Robert ABERNATHY :
L’AXOLOTL
Lorsque Gagarine et Titov tournèrent dans l’espace autour de notre planète, lorsque Armstrong et Aldrin marchèrent sur la Lune, ils emportaient tous autour d’eux comme une petite parcelle de Terre, cabine ou combinaison spatiale, un milieu dans lequel on avait reconstitué aussi fidèlement que possible les conditions familières à leurs organismes d’hommes. Pour eux, l’astronautique représentait une voie d’accomplissement. Mais n’existerait-il pas également, parmi nous peut-être, des créatures chez lesquelles l’attrait de l’espace traduit une aspiration obscure vers l’épanouissement ? Des hommes qui seraient potentiellement plus qu’humains ?
L’AXOLOTL est une sorte de triton doté d’un nom aztèque; c’est une créature assez laide, pourvue d’un corps flasque et blanchâtre qui semble comme inachevé. Il a des yeux minuscules, des membres débiles et une grande queue maladroite. C’est un amphibien - c’est-à-dire qu’il fait partie de cette classe de vertébrés contemporaine des poissons à plaques osseuses qui rampèrent hors de l’eau pour se lancer dans la grande aventure qu’était pour eux la respiration dans l’air. Mais les axolotls sont des amphibiens dégénérés dont le cycle vital a avorté; ils atteignent leur maturité sexuelle, se reproduisent et meurent dans des fonds de vase noirâtre, et ils respirent par des branchies sous les eaux stagnantes, génération après génération, tout comme si la grande invasion paléozoïque sur la terre ferme s’était soldée par une défaite et une retraite.
Pourtant il arrive à certains moments, çà et là, lorsque la nourriture se fait rare et que leurs ennemis naturels deviennent trop nombreux sur les fonds de leurs lacs - ou peut-être aussi sous l’effet de mécanismes plus subtils, cachés dans leur crâne étroit et primitif ou dans le système glandulaire de leur corps disgracieux - il arrive, disons-nous, que leur conduite subisse un changement. Poussé par son instinct, l’axolotl s’avance alors avec une sûreté d’orientation que dans une forme plus élevée de vie on qualifierait de volonté délibérée, vers la terre, vers la lumière, vers l’air qu’il ne peut respirer. Il rampe péniblement sur le rivage. Dans cet élément nouveau pour lui, ses branchies festonnées se racornissent, et il se débat...
*
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En franchissant la grille avec Marty, Linden rendit leur salut aux sentinelles, sans presque les voir; cependant, lorsqu’il leur eut tourné le dos, il eut l’impression qu’elles se poussaient du coude... "C’est lui ! Regarde-le bien, tu n’en auras peut-être plus l’occasion de si tôt !"
Et l’autre répliquait peut-être : "Sans blague ! Il n’a pourtant pas l’air d’un cinglé !"
Linden se mordit la lèvre et maudit son imagination. Il courba délibérément la tête et garda les yeux fixés sur la réalité solide de la route goudronnée, à moitié recouverte du sable sans cesse accumulé par le vent du désert. Tout était paisible autour d’eux, tandis qu’ils marchaient.
Au bout d’une cinquantaine de pas, Linden s’arrêta et aspira une large bouffée d’air pur. La brise était encore fraîche, mais ne le resterait pas longtemps. Il leva les yeux : à moins de cent mètres de lui commençait la plate-forme de ciment; au-delà s’élevait le squelette d’acier de la rampe de lancement, et pardessus, dressée à la verticale, la flèche de magnésium brillant de la fusée.
Ses yeux irrésistiblement attirés vers le ciel suivirent l’axe vertical de l’engin jusqu’au point imaginaire mais exactement calculé, situé à l’infini quelque part du côté du zénith. Ce soir, il aurait les étoiles pour phares. Mais pour le moment il ne discernait qu’un abîme d’immatériel azur.
À un mille de là, un avion de transport bourdonnait, glissant le long d’une couche d’air vers le terrain d’atterrissage; très haut au-dessus de sa tête planait un vautour noir. L’oiseau coupa la ligne imaginaire qui se prolongeait vers l’infini et, insouciant, continua sa route.
La fusée était d’une tout autre nature. Elle n’avait pas d’ailes, ni même d’ailerons extérieurs de direction; pour elle, la couche d’air épaisse de plusieurs kilomètres n’était qu’un léger voile à écarter. Elle ne fonctionnait au maximum de ses possibilités que dans le vide quasi absolu, à une vitesse de plusieurs kilomètres à la seconde.
Les mâchoires de Linden se contractèrent; il respira plus vite... "Regarde donc !" souffla soudain Marty à côté de lui, "elle n’a pas la patience d’attendre jusqu’à ce soir."
Son intonation frappa Linden qui coula vers lui un regard oblique. Marty se tenait légèrement penché en avant; sous leurs sourcils broussailleux, ses yeux dévoraient l’astronef. Son attitude, plus encore que son expression, trahissait un désir sans espoir, une jalousie dévorante. Linden détourna les yeux avec embarras.
"On le dirait", répliqua-t-il machinalement.
Personne ne contredisait jamais Marty. Marty savait que les machines ont une âme - une âme dure, métallique, que les ingénieurs ne cherchent pas à inclure dans leurs épures, une âme capable, avec cette ingratitude qui est l’essence même de la vie, aussi bien d’affreuses traîtrises que d’incompréhensibles fidélités.
Marty avait fait cette découverte le jour où, immobilisé par ses vertèbres brisées, seul survivant d’un équipage anéanti par les rafales de la D.C.A. et des chasseurs, il avait assisté, en spectateur impuissant, aux efforts d’un grand avion, lui-même presque mortellement blessé, qui sans pilote avait lutté pendant un quart d’heure dans le ciel d’Allemagne et gagné la partie. Ni les moqueries, ni la logique ne pouvaient ébranler la conviction de Marty.
C’était peut-être ce qui expliquait son génie. Sous ses doigts, les moteurs ronronnaient d’une joie sauvage et les circuits les plus complexes s’empressaient de répondre à ses questions muettes. Certes, ce soir, quand la fusée s’envolerait en rugissant vers le ciel, ce serait parce que le doigt d’une "grosse huile" aurait pressé un bouton; mais ce serait la main immatérielle de Marty - dont le corps resterait enchaîné à la Terre, par ses vertèbres disloquées - qui ouvrirait et fermerait les circuits électriques indispensables, mesurerait le carburant nécessaire aux turbines affamées, aiderait les instruments et les jauges à ne pas mentir...
De nouveau, le regard de Linden se posa sur la fusée. "Oui, pensa-t-il, elle a vraiment l’air de désirer partir... gagner les régions pour lesquelles elle a été conçue. Le premier imbécile venu, le dernier des ignorants, comprendrait qu’elle ne peut servir à rien sur la Terre... sans roues, sans chenilles, sans nageoires ni ailes, avec ce simple nez pointu dirigé vers le néant."
Il s’arracha à l’impression à la fois terrifiante et fascinante qu’il se trouvait en présence d’un être venu d’un autre monde. Il avait peut-être commis une erreur en venant ici - du moins en y venant avec Marty. Il chercha à retomber sur le terrain solide des faits.
"Tout fonctionnera automatiquement. De l’orbite à l’oxygène, tout est calculé d’avance. Je n’aurai rien à faire, et pas grand-chose à voir - rien en tout cas que les caméras ne verront pas mieux que moi." Il eut un rire bref. "Au fond ce ne sera guère plus passionnant qu’un trajet de huit heures dans le métro !"
Marty ne le regardait pas. "Elle pourrait partir seule... Je me demande même si elle ne préférerait pas cela."
Les nerfs trop tendus de Linden cédèrent tout à coup. "En voilà, une façon de présenter les choses ! À t’en croire, nous saurions que les machines sont capables de supporter les conditions rencontrées dans l’espace, parce que nous en avons déjà envoyé là-haut et qu’elles en sont revenues. Mais nous ne savons pas avec certitude quelle réaction l’espace peut amener chez un homme. C’est pour cela que je pars; tant pis si ça déplaît à ta petite amie, la fusée.
- Tu sais très bien ce que je veux dire. Nous devrions d’abord essayer un ou deux voyages sans passager.
- Nous avons déjà appris tout ce que nous pouvions apprendre par cette méthode. Les instruments qui nous permettraient de prédire exactement l’effet de l’espace sur l’organisme humain n’ont pas encore été inventés. Nous pourrions y arriver si nous n’étions limités ni par le temps ni par l’argent - et si nous connaissions à fond l’organisme humain. Mais aucune de ces questions n’est encore résolue."
Marty garda un silence glacial.
"Du reste, continua Linden, les animaux ont survécu. Et Davidson est déjà monté dans l’espace; il en est revenu sain et sauf.
- Il n’y est resté que cinq minutes, dit Marty. Autant mettre un doigt de pied dans l’eau pour voir si elle est froide, en boire une goutte pour voir si elle est empoisonnée... et pour conclure y piquer une tête pour voir si l’on s’y noierait !"
Ils se faisaient face, les yeux dans les yeux. Cette discussion n’était qu’un prétexte. La tension qui petit à petit avait envenimé leurs rapports possédait des racines plus profondes; pendant un bref instant, elle flamboya comme de la haine.
Puis Marty détourna de nouveau les yeux vers la fusée. Un coin de sa bouche tremblait nerveusement.
Linden regarda la grille d’où les sentinelles curieuses les observaient.
"Je croyais que tu voulais faire toi-même les dernières vérifications ? dit-il.
- À quoi bon ? Tu as tout vérifié, non ?
- Oui... Oui, ça ira."
Linden longea la rue sans ombre. La brise se réchauffait et les baraquements tout neufs sentaient le sapin frais venu des montagnes qui dressaient leurs cimes bleues, brunes et vertes le long de l’horizon, au-dessus des toits. La matinée était calme; tout était terminé, prêt et en attente, comme l’était la fusée dressée à la verticale dans le désert sous sa carapace de magnésium étincelante au soleil. La rue était aussi vide que la matinée qui allait s’étaler devant Linden; du moins, dans l’après-midi on procéderait à quelques ultimes essais, par acquit de conscience, mais les plus importants, effectués avec les caissons pneumatiques, les appareils à force centrifuge et les piqûres, avaient déjà eu lieu.
Il ouvrit la porte d’un baraquement et s’arrêta net. Pendant une seconde, son cœur battit la chamade. Puis le rythme des battements redevint normal, quand la réverbération qu’il venait de laisser derrière lui eut cessé de l’aveugler.
"Bonjour, Ruth", dit-il paisiblement.
Du premier coup d’œil il avait vu clairement qu’elle n’était pas venue pour demander une faveur, mais bien plutôt pour en accorder une. Cela signifiait qu’il n’y aurait pas de trêve entre eux. Elle aurait mieux fait de ne pas venir.
"Écoute, Jim, hier, j’ai parlé au Général et...
- Je sais. Moi aussi."
Elle ne parut pas faire attention à son interruption railleuse.
"... Il a reconnu qu’il y a plusieurs autres pilotes tout aussi qualifiés que toi. Plusieurs entends-tu ? Tu m’avais dit...
- Je sais, coupa-t-il de nouveau. Je t’ai à moitié menti - parce que cela me paraissait la solution de beaucoup la plus facile. Mais depuis que tu as vu le Général, j’ai dû mentir de nouveau, et cette fois tout à fait : j’ai dû lui dire que c’était fini entre nous, et que je me souciais de toi comme de ma première chemise !"
Elle ouvrit de grands yeux. Sa bouche dessina une muette interrogation : "Pourquoi ?
- Parce qu’un crétin de psychotechnicien aurait pu estimer que le fait d’être amoureux m’empêchait de partir.
- Et tu n’es pas de cet avis ?"
Il ne pouvait pas garder jusqu’au bout la même brutalité. Il détourna les yeux et se tut.
"Nous devions avoir une maison et un jardin à la campagne, avec une jolie vue à flanc de coteau, un coin pour pique-niquer et toute la place voulue pour les enfants..."
Sa voix tremblait mais elle continua : "Tu te souviens, Jim ? Nous devions être comme les autres, comme tous les gens heureux. Nous n’aurions regardé la lune qu’entre les branches d’un arbre. Nous aurions laissé les autres chercher à aller plus haut et plus vite...
- Rien n’est perdu."
Elle n’écoutait même pas. "Maintenant, poursuivit-elle d’un air songeur, j’ai découvert ce que j’aurais dû savoir depuis longtemps. Tu ne pars ni par devoir, ni par curiosité scientifique, ni pour aucune des belles raisons habituelles. Il y a des tas d’autres gens qui pourraient te remplacer. Mais non. Tu veux que ce soit toi. Tu veux t’envoler en pleine nuit, dans une auréole de gloire... Mais quand tu reviendras, si tu reviens jamais, je ne serai plus là pour t’attendre. Tu le sais bien."
Il fit un pas vers elle et, pendant un bref instant, lui serra les deux bras comme dans un étau. Elle ne résista pas, ne réagit même pas; les mains de Linden retombèrent comme si le contact de la jeune fille l’eût brûlé. "Tu te montes la tête, dit-il d’une voix rauque. Ton imagination t’entraîne... C’est insensé, c’est déraisonnable."
Ruth secoua la tête. "Ce n’est pas mon imagination, affirma-t-elle...
- Les animaux sont bien revenus, non ?
- Oui... et à la génération suivante il y a eu des souris sans yeux et des lapins qui ne sautaient plus parce que leurs os n’étaient pas normaux, et...
- Très peu d’entre eux. Je te l’ai dit et redit. Le risque est infime.
- Ce sont les rayons cosmiques qui leur avaient fait cela, là où tu tiens à aller. Mais moi, je ne veux pas risquer d’avoir des enfants anormaux - même si ce sont les tiens. Tu ne comprends donc pas qu’il y a des questions pour lesquelles on ne peut pas prendre un risque, si minime soit-il ?"
Sa voix avait pris un timbre aigu; un sanglot l’étouffa.
"Tu n’es pas logique, dit-il désespérément. Il y a toujours des risques..."
Il reprit sa respiration. "Ruth, écoute-moi... Je vais tâcher de t’expliquer pourquoi il faut que ce soit moi. Après, tu diras sans doute que c’est moi qui déraisonne..."
Elle s’assit docilement au bord d’une chaise, en le regardant arpenter la pièce.
"Je ne t’ai jamais raconté l’histoire de ma chute du haut du grenier à foin, n’est-ce pas ?"
Il se retourna brusquement pour lui faire face. "Eh bien, ce n’était pas une chute. J’avais sauté exprès... J’étais à la ferme de mon oncle, cet été-là; je venais d’avoir onze ans. Il y avait une grange peinte en rouge comme on en voit partout dans le Middle West; au moment des foins, ils y amenaient les chariots chargés et passaient les bottes de foin au bout d’une fourche par la lucarne. Ça nous amusait beaucoup, nous les gosses, de nous rouler dans ce beau foin élastique et de regarder par la lucarne, au loin dans la plaine...
"Ce soir-là, après le dîner, une fois le travail fini, quand les ouvriers ont été partis, j’ai grimpé tout seul dans le grenier à foin et du haut de la lucarne j’ai regardé la cour vide; elle devait bien être à trois mètres au-dessous de moi. Pour un gosse de douze ans, tout seul là-haut, ça paraissait une profondeur vertigineuse... Et j’ai sauté...
- Qu’est-il arrivé ?
- Je me suis cassé une cheville, dit sèchement Linden. Mais je ne l’ai jamais regretté, ni sur le moment, ni depuis. Pendant un instant, pendant la seconde que l’on met à tomber de trois mètres, j’ai découvert là quelque chose que je cherchais sans le savoir et que je cherche et que je reperds tour à tour... J’appelle ça mon Tremplin", acheva-t-il.
Il eût voulu se mordre la langue car il n’avait pas eu l’intention d’employer ce mot. Il sonnait d’une façon ridicule et c’était là un secret qui n’appartenait qu’à lui seul.
"Jim, tu es fou !"
Ruth le fixait avec de grands yeux troublés mais il eut cette fois le courage d’affronter son regard.
"Toute ma vie j’ai voulu retrouver mon Tremplin. C’est pour cela qu’à la déclaration de guerre, je me suis engagé dans les parachutistes; c’est pour cela que depuis je n’ai jamais cessé de m’occuper d’aviation et de fusées.
"Pendant les huit heures que la fusée mettra à parcourir deux fois son orbite autour de la Terre, elle sera dans les mêmes conditions qu’un corps en chute libre. Elle sera affranchie de la pesanteur qui nous emprisonne depuis notre naissance jusqu’à notre mort. En chute libre les corps ne pèsent plus rien. C’est la seule façon dont ils peuvent ne rien peser. Même en théorie il n’existe aucun autre moyen de s’affranchir de la pesanteur. L’homme qui se trouvera dans la fusée sera donc pendant huit heures dans des conditions que personne n’a jamais expérimentées plus de quelques secondes, au cours d’un parachutage par exemple, ou parfois dans un avion en piqué. Et aussi dans les rêves ! Tu sais que presque tout le monde a de ces rêves, où l’on croit voler non pas comme un oiseau ou un avion, mais où l’on flotte, délivré de l’attraction terrestre. Je crois que c’est là un instinct normal chez l’homme; seulement, moi, j’en ai plus fortement conscience que les autres.
"Il fallait que ce soit moi. Quand j’ai appris qu’on avait mis au point la fusée atomique et que nous allions vraiment l’expérimenter... Je t’ai laissé croire qu’on avait insisté pour que je vienne ici, mais c’est tout le contraire; j’ai remué ciel et terre pour être accepté !
- Et tu ne t’es jamais dit, fit-elle d’une voix tremblante, que tu n’étais pas le seul enfant à avoir sauté d’une grange ?"
Il la regarda, sans la voir; il ne voyait que la fusée qui étincelait dans le désert, attendant l’heure du départ. "Si, bien sûr, dit-il, mais moi j’ai retrouvé mon Tremplin, Ruth, et je veux m’en servir." Elle se leva, très droite.
"Moi, dit-elle, j’ai patienté. J’ai pleuré en lisant dans les journaux qu’on allait fabriquer un engin destiné à aller plus haut et plus vite que tout ce qu’on avait réalisé jusque-là. J’ai prié pour que tu aies un accident, même s’il devait te laisser infirme, pourvu qu’il t’empêche de partir... Mais maintenant que nous sommes arrivés au bord de ton "Tremplin", je n’attendrai pas plus longtemps."
Linden détourna la tête. Il se traitait de lâche, de fou et de traître, mais il dit tout haut : "C’est bon. À ton aise."
*
**
La voix de la fusée fut d’abord semblable au tonnerre de l’Apocalypse. Au fur et à mesure que l’astronef s’élevait, la tonalité du son s’élevait aussi, jusqu’au moment où on eût cru entendre hurler des millions de démons déchaînés contre la race humaine. Quand la vitesse de l’engin s’accrut encore, il émit une note presque ultrasonique, qui vibrait à la limite de la capacité auditive des oreilles humaines et retentissait douloureusement dans les nerfs, les os et le sang.
Linden, immobilisé, impuissant, gisait dans un berceau fluide comme il flottait jadis dans le sein de sa mère. Ses bras, ses jambes, sa tête, sa colonne vertébrale gémissaient sous le fardeau de leur intolérable pesanteur. Chaque mouvement respiratoire lui coûtait un effort démesuré et le souffle qui s’échappait de ses poumons était pareil à celui d’un homme frappé au cœur.
La fusée continua à s’élever en hurlant jusqu’à la région où l’air était déjà trop raréfié pour que des ailes pussent y trouver appui. Puis il n’y eut plus la moindre parcelle d’air, plus rien que des ions tourbillonnants, des particules voyageant à des vitesses vertigineuses, chargées d’électricité sous d’énormes voltages; il était arrivé dans la région des rayons cosmiques primaires, qu’il eût été grotesque d’appeler simplement des radiations "dures", car ils étaient au déchaînement de rayons gamma produit par une explosion atomique ce qu’est, au doux clapotis d’une pluie d’été, une rafale de mitrailleuse.
Les contrôles automatiques, les circuits de "feed-back", les instruments de calcul faisaient leur tâche, déterminant dans l’espace, très loin en avant, la future orbite du projectile. Le tableau de bord, au-dessus de Linden, lui paraissait baigner dans une brume confuse; les muscles de ses yeux n’étaient plus assez forts pour accommoder, soumis à cette énorme accélération. Son corps pesait au moins cinq cents kilos. Il payait en ce moment l’absence totale de poids qu’il devait connaître quand la fusée commencerait à suivre son orbite.
Sa conscience était presque totalement abolie quand la vibration du projectile changea de rythme.
L’horrible pression s’atténua. Trente secondes plus tard, le même phénomène se produisit de nouveau; il respirait maintenant plus aisément et ses muscles contractés échappaient quelque peu à leur torture. La fusée avait consumé tout son combustible, elle s’engageait dans l’orbite qu’elle devait suivre pendant quatre heures; les relais automatiques réduisaient son accélération d’un seul g à la fois, pour que le changement ne fût pas trop brusque.
L’étape suivante fut atteinte; pendant trente secondes, son poids lui parut redevenu normal; la machine automatique avait réduit son impulsion à un g seulement. Linden remua ses membres endoloris et se dégagea du cocon plastique qui l’avait protégé. Sa vision encore confuse se porta sur le tableau des instruments, chercha les miroirs teintés qui lui permettraient de voir au-dehors sans exposer ses yeux à l’éclat aveuglant des cieux dévoilés.
La machine stoppa complètement et un silence de mort régna dans la fusée qui commença à redescendre.
Chaque mouvement de Linden le faisait maintenant flotter librement d’un bout à l’autre de la cabine exiguë - il flottait lentement, paresseusement par rapport aux objets qui l’environnaient; tous ses réflexes lui criaient qu’ils tombaient, lui et son astronef, tombaient d’une hauteur énorme dans le vide; ses glandes surexcitées déversaient leurs sécrétions d’effroi dans son sang et ses nerfs réagissant instinctivement, contractaient ses muscles et inondaient tout son corps de sueur. Son inconscient, replié sur lui-même, attendait l’inévitable choc qui l’anéantirait - le choc qui pourtant n’aurait jamais lieu car la fusée tombait éternellement, plongeant sans fin le long d’un espace incurvé, suivant une trajectoire sans retour.
Sur les écrans, il voyait les étoiles nues briller impitoyablement de leur éclat fixe. L’astronef était une petite bulle de métal montée dans le vide du fond d’un océan d’air; elle contenait un organisme vivant, emprisonné dans ses flancs, mais autour d’elle il n’y avait que l’espace sans limites, sans air, sans vie, mais non pas vide, pourtant.
L’astronef nageait dans un bain de radiations déchaînées. Pour les rayons cosmiques qui striaient l’espace autour de lui, le métal de ses parois et le corps humain qu’elles enfermaient étaient aussi transparents, aussi immatériels qu’une frêle méduse flottant dans un liquide doté du même indice de réfraction qu’elle.
Les mains de Linden cherchèrent un appui et n’en trouvèrent pas. Sur les écrans, les myriades d’étoiles semblaient se transformer en novæ incandescentes et l’aspirer dans leur tourbillon. Des cris rauques emplissaient ses oreilles. Ce devaient être les siens puisqu’il était le seul être humain dans toute l’immensité de l’espace. Il tombait, tombait toujours dans des ténèbres étourdissantes et brûlantes...
Il ne garda que des souvenirs fragmentaires et discontinus de la période qui suivit. S’agissait-il d’heures, de jours ou de millénaires, il n’eût pu le dire. Il se revoyait nettement s’agitant en l’air, battant des bras comme un grotesque oiseau sans ailes, riant d’un rire de dément et, avec une tige de métal sans doute arrachée au système de fixation de son matelas antigravitation, frappant, cassant, écrasant tout autour de lui... Des éclats de verre jaillissaient au ralenti et ne tombaient pas; les cadrans des instruments devenaient aveugles et vides, tandis qu’il brisait irrémédiablement les délicats appareils sans lesquels l’astronef ne pourrait jamais regagner la Terre. Un câble arraché de la boîte de contrôle automatique flotta comme un serpent enroulé sur lui-même et cracha des gerbes de flammes bleues... Et l’homme riait...
Un autre souvenir resta clairement gravé dans sa mémoire : il étouffait. Les réservoirs d’oxygène devaient avoir eu une défaillance à moins qu’il ne les eût également brisés. Cette sensation d’étouffement devenait de plus en plus désespérée. Il respirait convulsivement, insoucieux des éclats de verre brillant qui stagnaient autour de lui. Mais en même temps un feu étrange semblait courir dans ses veines et le doter d’une force démoniaque... "Finis-en !" hurlait une voix, tout au fond de lui-même. II s’approcha de la porte étanche et s’y attaqua avec rage. La porte n’avait pas été conçue pour s’ouvrir dans le vide, mais on n’avait pas non plus prévu qu’elle subirait un tel assaut de l’intérieur. Elle céda enfin et l’air contenu dans la fusée s’échappa en sifflant dans le vide.
En même temps, Linden vit l’énorme globe nuageux de la Terre flotter dans l’espace intangible et froid. Rassemblant toutes ses forces pour résister au rapide courant d’air qui s’échappait de l’astronef, il aspira une dernière gorgée. Il suffoquait. "Adieu, la Terre, pensa-t-il. Adieu, Ruth..."
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Poussé par son instinct, l’axolotl s’avance avec une sûreté d’orientation que dans une forme plus élevée de vie on qualifierait de volonté délibérée, vers la terre, vers la lumière, vers l’air qu’il ne peut respirer. Il rampe péniblement sur le rivage. Dans cet élément nouveau pour lui, ses branchies festonnées se racornissent, et il se débat...
Et soudain, comme la carapace de la larve, la peau blafarde de cet habitant des profondeurs fangeuses éclate et tombe à terre. Il en émerge une nouvelle créature mince comme un lézard, aux petits yeux brillants, couverte de superbes rayures noires et or. Le véritable adulte de l’espèce est né : c’est la salamandre tigrée.
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D’une poussée, Linden se projeta sans effort vers l’avant de l’astronef; il se tordit dans le vide pour éviter de heurter les barbes de métal qui marquaient encore l’endroit où il avait percé la cloison entre la cabine pressurisée et le compartiment arrière contenant les instruments et les machines. La cloison ne servait plus à rien puisqu’il avait laissé l’air s’échapper de l’astronef, et il avait besoin des matériaux qu’elle abritait.
Il ralentit sa paresseuse trajectoire et s’attarda devant le poste émetteur-récepteur. Après en avoir mis à nu les organes en enlevant une partie du tableau de bord, il les avait modifiés et reconnectés d’une manière qui eût fait lever dédaigneusement les sourcils à un technicien terrestre. Et celui-ci n’aurait pas eu tort, car, ainsi modifié, l’appareil ne pouvait servir à rien... sur la Terre, tout au moins.
Méthodiquement Linden acheva de placer et de relier les morceaux de métal et de verre qu’il avait arrachés à un des instruments de mesure, à l’arrière de la fusée.
Il regarda pensivement ses mains. En quinze jours, elles avaient beaucoup bruni; ses ongles, dérisoires vestiges des griffes des grands animaux ancestraux, étaient tombés. En même temps les extrémités dénudées de ses doigts étaient devenues mobiles, si bien qu’il pouvait effectuer les montages les plus délicats sans se servir des muscles grossiers qui mettent en mouvement les doigts tout entiers.
Transformer la radio en un appareil destiné à un tout autre usage s’était révélé une tâche infiniment plus aisée que les autres transformations qu’il avait apportées précédemment dans le mécanisme de direction de l’astronef - peut-être la tâche était-elle effectivement plus aisée, mais peut-être aussi, pensait-il, son corps et son esprit avaient-ils poursuivi leur transformation. Les changements invisibles qu’il sentait en lui étaient infiniment plus importants que les visibles, les superficiels. Ils affectaient son métabolisme, tous ses processus vitaux, les innombrables connexions nerveuses de son cerveau. Ses sens s’étaient aiguisés et multipliés. Des forces, des radiations, le spectre électromagnétique même, que sur Terre la science ne conçoit que comme la résultante de déductions fragmentaires, représentaient maintenant pour lui des réalités directement perçues.
Il n’avait commencé que depuis quelques jours à entendre les voix de la Terre.
Il se laissa dériver jusqu’à la porte béante et regarda le vide étoilé, qui maintenant ne le terrifiait plus, mais constituait pour lui un défi, comme une mer aux rivages inexplorés.
La planète qu’il avait abandonnée derrière lui se trouvait toujours là, immense demi-lune, verdâtre et tachetée, cachant tout un secteur du ciel couleur de diamant noir. À l’échelle de l’espace, elle était toute proche - si proche qu’il pouvait sans effort l’atteindre avec son cerveau. Et les voix étaient là, elles aussi, tout au fond de son crâne; dès qu’il le voulait, il entendait leur énorme cacophonie s’élevant sans trêve des hémisphères tour à tour lumineux et obscurs, du fond ténébreux de l’océan de l’atmosphère. Voix de joie et de tristesse, de mal et de beauté; chœurs abyssaux de haine et d’effroi, notes claires de courage et de pitié...
Bientôt il s’en irait; il cesserait alors d’entendre les voix de la Terre. Où irait-il ? Il n’en savait encore rien; peut-être vers le Soleil, pour contempler sans en être aveuglé le creuset où les secrets de la matière s’exposent à nu; peut-être en dehors du système solaire, au-delà des orbites où Jupiter, dédaigneux des mondes minuscules de son système intérieur, regarde le Soleil comme un frère et où Saturne voyage accompagné de ses étranges anneaux et de ses multiples lunes, jusque dans la nuit glacée des dernières planètes au-delà desquelles il n’y a plus que les étoiles. Il avait d’innombrables questions à résoudre. La Terre était-elle unique dans l’univers ? Le reste, la vaste roue de la Voie Lactée, le foisonnement des constellations éclatantes, les innombrables galaxies en spirales avec leurs milliards de milliards d’étoiles, tout cela n’était-il que de la matière inutile, sans vie, tourbillonnant à la limite de l’espace ? Y avait-il d’autres lieux où la vie fût possible ? Y avait-il d’autres vies ? Peut-être, se disait-il - et cette pensée le troublait et le tentait à la fois - peut-être d’autres êtres y avaient-ils voyagé avant lui ?...
Mais il fallait d’abord penser à ceux qui viendraient à sa suite.
Son nouveau sens n’était pas encore assez précis, assez sélectif pour repérer et établir un contact avec des individus déterminés sur la Terre, mais l’appareil qu’il avait construit était justement destiné à remédier à cette imperfection de ses organes. Il le brancha sans hésiter; il n’avait aucune certitude qu’il fonctionnerait, rien que cette confiance instinctive qui avait guidé ses actions depuis sa métamorphose.
À l’aide de ses instruments, il explora une zone située à la lisière de l’hémisphère obscur; il cherchait des schémas psychiques familiers...
Sur l’établi où il travaillait très tard à un nouvel instrument de contrôle automatique, Marty lâcha son tournevis et laissa échapper un juron. Ses yeux jetèrent un coup d’œil inquiet autour de lui derrière leurs sourcils froncés : "Est-ce que je deviens fou ? murmura-t-il. Ou est-ce que j’entends des voix ?"
"Écoute-moi bien, Marty. J’ai deux messages à te transmettre; tous les deux sont importants.
- Mais tu es mort ! Les servo-mécanismes n’ont pas fonctionné et pourtant il n’y avait pas de raison qu’ils claquent. Tu es prisonnier dans un cercueil de magnésium qui tournera autour de la Terre jusqu’à la fin des temps. Tu es mort... à ma place.
- Tes servo-mécanismes ont bien fonctionné. Je les ai moi-même arrêtés tout au début quand je croyais mourir ou devenir fou, quand seul mon instinct comprenait ce qui m’arrivait. Mais je ne reviendrai pas; je continue le voyage. Écoute bien, Marty : on peut améliorer le principe des moteurs atomiques. Je peux t’expliquer la méthode à suivre; tu pourras la transmettre à d’autres parce que, toi, tu comprends la matière inanimée, parce que tu as la faculté de t’y substituer; moi, je ne pourrais pas m’exprimer dans le langage des physiciens parce que je ne connais pas leurs symboles, leurs mathématiques. Mais quand j’ai regardé les plans des physiciens, ici, depuis l’espace, j’y ai discerné la volonté d’échec qu’ils y avaient introduite, la crainte qu’ils devaient inconsciemment avoir de pénétrer trop avant dans l’atome. En éliminant cette volonté d’échec, la puissance des moteurs sera multipliée près de deux mille fois. On pourra alors construire des astronefs qui s’élèveront avec une accélération d’un ou deux g seulement, tout en gardant la puissance nécessaire; ainsi chacun, et non seulement les hommes exceptionnellement forts et sains, pourra voyager dans l’espace. Voilà ce qu’il faut faire..."
Ce furent des images, des impressions sensorielles, des séries d’opérations plutôt que des pensées verbales qui suivirent. Le tout ne prit que quelques secondes.
Marty se gratta la nuque. "Ça pourrait marcher, dit-il tout haut dans son laboratoire vide. Pour les ralentisseurs, il serait peut-être plus commode de...
- Cela c’est mon premier message, celui que tu leur transmettras si tu parviens à te faire écouter. L’autre... tu feras peut-être aussi bien de le garder pour toi pour le moment. Le voici : le but ultime n’est pas ce que nous pensions, ce n’est pas de conquérir l’espace pour atteindre les planètes. Le vrai but, c’est la conquête de l’espace pour lui-même. L’espace n’est ni vide ni désolé; il est inondé d’énergie, imprégné de la poussière des soleils morts et des éléments constitutifs de la matière nouvelle. Les planètes sont froides, sombres; ce sont des îlots qui meurent dans un océan bouillonnant de vie. L’espace nous attend..." Marty regardait devant lui, sans faire attention à l’odeur d’isolant brûlé qui se dégageait de son appareil sur l’établi.
"Attends, cria-t-il. Ne t’en vas pas..." À des milliers de kilomètres au-dessus de lui, l’être qui avait été Linden flottait dans le vide, à côté de son étrange appareil; il le régla du bout préhensile de ses doigts...
Ruth se réveilla en sursaut. "Jim !" s’écria-t-elle.
Elle s’assit dans son lit, enfonçant convulsivement ses mains dans l’oreiller froissé. "Encore un rêve..., sanglota-t-elle.
- Tu ne rêves pas. Si tu as des doutes, parles-en à Marty; il est au courant... Je t’aime, Ruth.
- Mais où... où es-tu ?"
Ses yeux exploraient anxieusement les ténèbres de la chambre.
"Je suis de l’autre côté de mon Tremplin... et j’ai découvert que c’est encore un nouveau Tremplin.
- Reviens, Jim. Tant pis si... Oh ! que dis-je ? Il est ! trop tard, maintenant que tu es mort."
Il lui sembla que la voix qu’elle entendait dans son cerveau se mettait à rire. "Je suis on ne peut plus vivant, Ruth... Mais je crains de ne plus pouvoir revenir sur la Terre. L’espace m’a transformé."
Elle frissonna.
"Transformé ?
- J’ai grandi, ma chérie. La même chose t’arrivera si tu me suis là-haut. Pendant longtemps les biologistes nous ont raconté que l’homme n’était qu’un fœtus attardé, une sorte d’embryon qui vieillit sans jamais vraiment parvenir à l’état adulte. Maintenant je sais pourquoi : les conditions de maturité, la destinée pour laquelle nous avons été créés, n’existent pas sur la Terre... Tel que je suis maintenant, je risquerais d’être étouffé par l’atmosphère trop épaisse de la Terre, peut-être aussi en me voyant les hommes me massacreraient-ils, ne me trouvant plus rien d’humain. Aussi, peut-être te ferais-je horreur."
Dans l’esprit de Ruth, une image se forma avec la précision d’une photo.
Pendant un moment, elle resta parfaitement immobile, le souffle bref et saccadé; elle sourit enfin d’un air craintif et tendit les bras dans un geste qui n’avait besoin ni de mots ni de pensées pour s’interpréter.
"Ma bien-aimée !" La voix surgie de l’espace était un cri silencieux d’exultation. "Alors, viens me rejoindre ! Dans un an, dans deux ans, il y aura de nouveaux astronefs, bien supérieurs à tous ceux qu’on a fabriqués jusqu’à présent. J’ai fait le nécessaire. Alors tu me rejoindras. Ne t’inquiète pas de la façon dont nous nous retrouverons... Quand tu seras là-haut, quand tu auras grandi, toi aussi, tu comprendras. Nous nous retrouverons au-delà de la Lune; toutes les étoiles de l’Univers nous entoureront, nos enfants auront des soleils pour jouets..."
La voix s’affaiblit, se précipita. "La courbure de la Terre commence à nous gêner, mais je n’en ai plus pour longtemps. Si tu ne peux pas, si tu ne veux pas me rejoindre, cela ne fait rien. Je trouverai un moyen de rentrer dans l’atmosphère et de t’emporter avec moi.
- J’arrive !" cria-t-elle.
Un baiser fantomatique effleura ses lèvres. Puis ce fut le silence. La jeune fille, immobile, contempla les ténèbres. Elle commençait à croire...
Titre original : Axolotl.
© Mercury Press, Inc., 1953. (Magazine of Fantasy and Science Fiction.)
© Éditions Opta, 1972, pour la traduction.