CIEL BLEU, FLAMME ROUGE

Elaine Cunningham

21 ap. BY

Chronologie

Ciel Rouge, Flamme Bleue est une nouvelle parue dans le Star Wars Gamer #7 écrite par Elaine Cunningham, l’auteur à succès des Royaumes Oubliés et du dixième volume de la saga du Nouvel Ordre Jedi : Sombre Voyage. Elle est également la mère d’un grand nombre d’autres textes parus dans différents magazines, tel que Le Cristal ou L’Apprentie.

Ce récit a le mérite d’être original puisqu’il ne propose pas une énième aventure de Jaina Solo mais introduit le personnage de Jagged Fel, fils de Syal Antilles, la sœur de Wedge, et du célèbre Baron Soontir Fel, un légendaire pilote impérial passé du côté de la Rébellion avant de retourner vers Ysanne Isard puis de disparaître pour rejoindre l’Empire Chiss. Ce personnage est un membre récurent du Nouvel Ordre Jedi.

L’histoire se déroule en l’an 21, soit quelques années après La Main de Thrawn de Timothy Zahn. Madame Cunningham nous entraîne dans une académie militaire secrète des Chiss, l’espèce de feu le Grand Amiral Thrawn, dans les Régions Inconnues où Jag Fel est alors âgé de quatorze ans. Mal intégré à la société non humaine car étant le seul cadet humain, il saisit l’occasion de prouver sa valeur lorsqu’un groupe de pirates attaquent la base.

Titre original : Red Sky, Blue Flame

 

Jag Fel ouvrit le cockpit bosselé d’un coup d’épaule et en sortie difficilement. Un air glacé le frappa. Il protégea ses yeux du vent cuisant et scruta l’horizon à la recherche de l’académie militaire Chiss. Une vaste sphère s’élevait du paysage morne, à peine visible à travers les bourrasques de neige. Sans le reflet des trois lunes qui convergeaient, il ne l’aurait probablement pas vu du tout. Il soupira puis commença son pénible retour. Par ce temps, il serait aussi bleu qu’un Chiss avant d’arriver.

Un souffle nasal et perçant provenant du glissement d’un traîneau se mélangea au vent qui s’intensifiait. Le véhicule rouge vif avançait à travers les tourbillons de neige, conduit par un robuste mâle Chiss aux cheveux blancs incrustés de glace.

— Obersken ! cria Jag, agitant les deux bras pour attirer l’attention de son sauveur. Ils le connaissaient bien : la plupart des vols de Jag avec la Flamme Bleue se terminait par un atterrissage intéressant et des réprimandes du mécanicien en chef.

Le vieux Chiss s’arrêta et lança à Jag un regard sinistre. Se déplaçant avec aisance, il attacha des cordes au navire et le hissa sur le traîneau. Il grimaça lorsqu’il vit l’énorme mynock recouvrant la verrière de Jag.

— Vous ne pouviez rien faire, je suppose. Au moins cette fois vous avez une bonne excuse.

Jag réprima une grimace.

— Qu’auriez-vous fait. Cette chose a choisi le vaisseau de Shawnkyr et commençait à manger les câbles bâbords, devant son armement. Je, euh… l’ai distrait.

Obersken lui lança un regard de dégoût absolu.

— Irréfléchi, indiscipliné. Il n’y a pas de place pour les héros dans ce corps. Combien de fois vous l’ai-je déjà dit ?

Jag inclina la tête, un geste exprimant qu’il reconnaissait la sagesse de ces idées et qu’il présentait ses excuses pour ne pas les avoir suivies. Alors qu’il était enfant, il avait rêvé d’être un héros. À quatorze ans, il regardait déjà ses ambitions passées avec la nostalgie réservée aux bêtises d’enfance.

Gimald Nuruodo, l’instructeur de vol les retrouva à la porte.

— Toujours plus héroïque, Lieutenant Fel ?

Le ton du Commandant, froid et poli, exprimait clairement son opinion. Jag déclara sèchement, au garde à vous :

— Monsieur, nous avons réussi l’exercice, monsieur.

— Gagner ou perdre n’est pas la question. Le non-respect des règles, la présomption d’un individu qui place ses impulsions au-dessus de la sagesse collective, de la tradition et du clan, nous ne pouvons pas le permettre. (Il fit une pause et renifla, dégoûté.) Vous êtes comme votre frère, comme toujours.

La première impulsion de Jag fut de remercier le Chiss, ce qui aurait été une réaction sincère, mais aurait certainement pris pour une marque d’insubordination. Son frère, Davin, avait été un héros dans tous les sens du terme, et le Chiss trouvait toujours un millier de façons de le lui rappeler.

Thrawn était un héros, pensa Jag, mais il savait qu’il valait mieux ne pas le dire à voix haute.

Plus tard, dans la chaleur réconfortante de l’académie, les pensées de Jag s’attardèrent sur le Grand Amiral Thrawn. Il était plus sage de garder ces pensées pour lui, même lorsqu’il eut rejoint les autres cadets pour le repas du soir.

De longues et droites rangées de futurs guerriers à la peau bleue remplissaient le hall du mess. Tous se tenaient droits, personne ne parlait. Assis sur les bancs en plastacier dépourvus de dossiers en une posture parfaite, ils avalaient silencieusement leur repas du soir. Impossible d’imaginer en les regardant que le but central de leur vie avait soudain cessé d’exister.

Pendant des mois, “Thrawn est revenu !” avait résonné dans toute la nébuleuse de Rata comme un chant d’oiseau le matin se propageant à travers la forêt protégée par le dôme de l’académie. Les rumeurs de la survie du grand leader avaient galvanisé les avant-postes Chiss. L’entraînement des cadets avait été accéléré dans l’espoir que le Grand Amiral les appellerait bientôt pour le service actif. Même Jag avait reçu un vaisseau. Il se considérait aussi prêt que les autres cadets Chiss, et aussi déterminé à bien servir.

Mais le retour de Thrawn n’avait été qu’un mensonge, un canular perpétré par un clone et son complice. Jag s’était senti comme si quelqu’un lui avait ôté sa Griffe Chiss en plein vol. Qu’étaient-ils supposés faire maintenant ?

Comme pour lui répondre, un grand mâle en uniforme bordeaux de commandant de la maison Phalanx entra à grand pas dans la salle. Les cadets se levèrent brusquement et se tournèrent avec une précision militaire vers l’estrade pour attendre les paroles du commandant.

Jag attendait avec eux, considérant le commandant Chiss avec un mélange d’intérêt et d’appréhension. Seulement connu sous le nom de “Stent”, il avait servi au côté de l’Amiral Voss Parck et avec le père de Jag, le Général Baron Soontir Fel. Stent était aussi la raison pour laquelle Jag était venu à cette académie précise.

— Repos, la voix basse et parfaitement modulée du Chiss porta jusqu’aux recoins les plus éloignés du hall du mess. Les cadets adoptèrent une posture plus relâchée, leurs yeux rivés sur le dirigeant.

— Le poste de liaison commandé par l’Amiral Voss Parck est tombé aux mains à l’Alliance Rebelle, dit-il sans ménagements.

Jag accusa le coup avec difficulté. Le poste de son père, détruit ! Une fois encore les rebelles avaient réduis une partie de son monde ordonné au chaos. Le commandant Gimald s’avança vers Stent et exécuta un salut vif, une courtoisie habituellement réservée aux militaires de rangs plus élevés. Un signe témoignant d’un désaccord latent. C’était le genre d’ironie mordante que Jag avait appris à prévoir des Chiss.

— Avec votre respect, Commandant Stent, l’ancienne Alliance Rebelle n’a pas été appelée par ce nom depuis au moins dix ans. Les cadets sont censés se tenir au courant des développements politiques.

— Le nom peut bien avoir changé depuis la soi-disant Bataille d’Endor, après quinze ans cette soi-disant “Nouvelle République” n’est toujours qu’un ramassis de voyous, de paysans, et de déserteurs, rétorqua Stent sans ménagements. Mais je n’ai pas été envoyé ici pour discuter d’exactitudes sémantiques. Avec votre permission, Commandant ?

Gimald lui donna la parole, le visage fermé, saluant d’une manière sombre et formelle plus appropriée à une audience avec le sénat Chiss.

— Il y a eu deux vagues d’assaut, continua Stent. La première est venue des espions Jedi. Les installations ont été détruites. Nous avons sauvé ce que nous pouvions, mais l’arrivée des autres vaisseaux, nous a contraint à une retraite stratégique. Il est possible que quelques enregistrements soient restés derrière nous. Si les verrous de sécurité ont été violés, l’emplacement de cette académie risque d’être découvert.

Jag garda le regard fixe, mais une chaleur soudaine envahie son visage lorsqu’il sentit l’éclat du regard rouge des autres cadets. L’emplacement de l’académie n’était pas entré dans les banques de données. Aucun humain autre que le Baron Fel ne connaissait son emplacement, et cette information ne lui avait été donnée qu’à contrecœur et le prix avait été la sécurité de son seul fils vivant. Le Baron Fel comprenait que trahir l’emplacement de cette académie signifierait aussi risquer la vie de son fils. Jag savait que son père ne le trahirait pas.

Immobile, Stent était là, préparant l’académie pour une attaque. Il était sous le commandement du Général-Baron Fel. Pourquoi était-il venu ? À moins que la Nouvelle République ait appris l’emplacement de l’académie ?

Un faible gémissement déchira le silence, se muant rapidement en un maelstrom qui traversa le spectre sonore, mêlant un vrombissement tonitruant faisant trembler le sol et un cri perçant de prédateur. Les alarmes hurlèrent et des témoins lumineux s’allumèrent.

Les Chiss se ruèrent vers les hangars à vaisseaux.

Jag les suivit comme il l’avait fait maintes fois durant les exercices, dévalant rapidement les couloirs qui rayonnaient à partir de la vaste forêt verdoyante constituant le centre du dôme. Le passage était rempli d’une odeur végétale complexe et contrastait étrangement avec la flotte de métal et de céramique visible à travers les murs de transparacier des hangars.

Trop tardivement, Jag se souvint que son vaisseau, la tristement célèbre Flamme Bleue, n’était pas dans le hangar mais dans la baie de réparation.

Encore.

Son cœur se serra. Il ralentit son allure et se calla contre le mur du couloir pour laisser passer les autres. Son regard se posa avec envie sur une des lisses Griffes argentées et brillantes assignée à ses camarades. Avec leur cockpit arrondi et leurs quatre bras de métal armés adroitement courbés, ils ressemblaient à une petite meute de créatures sauvages, tapies au sol et prêtes à bondir vers le ciel.

Soudain, un choc terrible ébranla la structure et projeta des fragments du mur de transparacier au sol. Jag leva les bras devant son visage, mais avant il vit les cadets tomber sous une douche étincelante de tessons pointus comme des couteaux. Beaucoup d’étudiants Chiss ne s’étaient pas encore relevés. Les survivants ensanglantés durent se frayer un chemin à travers les épaves pour parvenir à leurs vaisseaux. Alors ils s’arrêtèrent, fixant avec consternation, les lèvres serrées, leur flotte ruinée.

De petits feux brûlaient dans le hangar. Les arroseurs s’allumèrent, éteignant les flammes mais ne pouvant rien contre la douleur cuisante provenant d’une douzaine de blessures réparties sur le corps de Jag. Il retira un tesson particulièrement douloureux de son avant bras puis examina le reste des dégâts.

La cause du désastre était un transporteur de taille moyenne. Ses restes dispersés jonchaient le sol du hangar, qui s’était déformé et fendu sous l’impact. Sa cargaison, dont la majeure partie n’était pas militaire, sortait de la coque fendue et se répandait sur le sol. Entre l’impact et les éclats, la plupart des Griffes avaient été endommagées de façon irréversible. Une seule semblait être encore intacte.

Jag regarda vers le haut. Le plafond était percé d’un trou énorme, révélant une autre brèche dans le mur extérieur du dôme. Les bords déchiquetés des deux ouvertures réfractaient la lumière des lunes convergentes. C’était une chance, nota Jag, que la planète soit dans une des saisons tempérées de son cycle complexe aux longues années. S’ils avaient été dans l’hiver profond, la rupture du dôme aurait signifié une mort certaine.

— Ce n’était pas un assaut intentionnel, cria Jag, cherchant des yeux le visage sinistre de Stent. Ce n’était pas les rebelles… pas la Nouvelle République.

Le Chiss le regarda froidement.

— Expliquez-vous.

Jag donna un coup de pied dans une caisse éventrée d’où sorti le tas de tissus brillants qu’elle avait autrefois contenu.

— Ceci ressemble plus à un butin qu’à une cargaison de vaisseau militaire. Vous avez que des espions Jedi étaient responsables de la première vague d’assauts, la seconde est venue plus tard. Il est possible que la deuxième attaque soit due à des pirates, et non à la Nouvelle République.

Stent considéra cette suggestion.

— C’est possible. Je n’étais pas là-bas pour confirmer l’identité des agresseurs. Mais des pirates voyageant avec des Jedi ? Cela ne semble pas logique.

— Mais pas impossible, contra Jag.

— La princesse Leia Organa d’Alderaan a épousé un contrebandier. Elle semble avoir l’habitude des amis étranges. D’autre part, les organisations pirates peuvent être ingénieuses. Elles pourraient avoir eu vent de l’attaque et les ont suivis comme des charognards jusqu’au champ de bataille, sans avoir de contact avec les Jedi.

Une grande et musculeuse femelle de Chiss s’approcha d’eux et salua rapidement le commandant.

— Permission de prendre la parole, demanda-t-elle, jetant un regard insistant à Jag qui n’avait pas suivi un tel protocole. Ses yeux rouges s’attardèrent un instant sur l’insigne bleu présent sur les bras et les jambes de la combinaison de vol noire de Jag. Sa propre combinaison était marquée de rouge, comme celle de tout les autres Chiss. Quand il avait reçu pour la première fois cet uniforme Jag avait supposé qu’il s’agissait d’un symbole, une façon d’intégrer le cadet humain à ses camarades à la peau bleu ciel. Mais il s’était rendu compte qu’il en était tout autrement.

Stent l’autorisa d’un signe de tête sec. Elle salua encore.

— Premier Lieutenant Shawnkyr Nuruodo, Commandant des cadets. À mon avis, monsieur, l’humain pourrait avoir raison. Il semble évident que ce transporteur a été endommagé dans l’assaut du poste avancé. Le pilote a tenté d’atterrir sur ce qui avait l’air d’être un lac et a été surpris par le dôme. Par la suite il s’est rendu compte de son erreur, mais il était trop tard pour redresser sa course.

— Exactement, acquiesça Jag. Ils n’ont jamais su que nous étions ici.

— Ils le savent maintenant.

Shawnkyr pointa le plafond brisé. Les minuscules silhouettes des vaisseaux intrus traversaient la pâle face d’Asdroni, la plus grande des trois lunes de la planète. Ils semblaient tourner autour du globe incandescent, grossissant à chaque tour.

— Ils atterrissent, conclu Stent.

— Si ce sont des pirates, ils atterriront et pilleront l’académie. Où sont vos commandants, vos instructeurs ?

Le regard fixe de Shawnkyr se déplaça vers plusieurs formes immobiles se trouvant sous un petit tas de cristal brisé.

— Ils indiquaient le chemin des hangars. Vous êtes maintenant l’officier le plus gradé, commandant Stent.

Le Chiss acquiesça d’un signe de tête et tira un petit blaster de sa ceinture. Il le donna à Shawnkyr.

— Prenez dix guerriers et allez à la salle d’armes la plus proche, rassembler autant de charrics et des chargeurs supplémentaires que vous pourrez porter. Apportez-les ici. Les pirates viendront bientôt par la brèche du dôme. Nous devons être prêts à les recevoir.

Shawnkyr mis le blaster à sa ceinture. Ses yeux balayèrent les survivants commotionnés.

— Fenlish, Khana, que chacun de vous choisisse quatre hommes et suivez-moi, aboya-t-elle avant de pointer la tête vers Jag pour lui indiquer qu’il devait aussi venir avec eux.

Les cadets sprintèrent dans les couloirs vers la salle d’armes la plus proche, ils regardèrent alors Shawnkyr avec impatience. Les commandants des cadets avaient reçu des cartes d’ouverture avec les codes à n’utiliser que dans certaines circonstances.

Elle toucha la poche de son uniforme mais le tissu déchiré pendait, le rabat vide, son contenu était perdu. Une onde lavande se répandit sur son visage.

D’une impulsion, Jag pivota et donna un coup de pied dans le casier juste sur le côté du mécanisme d’ouverture. Le métal mince se déforma. Un deuxième coup de pied enfonça la porte, séparant les deux parties de la serrure, mais ne déclenchant pas tout à fait le mécanisme. Avec sifflement exaspéré, Jag saisi le blaster de Shawnkyr et a tira un seul coup dans la serrure. La porte se balança et s’ouvrit avec un grincement de protestation.

— C’est plus rapide de cette façon, expliqua Jag aux Chiss étonnés. Il commença à retirer les charrics du casier. Il posa le premier chargement dans les bras de Shawnkyr. Leurs yeux se rencontrèrent au-dessus des armes entassées.

— Vos ordres, Lieutenant ? demanda-t-il.

Elle se ressaisit.

— Tlarik, aidez Jag à rassembler les armes. Tous les autres, mettez-vous en file. Prenez en autant que vous pouvez en porter en un voyage, ensuite retournez vers le Commandant Stent pour d’autres instructions.

Shawnkyr tourna les talons faisant comme si elle avait donné ses ordres aux autres. Jag saisi des armes et les lança aux Chiss qui attendaient. Il entassa toutes les cellules d’énergie restantes dans les bras de Tlarik et fit signe au dernier cadet de partir. Il restait plus d’armes qu’il ne pouvait raisonnablement en porter, mais les cadets en auraient besoin. Jag passa les sangles des fusils par-dessus ses épaules jusqu’à ce qu’il puisse à peine tenir debout sous le poids des armes. Il en rassembla encore dans ses bras et se hâta vers le point rendez-vous. Stent et un des cadets survivants vérifiaient l’unique Griffe intacte.

Il était à une centaine de mètres de là quand un rayon laser transperça le hangar. Une lueur rouge dévastatrice se propagea. Quand elle s’effaça, la Griffe avait disparue, tout comme les deux Chiss qui l’examinaient.

— Stent, suffoqua Shawnkyr.

— Vous êtes aux commandes, lui rappela Tlarik.

Shawnkyr se repris presque instantanément.

— Tout le monde prend une arme et deux chargeurs. Une fois tous armés, tous ceux qui sont au moins de ma taille prennent une deuxième arme, tant qu’il en restera.

Ses yeux rouges balayèrent rapidement le hangar. Jag suivi son regard et essaya de deviner le chemin que prenait ses pensées. Sur le côté le plus éloigné du bâtiment se trouvait un des nombreux couloirs qui formaient des cercles concentriques autour de la forêt intérieure. Les hangars étaient près du centre du dôme, une position censée protéger les vaisseaux d’une attaque. Puisque le dôme était pratiquement invisible du dessus, seul un assaut terrestre était considéré comme une vraie menace. Seulement la malchance avait changé la donne avec la chute catastrophique du transporteur à travers le dôme.

— Nous bouclons chaque cercle au-delà de celui-ci, décréta Shawnkyr. Son regard passa d’un cadet un autre. Gintish, isolez ce passage. Pompez l’oxygène de tous les couloirs extérieurs pour contenir les envahisseurs au centre. Pouvez-vous le faire ?

Le jeune Chiss salua vivement et se mit en route.

— Cela empêchera le pillage. Avec un territoire limité à explorer, les envahisseurs se dirigeront vers le centre de la forêt. Nous les attendrons là, conclu Shawnkyr, jetant un coup d’œil au-delà du dôme détruit. Au-dessus d’eux, les vaisseaux ennemis tournaient de plus en plus bas.

Les jeunes Chiss prirent leurs positions. Comme Jag saisissait un charric, il se demanda s’il était le seul ressentir de l’inquiétude au sujet de ce plan. Ce que Shawnkyr suggérait était une des tactiques traditionnelles issues des exercices que les Chiss avaient conçu pour protéger les étudiants de l’académie en cas d’invasion terrestre. Tous avaient été entraînés au combat au corps à corps, utilisant le terrain de la forêt artificiel comme une deuxième arme. Le père de Jag lui avait enseigné que les Chiss avaient une aptitude inégalable pour la pensée tactique. Alors, pourquoi, Jag était-il si inquiet ?

Le bombardement fut aussi brutal que soudain. Les rayons lasers se déversèrent dans chambre maintenant fendue, suivie par l’éclat bleu de torpilles à protons.

— Dans la forêt ! cria Shawnkyr.

Les Chiss se dispersèrent, fuyant la proximité immédiate de la première explosion, trébuchant dans les couloirs sur les décombres éparpillés vers le refuge central. Là, le dôme était plus haut et aussi plus imperméable, car il était épais de plusieurs mètres et protégé par un bouclier puissant. Jag courait juste derrière Shawnkyr.

Le couloir explosa devant eux dans un hurlement de métal. Jag se jeta sur Shawnkyr. Ils tombèrent durement et roulèrent ensemble dans un couloir voisin. Ils se retrouvèrent dans la baie de réparation, un des endroits les plus sûrs en dehors de la forêt elle-même.

La Chiss se dégagea et se redressa en s’accroupissant, courant doucement sous les lourdes grilles de duracier qui levaient les vaisseaux à une hauteur facilement accessible.

Ils plongèrent sous une des plates-formes et s’y blottirent.

Les cheveux noirs de Shawnkyr, toujours proprement attachés sur sa nuque, pendaient, lâches et indisciplinés. Elle y passa une main pour tenter d’y restaurer de l’ordre. Elle revint mouillée et rouge, mais elle se contenta d’essuyer simplement le sang sur son uniforme.

— Il est probable que les deux tiers des cadets se soient enfuis vers la forêt, murmura-t-elle. Nous pouvons évaluer nos forces à quinze ou vingt. Ça devrait suffire. Une fois que ces pirates auront atterri, nous les éliminerons facilement.

Jag compris soudain.

— Ils n’atterriront pas, fit-il. Pas pour le moment du moins. Il restait quelques Griffes toujours reconnaissables après le premier crash, et les vaisseaux se sont rapprochés pour mieux les voir. Personne d’autre que les Chiss ne volent dans ce genre de vaisseau. Il est peu probable que les pirates attaquent intentionnellement un poste militaire avancé Chiss…

— À moins que ce soit une façon de nous affaiblir avant un premier assaut, fini Shawnkyr, menaçante. Pendant ce temps, ils pourraient faire tomber les boucliers. Le dôme central est robuste, mais pas impénétrable.

Ils restèrent silencieux un moment, écoutant le bombardement continuel, les craquements et les cris perçants de la structure maltraitée.

— Stent n’a pas dit si votre père avait survécu à l’assaut de son poste avancé, remarqua Shawnkyr.

— Il n’a pas eu besoin de le faire. Pourquoi Stent serait-il venu si mon père n’avait pas survécu ? Ma présence ici montre le peu de confiance qu’il a en l’honneur de mon père.

— C’est sévère, mais logique, consenti-t-elle.

Une explosion particulièrement puissante frappa le dôme, et secoua la salle. La Chiss regarda vers le plafond et grimaça.

— Nous pouvons rester coincés ici longtemps. Excusez ma curiosité : Comment êtes-vous exactement arrivés ici, à l’académie ?

C’était une question que Jag avait entendue tout au long de sa vie. Il avait passé une bonne partie de son enfance à la Main de Thrawn, la base cachée de l’amiral Chiss. Il y avait été élevé parmi les Chiss, et tous avaient montré la même curiosité sur la présence des Fel et sur leurs buts.

Pendant plusieurs années, cela avait été facile à expliquer.

“Mon père sert le Grand Amiral Thrawn.”

C’était quelque chose que tous pouvaient comprendre. Jag avait donc été accepté, si l’on peut dire, et avait joué avec les si sérieux enfants et à la peau bleue, il les avait regardés mûrir devant lui comme des fleurs qui s’épanouissent rapidement. Un jour ils étaient enfants et le suivant, de jeunes adultes Chiss vieux de dix ans revêtant l’uniforme des cadets et partant pour une des académies militaires, dont les emplacements étaient aussi jalousement gardés que celui de la Main de Thrawn. Année après année, Jag les avait regardés partir, les yeux pleins d’envies.

Pendant la dernière saison de mousson, Jag avait grandi presque aussi rapidement que les Chiss. Une formation implacable avait développé les muscles de son buste allongé, il n’était donc pas aussi dégingandé que les autres adolescents humains. Sa voix changea très brusquement, devenant aussi grave qu’elle avait été aiguë.

Jag se souvint de la tête de son père quand il était venu le voir au sujet de son incorporation à l’académie. Le Baron Fel avait été anormalement distrait au cours des derniers mois, et il marqua un temps d’arrêt, choqué, comme il fixait le jeune homme se tenant au garde à vous devant son bureau.

— Wedge, marmonna-t-il, incrédule.

Wedge Antilles était le frère de sa mère, un des héros de l’Alliance Rebelle et pilote du fameux Escadron Rogue. Jag supposa qu’il lui ressemblait à peu de chose près : ses cheveux avaient les mêmes nuances sombres et son visage marqué de sourcils noirs, des traits puissants, et un menton carré. Une fois, Jag avait pensé imiter le pilote célèbre. Mais à cet instant, il ne ressentait que de l’étonnement de fait que son père ne le reconnaisse pas, même pendant un cours moment.

Il s’arracha à ses pensées et revint au présent ainsi qu’à la Chiss qui attendait sa réponse.

— C’est une question de politique ; expliqua-t-il. Ma présence donne au commandement Chiss un sentiment de sécurité. Les humains sont connus pour être émotifs, il était donc logique de penser que le Baron Fel, bien qu’il soit actuellement un lien entre les Chiss et les Vestiges de l’Empire, protégerait les bases Chiss cachées de l’exploitation Impériale par crainte de représailles contre son fils. Avec cette garantie, il est libre d’agir comme il le veut. Sans rancœur, je peux vous assurer que ma sécurité n’est qu’un des nombreux facteurs qui ont été pris compte dans sa décision.

Shawnkyr acquiesça pensivement.

— Je ne pensais pas les humains capables de telles décisions stratégiques.

— Et c’est exactement pour cela que nous sommes coincés ici comme des rats dans un terrier, répliqua-t-il.

— Expliquez-vous.

— Stratégies… dit sèchement Jag, levant sa main gauche, les doigts écartés. Une connaissance des tactiques militaires passées, ajouta-t-il, repliant son pouce et son annulaire dans sa paume. Connaissance de l’ennemi, souligna t’il en pliant son index. Une compréhension de leurs espérances. (Il marqua ce point en repliant son majeur puis secoua la main, le petit doigt toujours tendu.) Et qu’est-ce qui reste ?

— Un projet secret qui contrarie et fait échouer ces espérances, récita Shawnkyr.

Jag acquiesça avec véhémence, secouant son poing maintenant fermé.

— Un procédé rationnel, une solution bien raisonnée, évidente en somme.

Il allongea sa main droite, les doigts raidis plongeant vers la gorge de Shawnkyr. La Chiss esquiva l’attaque d’un mouvement de côté juste avant l’impact, le dépit et la colère se mêlèrent sur son visage d’azur.

— Vous avez une façon dangereuse de mettre les choses au point, rétorqua-t-elle. Mais c’est convaincant.

— Les Chiss ont exilé Thrawn pour ses offenses répétées. Ne vous êtes vous jamais demandé comment ce brillant tacticien n’avait pas réussi à se faire accepter par les maisons dirigeantes ?

Elle hésita, puis elle inclina la tête.

— J’y ai réfléchi, oui.

— La réponse est simple : Il n’a pas mal calculé. Il a utilisé cette parodie de défaite pour poursuivre ses objectifs. Saviez-vous que l’Empire avait cherché à le recruter avant son exil ? Il ne pouvait décemment pas accepter, pas tant qu’il était attaché à la Défense Expansionniste Chiss. Que pouvait-il faire sinon mettre en scène sa propre éviction ?

Shawnkyr le regarda fixement.

— Mon père m’a parlé du subterfuge de Thrawn. Il considérait cette information comme faisant partie de ma formation. Et il était en bonne place pour le savoir. Stent l’a confirmé quand il m’a donné mon affectation et m’a expliqué le but de cette académie particulière. Nous étions dans une phalange cachée, une arme pour Thrawn qu’il devait révéler au moment de son choix.

Alors que Shawnkyr assimilait l’information silencieusement, Jag soupçonna que la mention du nom de Stent avait appuyé ses déclarations. Il jeta un coup d’œil à l’emblème rouge de l’uniforme de la femelle Chiss. Il représentait la Flamme Glacée : l’essence du courage, de l’ingéniosité, et de la discipline, un état de perfection idéal auquel on pouvait toujours aspirer sans jamais l’atteindre complètement. Un contraste flagrant avec l’insigne bleu de son propre uniforme.

Aux yeux des camarades cadets de Jag, ces aspirations étaient différentes. Son uniforme était un rappel constant au fait qu’il ne serait jamais un Chiss.

— Dites-m’en plus, l’incita Shawnkyr.

Jag réprima la vague d’amertume qui suivit ses pensées comme il l’aurait fait pour les fumées d’un échappement nauséabond.

— Mon père a quitté le service Impérial pendant un temps afin de poursuivre une question personnelle. L’amiral Isard l’a capturé plus tard, puis il a disparu. La plupart des membres de l’Empire et au-delà ont supposé qu’il avait été exécuté pour trahison. C’était aussi un plan de Thrawn, réalisé par l’Amiral Voss Parck.

Les paupières de Shawnkyr tressaillirent, l’équivalent Chiss d’une bouche ouverte et d’un cri d’étonnement.

— Oui, le même officier Impérial que celui qui a “trouvé” Thrawn pendant son exil et qui l’a amené sur Coruscant, dit Jag impatiemment, et le capitaine du Destroyer Stellaire qui a accompagné le Grand Amiral dans les soi-disant Régions Inconnues après être prétendument tombé dans les mauvaises grâces de l’Empereur. Thrawn a planifié chaque étape, attirant les forces Impériales dans le territoire Chiss pour la protection de ses sujets. Les Vestiges de l’Empire ont gagné des avant-postes et des alliances et Thrawn a obtenu une source de vaisseaux et d’armement.

Shawnkyr acquiesça lentement.

— Je n’avais jamais considéré la question de cette façon, mais votre interprétation est logique. Continuez. Parlez-moi de l’ennemi maintenant ; pas celui de Thrawn, mais celui auquel nous faisons face.

— Des opportunistes, dit Jag. Des charognards qui suivent les guerriers et nettoient les champs de bataille. Ils veulent un combat rapide, s’ils sont obligés de se battre. Quel âge avez-vous, Shawnkyr ?

Elle réagit sans l’hésitation au changement rapide de sujet.

— J’ai douze années standards.

— En années humaines, vous n’êtes qu’une enfant mais aux yeux des humains vous êtes une adulte, un guerrier aguerri. C’est ce que l’ennemi s’attend à trouver ici bas et c’est pourquoi ils attaquent à distance. Si les vaisseaux n’avaient pas été détruits et que les Chiss avaient répondu à cet assaut par un combat spatial, notre ennemi se serait dispersé et enfui. Chaque cadet qu’ils affronteront confirmera leur hypothèse. Tous les cadets sauf un.

— Oh ! Un éclair de compréhension apparu dans ses yeux. Et qu’est-ce qui pourrait d’avantage leur faire perdre leur méfiance qu’un jeune garçon humain ?

Jag hésitait entre grimace et sourire. Puisque les deux réponses seraient incomprises par la Chiss, il s’abstint.

— Je prends la Flamme Bleue. Cela devrait les rendre moins méfiant au niveau de la manœuvrabilité.

Son regard survola le vieux vaisseau cabossé.

— Un excellent choix, dit Shawnkyr sans trace d’humour. Et je préparerai les autres pour un assaut au sol.

Elle se relava d’un mouvement souple. Jag acquiesça et se dirigea vers le vieux vaisseau.

— Lieutenant Fel, fit-elle sévèrement.

Il regarda en arrière. Un coin des lèvres de la Chiss s’étira, un geste d’approbation presque imperceptible.

— Nous voulons que l’ennemi atterrisse, et cherche un pillage facile. Ne les dissuadez pas en volant trop bien.

Cette fois il sourit, mais comme aurait pu le faire Thrawn : avec une confiance froide, un air supérieur.

— La défaite peut être le chemin le plus court vers la tromperie.

Jag se dirigea vers le dock de réparation et considéra sa Griffe. Les mécaniciens avaient ajouté un manteau de peinture bleu métallisée après une de ses mésaventures. Elle couvrait une partie des cicatrices mais faisait ressortir chaque bosse. Il désengagea les verrous du cockpit et du donner quelques coups d’épaule sur le dôme arrondi avant que le mécanisme ne s’ouvre entièrement.

Il s’installa et démarra les répulseurs. Le vaisseau toussota quand ses moteurs s’allumèrent, puis il s’éleva des docks avec la grâce d’un Gamoréen ivre, mais au moins il avait décollé et les contrôles montrèrent que les armes étaient toutes chargées. Jag se déplaça doucement à travers un large passage et manœuvra soigneusement le vaisseau à l’intérieur du hangar.

Il y avait des décombres, mais au moins les envahisseurs étaient partis de ce secteur. Le ciel au-delà du dôme brisé rougeoyait à cause du barrage des lasers mais l’ennemi ciblait maintenant d’autres secteurs du dôme.

Jag poussa rapidement les moteurs de sa Griffe vers le dôme fissuré. Le trou était beaucoup plus grand qu’il n’y paraissait du sol. Les énormes et minces panneaux de transparacier brillant pendaient sur les bords de la brèche. Comme Jag passait, l’un d’entre eux, déchiré, se détacha. Il dériva vers le sol, paraissant presque aussi léger qu’une feuille dans une douce brise et quel que fut le son que produit son impact sur le sol, il fut masqué par le bruit du moteur de Jag, et de l’assaut qui se poursuivait au-dessus.

Il s’éleva dans le ciel, engageant les commandes qui déployaient les quatre larges bras de son vaisseau en position d’attaque. Ils encadrèrent le cockpit, s’écartant en une formation similaire aux volets d’une Aile-X. Il entraîna brusquement la Flamme Bleue dans un virage serré, étonné et ravi qu’un vaisseau aussi peu fiable puisse demeurer si manœuvrable.

Les trois lunes étaient dans une configuration estivale rare. La lune forestière passait lentement devant la large face de la lune primaire. Une autre plus petite et plus éloignée, dispersait une faible lueur bleue vers la brume nébuleuse lointaine, qui se rapprochait. En conséquence, le ciel était presque aussi brillant qu’au crépuscule. Même avec ses lumières au minimum, il serait bientôt repéré.

Une Aile-X passant à proximité changea brusquement de cap et se dirigea vers lui. Le vaisseau pirate était peint de motifs rouges et noirs voyants. Jag poussa les moteurs atmosphériques à pleine puissance. Sa Griffe fit un écart, évitant de justesse les jets de lasers pourpres.

Le vaisseau ennemi suivait, plongeant et oscillant à la poursuite de la Flamme Bleue. Jag l’évita, mais de justesse. Il se dirigea vers la force principale : cinq vieilles Ailes-X entourant une corvette déjà éprouvée. Les pirates avaient vu les ruines de la flotte Chiss, conclu Jag, et ils en avaient probablement terminé, à juste titre, que puisque les Chiss n’avaient pas encore utilisé de missiles sol-air, c’est qu’il n’en avait pas.

Cependant, cette bataille opposait un vaisseau Chiss pas particulièrement rapide à plusieurs pirates spatiaux professionnels. Ils avaient donc toutes les raisons de croire en sa défaite.

Jag entraîna la Flamme Bleue dans un mouvement irrégulier en zigzag, tirant apparemment au hasard. Pratiquement tous ces tirs de laser s’égaraient de façon ridicule. Il espérait que cela permettrait aux pirates d’oublier ses deux torpilles à protons.

Les deux missiles frappèrent leurs cibles, et deux chasseurs disparurent en une brève et brillante explosion. Jag plongea directement dans les décombres flottants, évitant les plus mauvais et encaissant quelques coups sérieux. L’Aile-X qui le poursuivait s’éloigna, lui tournant autour à bonne distance.

Les alarmes de la console de Jag se mirent à clignoter. L’hyperdrive avait pris un coup. Il y avait des fuites de carburant, et un danger d’explosion. Il s’inquièterait de cela plus tard, quand il aurait besoin de passer en vitesse lumière… ou tout du moins, quand cela serait une option. Le vaisseau éprouvé n’avait aucun espoir d’atteindre l’hyperespace.

Il lui apparut que cette situation pouvait être considérée comme une défaite trompeuse. Ses doigts dansèrent sur les commandes, transférant de la puissance dans l’hyperdrive endommagé, programmant un passage en vitesse lumière. Simultanément, il arma le mécanisme d’éjection de l’hyperdrive dont tous les vaisseaux Chiss étaient équipés – bien que peu de vaisseau puissent égaler une Griffe en manœuvrabilité pure, leur hyperdrive était connu pour mal fonctionner.

La Flamme Bleue commença à trembler comme il prenait de la vitesse. Jag observa la jauge monter régulièrement alors que l’unité d’hyperdrive surmenée s’approchait du niveau critique.

— C’est passé près, marmonna-t-il, esquivant un torrent de laser alors qu’il fonçait en titubant vers un Z-95 qui venait en sens inverse.

Au dernier moment, il vira au loin, larguant l’hyperdrive surchauffé dans la trajectoire du chasseur.

L’onde de choc frappa durement la Griffe, la faisant partir en vrille. Jag laissa la Flamme aller, préférant ne pas soumettre la vieille carlingue à ce type de force. Il laissa la Griffe s’éloigner de la bataille, ralentissant peu à peu ses spirales, jusqu’à ce qu’il puisse reprendre le contrôle du vol sans dommage.

Trois chasseurs abattus, nota-t-il sinistrement. Plus que la corvette et deux Ailes-X.

Le vaisseau rouge et noir tourna autour de l’épave comme un prédateur marin examinant un navire détruit pendant une tempête. Il apparut que ce pilote, au moins, n’était pas convaincu par l’inaptitude feinte de Jag.

Ce dernier ajusta son masque et redressa les épaules. Il devait convaincre ces hommes qu’il était le meilleur de ce qui restait des Chiss, mais qu’il n’était pas si bon que ça. Ses voyants d’alarme s’allumèrent à nouveau. Cette fois, les stabilisateurs approchaient dangereusement de la surchauffe. Il allait manquer de temps.

— La défaite est le plus court chemin vers la tromperie, marmonna Jag comme il lançait sa Griffe dans un plongeon.

Il fonça à toute vitesse vers le dôme, passant devant les vaisseaux pirates comme un éclair, poussant ses répulseurs à pleine puissance. La Flamme Bleue ralentie. Combien de ces chasseurs de haute altitude passeront et combien de temps mettront-ils pour le rejoindre ? Ce n’était facile pas à prévoir.

La Griffe bleue plongea au travers du dôme brisé, heurtant les énormes plaques de transparacier détachées, semblables à des miroirs.

Jag tomba dans un tourbillon d’énormes feuilles argentées. Il atterrit si rudement qu’il rebondit.

Il se posa plus durement la deuxième fois, l’impact ayant expulsé ses répulseurs. La douleur traversa chacun de ses nerfs, alors que le ciel au-dessus de lui était toujours rouge du feu ennemi. Même dans l’obscurité du hangar, tout semblait aussi brillant que du sang.

Jag se secoua, étourdi, et força l’ouverture du cockpit. Il retira son casque de pilote, négligeant la douleur lancinante, et leva les yeux vers le ciel.

Au-dessus de lui, la silhouette de l’Aile-X rouge et noire se détachait de la lune vert pâle. Il avait coupé ses moteurs et se préparait à suivre la Flamme sous le dôme. Jag essaya de sauter de la Griffe mais ne pus que se laisser tomber. Il trébucha et brossa les éclats de transparacier de son uniforme. Sa tête lui faisait encore plus mal maintenant, et une coupure sur son front saignait abondamment.

Le vaisseau était dans un état pire que lui. Deux des bras s’étaient rompus, et une bonne partie de la peinture bleue avait été enlevée lors de l’impact avec le transparacier. Il ressemblait à une épave. Jag senti un pincement de regret alors qu’il inspectait les alentours à la recherche de la dernière chose dont il avait besoin pour compléter ce sinistre tableau.

Non loin de là, gisait l’un de ses camarades cadets, il ne ressemblait plus ni à un homme, ni à une femme, ni à un humain, ni à un Chiss. Jag traîna le corps vers la Flamme détruite et le hissa sur le bord du cockpit ouvert. Ses lèvres s’étrécirent en une ligne sinistre comme il observait la scène convaincante.

Il hocha la tête, puis se retourna et avança en trébuchant vers la forêt. Il disparut dans le feuillage épais, trouvant un sentier indiscernable pour une personne qui ne connaissait pas le terrain. Néanmoins, il ne vit pas Shawnkyr jusqu’à ce qu’elle sorte de l’ombre d’un arbre enveloppé de vigne en plein sur son chemin.

— Ils arrivent ?

— Ils sont en chemin, répondit-il avant de tomber à plat ventre.

Il était vaguement conscient que Shawnkyr le traînait dans le fourré de vigne. Chaque partie de son corps semblait engourdie, il n’objecta donc pas quand elle le laissa durement tomber sur le dos. Pendant un instant elle le considéra d’un regard solennel et mesuré. Ses doigts effleurèrent son front puis plongèrent dans ses courts cheveux noirs, palpant ses blessures.

Alors qu’elle s’activait, ses sensations commencèrent à revenir. Jag serra les dents et s’interdit de crier.

— Vous ne vous battrez plus aujourd’hui, annonça-t-elle. Un traumatisme crânien, et un sérieux. C’est un miracle que vous soyez venu si loin.

Jag porta ses doigts, qui le picotaient mystérieusement, à son front. Il sentit le bord humide d’une entaille profonde qui courait de son sourcil droit jusque dans ses cheveux.

Shawnkyr tira un couteau de sa botte et écarta adroitement une mèche de cheveux de chaque côté de l’entaille. Elle fouilla dans une poche et retira un petit rouleau de bande adhésive, comme celle qu’un mécanicien pourrait utiliser pour une réparation temporaire. En déchirant un morceau avec ses dents, elle rapprocha les bords de la blessure et mit la bande en place.

— Ça ira pour le moment, répondit-elle à son regard incrédule. J’ai besoin de vous éveillé. Quelqu’un doit planifier notre stratégie.

Le doux tintement du feu d’un charric chanta à travers la forêt. Shawnkyr leva son arme et s’accroupi.

— Combien ? demanda-t-elle, la voix à peine plus forte qu’un chuchotement.

— Deux chasseurs monoplaces. Ils doivent être au sol maintenant. Il y a un autre vaisseau, une corvette, qui pourrait transporter deux à cinquante hommes.

— C’est trop, dit-elle.

Un doux chant d’oiseau attira son attention.

— Deux humains sont au sol. Nous devons préparer les cadets pour l’invasion principale.

— Combien en reste-t-il ? demanda-t-il en retour.

Son visage devint sinistre.

— Seulement sept cadets sont encore valides, moi inclus. Même dans la forêt, ce ne sera pas facile.

Jag rassembla ses pensées étourdies afin de se concentrer. L’image des plaques de transparacier dérivant lui revint avec en plus, une tromperie à la manière de Thrawn.

Ses lèvres s’étirèrent en un sourire sauvage ; et Shawnkyr y vit de la ruse.

— Dites-moi, demanda-t-elle.

Un peu plus tard, les cadets survivant se dirigèrent vers une corvette à quai, avec l’intention d’utiliser le système de communication pour prévenir de leur situation le poste avancé Chiss le plus proche. Comme ils se déplaçaient dans les couloirs, ils se firent un passage parmi les corps de leurs camarades qu’ils traînèrent plus loin afin qu’ils puissent servir au moment voulu. Les Chiss morts reposaient sur des plaques légères et brillantes de transparacier, la matière qui reflétait le ciel et créait l’illusion que le dôme était un grand lac.

La surface était subtilement ondulée, donnant à tout ce qu’elle reflétait une illusion de profondeur et de consistance.

Jag regarda le plafond. Plusieurs cordes pendaient et certaines oscillaient toujours.

Un moment auparavant, chaque Chiss valide s’était accroché à deux cordes liées à la hâte à la structure métallique du couloir : une attachée à leurs poitrines pour garder les mains libres pour les armes, l’autre à leurs chevilles.

Leurs reflets dans les panneaux de transparacier s’ajoutaient aux Chiss tués sur le plancher. Aux yeux des pirates entrant dans le couloir, le plancher apparu couvert de corps.

Dès que les étudiants commencèrent à tirer, la confusion frappa les envahisseurs. Ils tirèrent au sol, pivotant vers chaque porte menant au couloir, mais ne réalisant jamais que le danger venait d’au-dessus leurs têtes. La bataille fut brève et désordonnée.

— Une tactique peu commune, se permis un des Chiss survivant, ses yeux rouges brillaient avec approbation comme il regardait le plafond.

Shawnkyr arqua un de ses sourcils noirs.

— Pas si insolite, riposta-t-elle. La défaite est souvent le sentier le plus court vers la tromperie, et la tromperie peut mener à la victoire. Tout grand tacticien sait ça pour dire vrai. N’est-ce pas, Lieutenant ?

Plusieurs secondes passèrent avant que Jag ne se rende compte qu’il était le lieutenant auquel Shawnkyr s’adressait et que les Chiss le regardaient, attendant respectueusement sa réponse. Aucun autre cadet ne l’avait jamais appelé par son rang. Quand les Chiss étaient de bonne humeur, ils s’adressaient à lui par son nom ; dans le cas contraire, ils se contentaient de “humain”.

Il pesa soigneusement ses mots, comprenant l’importance de ce moment.

— Nous sommes tous les étudiants du Grand Amiral Thrawn, déclara-t-il lentement. Ils disent que son retour était une supercherie, qu’il est mort. Moi, je dis que c’est un mensonge.

Pour une fois, le sang-froid Chiss manqua à ses camarades. La stupeur marquait chaque visage. Ce sujet n’était tout bonnement pas abordable ! Mais ils le regardèrent, calme, attendant ses mots.

— Il sera toujours avec nous, aussi longtemps que nous pourrons apprendre de son exemple.

Ils considérèrent ses paroles.

— J’ai toujours rêvé de servir Thrawn.

— Cela n’arrivera pas, fit lentement Shawnkyr. Mais moi aussi, je peux apprendre de son exemple. Il a fallu trop longtemps aux Chiss pour reconnaître le leader qu’il était et apprendre à le suivre. Ce n’est pas une erreur que je répéterai.

Elle se tourna vers Jag et lui transmis son insigne de commandant des cadets, puis elle salua d’un geste vif. Après un moment d’hésitation, les autres firent de même.

Avec le cœur gros, Jag se reprit et leur rendit leur salut. L’effort était trop, le monde se mit de nouveau à tourner et flotter autour de lui. Il regarda en bas, essayant de s’orienter.

Shawnkyr posa une main sur son bras et commença à les rapprocher de la corvette.

— J’ai de grandes ambitions pour vous, Lieutenant, dit-elle silencieusement. Ne me décevez pas en jouant les héros.

— Un membre de l’armée Chiss, ayant l’ambition d’être un héros ? dit-il feignant l’incrédulité. Qu’est-ce que Thrawn dirait de cela ?