qu’ils le purent, mais cela ne servit à rien. Quand ils arrivèrent au portail, celui-ci était clos. Ils tirèrent dessus, le secouèrent, mais en vain. Quelle malchance ! Juste au moment où ils se croyaient enfin libres !