LA SAGESSE DU JUGE

Timothy Zahn

22 ap. BY

Chronologie

Timothy Zahn s’autorise une nouvelle toute petite incursion dans le monde des « short stories », comme on dit chez les George. Après Duel, ou le fondateur de l’Univers Étendu surprenait tout le monde en s’appropriant un Général Yoda en pleine Guerre des Clones, voici La Sagesse du Juge.

En 2003, Del Rey avait proposé sur son site web un texte spécial « Saint Valentin » : Intermède à Corphelion, de Troy Denning, avec Han et Leia en vedette. Rebelote en 2004, mais cette fois avec le couple Skywalker sous les projecteurs, eux qui venaient de faire leur grand retour dans Une Question de Survie. Ça se passe justement peu de temps avant ledit roman et ça raconte une journée banale de travail pour Luke et Mara, pourrait-on dire.

Titre original : Judge’s Call

 

Les deux petits non-humains au ventre rebondi s’inclinèrent devant Luke Skywalker.

— J’écoute le Jedi et j’obéis, entonna l’un des deux tout en émettant trois notes distinctes de sa voix nasillarde.

— J’écoute et j’obéis également, dit le second, sur un ton toutefois moins enthousiaste.

S’inclinant de nouveau, ils reculèrent.

Avec un léger soupir, Mara Jade Skywalker jeta un œil à son datapad. Ces deux-là avaient été les vingt-neuvième et trentième plaignants depuis que Luke avait ouvert cette session ce matin au lever du soleil. Trente plaignants en moins. Et encore cinq milliards à venir.

Elle mit de côté le datapad, faisant de gros efforts pour ne pas laisser le mécontentement qui montait en elle prendre le dessus. Non, bien entendu, la planète tout entière n’était pas en train de faire la queue pour parler de ses problèmes et obtenir sa part de la sagesse et de la justice Jedi. Mais aujourd’hui, en tout cas, cette impression lui semblait aussi réaliste que l’assertion qui disait qu’il y avait de la vermine sur Coruscant.

L’Huissier, vêtu de sa robe d’apparat, s’approchait maintenant de la plate-forme, tenant son propre datapad de manière protocolaire. À n’en pas douter, il s’apprêtait à faire un bref compte-rendu du litige opposant les plaignants trente et un et trente-deux. La dernière fois que Mara était allée faire un tour dans la salle d’attente, il y avait là au moins cinquante autochtones assis dans un silence glacial, les uns préparant intérieurement leurs arguments, les autres dévisageant leurs opposants assis en face d’eux. Il y avait encore au moins dix cas à entendre aujourd’hui, et le soleil était déjà bien bas dans le ciel.

Mentalement, Mara secoua la tête. Oui, elle en voulait à ces gens de monopoliser son mari, de lui prendre autant de temps et d’énergie. Et pour être honnête, elle devait même admettre qu’elle en voulait un peu à Luke pour son altruisme et sa rapidité à accepter de leur consacrer son temps.

Mais elle se rendait également bien compte que sa présence ici apportait davantage que ce que les simples chiffres pouvaient indiquer. Au moins cinq des différends que Luke avait réglés aujourd’hui traînaient en longueur depuis dix ans ou plus, aucune des parties ne voulant bouger du moindre centimètre. Parmi les cinq, deux dataient de la génération précédente, remontant en réalité à des querelles vieilles de plus de quarante ans qui avaient impliqué les pères des plaignants. Et maintenant, en dépit de leurs longs contentieux, les deux parties avaient dans chacun de ces cas écouté le jugement de Luke et accepté de s’y conformer. Pas forcément de gaieté de cœur, mais elles avaient accepté.

Elles allaient même très probablement se tenir scrupuleusement aux décisions prises. Sur cette planète, la tradition voulait que l’on respecte les verdicts Jedi dans ce genre d’affaires, et cette tradition remontait à l’apogée de l’Ancienne République. Comment les gens s’étaient-ils organisés pendant les jours sombres de l’Empire, elle ne le savait pas, mais le nombre de disputes vieilles d’une génération laissait supposer qu’ils ne s’en étaient pas très bien tirés.

Elle regarda à nouveau son datapad. De toute façon, elle savait à quoi s’en tenir depuis le début, lorsqu’elle avait accepté d’épouser Luke. Malgré une dizaine d’années d’un travail tout aussi dévoué à l’Académie, il n’y avait pas assez de Jedi, loin s’en faut, pour parcourir la galaxie et assurer ce genre de fonctions.

L’Huissier atteignit enfin la plate-forme.

— Maître Jedi, nous avons reçu une requête aussi inattendue qu’urgente, dit le non-humain. Le Second Coordinateur Agricole Kei Ras Cirali sollicite votre présence sans retard dans sa retraite de la Montagne de Karrish pour discuter d’un problème qu’il est dans l’incapacité de résoudre.

— Je vois, dit Luke d’une voix solennelle. Même les puissants ont parfois besoin des conseils d’autrui, je suppose. Où est cette retraite ?

— Dans une grotte au pied de Karrish Prime, répondit l’Huissier en bougeant ses oreilles pour indiquer l’alignement de pics aux sommets enneigés que l’on pouvait voir au loin par une large fenêtre située derrière eux. Si vous êtes d’accord, nous avons un airspeeder et un chauffeur qui vous attendent.

— Merci, fit Luke en se levant. J’ai déjà parlé avec Maître Cirali auparavant. S’il a besoin de nous, nous ne demandons pas mieux que d’aller le voir.

— Nous autres de la cité, nous vous remercions en son nom pour votre patience, ajouta l’Huissier tout en s’inclinant. Je vais renvoyer les plaignants chez eux ; ils se rassembleront à nouveau lorsque vous aurez la possibilité de revenir.

— Merci. (Luke échangea un regard avec Mara et dit :) Nous ferions mieux d’y aller.

Ils n’échangèrent pas un mot avant d’avoir largement dépassé les limites de la cité, faisant route vers la chaîne de montagnes.

— Tu as dit que tu connaissais ce Cirali, demanda Mara.

— Pas vraiment, mais je lui ai parlé une fois ou deux, lui expliqua Luke. Il s’occupe de pratiquement toute la coordination dans la zone agricole située à l’est de la montagne de Karrish.

Mara se remit en mémoire la carte qu’elle avait consultée pendant leur voyage vers ce système.

— Ça représente une grande région.

— La deuxième de toute la planète, acquiesça Luke. C’est un poste en partie héréditaire qui remonte aux temps des anciens Sultaries.

L’utilisation du mot retraite par l’Huissier n’avait pas convenablement préparé Mara au stupéfiant château travaillé et creusé à même la roche au pied de la montagne. Une poignée d’autochtones en livrée se prosternèrent lorsque Luke et Mara passèrent entre eux en empruntant un couloir très haut de plafond qui les mena jusqu’à un immense bureau – salle de conférence.

Cirali les attendait, installé sur un gigantesque divan, pratiquement noyé au milieu d’une douzaine de grands coussins aux couleurs vives.

— Ah, le Jedi, s’exclama-t-il, levant les deux mains en guise de salutations tandis que les serviteurs refermaient les portes derrière eux. Bienvenue, Maître Skywalker. Et vous devez être sa douce et délicate épouse.

Mara jeta un regard en biais à son mari.

— « Douce et délicate épouse » ? reprit-elle d’un ton menaçant.

— C’est juste une façon de parler, s’empressa de lui assurer Luke. Nous voilà, Maître Cirali, prêts à nous occuper de votre problème.

— Je vous en suis très reconnaissant, répondit Cirali. Le problème, Maître Skywalker, est un problème de temps. Dites-moi, que doit-on faire quand il semble ne plus y avoir de temps pour les choses importantes de la vie ?

Mara sentit quelque chose se contracter en elle. C’était précisément le problème que Luke et elle rencontraient ces derniers jours : beaucoup trop de responsabilités, et trop peu de temps… Si quelqu’un comme lui, qui coordonnait l’ensemble des opérations dans l’une des principales régions agricoles, ne pouvait pas le résoudre, ce n’était vraisemblablement pas Luke qui le pourrait.

Cependant, elle fut légèrement surprise de voir Luke esquisser un sourire.

— Il y a toujours du temps pour les choses importantes, répondit-il. L’astuce c’est de se rendre compte du besoin, et ensuite de créer le temps nécessaire.

— Vous parlez sagement, dit Cirali en s’extrayant de son divan. Venez, la salle de rendez-vous vous attend.

Il les mena jusqu’à l’un des rideaux suspendus derrière son divan et le repoussa, révélant une porte métallique enchâssée dans la paroi rocheuse de la caverne. Sur un signe de sa main, elle s’ouvrit pour révéler la cabine d’un turbo-ascenseur.

— J’attendrai votre retour, précisa-t-il en s’inclinant.

Luke entra le premier dans la cabine et, quelques instants après, Mara et lui s’élevaient au cœur de la montagne.

— Et qui allons nous rencontrer exactement dans cette salle de rendez-vous ? interrogea Mara alors que la cabine ralentissait avant de s’arrêter totalement.

La porte s’ouvrit…

Elle en eut le souffle coupé. De l’autre côté de la porte se trouvait une immense chambre, aussi superbement et luxueusement agencée que dans les meilleurs palaces qu’elle avait pu voir à travers la galaxie. Il flottait dans la pièce le délicat parfum des fleurs de velanie baignées de rosée, et l’on entendait en fond sonore une de ses sonates kithra préférées. Tout au fond de la pièce, une immense baie de transparacier offrait une vue imprenable sur les montagnes, les rivières et les vallées qui s’étendaient au-delà, le tout rehaussé par les ombres jetées par le soleil couchant.

Et, à part eux deux, la pièce était déserte.

— Comme je le disais, murmura Luke alors qu’il passait les bras au tour d’elle et la poussait doucement hors de la cabine du turbo-ascenseur sur une épaisse moquette, l’astuce c’est de créer le temps.

Mara le regarda d’un air stupéfait… puis, avec un temps de retard, elle comprit.

— Tu as organisé tout ça, n’est-ce pas ? le questionna-t-elle. D’abord notre venue dans ce système… la convocation de Cirali… cette chambre…

— Autrefois la retraite montagneuse du Troisième Sultara, l’interrompit Luke en désignant la pièce de la main. Les plus belles installations du secteur. Et bien sûr, aussi longtemps que nous serons officiellement en consultation avec le Second Coordinateur Agricole.

Il prit ses mains et se rapprocha.

— Joyeuse seconde lune de miel, Mara.

Ils s’embrassèrent un long moment. Puis il s’arracha doucement à son étreinte. Presque à contrecœur pensa Mara.

— Allez viens, faisons un petit tour du propriétaire, proposa-t-il. J’ai fourni à Cirali une liste des choses que tu aimes plus particulièrement, et il a promis d’en fournir autant qu’il le pourrait.

— Oui, j’ai déjà remarqué les fleurs et la musique, confirma Mara tout en jetant un regard alentour. Il a préparé également tous mes plats favoris, je suppose ?

— Assez pour tenir aussi longtemps que nous voudrons rester ici. (Luke hésita.) J’espère que tout cela aidera à me faire pardonner pour le fait de t’avoir autant négligé ces derniers temps.

— Il n’y a pas de problème, le rassura Mara.

Et, se tenant là, juste tous les deux, face à face, ce ne fut soudain plus un problème.

— Je comprends très bien que tu aies aussi des responsabilités envers le reste de la Nouvelle République. J’ai juste besoin de t’avoir rien que pour moi de temps en temps.

— J’en ai besoin moi aussi, lui répondit Luke. S’il te plaît, ne me laisse jamais l’oublier.

— Je n’y manquerai pas, promit Mara gentiment. Et juste un autre détail… ?

Il se pencha sur elle.

— Oui ?

Elle lui tapota le bout du nez d’un air espiègle.

— Tu me traites une seule fois de « douce et délicate épouse », affirma-t-elle, et tu vas t’attirer de sérieux ennuis.

Il eut un grand sourire.

— J’essayerai de m’en souvenir.