DON SLOW
ET SON ATTRAPE-FILLE
ÉLECTRIQUE

par Thomas Brand

 

Épicitre le disait déjà : nous évitons les plaisirs quand ils entraînent trop de désagréments. Ceux qui fabriquent nos « compagnons mécaniques » ne raisonnent pas autrement : grâce à eux, le plaisir est moins aléatoire, moins vulnérable, et peut-être aussi moins savoureux. N’oublions pas l’avertissement de René Girard : « Ce n’est pas la loi, sous aucune forme concevable, qu’on peut rendre responsable des tensions et aliénations auxquelles l’homme moderne est exposé, c’est l’absence toujours plus complète de toute loi. » Après Goulart, Brand illustre ce propos sur le mode humoristique : les machines obéissant aux lois de la robotique ne sont pas très inquiétantes. Reste qu’un être humain assoiffé de sexe est condamné à vivre avec ces instruments trop bien conçus. C’est une marionnette. Un personnage de comédie. La mécanosexualité humanise le robot et robotise l’homme. Au terme du parcours, que reste-t-il de la différence ?

 

LORSQUE nous avons quitté Don Slow, garçon génial cent pour cent Américain, jeune inventeur de son métier, adolescent original et originaire de Racine, il venait de réaliser sa plus grande invention : son Attrape-Fille électrique.

En fait, il n’avait pas eu la moindre intention de créer un Attrape-Fille. Il voulait inventer un rayon de la mort. Cependant, pour une raison quelconque, le circuit électronique s’était inversé, donnant un résultat complètement opposé à celui qu’il avait prévu.

Don Slow s’en rendit compte de lui-même la première fois qu’il pointa sa nouvelle invention vers une cage remplie de rats blancs et qu’il appuya sur la gâchette (tout en réprimant un ricanement franchement monstrueux).

À sa grande stupéfaction, les rats ne se ratatinèrent pas immédiatement. Bien au contraire. Ils bondirent en piaillant et se lancèrent d’étranges regards de fureur. Criant à pleins poumons, ils se mirent à courir en rond comme des dératés, s’agrippèrent avec rage et ravagèrent la cage qui bientôt ne contint plus qu’un ouragan de poils blancs.

« Comme c’est curieux », fit Don Slow.

Il examina soigneusement sa nouvelle création. Évidemment, pour un œil non initié, cela devait déjà paraître extraordinaire. Car ça ressemblait à un vulgaire pistolet désintégrateur à rayon laser d’usage courant.

Néanmoins, toutes les implications qu’engendrait cette nouvelle invention ne s’infiltrèrent pas immédiatement au fond du crâne viril de Don Slow (ce n’était pas pour rien qu’il s’appelait Don Slow(15)). Et une bonne partie de la journée s’écoula avant qu’il ne tire accidentellement un coup de pistolet à rayon dans la cage de la perruche.

L’oiseau poussa un hurlement à la Tarzan et démolit la porte de sa cage. Il sortit en vrombissant par une fenêtre et fonça dans le ciel bleu, impatient d’en découdre avec aigles et faucons. (On découvrit un peu plus tard, éparpillées sur un col élevé des Andes, les plumes d’un condor venant de recevoir une raclée magistrale.)

L’aube apparut lentement au-dessus de l’horizon oriental.

« Bonté divine, déclara Don Slow. J’ai inventé un affreux machin. »

Il demeura immobile, enveloppé par les vapeurs qui empuantissaient son Laboratoire Secret, contemplant sa nouvelle invention en silence. Une lueur étrange finit par briller dans ses yeux.

« Il faut poursuivre les expériences, se dit-il. Il faut faire subir l’ultime épreuve à cet appareil. »

Il quitta son Laboratoire Secret et passa dans sa chambre. Il se changea rapidement, abandonnant sa blouse de laboratoire pour enfiler son costume de Don Slow, orné d’un éclair pointant vers son bas-ventre. Puis il mit son masque noir.

Ensuite, Don Slow s’esquiva par le panneau secret installé au fond de sa penderie. Il descendit un passage étroit construit à l’intérieur des murs de la maison. Enfin, il atteignit une salle secrète, située dans une installation de vidange apparemment abandonnée. À l’intérieur était garé un long véhicule noir à la carrosserie luisante : Robauto, la plus célèbre invention de Don Slow.

Robauto était le Fidèle Serviteur et Loyal Assistant de Don Slow. Et c’était également sa voiture. Don Slow l’avait inventé durant sa Période Noire. En plus de tous les équipements standard, rayons laser avant et arrière, écrans de fumée, sièges éjectables, couchettes escamotables avec des draps de satin, distributeur de Champagne et autres aménagements, un ordinateur était installé sous le tableau de bord de Robauto. Il était programmé pour communiquer à travers le tableau de bord grâce à un système de voix électronique lui permettant d’émettre des rapports sur les conditions de la circulation, de faire de savoureux commentaires sur le paysage environnant, de réciter quelques limericks(16) et de proférer, durant des moments de lassitude créative, quelques extraits d’une haute élévation morale et spirituelle tirés des histoires de Horatio Alger(17).

« Regarde, Robauto, déclara Don Slow. Voici ma dernière invention, la plus grande de toutes.

— Qu’est-ce que c’est que ce machin ? demanda Robauto à sa façon laconique.

— C’est mon nouvel Attrape-Fille électrique. C’est de loin le meilleur truc que j’aie jamais réalisé. Il est encore mieux que mon Robot Enchanteur ou que mon Sexlabo Sous-Marin. Si je tourne ce pistolet à rayon sur n’importe quelle fille de mon choix, ça l’enflammera immédiatement et la mettra dans une humeur particulièrement réceptive. Ça l’excitera, Robauto, ça l’excitera complètement ! Et de plus, Fidèle Serviteur et Loyal Assistant, ça la transformera en une diablesse frétillante assoiffée de sexe, n’ayant plus pour seul but que la satisfaction immédiate de son irrésistible désir. Personne ne pourra lui échapper quand cette arme sera utilisée, et sûrement pas moi. Du moins, je l’espère.

— Peut-être est-ce ta plus grande invention, et peut-être pas, Honorable Maître, dit Robauto. Après tout, elle demande encore à être vérifiée dans la pratique.

— C’est justement pour cela que je suis ici », répondit Don Slow.

Il se glissa sur le siège avant de Robauto, dont les phares illuminèrent un mur de brique. Don Slow pressa un bouton et une partie du mur s’éleva automatiquement. Robauto le Lustré s’avança dans une petite rue déserte d’un obscur quartier de la ville, et le mur se referma derrière le véhicule. Bourdonnant comme un insecte gigantesque, l’aérodynamique et surpuissant Robauto se mit à foncer dans le soir tombant.

« Nous allons chasser le plus grand de tous les gibiers, déclara Don Slow. Des nanas ! »

 

Au même instant, quelques rues plus loin, un succulent morceau de fille nommé Sandra Smith s’étirait en bâillant avant de quitter son immense lit couvert de vison. Une demi-douzaine de servantes accoururent tandis que Sandra se regardait dans l’immense miroir de son plafond. Et ce qu’elle vit était tellement appétissant qu’elle se sentit elle-même tout excitée : de grands yeux lutins, une longue chevelure blond platiné qui lui descendait jusqu’à la taille, des lèvres au teint de cerise mûre. Sandra s’enflamma en admirant son propre reflet aux mensurations provocantes : 105-55-92.

Sandra était la Fine Fleur du Gratin. La plus belle, la mieux payée, la plus douée des poules de luxe de Space City, recherchée même par des gens pour lesquels son nom n’était qu’une légende, une merveilleuse légende murmurée lors de délicieux bavardages. Sa technique, sa maîtrise des tourments érotiques prolongés, avaient fait d’elle un idéal auquel toutes les autres étaient comparées, qu’il s’agisse de gymnastique suédoise, de rapports sadomasochistes, d’acrobaties au trapèze ou d’une simple partie de jambes en l’air de type courant.

Les servantes s’occupèrent ensuite de Sandra, la baignèrent et la frottèrent jusqu’à ce que sa peau rosie devienne toute luisante, brossèrent sa chevelure pour lui donner une douceur extraordinairement soyeuse, et la préparèrent pour son raid quotidien.

Ayant enfilé ses bottes-cuissardes lustrées, Sandra traversa son appartement, et ses talons hauts cliquetaient comme des glaçons dans un verre.

Sandra s’esquiva par le panneau secret installé au fond de sa penderie, laquelle était remplie de vêtements de soie et de satin, de luxueuses fourrures, de collants en caoutchouc, d’un assortiment de lanières et de fouets plus ou moins longs et plus ou moins souples. Elle descendit un passage étroit construit à l’intérieur des murs de la maison. Enfin, elle atteignit une salle secrète, située dans une installation de vidange apparemment abandonnée. À l’intérieur était garée une longue décapotable luisante et dorée : Amador, la célèbre voiture de sport de Sandra.

Amador était l’emblème de Sandra. La carrosserie de la décapotable était plaquée d’un platine lustré assorti à la chevelure blond platiné de la jeune femme. Lorsqu’elle passait dans les boulevards et les avenues à bord de la célèbre Amador, tous ceux qui apercevaient le véhicule savaient aussitôt qui était la conductrice, et ce qu’elle cherchait.

Sandra monta dans la voiture. Les phares d’Amador illuminèrent un mur de brique. Sandra pressa un bouton et une partie du mur s’éleva automatiquement. La rutilante voiture de sport s’avança dans une petite rue déserte d’un obscur quartier de la ville, et le mur se referma derrière le véhicule. Ronronnant comme une énorme chatte, l’aérodynamique et surpuissante Amador se mit à foncer dans le soir tombant.

« Je vais chasser le plus grand de tous les gibiers, déclara Sandra. Le plaisir. »

 

En roulant vers le centre-ville, Robauto récita quelques-uns des limericks préférés de Don Slow ; celui du jeune Tobias, celui de l’homme de St. Clair, celui de la jeune fille en verre.

Don Slow n’y prêta pas attention. Il était impatient d’essayer sa nouvelle invention.

Les rues paraissaient étrangement vides. Il n’y avait presque pas de filles. En y réfléchissant bien, il n’y avait presque personne. La plupart des magasins et des boutiques étaient fermés.

« Où diable sont passés les gens ? demanda Don Slow.

— Tu sais quoi ? répondit Robauto. Ma mémoire électronique vient subitement de se rappeler quelque chose. Aujourd’hui, c’est le jour de la grande parade du Cirque Temporel. »

La paume de Don Slow frappa son front viril.

« Mais bien sûr ! Ils y sont tous ! Ils regardent la parade du Cirque Temporel dans l’Avenue Centrale. C’est qu’il faut aller ! »

 

Amador ronronnait dans les rues de la ville.

Sandra était fort étonnée. Il n’y avait presque pas de piétons. Elle aperçut de nombreuses concurrentes dans les environs, mais presque personne d’autre.

Elle faisait des petits signes de salut à ses rivales (rien que des mini-ceintures de chasteté et des coiffures à la Minerve). Elle remarqua avec satisfaction que ses concurrentes en étaient réduites à parcourir les rues dans de simples Rolls Royce, Mercedes et autres Jaguar. Aucun emblème aussi somptueux qu’Amador. Ses rivales lui rendaient son salut, ou bien lui présentaient leur médius tendu(18), selon leur degré de jalousie. Certaines allaient jusqu’à cracher.

Cette absence de clients surprenait Sandra.

Elle se gara au bord du trottoir, devant un café où se trouvait une de ses sœurs, toute seule au milieu d’un océan de tables vides.

« Qu’est-ce que tu fais, Sandra ? Tu viens braconner sur mon territoire ?

— Où sont passés les gens ?

— Ils doivent tous être dans l’Avenue Centrale, pour la parade du Cirque Temporel. »

Sandra se tapa le front.

« Mais bien sûr ! La parade du Cirque Temporel. C’est qu’ils sont tous ! »

 

La parade du Cirque Temporel était l’événement le plus important qui se soit jamais produit à Space City. La Première Expédition Terrienne vers l’Époque Préhistorique était de retour de son premier voyage dans la première machine temporelle, et avait ramené une foule de spécimens capturés : des dinosaures et autres bestioles préhistoriques, et même quelques authentiques hommes des cavernes, Cro-Magnon, Néanderthal, etc. Les spécimens défilaient dans l’Avenue Centrale, imitant les parades des anciens cirques, au son des orchestres, et bannières au vent.

Presque toute la population de Space City était venue assister au défilé. C’était un événement exceptionnel. Les monstres géants s’avançaient au centre de la chaussée, à pas pesants ; des tyrannosaures, des brontosaures, des stégosaures, ayant tous une lueur méchante dans le regard. Il ne s’agissait pas de grosses baudruches, ni de reproductions animées, mais bien des monstres en chair et en os, qui sifflaient et déféquaient dans toutes les directions.

Don Slow se gara dans une rue adjacente, grouillante de monde, d’où il pouvait apercevoir les têtes des créatures qui défilaient un peu plus loin. Mais Don Slow ne regardait pas les créatures monstrueuses. Il regardait les créatures qui regardaient les monstres ; ces délicieuses friandises rousses, brunes et blondes attroupées sur les trottoirs en lançant des oh et des ah devant les biceps cromagnoniens.

Un joli fruit mûr aux grands yeux verts s’arrêta devant Robauto.

« Oooh, quelle splendide voiture ! dit-elle en passant les doigts sur la carrosserie du véhicule.

— Barre-toi ! dit Robauto. Et enlève tes doigts poisseux de mon chrome auto-lustrant. Il nous faut un gibier plus délicat.

— Viens donc ! déclara un copain de la minette. Ne t’occupe pas de cette voiture. Nous allons rater le défilé. Regarde ! Voilà les tigres à dents de sabre.

— Nous pouvons faire mieux que ça ! » s’exclama Robauto.

Une clameur s’éleva de la foule.

« Regardez, voilà les mammouths laineux ! »

Effectivement, une procession de mammouths laineux s’avançait pesamment ; ils marchaient à la queue leu leu, des trompes laineuses maintenaient des queues laineuses. Ils étaient poussés par des Cro-Magnon agitant des massues. Même à cette distance, on pouvait se rendre compte que l’authenticité des Cro-Magnon n’était pas gâtée par les déodorants.

Don Slow regarda ce spectacle avec dégoût. Les incisives jaunâtres des hommes préhistoriques ne l’intéressaient pas.

Et brusquement, entre les rangs des Cro-Magnon, Don Slow aperçut une image scintillante de l’autre côté de l’Avenue Centrale. Une image d’un blond platiné, debout sur le siège avant de… d’une… était-ce bien cela, une décapotable blond platiné ?

Cette image était si étincelante, si splendide que Don Slow la rangea immédiatement dans une niche intime de sa galerie de fantasmes.

« Sacré bon sang de bonsoir, regarde là-bas ! » s’exclama Don Slow.

Les antennes de Robauto se dressèrent vivement.

« Oh ! oui, Honorable Maître, je la vois, je la vois ! dit Robauto.

— C’est elle ! » précisa Don Slow.

Il dégaina son pistolet à rayon.

« Je vais tirer avec mon irrésistible Attrape-Fille, annonça-t-il. Prépare-toi à intervenir. »

Don Slow dirigea son arme vers l’autre côté de l’avenue, visa l’image étincelante ; il affermit son poignet en le maintenant de sa main libre.

Malheureusement pour l’ordre public de Space City, Sandra Smith choisit cet instant précis pour s’asseoir. Don Slow la suivit dans son collimateur et, bzzzzzt, pressa la détente au moment même où Sandra disparaissait derrière le pare-brise d’Amador.

Le rayon se contenta d’effleurer obliquement la chevelure soyeuse et dorée de Sandra, mais il frappa la surface réfléchissante et inclinée du pare-brise d’Amador avec un maximum de force et d’intensité, sproiinngg !, et rebondit dans toutes les directions pour éclabousser la parade du cirque, les Cro-Magnon, les mammouths laineux et tous les dinosaures avec une impartialité très démocratique.

« Oooh ! » s’exclama le chœur charmé des spectateurs, voyant le rayon électronique passer au-dessus de leurs têtes comme un feu d’artifice du 4 Juillet(19).

« Aaah ! s’exclama le chœur des spectateurs tandis que démarrait la débandade générale.

Des dinosaures rugirent. Des mammouths laineux lancèrent des barrissements. La foule s’éparpilla.

« Oh-oh ! fit Don Slow.

— Foutu crétin, déclara Robauto.

— Bonté divine ! » s’exclama Don Slow.

Il resta immobile, enraciné dans la stupeur, regardant s’exprimer les fruits de sa folie.

Des cris et des hurlements.

Frémissant de plaisir, des mammouths laineux s’affalèrent sur leurs derrières laineux en poussant des barrissements de mammouths laineux, et arrosèrent l’avenue de jets de sperme, comme des bateaux-pompes saluant l’arrivée d’un nouveau navire dans le port.

Les cris et les hurlements redoublèrent.

« Je me demande si nous ne devrions pas partir », suggéra Don Slow.

Une avalanche de femelles Cro-Magnon, toutes en incisives, en mamelles pendantes et en odeurs puissantes, se ruèrent dans les locaux du Mignon Rose, un bar délicieusement aménagé que fréquentaient des jeunes gens aux goûts raffinés.

Des cris et des hurlements inimaginables.

« Je suis sûr que nous devrions partir, affirma Don Slow.

— Regarde ! » s’exclama Robauto.

De l’autre côté de l’Avenue Centrale, un des mammouths laineux, en proie à l’indicible extase caractéristique des mammouths laineux, fonçait comme une énorme boule de bowling laineuse vers Amador et sa conductrice blonde (platinée).

La fille aux cheveux d’or poussa un hurlement d’horreur quand le mammouth laineux leva une patte gigantesque au-dessus d’elle.

« À la rescousse ! » lança Don Slow.

Robauto mit toute la gomme, sortit un bras escamotable, agrippa Sandra dans sa poigne escamotable, la souleva par la peau du cou et la sauva – il s’en fallut d’un fin cheveu – juste avant que la patte poilue ne s’abatte et pulvérise Amador, transformant le véhicule en un tas de métal lustré.

« Hiii ! cria Sandra en se faisant brutalement pousser sur le siège arrière de Robauto.

— Hue, Robauto, filons ! » hurla triomphalement Don Slow.

Robauto prit le premier carrefour sur les chapeaux de roues, et remonta un boulevard encombré par l’avant-garde des fuyards, premiers signes d’un mouvement de retraite générale sans précédent.

« Ma nouvelle invention ! exulta Don Slow. C’est un succès… un succès !

— Sans aucun doute, répondit Robauto. L’avenue va dégouliner de foutre d’éléphant pendant une semaine.

— Où suis-je ? demanda Sandra.

— Vous êtes sauvée, grâce à moi, Don Slow, jeune génie professionnel

— Je me sens toute drôle, déclara Sandra. Je m’échauffe souvent, mais cette fois, c’est vraiment… dingue.

— C’est uniquement à cause de ma récente invention. Vous avez été touchée par le rayon de mon nouveau pistolet Attrape-Fille super-excitant. Vous allez vous jeter sur moi dans quelques secondes.

— Mon petit gars, si j’avais l’intention de me jeter sur vous, vous n’auriez pas besoin d’envoyer des signaux de fumée. Vous auriez déjà reçu le message.

— Hmm, le rayon ne vous a peut-être pas touchée suffisamment. »

L’attention de Sandra s’était détournée vers l’habitacle scintillant de Robauto.

« Comme ce véhicule est intéressant. Vraiment somptueux. C’est la première fois que je vois un bidet sur un siège arrière.

— Mon Honorable Maître est extrêmement tatillon, déclara Robauto.

— Et que sont ces adorables petites choses ? demanda Sandra.

— Des inventions de mon Honorable Maître, répondit Robauto.

— Certaines sont convexes, d’autres concaves. Leur usage paraît évident.

— Mon Honorable Maître les a conçues pour sa distraction personnelle durant ses périodes de mélancolie. »

Don Slow précisa :

« Cela fait partie d’une de mes grandes recherches expérimentales, où je développe une relation mathématique entre certains plaisirs simples et la fluctuation du mouvement dans des états à la fois constants et accélérés.

— Comme c’est intéressant, ronronna Sandra.

Ses yeux se mirent à briller, avec cette luminosité caractéristique de la découverte d’un nouveau plaisir.

« Comment fonctionnent-elles ?

— Automatiquement. Elles sont branchées sur la batterie de Robauto.

— Faites attention en les manipulant, dit Robauto. Je suis très sensible à cet endroit !

— Eh, euh… où se trouve le bouton de mise en marche de ces petites douceurs ? demanda la jeune femme dont l’appétit grandissait.

— Il n’y en a pas, répondit Don Slow. Elles sont activées par une requête verbale. Il suffit de demander à Robauto pour profiter de ses services.

— Vous permettez ?

— Je vous en prie. Nous serons bientôt dans mon Laboratoire Secret, et là, ce sera à moi de jouer. À moi, Don Slow, jeune génie professionnel.

— Vous permettez, Robauto ? minauda Sandra.

— Oh ! bien sûr, Belle Demoiselle, bien sûr, chevrota Robauto.

— Alors, dans ce cas, Robauto, veuillez me servir, je vous prie.

— Avec tous les moyens dont je dispose, Belle Demoiselle, de toutes mes fiches et de toutes mes cosses.

— Ah ! Robauto, c’est délicieux, dit Sandra. C’est vraiment délicieux.

— Fais attention, Fidèle Serviteur et Loyal Assistant, déclara Don Slow. Ne t’emballe pas. Tu n’es qu’une machine.

— Oh ! oh ! oh ! gémit Sandra. Oh, Robauto, tu sais ce qu’il faut faire pour qu’une fille se sente bien. Oh ! mon Robauto chéri. Oh ! mon chéri, mon amour de Robautooo !

— Oh ! c’est comme ça qu’il faut faire, répondit Robauto. Ça nettoie bien le charbon des vieilles cosses !

— Oh ! Fanfaron, dit Don Slow.

— Je crois bien que tu es jaloux, Grand Cornichon, répliqua Robauto.

— Contente-toi de garder tes palpeurs sur la route pour ne rien heurter ! »

Robauto fonçait maintenant à une vitesse impressionnante vers un ensemble de cabines de péage qui barraient la route. Devant eux, des voitures bloquaient chacun des couloirs « Automatique ».

Robauto obliqua vers le couloir « Monnaie ». Don Slow entendit hurler le gardien de péage à l’air dédaigneux ; aussitôt après leur passage se déclenchèrent derrière eux des bruits de sirènes, de sonnerie d’alarme ainsi que divers mouvements, et tous les signaux de néon installés au-dessus des cabines se mirent à lancer des

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tandis que Robauto fonçait sur l’autoroute.

« Oh ! tu as raison, soupira Sandra. Le plus fort des plaisirs est lié au mouvement. »

Un signal d’avertissement rouge se mit à clignoter sur le tableau de bord : « Approche de flics. Approche de flics. »

C’était exact. Des flics approchaient, effectivement. Don Slow pouvait voir grossir leurs taches menaçantes sur l’écran-radar arrière.

« Nous allons devoir nous occuper de ces flics, déclara Robauto.

— C’est toi qui t’en occuperas, répondit Don Slow. C’est toi qui as traversé le péage sans payer.

— Oh ! je me sens super, annonça Sandra.

— Dois-je utiliser mes étranges pouvoirs pour obscurcir les esprits des hommes ? demanda Robauto.

— Tout ce que tu voudras ! Mais débarrasse-toi d’eux !

— Oh ! super, super, super !

— Mais accélère, Robauto ! Tu peux distancer ces salauds !

— Je ne peux pas rouler plus vite ! Elle décharge ma batterie !

— Oh ! des super-burgers avec du ketchup !

— Tourne à gauche au prochain croisement ! ordonna Don Slow. Nous pouvons peut-être leur faire perdre nos traces. »

Dans un crissement, Robauto prit le virage sur les jantes.

« Oh ! merde ! s’écria Robauto.

— Robauto ! Tu sais parfaitement qu’on ne doit pas employer un tel langage devant une dame !

— C’est à cause de cette route que tu m’as fait prendre. C’est la voie rapide ! Et elle nous ramène directement vers l’Avenue Centrale !

— Oh ! merde ! s’écria Don Slow.

— Et ces flics sont toujours accrochés à nos basques », précisa Robauto.

Don Slow se retourna. Il pouvait maintenant les voir distinctement. Deux flics en moto, qui grossissaient de plus en plus en se rapprochant de notre Robauto exténué.

« Position de combat ! ordonna Don Slow. Préparons-nous à repousser l’ennemi ! »

Un des flics à moto, sirène claironnante, essayait maintenant de les dépasser sur la gauche en leur faisant signe de se rabattre. Robauto allongea un de ses pots d’échappement télescopiques. Le flic alla valser comme une miette qu’on époussette d’une chiquenaude.

« Et d’un ! » annonça Don Slow.

Il chercha une arme, espérant trouver son Pistolet Étourdisseur. Mais il saisit son Attrape-Fille. Et il visa l’autre flic qui approchait.

« Attention ! » cria Robauto en enclenchant simultanément tous ses systèmes de freinage.

Droit devant eux, la route fut brusquement encombrée par la masse torrentielle des réfugiés épouvantés qui fuyaient le désastre du centre-ville.

« Boudiouuu ! s’exclama Sandra en se penchant vers l’avant.

— Ouups ! » répliqua Don Slow en tirant avec l’Attrape-Fille.

Cette fois, il n’arrosa pas seulement la rue entière, mais son tir effrayant frappa également le bâtiment tout proche du Musée Municipal d’Antiquité et d’Égyptologie.

« Bon sang, dit Robauto. J’imagine ce qui va se produire. »

Et tandis qu’ils regardaient, les portes du musée furent arrachées de leurs gonds. Une horde d’affreuses momies enrubannées sortit dans la rue, certaines en sautillant, d’autres en marchant, portant toutes leur virilité momifiée devant elles, comme des béliers.

Les cris et les hurlements atteignirent leur paroxysme.

Le flic qui les poursuivait s’arrêta dans un crissement de pneus. Il quitta sa moto et tira un coup de semonce en l’air. Puis il se retourna et fila comme un lapin. L’instant d’après, comme la double explosion d’une chandelle romaine, le flic et une momie passèrent près de la poupe de Robauto.

Avec un grondement, Robauto recula dans la direction d’où ils étaient venus, en passant la marche arrière à pleine vitesse.

« Tu as vu ça ! beugla Don Slow. Tu as vu ça ? Ma nouvelle invention possède des pouvoirs reconstituants, rajeunissants et résurrectionnels !

— Et tu en auras bien besoin si jamais un de ces pauvres cons qui sont là-bas parvient à nous rattraper.

— Il faut l’annoncer au monde !

— Le monde s’en aperçoit, tu peux me croire, le monde s’en aperçoit !

— Ton Honorable Maître semble avoir inventé une certaine source de désagréments, Robauto, fit brillamment remarquer Sandra.

— Mon Honorable Maître est un honorable trou du cul, répondit Robauto.

— Ferme-la, mon Fidèle Serviteur et Loyal Assistant.

— Dis donc, il va y avoir du spectacle quand ces momies vont rejoindre les mammouths laineux !

— J’ai dit : ferme-la !

— Et la tienne !

— Maintenant, arrête de tripoter notre invitée sur le siège arrière et ramène-nous à mon Laboratoire Secret. C’est à mon tour de m’amuser, pour changer un peu. Foutus serviteurs. Ils prennent des libertés, même quand on les invente soi-même !

— Sandra, mon amour, avons-nous réellement besoin de la présence de ce troglodyte ? demanda Robauto.

— Je n’ai besoin que de toi, Robauto, ronronna Sandra.

— Tu vas avoir besoin d’un nouveau véhicule, maintenant que l’ancien est tout écrabouillé, n’est-ce pas, Sandy, ma chérie ?

— Bien sûr. Un véhicule avec une batterie très endurante, avec des tas de fiches et de cosses.

— Hé, qu’est-ce que vous voulez dégager de tout ce charabia ? demanda Don Slow.

— C’est justement toi, répondit Robauto. Dégage !

— Ma propre voiture ! Mon Fidèle Serviteur et Loyal Assistant ! Qui envisage de se débarrasser de moi, Don Slow, jeune génie professionnel !

— Dehors !

— Tu ne peux pas me faire ça ! C’est moi qui t’ai inventé ! »

ZAP ! Robauto activa le siège éjectable de Don Slow.

ZOOM ! Don Slow s’élança d’un seul coup par une ouverture qui venait brusquement de se découper dans le toit de l’habitacle.

ZONK ! En pleine apogée, Don Slow donna un grand coup de crâne contre un lampadaire.

« Traître, espèce de tas de merde fourbe ! » hurla Don Slow, des chapelets d’étoiles devant les yeux, en atterrissant tout seul sur la route, loin derrière Robauto.

« Reviens ici ! » cria-t-il avant de viser, puis de tirer sur le véhicule qui s’éloignait.

C’était l’Attrape-Fille qu’il tenait à la main.

Le rayon frappa directement la carrosserie auto-lustrante et super-réfléchissante de Robauto. Et le rayon rebondit directement pour frapper Don Slow en pleine poire.

« Nyargh ! » s’exclama-t-il, planté sur la chaussée dans une horrible béatitude, regardant avec impuissance Robauto disparaître au bout de la voie rapide en pétaradant d’un ton moqueur.

« C’est ainsi que nous prenons congé de la Joyeuse Île des Mongoliens, déclara Robauto.

— Oh ! Robauto, tu m’enflammes réellement, dit Sandra. Tu es si spirituel.

— Tu aimerais entendre certains de mes limericks ?

— Oh ! oui, des tas. Et même tous.

— Je vais commencer par Le Jeune Homme de Biarritz.

— Robauto, toi et moi, nous irons loin ensemble. »

Sandra n’en savait rien, mais elle venait de paraphraser le titre exact de leur prochaine et excitante aventure : Sandra l’Allumeuse et son Truc-Muche Électronique, et si les chaussures et les soquettes ne s’en vont pas toutes avec les fermetures Éclair et les jeans, le vieil Oncle Morse vous racontera tout dans sa prochaine histoire, au cours de laquelle nous entendrons Sandra s’écrier : « Oh ! Robauto, tu sais vraiment comment il faut traiter une Dââââ-me ! » Restez à l’écoute, et en attendant mangez beaucoup de, enfin, vous savez.

 

Traduit par HENRY-LUC PLANCHAT.

Don Slow and his Electric Girl Getter.

 

 

 

Tous droits réservés
© Librairie Générale Française, 1985, pour la traduction.