Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre,
20 h 45
Faith referma son portable, après avoir vérifié ses mails. Son nouveau patron n’avait pas répondu au message qu’elle lui avait envoyé pour l’informer de l’accident de voiture, ce qu’elle trouvait inquiétant. Au lieu de lui envoyer un mail, j’aurais dû l’appeler. Mais, à ce moment-là, elle était trop lasse et soucieuse. Elle venait de se faire tirer dessus, puis avait découvert un cadavre sous le carrelage de la cave de sa grand-mère.
Depuis, elle avait pu dormir. La fatigue s’était résorbée et une forme d’agitation, d’énervement, avait pris le relais. Assise en tailleur sur le lit de Deacon, elle se demandait s’il avait parlé à son oncle Jeremy. S’interrogeait sur ce qu’il avait pu découvrir.
Elle s’allongea sur le lit, essayant de prendre le repos prescrit par Dani. Une minute plus tard, elle se redressa. Elle aurait dû être épuisée, mais elle était trop tendue pour dormir. Les nerfs à vif, elle quitta la quiétude de la chambre de Novak et descendit dans le salon. Greg, installé sur une chaise pliante, une manette de jeu en mains, se concentrait sur la bataille virtuelle qui faisait rage sur le grand écran.
Le tout dans un silence total. Greg avait ôté ses prothèses auditives, les avait posées près de lui et avait coupé le son du téléviseur. Elle se demandait si c’était parce que Dani l’avait prévenu que Faith était censée dormir ou parce qu’il préférait le silence. Elle entra dans son champ de vision périphérique et attendit qu’il s’aperçoive de sa présence.
Il suspendit sa partie.
— Je vous ai dérangée ? demanda-t-il avec politesse.
En dépit d’une élocution un peu embarrassée, il était tout à fait compréhensible.
— Pas du tout. Vous pouvez lire sur mes lèvres ?
Le garçon haussa les épaules.
— Ça peut aller.
— Où est Dani ?
— Elle a eu une urgence au refuge. Je me suis habitué aux fédéraux, c’est bon. Ils sont là pour vous, c’est ça ?
— Oui. Malheureusement.
— Parce que vous avez des ennuis ou parce que vous êtes en danger ?
— Plutôt la deuxième raison. Je peux me joindre à vous ? demanda-t-elle en désignant l’autre chaise.
Il la regarda d’un drôle d’air.
— Pourquoi ?
Elle bougea nerveusement les épaules.
— Parce que j’ai envie de jouer, je suis trop tendue pour dormir.
Il réfléchit un bref instant, sourcils froncés, puis hocha la tête.
— « Tendue », répéta-t-il. J’ai d’abord cru que vous aviez dit « Tordue ».
— Ah, oui, ça aussi, répondit-elle avec un grand sourire.
Les deux mots devaient s’articuler de manière très proche, songea-t-elle. Puis elle montra l’écran où s’affichait la partie, un jeu de guerre multijoueur.
— Vous êtes dans une équipe ?
— Nan. J’ai juste pris ces types au hasard. Vous voulez jouer à autre chose ?
— J’aime bien tuer des zombies.
— D’accord.
Le sourire de Greg s’installa lentement, mais paraissait sincère. Puis il regarda vers l’escalier qui menait aux chambres, d’un air coupable.
— Sauf que je suis censé peindre ma chambre. Pas jouer.
— Et si je vous aidais pour la peinture ? Comme ça, on aurait plus de temps pour faire une partie.
Il secoua la tête.
— Deacon ne serait pas d’accord. Il ne voudrait pas que vous bossiez dans sa maison.
— Deacon n’a pas besoin de tout savoir. En plus, je suis tellement nerveuse que je déborde d’énergie. En d’autres circonstances, je serais partie courir, mais je ne peux pas quitter la maison. Alors, autant peindre un mur.
Greg posa sa manette et plissa les paupières pour mieux la scruter. Il avait les mêmes yeux que Dani, un bleu et un marron. Sinon, l’ado ressemblait à Deacon sur cette vieille photo. Des jumeaux nés à dix-huit ans d’intervalle.
— Il paraît que vous êtes thérapeute ?
— Je l’étais. Maintenant, je travaille dans une banque.
Elle grimaça intérieurement. Du moins, j’espère que ce sera toujours le cas, à la fin de cette histoire.
— Je ne veux pas que vous passiez en mode thérapie avec moi. Ni que vous me posiez des questions sur mon renvoi.
— Entendu et compris.
Elle lui fit signe d’ouvrir la marche. Une fois dans la chambre du garçon, elle s’aperçut que le travail était déjà entamé. Un des murs était d’un paisible vert tendre qui s’harmonisait avec les autres coloris de la maison.
— Qui a choisi la couleur ?
— C’est moi. On a tous choisi la couleur de notre propre chambre, mais Dani a choisi tout le reste.
— J’aime bien, dit Faith. C’est calme, sans être féminin. C’est vous qui avez commencé ?
— Ouais. J’étais descendu pour faire une petite pause. Bon, je suis plus grand que vous. Je peux peindre la moitié supérieure, vous prendrez le bas. N’oubliez pas que je ne peux pas vous comprendre, si je ne vous regarde pas.
— Pas de problème. De toute façon, je n’ai pas l’intention de vous soûler de paroles.
— C’est toujours ce que disent les filles, mais après elles veulent quand même discuter.
— Pas moi. Après la journée que je viens de vivre, je crois avoir eu mon compte de discussions.