Ainsi il y a deux personnes dans le palais de l’empereur qui s’entretiennent couramment dans la langue romani, qui savent le romani aussi bien que lui, Rynaldo, et que sa sœur Myrrha, et qui parlent avec la même haine qu’il pourrait le faire lui-même des faux frères, des faux tziganes : « Kalb Tchingianes ! » (faux bohémiens !). Ainsi s’expriment les frères nomades de la Porte-de-Fer, en parlant des sédentaires qui en Hongrie ou en Austrasie, n’ont pas hésité, pour faire fortune, à devenir chrétiens à la mode du pape, ou qui ont osé se faire musulmans, aux environs de Constantinople. Comme au-dessous de lui on en a parlé avec haine ! Et quel mystère encore est-ce là ? Ces femmes de l’impératrice qui parlent comme de véritables filles du Sabbat, en romani ! Et c’est lui, qui les entend, lui qu’on a appelé au Burg pour apprendre à l’impératrice le romani !
Dans quelle intrigue inouïe, fantastique, l’a-t-on donc fait entrer ! Il est temps de le savoir. Et le hasard lui en offre peut-être l’occasion. Il entend sur le balcon la porte-fenêtre qui se ferme. Il n’a aucune hésitation. Il se suspend à la barre de la fenêtre et se laisse tomber sur ses pieds nus. Le balcon le reçoit. Il n’a fait aucun bruit. Les ténèbres l’enveloppent et le gardent, et pour être plus invisible encore, il reste à genoux devant cette double persienne qui tout à l’heure était ouverte. Une lumière filtre soudain.
Il fait clair maintenant dans cette chambre, dans laquelle les deux mystérieuses ombres qui parlent bohémien ont disparu. Et l’œil à une fente de ces volets, il regarde. Ah ! il l’avait bien deviné : c’est Régina et Orsova ! Mais maintenant il ne les entend plus. Elles sont penchées sur un petit bureau, et Régina écrit.
La pièce où elles se tiennent est une sorte de boudoir-salon qui doit précéder la chambre de la princesse. Cette seconde pièce est éblouissante de lumières, et au fond d’un lit à baldaquin, Rynaldo aperçoit dans tous ses détails, un portrait. C’est un portrait de femme qui a dépassé la trentaine ; mais cette image leur ressemble tellement, à Régina et à Tania, que ce ne peut être que le portrait de leur mère… et Rynaldo est obligé de penser en même temps : de leur mère et de celle de Stella !
Aussitôt une brusque clarté embrase son cerveau : plus de doute, Régina et Stella sont sœurs, au moins par leur mère. Et elles poursuivent toutes deux la même besogne bohémienne, la première, au cœur même de la Hofburg, la seconde sur toutes les routes de l’empire ! Et cette femme, cette dame d’honneur, qui avait montré pour lui, Rynaldo, une si grande admiration, il en reconnaissait le type à ne s’y point méprendre. Elle avait beau affecter des airs de grande dame, c’était une cigaine de Valachie dont il reconnaissait bien le profil dur, le menton en galoche, et la ligne sourcilière admirable. Toutes les filles d’Ursari ont ce type aigu et farouche.
Rynaldo est tout frémissant de sa découverte. Il comprend qu’un pareil secret n’est point celui de Stella et qu’elle ne pouvait rien lui révéler d’une aussi formidable aventure tant que Régina ne lui aurait point délié la langue. Il comprenait maintenant qu’il devait les servir toutes les deux, la princesse et la bohémienne, en aveugle et en sourd ! Et il résolut tout de suite d’entrer dans son programme en cessant son espionnage, en regagnant sa chambre. Il s’était fait toutes ces réflexions, les yeux fixés sur le portrait de cette femme, dont les beaux yeux tristes ne se ferment jamais : Marie-Sylvie ! reine de Carinthie !
– C’est le portrait de la pauvre reine folle… murmurait Rynaldo, qui en avait entendu parler à un âge où l’on n’attache point d’importance aux malheurs des reines… et il se rappelait avoir entendu dire que Réginald Iglitza l’avait connue…
Quand son regard eut quitté le portrait pour retourner aux deux femmes, il fut surpris de voir la princesse debout, prête à sortir, s’enveloppant d’un manteau que la vieille noble dame lui avait jeté sur les épaules… Les petits pieds de Régina étaient bottés, et Rynaldo vit briller des éperons d’or.
– Tiens ! se dit-il, elle a les mêmes éperons que Stella !
Orsova venait de l’embrasser passionnément, et Régina lui avait rendu son baiser avec la même tendresse. Maintenant elles se tenaient immobiles, semblant écouter les pas du gardien dans le corridor. Puis Régina, après un dernier signe à Orsova, s’était approchée du mur de gauche dans le boudoir, avait soulevé une tenture ; son petit poing avait appuyé fortement sur un coin du dessin qui ornait le papier à fleurs bleues de cette chambre, et une porte secrète s’était ouverte. La princesse se retourna une dernière fois, sourit à sa gouvernante, et s’enfonça dans le trou noir dont la porte se referma sur elle. Sur quoi Orsova laissa retomber la tenture, s’en fut dans la chambre à coucher, dont elle éteignit la lumière, puis disparut. Dans le boudoir, une petite lampe continuait de veiller.
En dépit de ses belles résolutions, Rynaldo regretta amèrement d’être séparé de cette porte secrète par ces persiennes et cette fenêtre. Impatiemment, il tira à lui les persiennes qui cédèrent à son effort… Elles n’étaient pas fermées ! Et la fenêtre, elle aussi, céda. C’était là une chance inouïe, un miracle, à moins que, au cours de cette conversation animée qui avait attiré l’attention de Rynaldo, la vieille noble dame, toute à son irritation contre les Kab Tchingianes, ne se fût point aperçue qu’elle n’accomplissait sa besogne de fermeture qu’à demi. Enfin, la fenêtre était ouverte, et Rynaldo en profita. Le jeune homme avait bien remarqué le coin du dessin sur lequel le poing de Régina avait appuyé. Il appuya à son tour. Il entendit un ressort qui se déclanchait et la porte s’ouvrit.
Il faisait noir comme dans un four là-dedans. Il craqua une allumette, examina la porte, se rendit très bien compte que, de l’intérieur de ce corridor obscur, il était très facile et très simple de refermer la porte et de la rouvrir. Il la referma donc bravement et s’enfonça dans ce boyau de ténèbres. Tout de suite il rencontra des marches. Ce passage était si étroit que Rynaldo jugeait qu’il avait dû être percé dans la muraille même. Il descendit une cinquantaine de marches, croyant entendre résonner au loin, sur la pierre, les petites bottes de Régina, mais il se rendit compte presque aussitôt que le silence le plus absolu l’entourait. Alors il se hâta, certain, lui, sur ses pieds nus, de ne faire aucun bruit.
Après les marches, il trouva un long couloir, large et élevé. Alors il courut jusqu’à ce qu’il eût trouvé une issue qui était aussi étroite que le premier passage. Et là, il dut remonter des marches qui faisaient, dans de la pierre, de curieux détours. Tout à coup il sentit une fraîcheur sur son front, il leva la tête et aperçut un carré de lumière, une lueur faible, en forme de porte. Encore quelques marches et il fut dans cette lueur. Encore quelques pas, et il fut à l’intérieur d’une église qu’il reconnut tout de suite. Il était là dans l’église des Augustins. Et Rynaldo se retourna pour voir d’où il sortait. Il sortait de la porte funèbre ouverte dans le tombeau de marbre de Marie-Christine !
L’église était déserte, mal éclairée. Rynaldo sortit de son tombeau, enjamba une grille, et marcha à pas prudents. Toujours aucun bruit. Régina devait être loin maintenant ! Ne ferait-il pas mieux de reprendre la route qui l’avait conduit ici, et de regagner sa chambre avant que la princesse ne fût de retour ? C’était la sagesse.
Mais Rynaldo n’était pas sage. Il était heureux comme un soldat qui a sauté le mur, d’avoir échappé à la surveillance des gardes, de se trouver enfin, pour quelques heures, hors de cette Hofburg, dont l’atmosphère lui pesait. Et puis il avait hâte de revoir Myrrha et de tout lui conter de ce qu’il venait de découvrir. Il pensa qu’il lui serait toujours loisible de revenir par le chemin du manège, le lendemain, au palais. Ne devait-il pas, du reste, aller chercher de grand matin sa jument Gitane, pour la conduire aux écuries impériales. Un mot de la « petite matelassière », à ce propos, l’avait prié de laisser au manège de la rue de l’Eau-de-l’Empereur Darius, dont elle pouvait avoir besoin. Enfin il jugeait qu’il était beaucoup plus raisonnable de rentrer au palais à une heure convenable, avec des habits convenables, que de risquer de traverser à nouveau la chambre d’une princesse royale dans le costume sommaire où il se trouvait : une chemise et un pantalon ! Enfin il n’était point sûr du tout de pouvoir, par le balcon, remonter chez lui aussi facilement qu’il en était descendu ! Et si l’on s’étonnait de le voir revenir au palais, il lui resterait de mettre un pareil phénomène sur le compte de la somnolence des gardes.
Il fallait maintenant sortir de l’église. Régina en était bien sortie. Il fit ainsi le tour de l’église et l’examen des portes, et ce fut tout près de la sacristie qu’il trouva une petite porte dont les verrous n’étaient point tirés à l’intérieur. Il souleva la clanche. Et il fut dehors. Il n’avait pas chaud.
La rue de l’Eau-de-l’Empereur n’était point à côté, et il avait les pieds nus. Mais ce sont là des considérations qui ne comptent point quand on est cigain de la Porte-de-Fer, et qu’on a eu des ancêtres dont les pieds nus ont connu les routes pendant mille ans ! Il s’orienta et commença sa course. Et quand il arriva à la Kaiserwasserstrasse, il était tout à fait réchauffé. Ce fut M. Magnus qui lui ouvrit la porte, tout étonné d’être dérangé à une heure pareille par son maître qu’il n’attendait pas. Celui-ci ne perdit pas de temps à lui fournir des explications, mais entra aussitôt dans la chambre de Myrrha. Celle-ci s’était éveillée au bruit et avait reconnu la voix de Rynaldo.
– Qu’y a-t-il, Rynaldo ? demanda-t-elle aussitôt dans une grande inquiétude ; et l’aveugle tendait les bras, pressée de sentir contre elle cette chère tête.
En quelques phrases rapides, le jeune homme lui conta ce qui venait de lui arriver. Mais elle prêtait moins d’attention à ce qu’il lui disait qu’à l’étrange costume dans lequel ses mains le découvraient.
– Mais tu es à moitié nu !
Elle le fit coucher tout de suite, se leva, le soigna, lui fit du thé. Rynaldo voulut qu’elle réveillât Mlle Lefébure.
– Ah ! Je le voudrais bien, fit-elle. Elle est repartie dans son sommeil, et il n’y a plus moyen de l’en tirer. Quelle chance nous avons eue que ce ne soit point toi qui ait bu cette méchante potion !
Quand Rynaldo fut bien au chaud dans son lit, Myrrha vint à son chevet. Il lui demanda :
– Qu’est-ce que tu penses de tout cela ?
– Écoute, Rynaldo, je pense à une chose que tu n’as pas sue, car tu étais enfant alors, mais le bruit a couru que Réginald, qui a été reçu souvent à la cour de Carinthie, avait été l’ami de la reine Marie-Sylvie…
– Réginald ! fit-il avec un sursaut… mais alors… ta pensée… serait que Stella peut être la fille de Réginald ?
– Cela ne m’étonnerait point, répondit doucement Myrrha, car je me suis souvent demandé pourquoi toi, mon frère, qui est le cousin le plus proche de Réginald, et par conséquent le plus près du Grand-Coesre défunt, celui qui était tout désigné pour lui « survivre » et, s’il a été lâchement assassiné, comme on l’a prétendu, pour le venger, je me suis souvent demandé pourquoi les « Deux heures et quart », tout en veillant sur nous, nous avaient cependant toujours tenus à l’écart de leurs desseins et de leurs résolutions. Et bien des fois, Rynaldo, quand tu me parlais de Stella, je me demandais pourquoi il y avait une Reine du Sabbat, quand il devait y avoir un Grand-Coesre, mon Rynaldo !
– Les « Deux heures et quart » m’ont fait ban de Croatie !
– Elles ne t’ont pas fait Grand-Coesre !
– Je suis le chef élu de la tribu de la Porte-de-Fer !
– Tu obéis à une femme, Rynaldo.
– Parce que je l’aime, Myrrha.
– Et parce qu’elle est la fille de Réginald… Tout s’expliquerait, vois-tu ! Non seulement la puissance de la « petite matelassière » serait expliquée ainsi… mais encore peut-être l’affreux drame que l’on n’a fait que soupçonner et dans lequel la reine Marie-Sylvie a trouvé la folie… et Réginald Iglitza, la mort !
– Les « Deux heures et quart » doivent savoir ces choses ! s’écria le jeune homme, en fermant nerveusement son poing… Pourquoi ne me les disent-elles pas, à moi ? Pourquoi continue-t-on à me traiter comme un enfant ? Mais toi, Myrrha, toi, ma grande sœur, dont je connais la sagesse, pourquoi ne t’a-t-on jamais rien dit, à toi ?
– À la mort de notre père, dont la dernière parole a été pour me recommander d’obéir aux « Deux heures et quart », les « Deux heures et quart » m’ont fait simplement savoir, Rynaldo, qu’elles comptaient sur moi pour t’élever à la mode de la Porte-de-Fer. Quand tu eus douze ans, on a dû les renseigner et elles ont dû savoir que j’avais bien tenu ma parole, puisque nous reçûmes l’ordre du vieil Omar de faire le voyage de la Porte-de-Fer, et là, tu fus hissé sur le pavois à douze ans, et promené par tout le camp… Tu te rappelles ?
– Si je me rappelle ! fit Rynaldo avec un geste d’orgueil.
– Depuis, je ne sais pas autre chose des « Deux heures et quart » que ce que tu en sais toi-même.
– Ecoute, Myrrha, ce que tu dis est plein de bon sens, ma sœur, et si Stella est la fille de Réginald, et sœur par leur mère des deux princesses de Carinthie, il est tout à fait juste qu’elle en sache plus long qu’un simple petit jude de la Porte-de-Fer ! Et certes, ce n’est pas moi qui lui arracherait des mains le fouet du Grand-Coesre ! Deux fois je suis son esclave ! Et ce que les « Deux heures et quart » ont fait est bien fait ! Mais entends-moi… entends-moi bien, Myrrha… il est impossible que les « Deux heures et quart », qui avaient l’œil sur nous, qui nous ont toujours protégés, qui m’ont sauvé peut-être de cette triste aventure dans laquelle je m’étais jeté avec des Kalb Tchingianès… il était impossible que les « Deux heures et quart » n’aient point connu ton malheur, à toi ! Ni vu se fermer tes yeux ! Elles savent ! Je te dis qu’elles savent tout !
– Je le crois, fit simplement la jeune femme.
– Elles savent qui, elles… tu entends ! qui !et nous, nous ne savons pas ! Eh bien, voilà ce que je ne leur pardonnerai jamais, aux « Deux heures et quart »… Puisqu’elles sont partout et qu’elles connaissent tout… elles ont dû me voir chercher… depuis la cave jusqu’au grenier… dans toutes les villes où nous sommes passés ! Écuyer, étudiant, vétérinaire ! Dans le cirque… au palais… au champ de courses, au théâtre, dans la rue, dans l’écurie, dans l’égout… partout où l’on peut rencontrer un prince allemand ivre !
– Rynaldo ! Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! Tant qu’il vivra, n’en parle pas !
Et ce fut un grand cri de haine ; un même embrassement exalté et frénétique les tint serrés tous deux à s’étouffer, pendant que le visage de Myrrha, si doux ordinairement et si calme, prenait une expression de jeune sauvagesse en fureur et que ses yeux morts de cigaine semblaient avoir retrouvé les flammes de la vie ! Après quelques minutes, où le frère et la sœur poursuivaient leur terrible pensée en silence, Rynaldo dit d’une voix sourde :
– Si les « Deux heures et quart » savent, pourquoi ne me parlent-elles pas… de ça ? De ça seulement, qui me regarde… qui ne regarde que moi… de ça, qui est à moi ?
– J’ai pensé qu’elles te laissaient grandir, Rynaldo ! répondit doucement Myrrha en secouant la tête… et j’ai montré de la patience…
Le jeune homme dressa ses poings, gonfla sa poitrine :
– Grandir ! Attendent-elles que j’aie cent ans ! Ah ! vois-tu, Myrrha, il ne faut compter sur personne pour une œuvre pareille… sur personne que sur soi ! Je trouverai bien à moi tout seul… On n’est pas cigain pour rien… en parcourra toute la terre… Et j’ai l’idée que je ne moisirai pas à la Hofburg, bien qu’on y parle, la nuit, tsiganié, comme au pays des hospodards !
Myrrha posa sa main sur le bras de son frère.
– Je t’ai laissé entrer dans la Hofburg, dit-elle très calme, parce que j’ai cru qu’il le fallait… Il y a beaucoup de princes allemands à la Hofburg !
– Est-ce que tu crois que j’ai attendu d’être en service commandé pour les connaître tous ? répliqua rudement Rynaldo. Moi, quand je suis entré à la Hofburg, c’était la seule chose à laquelle je ne pensais pas, car tous, ils avaient depuis beau temps défilé devant l’étudiant Rynaldo… et sans s’en douter encore ! Depuis Léopold-Ferdinand jusqu’à Karl le Rouge ! Ce n’est pas là que nous le trouverons.
Mais soudain, un bruit le fit se redresser… On entendait distinctement le galop d’un cheval qui se rapprochait…
– Régina ! Je te dis que c’est la princesse… Avant de sortir, elle avait mis ses éperons d’or, comme Stella… Ah ! je savais bien que je la trouverais par ici… Elle vient voir Stella ! Elle doit s’entendre avec Stella ! Parbleu ! rien n’est possible autrement !
Il avait sauté à la fenêtre… Un bec de gaz éclairait la voûte qui s’ouvrait dans l’immeuble de la « petite matelassière ». Rynaldo ne pouvait s’y tromper ; dans l’amazone qui arrivait à toute allure devant cette voûte, il reconnut la princesse de la Hofburg, enveloppée du même manteau que la vieille noble dame avait jeté sur les épaules de Régina, et cependant, quand elle sauta de cheval, ce n’est point le cri de « Régina ! » qu’il laissa échapper, mais celui de « Stella ! ».
– C’est Stella ! répéta-t-il dans une émotion indicible… C’est la même ! C’est elle, la Reine du Sabbat ! Régina et Stella ne font qu’une ! Il n’y a qu’une femme au monde pour sauter de cheval comme ça, Myrrha ! La Reine du Sabbat, la fille de Réginald, est princesse royale de Carinthie ! Elle a beau avoir, cette nuit, une chevelure plus noire que la nuit… et une mèche blanche au front… c’est Stella ! c’est Stella !
Myrrha, à qui Rynaldo avait longuement raconté ses hésitations et ses aventures, Myrrha dit à Rynaldo :
– Tu ne te rappelles donc plus que tu les as vues toutes deux en même temps au Prater ?
– C’est vrai pourtant ! Et cependant, je sens que je ne me trompe pas ! Je le sens ! Tu entends ? Je le sens comme un animal qui connaît son maître et qui ne peut pas se tromper !
Il n’avait pas plutôt achevé cette phrase qu’il poussait un grand cri de joie :
– Ah bien ! fit-il. J’ai trouvé ! Je dois conduire Gitane demain aux écuries de l’empereur, pour la leçon des deux princesses. Je laisserai Gitane et j’emmènerai Darius ! Il ne se trompera pas, lui ! et nous verrons l’accueil qu’il fera à Régina, si Régina est Stella ! Voilà plus de quinze jours qu’il ne l’a vue… Il l’embrassera !
– Mon ami, dit Myrrha, si la Reine du Sabbat et la princesse royale de Carinthie sont la même personne, et que Stella ne te l’ait point encore avoué, c’est qu’elle doit avoir quelque bonne raison pour cela. Vas-tu la mettre à l’affront ? Promets-moi d’aller demain matin au palais avec Gitane.
Le jeune homme, après avoir une fois de plus rendu hommage à la sagesse de sa sœur, le lui promit. Sur quoi Rynaldo et Myrrha se séparèrent pour goûter un peu de repos. Mais Rynaldo, le lendemain matin, se rendit au palais, sur Darius.