CHAPITRE XVI
Margot… et la Bosse
« J’AI BESOIN D’EXERCICE, dit Claude quand Margot fut partie. Si nous explorions le parc ? Nous trouverons peut-être quelque chose d’intéressant ? »
Les enfants se levèrent, heureux d’avoir quelque chose à faire qui les empêchât de penser à leur situation. Vraiment, qui aurait cru, hier, lorsqu’ils pédalaient joyeusement dans la campagne ensoleillée, qu’aujourd’hui ils seraient prisonniers ? Décidément, la vie était pleine d’imprévus. Dans un sens, c’était amusant, dans un autre... cela gâchait un peu la promenade ! Ils ne trouvèrent rien d’intéressant dans le parc, si ce n’est quelques vaches, un bon nombre de poules et une troupe de canards. Ainsi, même le laitier n’avait pas besoin d’aller à la taverne de la Chouette. Tout y était prévu.
« Je suppose que la voiture noire va chaque jour à la ville ou au village chercher le courrier et des provisions, dit Claude. Mais, dans le cas contraire, les habitants de cette maison pourraient vivre pendant des mois sans dépendre du monde extérieur. Je suis persuadée qu’ils ont des monceaux de conserves.
— C’est étrange, ce domaine isolé en haut d’une colline déserte, oublié de tous... gardant des secrets mystérieux, fit observer Mick. Je voudrais bien savoir qui était cet homme que tu as vu dans la chambre secrète, François.
— Quelqu’un que même le bossu et Margot ne doivent pas voir, dit François. Quelqu’un que la police aimerait bien connaître, j’en suis certain !
— Comme je voudrais que nous sortions d’ici ! s’exclama Claude. Je déteste cet endroit, il m’impressionne. Et j’ai peur qu’on ne réussisse à empoisonner Dago.
— Ne t’inquiète pas, il ne sera pas empoisonné, dit Mick. Nous ne le permettrons pas. Nous lui donnerons la moitié de tout ce que nous mangerons, n’est-ce pas, Dago ? »
Le chien approuva en aboyant et en remuant la queue. Il ne quittait pas Claude contre laquelle il se collait comme une sangsue.
« Eh bien, nous avons fait le tour du domaine, mais nous n’avons rien vu d’intéressant, dit François lorsqu’ils furent revenus près de la maison. Je suppose que le bossu s’occupe des vaches, des poules et du jardin potager. Margot doit faire la cuisine et le ménage. Tenez... voici La Bosse. Il met une écuelle par terre pour Dago ! »
Le nabot lui cria : « Voilà la pâtée du chien !
— Ne dis rien, Claude, murmura François. Nous allons faire semblant de laisser Dago manger, mais en réalité, nous allons tout jeter dans un coin... La Bosse sera bien étonné de voir que Dago vit encore, demain matin, et qu’il est même en pleine forme. »
La Bosse disparut vers l’étable. Annie eut un petit rire.
— Je sais ! Nous raconterons que Dago n’a pas voulu manger toute sa pâtée et que nous avons donné le restant aux poules ! dit-elle.
— Et La Bosse sera sens dessus dessous parce qu’il croira que ses volailles vont mourir, conclut Claude. Ce sera rudement bien fait. Venez... allons voir cette pâtée. »
Elle alla ramasser l’écuelle. Dago la renifla et détourna la tête. Même si les enfants lui avaient donné la pâtée, il n’y aurait pas touché. C’était vraiment un chien très intelligent »
« Vite, prends cette bêche, François, et creuse un trou avant que La Bosse revienne », dit Claude. François se mit au travail en souriant. Il lui fallut moins d’une minute pour creuser un trou dans la terre molle d’une plate-bande. Claude y jeta la pâtée, essuya l’écuelle avec des feuilles et François remit de la terre sur le trou. Ainsi, aucune bête ne pourrait manger cette nourriture empoisonnée.
« Maintenant, allons dans la basse-cour. Quand nous verrons La Bosse, nous lui ferons signe, dit François. Il va nous demander pourquoi nous avons été là-bas... Venez. Il mérite la leçon que nous allons lui donner. »
Ils se dirigèrent vers la basse-cour qu’entourait un grillage. Quand le bossu s’approcha, ils lui adressèrent de grands gestes. Claude faisait semblant de jeter hors de l’écuelle des morceaux de pain aux poules. La Bosse s’arrêta une seconde pour la regarder. Puis il courut vers elle en criant :
« Ne faites pas ça ! Ne faites pas ça !»
— Que se passe-t-il ? demanda Claude d’un ton innocent. Ça vous ennuie que je nourrisse les poules ?
— Est-ce que c’est l’écuelle que j’avais donnée pour le chien ?
— Oui.
— Et il n’a pas tout mangé ? Alors, vous donnez le reste à mes poules ? » hurla le méchant homme, en arrachant l’écuelle des mains de Claude. Celle-ci fit mine de se mettre en colère.
« Mais pourquoi les poules ne pourraient-elles pas manger la même chose que Dago ? La pâtée avait l’air très bonne. »
Le bossu regarda le poulailler et poussa un grognement. Les poules picoraient tout près du grillage, et on aurait vraiment pu croire qu’elles mangeaient le pain que les enfants venaient de leur jeter. Le bossu se dit qu’elles seraient toutes mortes le lendemain, et alors... quel désastre !
« Ne faites pas ça ! Ne faites pas
ça ! »
Il jeta à Claude un regard foudroyant.
« Quel idiot de garçon ! Donner cette pâtée à mes poules ! Tu mériterais une bonne raclée ! »
Il prenait Claude pour un garçon, naturellement. Les autres enfants contemplaient la scène avec amusement. Ils étaient très contents que le bossu s’inquiète tant pour ses poules » Ça lui apprendrait à vouloir empoisonner le cher vieux Dago !
L’homme ne semblait pas savoir quel parti prendre. Finalement, il prit un balai dans un appentis voisin et entra dans le poulailler. Il avait évidemment décidé de nettoyer celui-ci, au cas où des morceaux de nourriture empoisonnée y resteraient encore. Il balaya laborieusement sous l’œil des enfants, ravis de leur vengeance.
« Je n’avais encore jamais vu quelqu’un se donner le mal de balayer un poulailler, dit Mick d’une voix sonore.
— Moi non plus, fit aussitôt Claude. Il gâte ses poules, vraiment !
— Mais ce n’est pas un travail amusant, continua François. J’aime mieux que ce soit lui et non moi qui le fasse. Et c’est bien dommage de balayer tous ces bons morceaux de pain trempés dans de la sauce. Quel gâchis ! »
Les enfants hochèrent vigoureusement la tête.
« C’est bizarre qu’il soit si fâché parce que j’ai donné à ses poules le reste de la pâtée de Dago, reprit Claude. Je veux dire... ça paraît un peu louche.
— En effet, renchérit Mick. C’est très louche ! » La Bosse pouvait fort bien entendre cette conversation. Les enfants avaient parlé assez haut pour cela. Il s’arrêta de balayer et fronça les sourcils.
« Décampez, sales gosses ! » dit-il en levant son balai d’un air menaçant.
« Il a l’air d’une poule en colère, fit observer Annie.
— Il va se mettre à glousser », dit Richard, et les autres se mirent à rire. Le bossu, rouge de fureur, courut ouvrir la porte du poulailler.
« Il a dû mettre du poison dans la pâtée de Dago ! s’écria François. C’est pour cela qu’il s’inquiète tant pour ses poules ! Mon Dieu, comme le vieux proverbe a raison : tel est pris qui croyait prendre. »
Au mot de « poison », le bossu cessa de courir. Il alla jeter le balai dans l’appentis et se dirigea sans un mot vers la maison.
« Eh bien, nous lui en avons donné pour son argent, et même plus, dit François.
— Et ne vous inquiétez pas, mesdames les poules », dit Annie en posant son visage contre le grillage du poulailler. « Vous n’êtes pas empoisonnées... nous ne faisons pas de mal aux bêtes, nous !
— Margot nous appelle, dit Richard. Peut-être qu’elle nous apporte notre repas.
— Je l’espère, dit Mick, car je commence à avoir terriblement faim. C’est curieux que les grandes personnes n’aient jamais l’air d’avoir aussi faim que les enfants ! Dommage pour elles.
— Pourquoi ? Tu aimes avoir faim ? demanda Annie tandis qu’ils se dirigeaient vers la maison.
— Oui, si je sais qu’il y a un bon repas qui m’attend, dit Mick. Sans quoi, ce ne serait pas drôle du tout... Oh ! mon Dieu, est-ce là tout ce que Margot nous a trouvé ? »
Sur le rebord de la fenêtre se trouvait une miche de pain qui avait l’air rassis et un morceau de fromage jaune, très dur. Rien d’autre. Le bossu était là, qui ricanait.
« Margot dit que c’est votre déjeuner », dit-il tout en s’asseyant devant une énorme platée de viande et de légumes.
« Une petite revanche pour la peur que nous lui avons faite, murmura François. Eh bien... je m’attendais à mieux que cela de la part de Margot. Où est-elle donc ? »
Elle sortit à ce moment-là de la cuisine, portant une corbeille qui semblait pleine de linge.
« Je vais aller pendre le linge, La Bosse, dit-elle. Je reviens tout de suite. »
Elle se tourna vers les enfants et leur fit un clin d’œil.
« Votre déjeuner est sur le rebord de la fenêtre, dit-elle. Prenez-le et allez manger dans le jardin. La Bosse et moi, nous ne voulons pas de vous dans la cuisine. »
Mais elle eut un petit sourire et désigna de la tête le panier qu’elle tenait. Les enfants comprirent tout de suite. Leur véritable déjeuner était là-dedans !
Ils prirent le pain et le fromage et suivirent Margot. Elle posa le panier derrière un arbre, près d’une corde à linge.
« Je m’occuperai, de mon linge plus tard », dit-elle et, avec un nouveau sourire qui transforma son visage, elle revint vers la maison.
« Cette bonne Margot », dit François en soulevant le torchon qui recouvrait le panier. « Regardez-moi ça ! »