Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre,
21 h 35
Debout à droite de la porte du pavillon, avec Bishop de l’autre côté, Deacon frappa.
— Je ne vais pas dîner, cria Stone de l’intérieur. Je n’ai pas faim.
Deacon frappa de nouveau, sans rien dire. Pour demander à entrer, ils seraient obligés de s’identifier, mais il espérait pouvoir amener Stone à ouvrir de lui-même.
Un gros soupir se fit entendre de l’autre côté du battant.
— D’accord. Entre. C’est ouvert.
Deacon adressa un haussement d’épaules à Bishop, puis hocha la tête. Elle poussa la porte, jeta un rapide coup d’œil à l’intérieur, puis entra, Deacon sur les talons.
— Merci, dit-elle. Nous apprécions l’invitation.
Stone se retourna, ébahi, une main glissée sous sa veste.
Bishop leva son pistolet.
— Pas de ça, s’il vous plaît.
Il les fixa avec indignation.
— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce qui vous donne le droit de faire irruption ici ?
— Vous nous avez invités à entrer. Je suis le lieutenant Bishop de la brigade des homicides de Cincinnati. Voici mon partenaire, l’agent spécial Deacon Novak, du FBI.
Elle lui montra sa plaque, Deacon fit de même.
— Nous avons quelques questions à vous poser, continua-t-elle. Veuillez enlever votre veste, je vous prie. Maintenant, posez votre arme à terre. Notre conversation sera infiniment plus confortable si nous pouvons bavarder sans nous menacer mutuellement.
Le regard de Stone passa de Bishop à Deacon, puis lentement il fit ce qu’elle lui avait demandé.
— Je n’ai pas invité deux flics à entrer chez moi. Je croyais qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Vous ne vous êtes pas annoncés.
Bishop le regarda en cillant d’un air innocent.
— Bien sûr que si, nous l’avons fait. Juste à l’instant. Si ça vous a échappé, je peux recommencer. Par ailleurs, si vous acceptiez de vous asseoir, je vous en saurais fort gré.
Stone obtempéra, un sourire confiant aux lèvres.
— A quoi dois-je cet honneur douteux ?
Il s’adressait à Bishop, ignorant presque Deacon. Parfait. Bishop pouvait parfaitement se débrouiller seule, ce qui lui permettrait de se cantonner au rôle d’observateur. En dehors de sa qualité de suspect de meurtre, Stone O’Bannion dégageait une vibration que Deacon n’appréciait tout simplement pas.
— Nous menons une enquête pour meurtre dans laquelle votre nom a été mentionné, dit Bishop. Quelques questions, si vous le permettez ?
— Ai-je le pouvoir de refuser ?
Bishop sourit.
— Pas sans paraître coupable, en tout cas. Pouvez-vous nous dire où vous vous trouviez dans la nuit de vendredi entre 23 heures et 1 heure du matin ?
— Verriez-vous un inconvénient à remiser votre arme ? demanda Stone d’un ton neutre. Comme vous le voyez, je coopère. Et je serai sans doute encore plus coopératif sans pistolet sous le nez.
Bishop rangea son arme dans son holster, mais garda la main sur la crosse.
— J’espère que ça vous convient mieux. Où étiez-vous dans la nuit de vendredi ? Entre 23 heures et 1 heure du matin ?
Le téléphone de Deacon bourdonna. Il lui fallut un instant pour se rappeler à qui il avait assigné cette sonnerie. Lorsque la mémoire lui revint, il se figea. Colby. L’expression aussi indéchiffrable que celle de Stone, il consulta les messages. Son cœur manqua plusieurs battements. Littéralement.
Nous avons un problème. Pope s’est fait planter. Besoin d’une nouvelle planque pour le témoin. Nouvelles suivent.
Le pouls de Deacon repartit sur un rythme erratique. Faith, songea-t-il. Et Greg et Dani.
Stone le regardait d’un air moqueur.
— Agent Novak ? Un problème ? Vous avez besoin de partir, peut-être ?
Deacon se retint de toutes ses forces pour ne pas effacer le sourire narquois de ce salopard à coups de poing et afficha un sourire neutre.
— Pas du tout.
Sois saine et sauve, Faith. Je t’en prie.
Bien sûr, il s’inquiétait aussi pour l’agent Pope. Que s’était-il passé, là-bas ?
— Vous étiez en train de dire au lieutenant Bishop où vous étiez dans la nuit de vendredi. Pendant que je passe rapidement un appel, ajouta-t-il en remarquant l’éclair d’inquiétude qui traversait le regard de Scarlett.
Deacon s’éloigna de quelques pas et entendit Bishop énumérer de nouveau leurs titres. Il appela chez lui, regrettant de ne pas avoir fourni un nouveau mobile à Faith.
De son côté, Bishop continuait à interroger Stone.
— Je vous demande où vous étiez vendredi, cessez de me faire perdre mon temps et répondez-moi.
— J’imagine que vous ne vous souciez pas d’économiser le mien, rétorqua Stone. Ni de mes droits, tels qu’ils sont décrits dans le quatrième amendement. En ce qui me concerne, vous pouvez aller tous les deux vous faire voir avec vos questions.
L’appel de Deacon chez lui fut redirigé sur la messagerie vocale. Il raccrocha donc et envoya un SMS à Greg.
TVB ?
Un nouveau message arriva, cette fois, expédié par Adam.
Pb chez toi. J’y vais.
Deacon laissa échapper un soupir de soulagement. Maintenant, il avait trois certitudes.
D’abord, Adam allait prendre les choses en mains. Il n’appréciait peut-être pas Faith, mais il aimait Greg et Dani. Deacon renvoya un bref message.
Merci. Dépêche.
Deuxièmement, celui qui avait menacé la famille de Deacon devrait payer. Une partie de lui espérait que Stone était impliqué, ce serait un réel plaisir d’effacer le petit sourire de merde de ce sale type.
Troisièmement, Stone n’avait pas pu poignarder Pope. Colby et Pope entraient en contact tous les quarts d’heure, et il y avait quarante-cinq minutes de trajet entre la maison de Deacon et le manoir de Jeremy. Ce qui ne mettait pas Stone hors de cause. Ça signifiait simplement qu’il pourrait y avoir deux hommes impliqués.
Pour l’instant, cependant, Stone tenait la position de suspect principal, parce qu’il était nerveux, parce que son père avait menti pour dissimuler sa présence. Par ailleurs, il s’était absenté à des horaires suspects et, pour finir, il avait de la boue sur ses chaussures.
Et, par-dessus tout, il ne me plaît pas du tout.
Les épaules de Deacon retombèrent, trahissant son soulagement, lorsqu’un nouveau SMS s’afficha sur son écran, accompagné du numéro de Greg.
C’est Faith. On va bien. Cachés dans placard. Colby a mis la maison en état d’urgence. J’en sais pas plus. Je t’appelle bientôt. Fais attention. T’inquiète pas pour nous. Attrape ce slprd.
Il sourit intérieurement en lisant la mise en garde de Faith. Quant à son encouragement à attraper le slprd, il y puisa un regain de concentration. Empochant son téléphone, il retrouva Bishop qui fixait Stone d’un regard glacial, auquel celui-ci opposait une expression blasée. Ou, du moins, il feignait le détachement.
— Ravi que vous puissiez de nouveau vous joindre à nous, agent spécial Novak, dit Stone d’un ton indolent. Avez-vous quelque chose à partager avec la classe ?
Espèce d’enfoiré arrogant. Mais Deacon se contenta de sourire.
— Je suis désolé de vous avoir interrompu au moment où vous vous apprêtiez à dire au lieutenant Bishop ce que vous faisiez, vendredi soir.
La colère enflamma les yeux de Stone. Délibérément, il examina Bishop des pieds à la tête, s’arrêtant intentionnellement pour loucher sur ses seins.
— Vous d’abord.
Deacon avait envie de pocher ces yeux au regard concupiscent, mais Bishop ne broncha pas.
— Vous êtes journaliste, dit-elle. Je m’étonne que vous n’ayez pas entendu parler de tout ce brouhaha autour du manoir familial.
— Ce n’est pas ma famille. Quelle que soit cette histoire, ça n’a rien à voir avec moi.
— Vous n’êtes pas curieux, le moins du monde ? insista Bishop. Quel genre de journalistes êtes-vous ?
— Le genre qui pose les questions, répondit-il froidement. Pas le genre à y répondre.
Ouais, songea Deacon. Ce sera réellement un plaisir de faire tomber ce type.