Manon passa la tête à la porte de l’office. Lorsqu’elle constata qu’Andrew était seul, elle entra en sautillant. Le majordome rangeait sa tasse de petit déjeuner dans le lave-vaisselle.
— Monsieur Andrew ! chantonna Manon. Justin m’a envoyé un message !
— Excellente nouvelle ! Mais je croyais que tu ne captais pas ?
— J’ai connecté mon ordi à la prise de téléphone de la bibliothèque comme vous me l’aviez dit, pour mes révisions, et j’ai trouvé un mail de lui.
— Fantastique ! Tu vois, il ne faut jamais désespérer. Que dit-il ?
La jeune fille caressa son ventre qui commençait à s’arrondir avec un air ravi.
— Ma lettre – notre lettre – l’a ému. Il dit qu’il regrette d’avoir mal réagi et qu’il pense à moi et au bébé. Il doit partir à l’étranger. Il va en profiter pour réfléchir. Il espère aussi que ma mère ne va pas trop mal réagir – ça c’est raté – et que si c’était le cas, je peux compter sur son aide. Et puis, il promet qu’il paiera pour les frais du bébé et qu’il ne me laissera pas tomber.
— Thank God !
— Il ne dit jamais « notre » bébé, et il ne dit pas non plus que l’on se remettra ensemble…
— Laisse-le se faire à l’idée. Justin est un garçon sérieux, je suis certain qu’il te fera signe à son retour comme il l’a promis.
— Comment pouvez-vous savoir s’il est sérieux ? s’étonna Manon.
Andrew hésita.
— Eh bien… Sachant tout ce que tu m’en as dit, et en y ajoutant le fait qu’une fille comme toi n’aurait pas choisi n’importe qui, je me dis qu’il l’est certainement…
La jeune femme sembla convaincue par la réponse. Andrew avait eu chaud. Il observa Manon. Son visage irradiait à nouveau la lumière. Un mail avait suffi pour sécher ses larmes, effacer ses cernes et lui redonner goût à la vie. Andrew songea que les femmes se contentent de peu et que les hommes ont pourtant beaucoup de mal à le leur donner.
La trappe de la chatière se souleva et Méphisto glissa ses moustaches pour entrer.
— On dirait qu’il a un peu grossi, constata Manon.
— Odile prétend que ce n’est qu’une impression et qu’il fait simplement son poil d’hiver, mais si c’est le cas, il en fait assez pour fabriquer des manteaux à tous les chats des environs.
Manon n’avait pas entendu la fin de la remarque. Elle était rêveuse, perdue dans ses pensées, enfin accrochée à un espoir. Désormais, elle allait compter les jours.
Le chat trottina jusqu’à son coin repas. Il respira les croquettes sans y toucher puis lécha l’assiette qui avait contenu son repas de la veille, au cas où il en serait resté une molécule. Constatant que le bol de lait était vide, il se tourna vers les seuls humains présents dans la pièce et lança un petit miaulement à fendre l’âme.
— Je sais que c’est l’heure de ton lait tiède, lui expliqua Blake, mais ta maîtresse est encore avec Madame et elle n’apprécierait pas que nous lui volions son rôle. Tu vas devoir attendre qu’elle redescende…
Comme s’il avait compris, le chat s’assit sagement et commença sa toilette.
Manon était déjà partie s’occuper du ménage lorsque Odile arriva. Elle n’adressa même pas un regard à Blake et ouvrit le frigo pour servir l’animal.
— Excuse-moi, mon bébé. C’est un peu compliqué ce matin. Tu as fait ta promenade ?
Le chat vint se frotter dans ses jambes pendant qu’elle versait le lait dans la casserole. Elle alluma le gaz.
— Vous m’en voulez toujours pour ma plaisanterie ? tenta Blake.
Le doigt plongé dans le lait pour en vérifier la température, Odile répondit sans le regarder :
— J’ai encore mal au front, mais je ne vous en veux plus. J’ai d’autres soucis avec Madame.
Elle versa le lait dans le bol et le déposa au pied de la gazinière en demandant au majordome :
— Vous seriez vraiment capable de la conseiller au sujet de ses placements ?
— Je le crois.
— Et moi ?
— Je ne comprends pas.
— Depuis trois ans, je confie toutes mes économies aux gens qui s’occupent des placements de Madame, et je commence à croire effectivement qu’ils ne sont pas très nets. Je suis en train de tout perdre. Si je vous montrais, accepteriez-vous de me donner un avis ?
Odile se tourna vers Andrew. La détresse et l’inquiétude se lisaient sur son visage. Elle ajouta :
— J’ai peur de me retrouver sans rien pour mes vieux jours, vous comprenez ?
— Pourquoi ne pas m’en avoir parlé plus tôt ? Vous savez que vous pouvez compter sur moi. On va étudier ça ensemble. Ne vous inquiétez pas.
Odile parut soulagée, mais elle précisa :
— Il y a autre chose. Madame ne mange absolument rien depuis deux jours. Pas une miette. Quand je l’aide à s’habiller le matin, je vois bien qu’elle s’étiole à vue d’œil. Les soucis la rongent. Je ne vous en ai pas parlé parce que je pensais qu’elle allait reprendre des forces. Elle fait souvent cela, mais cette fois…
— Je monte la voir.