3
L’immortalité par commande postale
J’ai besoin d’un prêt, annonça Méduse en s’assoyant sur la chaise libre en face de ses deux sœurs au petit déjeuner le matin suivant.
Après s’être habillée et avoir nourri ses serpents, elle avait frappé à la porte de leur chambre, mais elles étaient déjà parties, alors elle était venue les rejoindre à la cafétéria.
— De quelle sorte ? Un prêt de sens de l’humour ? demanda Sthéno.
Bien que les trois sœurs fussent des triplettes, ayant toutes trois la peau verte, seule la peau de ses sœurs chatoyait. Étant immortelles, elles étaient des déesses, bien entendu. Fait qu’elles ne se gênaient pas de lui rappeler.
— Ou peut-être un prêt de cerveau ? dit Euryale en souriant perfidement.
— Ha ha, dit Méduse en versant du lait au miel dans un bol de flocons d’ambroisie.
Simplement parce qu’elles étaient immortelles et plus vieilles qu’elle de quelques misérables minutes, elles se plaisaient à agir avec elle comme si elles lui étaient supérieures.
— Vraiment, j’ai besoin d’argent. De 22 drachmes, pour être exacte.
— Hein ? Et pour quoi faire ? demanda Euryale.
Méduse contempla ses céréales avec attention avant d’en prendre une cuillerée. Bien qu’elle mangeât la même chose que les jeunes dieux et déesses de l’école, cela ne faisait pas chatoyer sa peau et ne lui donnait pas de pouvoirs spéciaux. Malheureusement.
Peut-être devrait-elle simplement dire la vérité à ses sœurs, songea-t-elle en fixant les flocons qui flottaient dans son bol. On ne savait jamais. Lorsqu’elle s’y attendait le moins, elles se mettaient à être gentilles et à l’aider. Après tout, elle ne serait pas venue à l’AMO si ses sœurs ne l’avaient pas fait entrer clandestinement le premier jour d’école.
La préposée du comptoir d’accueil, madame Hydre, s’était emmêlée lorsqu’elles s’étaient présentées à l’Académie — trois filles identiques d’à peine huit ans. Elle avait vérifié sa liste d’admissions sur son rouleau en disant :
— Je n’ai que deux sœurs Gorgone sur ma liste. L’invitation du directeur Zeus s’appliquait à des jumelles, pas à des triplettes.
— C’est certainement une erreur, avait claironné Méduse. Je suis leur sœur, une déesse tout comme elles. Vous voyez ? Tendant un doigt, elle avait soulevé par magie le rouleau du comptoir et l’avait fait virevolter dans les airs pour convaincre la préposée qu’elle disait la vérité. Bien entendu, ses sœurs étaient celles qui avaient usé de magie en secret.
Mais lorsqu’on découvrit la supercherie plusieurs semaines plus tard, Méduse avait déjà commencé les cours à l’AMO et récoltait de bonnes notes. Heureusement, Zeus était en mesure de reconnaître et d’apprécier les bons tours (il était réputé à cet effet sur Terre) ; c’est pourquoi il avait permis à Méduse de rester.
— La Terre appelle Tête de serpent, dit Sthéno en claquant des doigts pour capter l’attention de Méduse.
Méduse repoussa sa main puis elle prit une bouchée de céréales. Tout le monde à l’école pensait probablement que ses sœurs et elle étaient meilleures copines. Mais Sthéno et Euryale étaient plus près l’une de l’autre qu’elles ne l’étaient d’elle. Elles aimaient être plus puissantes qu’elle, alors elle doutait fortement que ses sœurs l’aident à devenir une déesse elle aussi. Et c’est pour cette raison qu’elle ne pouvait pas leur dire pourquoi elle avait besoin d’un prêt.
Se creusant la cervelle, elle essayait de penser à une explication qui convaincrait ses sœurs riches à craquer de cracher un peu d’argent. Soudainement, deux de ses serpents se penchèrent devant son visage. Ils s’entrelacè-rent pour former une boucle entourant un cadeau.
« Qu’est-ce que les cadeaux ont à voir avec cette histoire ? » se demanda Méduse. Puis l’un des serpents se contorsionna en forme de zigzag, ressemblant ainsi à l’un des éclairs de Zeus. Et, à la vitesse de l’éclair, elle eut une idée.
Elle remercia ses serpents en bougeant les lèvres silencieusement. Puis, elle regarda ses sœurs.
— J’ai besoin d’argent pour acheter un cadeau de mariage pour Héra et Zeus, inventa-t-elle.
— Utilise ton allocation, dit Euryale.
Méduse s’appuya sur le dossier de sa chaise en croisant les bras.
— Vous recevez une allocation trois fois plus élevée que la mienne.
Et c’était vrai. Leurs parents aimaient ses sœurs davantage qu’elle.
— Et puisque les mortels adorateurs sont toujours en train de donner des choses aux déesses, poursuivit-elle, vous n’avez besoin de presque rien. Vous devez avoir économisé des tas d’argent, depuis le temps. Allez.
— Impossible, dit Sthéno en faisant un rictus.
— Si je vous le demande avec un joli « s’il vous plaît » arrosé de nectar ? Je vais vous rembourser.
Elle n’avait pas de scrupules à les supplier s’il le fallait.
— Nan, dit Euryale en secouant la tête. Désolée.
Méduse se redressa et planta sa cuillère dans son bol, contrariée. C’était difficile de devoir toujours compter sur la bonne volonté de ses sœurs. Elles ne l’aidaient généralement que lorsqu’elles pouvaient en profiter d’une manière ou d’une autre.
« Hé ! C’est ça ! »
Elle devait leur présenter la chose comme s’il était dans leur intérêt de lui donner de l’argent.
Pensant rapidement, elle dit :
— D’accord, mais vous savez que cela vous portera ombrage si votre petite sœur n’a pas de cadeau à offrir pour le mariage, n’est-ce pas ? Cependant, je vais trouver quelque chose. Peut-être pourrais-je tricoter des chaussettes pour Zeus et Héra, ou leur préparer un bocal de confiture de pomme grenade.
Et elle soupira pour insister.
— Bien entendu, ça semblera plutôt minable, comparé aux pommes d’or magiques qu’un jeune dieu comme Héphaïstos peut fabriquer.
Sthéno et Euryale échangèrent des regards furtifs. Ha ! Elle avait réussi à les inquiéter.
« La victoire est à portée de main », pensa Méduse en mastiquant ses céréales innocemment.
Euryale se pencha en avant, posant les coudes sur la table.
— D’accord, petite sœur, je vais te dire ce que nous allons faire. Si tu promets de ranger et de nettoyer notre chambre, nous allons t’emmener au marché des immortels aujourd’hui pour aller acheter un cadeau digne de ce nom.
— Et pour ce qui est du prêt ? demanda Méduse avec espoir.
— Ne tire pas trop sur la corde, dit Sthéno. Nous allons y penser.
— D’accord, marché conclu, répondit Méduse.
Euryale se mit à glousser.
— Ha ! Ha ! Ha ! Nous nous y rendions de toute manière !
Méduse haussa les épaules. Elle y avait déjà pensé. Mais si elles s’y rendaient ensemble, elle aurait plus de temps avec elles pour tenter de leur soutirer de l’argent.
Quelques minutes plus tard, les trois sœurs avaient terminé leur petit déjeuner. Elles rapportèrent leur plateau, puis se dirigèrent vers la sortie de la cafétéria. En chemin, elles passèrent devant une table où quelques jeunes dieux riaient aux éclats.
— Pouvez-vous croire ça ? demanda Arès en donnant un coup de coude à Apollon et en lui tendant le dernier numéro d’Adozine ouvert.
Apollon lut la page que lui montrait Arès, puis il s’esclaffa lui aussi.
— Dieux tout puissants ! Les mortels sont vraiment prêts à essayer n’importe quoi pour devenir comme nous, dit-il.
De là où elle se trouvait, Méduse ne pouvait lire ce qui était écrit sur la page en question, mais elle reconnut le cheval ailé scintillant. De toute évidence, ils se moquaient de la publicité sur le collier d’immortalisation. Pourtant, leur réaction ne l’ébranla pas un instant dans sa décision de se procurer le gadget. Les immortels se moquaient toujours des mortels de vouloir devenir comme eux. Ils ne connaissaient simplement pas leur chance !
Aphrodite et Athéna arrivèrent dans la cafétéria juste au moment où Méduse et ses sœurs en sortaient. Lorsqu’elles sourirent toutes les deux à Méduse et furent sur le point de dire quelque chose, elle fit semblant de ne pas les voir et se dépêcha de s’éloigner. « Que se passe-t-il avec ces déesses, dernièrement ? » se demanda-t-elle. Leur gentillesse la dérangeait.
Malgré tout, une petite partie d’elle-même se demandait ce qui arriverait si elle les saluait en retour. Eh bien, trop tard, de toute manière. De plus, et si elles la regardaient avec surprise et lui disaient qu’elles ne lui parlaient pas, mais à quelqu’un d’autre derrière elle ? Ne serait-ce pas humiliant ? Très humiliant, en effet.
Lorsque les triplettes Gorgone atteignirent les grandes portes de bronze de l’Académie, elles retirèrent leurs sandales ordinaires et prirent chacune une paire de sandales aux ailes d’argent dans la corbeille. Elles sortirent et descendirent les larges marches de l’escalier menant à l’AMO, s’assirent sur la dernière et chaussèrent leurs sandales. Une fois que les lacets se furent enroulés par magie autour de leurs chevilles, elles se levèrent.
Les ailes se mirent immédiatement à battre aux talons des deux sœurs immortelles. Sthéno et Euryale s’élevèrent en voletant à quelques centimètres au-dessus du sol de la cour. Mais les pieds de Méduse demeurèrent fermement plantés au sol, les ailes des sandales immobiles. Jusqu’à ce que ses sœurs viennent se placer de chaque côté d’elle et lui prennent la main.
Au contact des immortelles, les ailes des sandales de Méduse se mirent elles aussi à s’agiter.
— Wah ! dit-elle avec nervosité en s’élevant entre elles.
Elle agrippa leurs mains et les serra à tel point que les articulations de ses propres mains devinrent blanches. Peu importe le nombre de fois qu’elle avait déjà volé entre elles comme ça, c’était toujours une expérience effrayante. Parce que c’étaient ses sœurs qui commandaient les sandales, et pas elle ! Les mortels pouvaient voler ainsi uniquement s’ils tenaient la main d’un immortel.
— Allons-y ! dit Sthéno.
Et sur ce, les trois sœurs filèrent au-dessus de la cour 10 fois plus rapidement qu’en marchant.
— Ne serre pas si fort, se plaignit Euryale à Méduse. Tu me coupes la circulation.
Méduse fit mine de ne pas entendre. Une fois, en troisième année du primaire, elles l’avaient accidentellement laissée tomber lorsqu’elles apprenaient à utiliser les sandales. Elle s’était écorché les genoux, et chaque fois qu’elle voyait la cicatrice sur son genou gauche, elle se rappelait à quel point elle dépendait d’elles. C’était terrible d’être dépendante à ce point. Raison de plus de vouloir devenir une jeune déesse. Elle pourrait alors s’occuper d’elle-même.
Quelques minutes plus tard, elles étaient au marché des immortels, qui était situé à mi-chemin entre l’Académie et la Terre. Un gâteau de mariage magique doté de la parole et aussi haut qu’elles les accueillit à l’entrée de la galerie commerçante.
— Si vous venez chercher un cadeau pour Zeus et Héra, dit le gâteau en montrant un magasin de cadeaux de mariage, il faut aller chez Cadeaux des dieux.
— Je parie que je ne pourrai pas acheter grand-chose avec mes huit drachmes, laissa entendre Méduse alors que ses sœurs et elle se dirigeaient vers le magasin. C’est tout ce que j’ai pu économiser.
Elle espérait ainsi qu’elles lui diraient qu’elles lui prêteraient chacune suffisamment pour acheter quelque chose de très chouette. Mais elles demeurèrent coites.
Il y avait un rouleau de papyrus affiché dans la vitrine de Cadeaux des dieux. On pouvait y lire en lettres de fantaisie dorées :
« Zeus tout puissant,
Roi des dieux
Et maître des cieux
S ’unira bientôt à Héra.
Achetez ici le cadeau idéal ! »
Méduse entra, suivie de ses sœurs. Chacun des rayonnages et des tables du magasin étaient couvert de splendides cadeaux de mariage disposés sur des nappes de satin blanc bordées de vraies perles. Savamment disposées parmi les cadeaux, il y avait des décorations élégantes telles que des cloches de mariage en papyrus et de grandes boîtes-cadeaux ornées de boucles et de choux élaborés. Elle se dit que les boîtes étaient vides, parce que les cadeaux qu’elles contenaient étaient présentés sur les tables.
Elle devait réellement acheter un cadeau pour le mariage, prit-elle conscience en regardant tout autour. Après tout, tout le monde savait à quel point le directeur Zeus aimait les présents.
Certains des cadeaux proposés étaient plutôt stupides, comme le couple de figurines à tête branlante d’environ 15 centimètres de hauteur habillées en mariés. « C’était probablement une idée de Zeus », pensa Méduse. Elle les imaginait très bien sur le gâteau de mariage, les têtes bougeant sur leurs ressorts chaque fois que ses pas faisaient vibrer le sol. Mais la paire d’élégants gobelets d’argent sur lesquels étaient gravées les lettres Z et H entrelacées était certainement une idée d’Héra.
Peut-être que si elle trouvait un cadeau qui coûtait au moins 30 drachmes, ses sœurs lui prêteraient les 22 drachmes qu’il lui fallait. Elle pourrait acheter le cadeau maintenant et le rapporter le lendemain pour se faire rembourser. Avec leurs drachmes et les 8 qu’elle avait déjà, elle aurait les 30 drachmes nécessaires pour acheter le collier d’immortalisation. Elle n’aurait plus besoin d’argent une fois que le collier l’aurait transformée en déesse. Car avec ses nouveaux pouvoirs d’immortelle, elle serait en mesure de faire apparaître un incroyable cadeau de mariage super fabuleux. C’était le plan parfait !
— Aidez-moi à choisir quelque chose, dit-elle en levant la main pour attirer l’attention de ses serpents.
Désireux de lui rendre service, ils commencèrent à agiter la langue vers les objets de leur choix.
— Tu es encore en train de parler à ces reptiles visqueux ? demanda Sthéno.
— Les reptiles ne sont pas visqueux, répondit Méduse en reposant le gobelet qu’elle tenait à la main. Tiens, tu veux en flatter un, pour voir ? ajouta-t-elle en penchant la tête vers sa sœur.
— Beurk ! dit Sthéno en sautant en arrière. Éloigne ces choses.
Méduse sourit. Au début, elle avait cru qu’avoir des serpents en guise de cheveux serait une malédiction. Mais après que l’invention d’Athéna, le Viperlave, eut accidentellement transformé ses cheveux en serpents, ces reptiles étaient devenus ses meilleurs amis. Et ils étaient plutôt gentils et amusants. Comme des animaux de compagnie. Et si quelqu’un s’en prenait à elle, ils la défendaient en se dressant sur sa tête. Elle avait confiance en eux et, en leur présence, elle pouvait être elle-même. Ce qu’elle ne pouvait faire avec personne d’autre.
— Ne pourrais-tu pas porter un chapeau ou quelque chose comme ça ? se plaignit Sthéno en se tenant à bonne distance de Méduse.
— Ouais, ces serpents sont gênants ; et ils se moquent de nous, dit Euryale.
— Hein ? dit Méduse.
— Comme ça, dit Sthéno en montrant le haut de la tête de Méduse.
Voyant un joli miroir à main délicatement travaillé, un des cadeaux qu’Héra avait probablement choisi, elle tendit la main pour le prendre et se regarder. Mais heureusement, elle s’arrêta juste à temps. Puisqu’elle était mortelle, elle pouvait se transformer elle-même en pierre d’un seul regard ! Elle regarda plutôt vers le haut, rabattant ses serpents sur son front comme une frange pour pouvoir mieux les voir. Ils se tortillèrent d’un air coupable sous son regard, comme s’ils venaient de faire quelque chose qu’ils n’auraient pas dû, les petits chenapans.
— Ils nous faisaient des grimaces, lui dit Euryale d’un ton irrité. Ne fais pas comme si tu ne le savais pas, ils font ça tout le temps.
Enchantée, Méduse fit un sourire à l’intention de ses serpents. À vrai dire, elle ne le savait pas, mais elle pensa que c’était amusant. Leur faisant un clin d’œil, elle les libéra, et ils se dressèrent de nouveau. Puis elle dit à ses sœurs :
— Comment voulez-vous que je le sache ? Est-ce que vous pouvez voir le dessus de votre propre tête ?
— Viens, Euryale. Allons chez Cléo Cosmétiques, suggéra Sthéno d’un ton blasé. J’ai besoin de poudre verte. Et je veux aller voir ce nouveau magasin, la Scène verte. Tous leurs vêtements sont verts. N’est-ce pas extra ?
Cela semblait très chouette à Méduse, mais si elles partaient, elle ne pourrait plus mettre son plan à exécution. Elle essaya de trouver un moyen de les arrêter. Il fallait absolument qu’elles lui prêtent cet argent.
Mais ses sœurs poussaient déjà la porte.
— Viens nous rejoindre à l’entrée du marché dans une heure, lui lança Sthéno par-dessus son épaule.
Les deux sœurs leur firent un regard mauvais, à elle et à ses serpents, puis elles sortirent en trombe pour aller faire les boutiques sans elle.
— C’est ça. Partez donc, marmonna Méduse.
Il faudrait qu’elle les convainque plus tard de lui prêter de l’argent. Il fallait en premier lieu trouver un cadeau qui coûtait 30 drachmes. Et un autre qui n’en coûtait que huit. Puis elle leur montrerait à quel point le premier était magni-fique, comparativement au deuxième. Puisqu’elles se souciaient des apparences, elles ne voudraient certainement pas que leur sœur se présente au mariage avec le cadeau le plus moche. Et lorsqu’elles céderaient et lui consentiraient un prêt, elle pourrait mettre son plan à exécution. À elle, le collier d’immortalisation !
En passant devant les figurines à tête branlante, elle leur donna un petit coup sur la tête et les regarda osciller. Puis elle les souleva, cherchant le prix. Peut-être que les figurines pourraient être son cadeau à huit drachmes.
— Hum… Pas d’étiquette, murmura-t-elle.
— Aucun de nos cadeaux n’est étiqueté. Vous devez vous adresser à moi pour connaître le prix d’un article, dit une voix rigide et officielle.
Méduse regarda autour d’elle, surprise.
— Qui a dit ça ?
— C’est moi.
Puis elle remarqua que le couvercle de la boîte décorative la plus proche s’était soulevé et qu’une marionnette en était sortie, comme un diable à ressort. Elle portait une tunique blanche avec un nœud papillon noir. Il y avait sur chacune des tables d’autres boîtes-cadeaux carrées d’environ 25 centimètres. Contenaient-elles aussi des marionnettes aussi utiles ?
— D’accord. Combien coûtent ces figurines à tête branlante ? demanda-t-elle à la marionnette.
— Je suis désolé, mais elles sont déjà vendues. Il faudra choisir autre chose.
La marionnette tourna son long nez vers elle et la regarda. Méduse se sentait aussi minuscule qu’un petit pois sous son regard arrogant. Et chaque fois que quelqu’un tentait de la diminuer, elle ripostait !
— Bien. C’est ce que je vais faire, Jack, dit-elle en imitant son ton snobinard.
— Pourquoi m’appelles-tu Jack ?
— Pour rien, Jack, dit-elle d’un air suffisant.
Elle prit un sac à l’allure bizarre qui ressemblait un tant soit peu au carquois qu’utilisait Artémis pour transporter ses flèches. Mais au lieu d’être fait de bois d’olivier, celui-ci était en or ! On avait délicatement gravé les exploits héroïques de Zeus sur la surface du sac.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.
— Un porte-éclairs à bandoulière, répondit la boîte-cadeau.
Méduse se mit à rire. C’était certainement une idée de Zeus.
— Et à quoi cela sert-il ?
D’un ton pompeux, la boîte-cadeau commença à le lui décrire.
— Fait d’or martelé le plus fin provenant des mines de Thasos, le porte-éclairs fait 1,20 mètre de longueur et 40 centimètres de diamètre, avec une courroie tissée en filigrane de 2,40 mètres de longueur. Ce magnifique article peut contenir la force et la furie de trois éclairs dynamiques à la fois. Il…
Le diable à ressort continuait son baratin, mais Méduse réfléchissait si fort que la voix de celui-ci lui semblait venir de très loin. En passant la main sur l’or scintillant du porte-éclairs, elle se rappela que Zeus avait une fois accordé un simple vœu à Athéna. C’était un peu plus tôt au cours de l’année, alors qu’elle avait inventé l’olivier et gagné le concours d’inventions de l’école. Le vœu d’Athéna avait été la visite à l’AMO d’une ancienne amie qu’elle avait du temps où elle vivait sur Terre.
Méduse savait ce qu’elle aurait souhaité à sa place… l’immortalité ! Ce porte-éclairs doré était un objet très spécial. Si elle l’offrait à Zeus, il le remarquerait certainement et voudrait la remercier. Et à cet effet, il exauçait parfois le vœu de la personne qui avait sa faveur du moment. Peut-être que ce cadeau ferait l’affaire. C’était pas mal étonnant. On ne savait jamais, avec lui.
— Est-il vendu ? demanda-t-elle anxieusement.
— Non.
— Combien ? demanda-t-elle ensuite, soulagée.
— À peine 300 drachmes.
— Quoi ? riposta Méduse, les yeux écarquillés d’incrédulité.
— Il ne faut pas oublier qu’il est fait d’or pur de Thasos, l’informa la marionnette en recommençant à décrire l’objet.
Rapidement, elle reposa le porte-éclairs, et la marionnette s’arrêta au beau milieu d’une phrase.
S’éloignant, elle commença à soulever un à un les cadeaux posés sur les autres tables. Chaque fois, la marionnette à ressort sortait de la boîte-cadeau la plus près et lui donnait le prix ainsi qu’une description de l’article.
— Oh non ! grommela-t-elle après que la douzième marionnette lui eut donné encore un prix tout à fait prohibitif.
Tout coûtait terriblement cher ! Il n’y avait là aucun cadeau pour 30 drachmes, encore moins pour 8. Elle ne pouvait même pas se permettre d’acheter le moins cher des cadeaux, un dé à coudre en argent ! C’en était fait de son plan parfait. Qu’allait-elle faire ? Elle ne pouvait pas être la seule à se présenter au mariage sans apporter de cadeau du tout !
Abattue, elle se dirigea vers la sortie du magasin. À chaque pas qu’elle faisait, elle se sentait comme si elle portait le poids du monde sur ses épaules.
Scouik ! Elle cligna des yeux. Qu’est-ce que c’était que ce bruit ? Scouik ! Il se faisait entendre à chaque pas qu’elle faisait en direction de la porte.
Lorsqu’elle poussa la porte, une voix prétentieuse se mit à crier :
— Arrêtez la voleuse !
Méduse regarda derrière et vit que l’une des marionnettes à ressort regardait dans sa direction en s’affolant.
Elle regarda tout autour. Elle était la seule cliente dans le magasin.
— Qui, moi ? demanda-t-elle en regardant la marionnette.
— Oui, toi ! Appelez la sécurité ! cria la marionnette.
— Quoi ? Pourquoi ? Je ne fais rien de mal !
Mais lorsqu’elle ouvrit grand la porte, elle entendit le terrible grincement encore une fois. Il y avait quelque chose qui la suivait. Se retournant, elle vit de quoi il s’agissait. Le porte-éclairs en or !
Elle leva la main et toucha ses serpents. Tous les 12, ils s’étaient enroulés autour de la courroie du porte-éclairs. Ils avaient dû l’empoigner lorsqu’elle était passée devant la table de présentation un instant plus tôt.
Ses serpents faisaient du vol à l’étalage !