Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre,
19 h 30
Isenberg prit place au bout de la table.
— Je dois voir le chef et le maire dans une demi-heure. Où sont passés les autres ?
Pour l’instant, Deacon et Isenberg étaient les seuls présents.
— Bishop remonte du parking.
Il se tourna vers le tableau d’affichage, où quelqu’un avait fixé des photos des victimes déjà identifiées, ainsi qu’une carte où l’emplacement de chacun des enlèvements était signalé.
— Joli tableau de bord pour l’enquête.
— La nouvelle stagiaire de Crandall est très minutieuse, ce qui n’est pas surprenant, puisque c’est sa nièce.
Bishop fit irruption dans la pièce, hors d’haleine.
— Vous êtes déjà là. Bon sang, j’espérais qu’on commencerait en retard, comme d’habitude.
Elle se glissa sur un siège, de l’autre côté d’Isenberg.
— Où étiez-vous ? demanda celle-ci, l’air préoccupé.
— A Mount Adams, je vérifiais l’alibi de Jordan O’Bannion. Il a passé toutes les nuits de la semaine dernière avec Alda, y compris les deux nuits en question.
Bishop fit une petite grimace et ajouta :
— Elle a été très précise quant aux détails des positions qu’ils ont explorées lors de chacune de ces nuits. Apparemment, ils sont en train de lire le Kama Sutra en cochant les positions, au fur et à mesure qu’ils les essaient. Alors, ouaip. Alibi vérifié.
Isenberg en resta sans voix. L’arrivée de Vince Tanaka la dispensa de trouver un commentaire adéquat. Le chef de l’équipe scientifique s’installa près de Deacon.
— Où est Kimble ? demanda-t-elle.
— Au téléphone, il a dû prendre un appel, indiqua Tanaka. Il a dit qu’il nous rejoignait dans une minute.
— Très bien. En attendant, vous autres, donnez-moi de quoi empêcher les gradés de nous renifler la nuque et faire dégager la presse.
Deacon secoua la tête. Avec une anxiété grandissante, il se souvint du déluge constant de questions qu’il avait subi en Virginie-Occidentale, des photographes avec leurs objectifs à longue portée.
— Vous ne parviendrez pas à éloigner la presse, Lynda. Avant que nous n’ayons bouclé cette affaire, les médias de tout le pays vont débouler ici. Ce sera une vraie maison de fous. C’est à ça que vous devez vous attendre. D’ailleurs, nous devons tous nous y préparer.
Isenberg soupira.
— Je sais. Bon, au milieu des mauvaises nouvelles que vous allez sans doute m’apprendre, il y a au moins une info réconfortante. D’après l’hôpital, le portier de l’hôtel va se rétablir complètement.
Les épaules de Deacon se relâchèrent d’un cran. Voilà de quoi rasséréner un peu Faith.
— Ça, c’est une bonne nouvelle. Je ne pensais pas qu’il s’en sortirait.
— Bon, où en sommes-nous ? lança Isenberg. Par pitié, dites-moi que nous n’avons toujours que dix corps.
— En tout cas, pour l’instant, dit Tanaka. Mais ça pourrait évoluer. L’archéologue de Novak est là, donc on va bientôt pouvoir entamer les recherches à l’extérieur. L’officier chargé de la sécurité m’a envoyé une photo pour que je puisse vérifier son identité.
Tanaka leur présenta l’écran de son téléphone et tout le monde put découvrir la photo d’une blonde, vêtue d’une vieille veste de l’armée.
— J’avoue que je n’attendais pas le docteur Johannsen en personne.
— Moi non plus, renchérit Deacon. Elle m’a simplement dit qu’elle allait nous trouver quelqu’un de bien.
Tanaka lui adressa un sourire las.
— C’est la meilleure, donc j’aurais tendance à dire qu’elle a tenu sa promesse.
— Qui est Johannsen ? s’enquit Isenberg.
— L’archéologue avec qui j’ai travaillé en Virginie-Occidentale.
— Ah. Celle qui a repéré l’emplacement de toutes les tombes, dit Isenberg.
— En ce qui concerne la manipulation du radar à pénétration de sol, elle figure parmi les meilleurs experts au monde, précisa Tanaka. Elle assiste des équipes de police scientifique, mais aussi des brigades de secours, à la recherche de survivants sur des sites de catastrophes, partout sur la planète. Si elle ne trouve rien, nous pourrons être certains d’avoir récupéré tous les corps.
— Si seulement ! marmonna Isenberg. Bien. Qu’avons-nous sur les dix victimes, jusqu’à présent ?
Deacon commença :
— Toutes blondes, toutes environ du même âge. Toutes autopsiées et embaumées. Les organes internes ont été prélevés. Carrie Washington m’a fait un rapport juste avant la réunion. Elle a identifié une victime de plus, nous en sommes donc maintenant à trois. C’est encore une étudiante qui a disparu dans l’Etat de l’Ohio, il y a trois ans. Si on suppose que Corinne Longstreet était la cible désignée, nous pouvons ajouter une caractéristique commune à celles que nous avons déjà relevées. Elles étaient toutes à l’université ou venaient d’obtenir leur diplôme quand elles ont été enlevées.
— Peut-on établir un lien avec la nature de leurs études ? demanda Isenberg.
— Non. La matière principale de Corinne était l’art. Roxanne Dupree étudiait l’architecture d’intérieur et Susan Simpson avait une licence en droit criminel. Wendy Franklin, celle qui vient d’être identifiée, suivait un cursus de chimie. Celles qui font figure d’exceptions pour l’âge et la couleur des cheveux sont Arianna et Roza, l’adolescente qui a aidé Arianna à s’échapper. Elles sont toutes les deux plus jeunes et ont les cheveux noirs. J’ai vérifié le fichier des enfants disparus, à la recherche de filles portant le prénom de Roza, mais les seules correspondances que j’ai trouvées sont des gamines trop âgées, trop jeunes, ou de la mauvaise appartenance ethnique. Nous enverrons un dessinateur à Arianna, dès qu’elle sera en état.
Adam se glissa dans la pièce, puis referma derrière lui.
— On a une info sur le fourgon blanc. J’ai reçu un appel de l’équipe qui est arrivée la première sur les lieux.
Isenberg le fixa d’un œil attentif.
— Qu’est-ce qui les a amenés là-bas ?
— Blessure par balle, répondit sobrement Adam. Tentative d’homicide.
L’attention se fit générale.
— La victime a donc survécu ? demanda Bishop.
— Tout juste. Le fourgon a été trouvé sur le parking d’une supérette ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La victime a reçu une balle dans la tête et on l’a fait rouler sous le fourgon. Un client a remarqué une main qui dépassait de sous le véhicule. Visiblement, elle a dû se traîner sur quelques dizaines de centimètres, mais ensuite elle s’est évanouie. Une fois sur place, les gars ont reconnu le fourgon blanc grâce à l’avis de recherche, ils nous ont donc appelés immédiatement. L’agent de garde a signalé qu’il y avait un orifice de sortie. Ils ont donc sécurisé et protégé la scène pour chercher la balle. Vince, pourrais-tu leur envoyer une équipe de la scientifique ?
— Ceux qui se sont occupés de la première scène, là où on a retrouvé Arianna, ont eu le temps de se reposer. Je vais les affecter là-bas.
Tanaka tapa rapidement un SMS, puis ajouta :
— Ils y seront dans vingt minutes.
Adam poursuivit son compte rendu.
— La victime n’avait pas de pièce d’identité sur elle. Et son sac n’était pas visible. Les plaques du fourgon n’étaient plus les plaques du Tennessee qui apparaissaient sur la vidéo de l’hôtel. Elles avaient été remplacées par des plaques de l’Ohio, dont le vol a été signalé il y a cinq ans. Elles appartenaient à une voiture en panne sur le bord de la route. La personne qui a emporté les plaques n’a pas touché à la voiture. C’est pour ça que les recherches du fourgon ont pris un certain temps. Nous cherchions des plaques du Tennessee. Il n’est pas aussi idiot que nous l’espérions.
— Il a quand même commis une erreur, dit Deacon. Il a laissé un témoin potentiel en vie.
— Peut-on tirer quelque chose de la localisation de la scène ? demanda Bishop. La route de Red Bank est à l’est, du côté de l’aéroport de Lunken, pas très loin de Mount Carmel. Avant d’arriver à Red Bank, il a croisé plusieurs endroits où il aurait pu larguer le fourgon. La zone lui est peut-être familière ? Il s’y sent peut-être à l’aise ?
Isenberg acquiesça.
— C’est peut-être près de chez lui. Ou alors, il a choisi cet endroit pour nous le faire croire. On a des suspects ?
— Maguire and Sons, dit Bishop. Qui qu’ils soient. Leur bureau est à Mount Carmel, pas loin de Red Bank. Ils inspectent la maison O’Bannion deux fois par an, de bas en haut. D’après le système mis en place, le petit-fils de l’avocat de la famille O’Bannion, Herbert Henson Trois, est censé les retrouver à la maison avec la clé et patienter sur place, le temps qu’ils terminent l’inspection et l’entretien. Mais un témoin a vu Henson Trois, en tenue de golf, se contenter de déposer la clé chez Maguire and Sons, à Mount Carmel. Par ailleurs, l’affaire semble légale sur le papier, mais leur bureau est abandonné. Crandall a découvert que leur courrier était réexpédié vers une boîte postale de Forest Park.
— C’est assez loin de Mount Carmel, souligna Tanaka. Pas très pratique pour récupérer son courrier.
— A moins que ce ne soit près de quelque chose qui est pratique, ajouta Bishop. Crandall récupère les enregistrements des caméras de sécurité de l’agence de boîtes postales. Ainsi nous verrons qui collecte le courrier. Je parie sur la femme à qui Henson Trois a remis la clé. J’ai demandé qu’on envoie un dessinateur au témoin pour avoir une description de cette fameuse femme. Après la réunion, nous irons interroger Jeremy O’Bannion. Il est chirurgien, ce qui cadre avec la manière dont les victimes ont été autopsiées et avec le prélèvement d’organes. Sans oublier que deux membres de la famille ont mentionné sa prédilection pour les jeunes femmes.
— Les dix victimes n’étaient pas mineures, fit remarquer Isenberg. Elles avaient l’âge de fréquenter l’université, voire plus.
— Nous allons avoir un entretien informel avec lui. Avec un peu de chance, il nous fournira de quoi obtenir une commission rogatoire pour perquisitionner son domicile.
— Il figure donc sur notre liste de suspects ? voulut savoir Isenberg.
— Disons qu’il présente un intérêt pour l’enquête, dit Deacon. Jeremy ne correspond pas à la description physique du tireur qui se trouvait à l’hôtel, la nuit dernière. Mais, cette fois-là, il s’agissait peut-être de Combs.
Isenberg tint à apporter une précision :
— Qui est toujours sur notre liste parce que (a), il a essayé de tuer Faith et (b), nous avons établi une correspondance balistique. Le pistolet qu’il a utilisé hier soir, à la maison O’Bannion et pour tuer le client de l’hôtel, est celui qui a servi à tuer Gordon Shue à Miami.
— Oui, admit Deacon. Mais le tireur de l’hôtel de la nuit dernière pourrait aussi être le beau-fils de Jeremy, Stone O’Bannion.
— Depuis quand ? demanda Bishop, surprise.
— Depuis dix minutes avant ton arrivée, quand j’ai reçu le rapport de l’agent qui surveille la propriété de Jeremy. Je t’ai transmis le mail, dès que je l’ai reçu. La nuit dernière, Jeremy n’a pas quitté la maison, mais son beau-fils s’est absenté. Stone O’Bannion est parti à 23 heures et il est rentré à 4 h 15, ce matin.
— Ce qui lui donne une fenêtre parfaite pour te tirer dessus à l’hôtel, continua Bishop. Ensuite, il vole un monospace dans le parking de la supérette sur Red Bank et il regagne la maison de Jeremy.
— Exactement. Ajoute à ça que Stone est un ancien de l’armée. Il a servi deux fois dans le Golfe. Tireur d’élite. Grand chasseur. J’ai sorti sa photo. Sa taille, son poids et sa stature correspondent à ceux de Combs, mais également à la silhouette du tireur de l’hôtel, la nuit dernière, et à celle de l’homme qui a pénétré dans la chambre de Faith en grimpant par la fenêtre, il y a quinze jours en Floride.
Isenberg étudia la photo.
— Qu’a dit Faith à son propos ?
— Elle ne l’a rencontré qu’une fois, lorsqu’ils étaient enfants. La famille est brouillée avec le côté de Jeremy. Il a une fille biologique et deux fils adoptés. Aucun d’eux ne figure dans les testaments des parents O’Bannion. Jeremy a pu en concevoir une certaine rancœur.
— Quand Stone est-il rentré de sa dernière affectation dans le Golfe ? demanda Tanaka.
— Il y a cinq ans, lui répondit Deacon. Ça signifie qu’il aurait pu être au pays pendant la période qui couvre les enlèvements que nous avons découverts jusqu’à maintenant.
Tanaka secoua la tête.
— Mais, avec deux missions dans le Golfe, il était peut-être à l’étranger au moment où on a muré les fenêtres de la cave des O’Bannion.
Deacon soupira, agacé d’avoir manqué cet élément. J’ai besoin de dormir.
— Tu as raison. Personne ne cadre complètement avec toutes les preuves. Mais il faut continuer à surveiller Stone. D’après Google, il est devenu journaliste indépendant. Son travail a été publié dans Newsweek et Time, mais il a aussi fait une pige dans Hot Shots. Un article sur les viseurs destinés au tir à longue portée. Juste après avoir reçu le rapport de surveillance, j’ai recherché ses antécédents. Aucune arrestation ne figure dans son casier judiciaire, mais il a un bon nombre d’armes enregistrées, y compris un neuf millimètres, dont il a signalé le vol, après son retour du Golfe.
— Commode, intervint Isenberg. Le déclarer volé et ensuite, l’utiliser pour tuer… Combien ?
— L’ancien patron de Faith en Floride, énuméra Deacon. Et ici, en Ohio, le technicien de Earl Power, le serrurier, le client de la chambre d’hôtel. Ça fait quatre. Il nous manque la balle qui a touché la femme qu’on a trouvée sous son fourgon. En plus, j’imagine que la balle qui a été découverte près du sentier de King’s College correspondait aux autres, d’un point de vue balistique.
— En effet, fit Tanaka.
— Donc, il a aussi été utilisé pendant l’enlèvement d’Arianna, dit Deacon. Bien sûr, nous ne savons pas si le neuf millimètres impliqué dans tous ces crimes est celui que Stone a déclaré volé.
— Ramenez-le quand même, lança Isenberg. Il est temps d’avoir une petite conversation avec ce gars.
— Bishop et moi allons rendre une petite visite à Jeremy, après la réunion, indiqua Deacon. Mais, une fois que ce sera fait, on aura besoin de dormir un peu. On est sur les rotules.
— J’ai pu faire une petite sieste entre la morgue et le témoignage d’Arianna, dit Bishop. Je prendrai le volant pour aller chez Jeremy et tu pourras dormir un peu.
— Je te prends au mot, dit Deacon. Mais nous avons besoin de plus de monde. Plus d’agents et d’enquêteurs. S’il n’y a pas assez de ressources au CPD, je peux demander du renfort à Zimmerman.
Deacon appartenait à l’unité spéciale d’Isenberg, mais l’agent spécial principal Zimmerman, chef de l’antenne de Cincinnati du FBI, était son supérieur officiel.
— Il nous faut du monde pour ramasser et interroger Stone. Retrouver la trace de Henson Trois, dont on est toujours sans nouvelles. Maguire reste toujours inconnu, si toutefois c’est une vraie personne. On aurait besoin d’au moins trois autres enquêteurs ou agents.
— Je me charge de joindre Zimmerman, assura Isenberg. Nous aurons du renfort. Si vous êtes trop fatigués pour interroger Jeremy, je peux envoyer quelqu’un d’autre.
Deacon secoua la tête.
— Non. C’est un personnage central dans cette affaire et c’est nous qui dirigeons l’enquête. Nous irons l’interroger. Ensuite on pourra confier les rênes à la relève et aller dormir.
Adam se mêla à la conversation.
— J’ai une question. A-t-on trouvé des blessures par balle sur les victimes qui étaient sous le carrelage de la cave ?
— Juste sur celle qui était flic, dit Bishop. Mais la blessure avait cicatrisé avant qu’il la tue. Pourquoi ?
— Parce que je n’arrive pas à comprendre pourquoi il persiste à utiliser le même pistolet, expliqua Adam. Il doit savoir que nous pouvons comparer les balles.
— Il s’en fiche peut-être, dit Deacon. Son arrogance va peut-être jusque-là. Ou il a pu s’imaginer que Faith serait morte à l’heure qu’il est et que nous ne ferions jamais le rapprochement. On a trouvé des empreintes exploitables dans la cave ?
Tanaka secoua la tête.
— Etonnamment, il y en avait très peu. Toutes les surfaces ont été nettoyées. Les murs, les portes, la table d’autopsie, absolument tout. Nous avons pu quand même relever plusieurs empreintes partielles sur le lit de camp, mais une seule figurait dans l’AFIS. Elle appartient à la plus récente victime, Roxanne Dupree.
— L’étudiante de l’université de Miami, c’est bien ça ? dit Isenberg. Sait-on pourquoi il l’a enlevée ?
— J’ai mis le lieutenant Vega sur le coup, dit Bishop. Elle a promis de nous contacter avec le résultat de ses recherches.
Isenberg parcourut ses notes.
— Elle devait aussi voir la petite amie de Combs. C’est fait ?
Bishop fit une petite grimace.
— Ladite petite amie et son avocat jouent au plus malin avec le DA, en vue d’obtenir un accord sur l’accusation de possession. Vega pense obtenir quelque chose demain.
Isenberg plissa les yeux d’un air menaçant.
— Est-ce que leur DA comprend à quoi nous avons affaire, ici ?
— Oui, chef, répondit sobrement Bishop. N’oubliez pas qu’ils ont aussi trois homicides sur les bras. Gordon Shue, la mère et son fils qui ont été tués dans l’ancienne voiture de Faith. Ils se sont débrouillés pour passer sous silence les liens entre leurs homicides et les nôtres. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’un journaliste fasse le rapprochement entre notre Faith et la Faith qui empoignait la chemise de Gordon Shue au moment où le cerveau du pauvre type l’a éclaboussée de la tête aux pieds.
— Qui est le supérieur de Vega ? Je vais l’appeler pour coordonner nos infos avant d’aller voir la presse.
— C’est le commandant Neil Davies, dit Bishop. Vega lui fait confiance. Et pour l’instant je fais confiance à Vega.
— Bien.
Isenberg se tourna vers Tanaka.
— Vince, parlez-moi de tout ce que vous avez trouvé dans cette cave et qui ne soit pas un cadavre. Faites vite. On m’attend en haut dans dix minutes.
— Latent a relevé trois jeux d’empreintes différentes, qui ne correspondent à aucun des cadavres. Un groupe appartient à Arianna Escobar. Le deuxième, à un enfant ou à un adulte avec de très petites mains. Et enfin on a une empreinte unique, très peu marquée. Aucune ne correspond non plus à celles de Peter Combs. Pour l’empreinte de l’enfant, nous n’avons trouvé aucune correspondance dans le fichier des enfants disparus.
— Peux-tu estimer l’âge de l’enfant d’après cette empreinte ? demanda Deacon.
Tanaka haussa les épaules.
— C’est difficile à dire. Prépubère, peut-être ?
— Vraiment ? Vous n’avez trouvé que trois jeux d’empreintes dans la totalité de cette cave ? insista Isenberg.
— Les murs et le sol étaient exceptionnellement propres, Lynda, expliqua Tanaka. La pièce à la table d’autopsie avait été arrosée d’eau de Javel. On a trouvé les empreintes de l’enfant partout. De toute évidence, elle était autorisée à circuler dans la cave. Partout sauf sur la poignée de la porte en haut de l’escalier, là où nous avons trouvé celles d’Arianna Escobar.
— Quand elle s’est échappée, murmura Deacon. Et où était l’empreinte unique ?
— Dans la petite pièce souterraine. Elle était sur une brosse à cheveux que nous avons trouvée dans la boîte posée sur le grabat. A part ça, tout le reste ne portait que les empreintes de la fille.
— La brosse a peut-être appartenu à une autre victime, suggéra Bishop.
— Mon Dieu, j’espère que non, dit Tanaka avec ferveur. Parce que, si c’est le cas, ça voudrait dire que nous avons plus de dix victimes. Cette empreinte ne correspond à aucun des corps que nous avons exhumés. J’espère que la fille l’avait avec elle quand elle a été enlevée. Dans les poils de la brosse, on a trouvé des cheveux appartenant à deux personnes différentes. Les uns sont courts et foncés, les autres longs et blonds. Les analyses ADN sont en cours sur les deux échantillons, on vous transmettra les résultats.
Il consulta ses notes avant de poursuivre son compte rendu.
— La couverture retrouvée dans la chambre souterraine est une couverture de camping standard. Elle peut avoir été achetée n’importe où, mais elle est là-dessous depuis un bon moment.
— Rien de plus précis ? demanda Isenberg. Combien de temps cette fille a-t-elle passé là-dedans ? Des semaines, des mois ?
— La couverture aurait pu être là depuis des années. En revanche, je ne peux rien dire pour la petite. Nous avons trouvé plusieurs caméras à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Malheureusement, les images étaient enregistrées sur un enregistreur numérique qui a été emporté.
— Merde, marmonna Deacon. Ça nous aurait donné une sacrée piste, mais c’était trop beau pour être vrai.
Tanaka haussa les épaules.
— Désolé. Il me reste encore à vous résumer le rapport des experts de l’agent Taylor. Le tireur n’a absolument rien laissé dans la chambre d’hôtel. Oh ! il y a la nouvelle scène de crime dans le parking de la supérette, bien sûr. On a fait remorquer le fourgon jusqu’à notre garage et on va passer chaque centimètre carré au peigne fin.
Isenberg approuva d’un signe de tête.
— Bon travail, Vince. Encore quelque chose que je devrais savoir ?
Le téléphone de Deacon bourdonna, annonçant l’arrivée d’un mail.
— C’est Faith qui envoie la liste des endroits où sa jeep a été garée, depuis qu’elle l’a achetée samedi matin. A un moment donné, ce type lui a collé un autre mouchard.
Adam se porta volontaire.
— Je m’en occupe, transmets-moi la liste.
— Merci.
Deacon se demandait si Adam avait vraiment l’intention de se rendre utile ou s’il tentait de trouver d’autres raisons de suspecter Faith. S’il savait qu’elle avait travaillé avec ce lieutenant des crimes sexuels de Miami pour renvoyer des délinquants sexuels en prison, il l’accepterait sans discussion. Sans doute mais, si quelqu’un devait en parler à Adam, la décision ne revenait pas à Deacon, mais à Faith.
— Et Combs ? demanda Isenberg. Notre avis de recherche a donné quelque chose ?
— Non, répondit Deacon, frustré. C’est comme nous l’a dit Vega, il a disparu de la surface de la terre. Crandall a lancé une vérification de son compte et de sa carte de crédit, mais il n’y a eu aucune activité récente. Combs est hors réseau. Le tireur de la nuit dernière correspond à sa description physique, mais aucun des enregistrements ne montre son visage. Impossible de savoir si c’était bien lui. Il peut ne pas être impliqué du tout. C’était peut-être Stone. Ou ceux qui se cachent derrière Maguire and Sons. Ou ça pourrait être quelqu’un que nous ne connaissons pas encore.
— Si Combs est effectivement impliqué, ce n’est pas depuis très longtemps, fit observer Bishop. Sa sortie de prison ne remonte qu’à un an. J’ai demandé à Vega de se renseigner sur ses visiteurs et ses copains de taule. Et aussi de soutirer à la petite amie des infos sur les gens qu’il a pu rencontrer ces derniers mois. Nous ne manquons pas de pistes, Lynda.
— Et sa nouvelle victime ? rappela Deacon. La femme de la supérette ? Il lui a probablement tiré dessus pour lui prendre son véhicule. Puisqu’on n’a pas retrouvé son sac sur place, nous devons supposer qu’il l’a emporté avec lui. Il pourrait donc avoir ses clés et aussi son adresse, grâce au permis de conduire. Alors, il se cache peut-être là-bas… avec deux victimes vivantes.
Isenberg lui adressa un long regard.
— Vous pensez vraiment que Corinne est encore vivante ?
— Oui, dit-il d’une voix ferme. Il le faut, jusqu’à preuve du contraire. Et, même s’il l’avait déjà tuée, il reste encore la gamine. Arianna pense qu’il a pu tuer la petite pour l’avoir aidée à s’échapper mais, jusqu’à ce que nous en sachions plus sur ce qui le lie à cette gamine, nous ne pouvons pas savoir ce qu’il a l’intention de faire. Il nous faut découvrir où se situent les planques de tous nos principaux suspects. Jeremy, Stone, Combs, Henson Trois, Maguire.
— Demandez à Crandall de faire une recherche sur l’ensemble de leur patrimoine immobilier, dit Isenberg, puis elle grimaça en voyant Tanaka tapoter son poignet. Je sais qu’il est temps pour moi de partir. Je déteste ces trucs. Satanés vautours.
— Qu’avez-vous prévu de rendre public ? demanda Deacon.
Elle se leva et rajusta la veste de son uniforme d’un petit geste sec.
— Je vais leur dire qu’on a trouvé des corps enterrés dans la cave, mais pas leur nombre. Que les victimes ont des points communs, âge, origine ethnique, couleur de cheveux et niveau d’éducation. Mais je ne parlerai ni du plexiglas ni de l’embaumement.
— Et ne mentionnez pas non plus les sutures d’autopsie, ajouta Bishop.
— Ça ne sera pas non plus dévoilé, bien sûr.
— Et la petite ? intervint Adam. Vous allez révéler son existence ?
— Oui, ainsi que sa description et son nom. Adam, demandez à Crandall de mettre en place un numéro spécial. Nous n’allons pas tarder à recevoir un flot d’appels de parents désespérés. Ah ! Je veux également que tous ceux qui travaillent dehors ou sur le terrain portent des gilets. Vince, ça concerne aussi vos équipes. Allez-y. Creusez les pistes que nous avons et trouvez-en d’autres. Tenez-moi informée.
Après son départ, Deacon sortit son téléphone.
— Bon, répartissons les tâches. Je fais la liste et ensuite je vous l’envoie à tous par mail. Adam, il nous faut une identification pour la femme de la supérette, au plus vite. Son agresseur se trouve peut-être chez elle en ce moment même. Et, dès qu’elle aura repris conscience, nous devons savoir ce qu’elle a vu.
— Entendu. Et, quand j’en aurai terminé, je chercherai où se trouvait Corcoran quand on a placé ce mouchard sous sa jeep.
— Je retourne à la maison O’Bannion, dit Tanaka. Je veux voir Johannsen faire fonctionner le radar à pénétration de sol. J’apprendrai peut-être quelques trucs. D’un autre côté, j’espère bien ne plus jamais avoir à m’en servir. Nous allons aussi passer les murs aux rayons X. Il nous reste encore à dénicher sa cache à souvenirs.
— Les organes qu’il a prélevés sur ses victimes, dit Bishop. Merde.
— Si Faith se souvient de la disposition antérieure de la maison, elle pourrait peut-être aider Vince à localiser les planques, suggéra Adam.
Lui demander de retourner dans cette maison ? Putain, certainement pas.
— Non. Elle n’est pas capable de supporter ça.
Bishop plissa les yeux, intriguée par sa réaction.
— D’après qui ?
— D’après moi. La dernière fois, elle a presque tourné de l’œil quand je l’ai forcée à descendre là-dedans.
Adam et Bishop échangèrent un regard.
— Est-ce qu’on ne devrait pas lui demander si elle est d’accord pour le faire ? insista Bishop.
Non, parce qu’elle va accepter. Mais Deacon savait que Bishop avait raison.
— Très bien. Je lui poserai la question, d’accord ?
Il se leva d’un bond, sentant qu’il avait besoin d’agir pour rester en éveil.
— Scarlett, tu nous conduiras chez Jeremy ? Je profiterai du voyage pour ronfler un peu.
En passant près du siège d’Adam, il hésita, conscient que, s’ils continuaient à camper sur leurs positions respectives, ils ne pourraient pas fonctionner en équipe.
— Merci, glissa-t-il à son cousin.
— Je pense toujours que tu es cinglé, marmonna Adam. Mais Dani m’a dit que je devais te faire confiance.
Deacon ne fut absolument pas étonné d’apprendre que Dani et Adam avaient parlé de lui entre eux. En réalité, il accueillit la nouvelle comme un soulagement.
— Tu pourrais passer voir Greg, plus tard.
Adam haussa les sourcils, manifestement inquiet.
— Il a vraiment de gros ennuis ?
— Enormes. Il est chez moi, pour l’instant. Il avait peur d’inquiéter encore plus Tammy. D’ailleurs, elle aussi serait contente de te voir. Bon. Scarlett, allons rendre visite à oncle Jeremy.