CHAPITRE XI

Ce fut ce soir-là que, pour la première fois, Dick put se trouver seul avec lord Weald. Tommy était venu si rapidement qu’il avait laissé derrière lui une longue piste semée de contraventions pour excès de vitesse, mais il en avait l’habitude et ne s’en inquiétait pas. Il réclamait des nouvelles.

« Alors, mon pauvre vieux, sais-tu qui j’ai vu ce matin ? Cette chère petite fille ! Elle est vraiment épatante ! Elle allait à Londres en voiture… Qu’elle est jolie !

– Si je comprends bien, tu parles encore de Mary Dane ?

– Bravo ! vieux malin ! Mais son vieux bonhomme n’en a pas pour longtemps, pauvre vieux ! (Tommy soupira mélancoliquement.) Ce n’est vraiment pas drôle pour une aussi charmante femme d’être toujours avec un bancroche !

– Un quoi ?

– Un bancal, quoi ! Tu ne comprends pas ? Il a un pied dans la tombe et l’autre sur le gazon ! C’est elle qui conduisait. Elle a arrêté sa voiture. Je n’en croyais pas mes yeux ! Comme elle a été aimable et délicieuse ! Elle m’avait reconnu ! Tiens, au fait, elle ne m’a pas parlé de toi ! pas une seule fois… Elle t’oublie ! Elle ne m’a pas posé une seule question sur le grand Richard Staines ! Qu’est-ce qui se passe ? Enfin, les femmes sont comme ça ! Il faut s’y faire. Mais elle ne me lâche pas, moi ! Nous avons bavardé un bon moment. Le vieux gentleman était en verve. Il doit être persuadé que j’ai une grande compétence en matière de digestion ! Et je dois les revoir tous ce soir ! »

Il évita le regard sombre que Dick tournait vers lui.

« Tu ne vas pas assommer cette pauvre fille avec tes propositions malhonnêtes ! Tu la suffoquerais ! »

Tommy eut un sourire supérieur.

« Vieux farceur ! Tu me crois donc si bête ? Non, j’ai besoin de changer !

– Je croyais que tu devais rester ici et jouer au détective ? »

Tommy fut un peu gêné par cette question.

« C’est vrai, dit-il, confus, je sais bien que je t’avais parlé de ça, mais tu te débrouilles si bien sans moi ! Quoi de neuf ?

– Oh ! rien, seulement un meurtre et c’est sans intérêt pour toi !

– Qu’est-ce que tu dis ? s’écria Tommy, et il posa l’inévitable question.

– Je ne sais pas qui l’a commis, répondit Dick un peu ennuyé. Si je le savais, je serais sorcier !

– Mais où ? et comment ?… Dans la maison de Derrick ? Par exemple ! Dans son salon ? Ce pauvre vieux n’aura plus le sourire ! J’aurais dû revenir la nuit dernière ! Je n’ai jamais vu d’assassiné !

– Je te garderai une bonne place pour la prochaine fois ! » dit sombrement Dick qui n’avait guère envie de plaisanter. Puis, sentant tout à coup qu’il avait tort de bouder, il s’écria : « Sais-tu que je suis jaloux de toi !

– Mais bien sûr que je le sais ! (Tommy épousseta distraitement une poussière sur la manche de son veston.) Mais tout est permis…

– Si tu dis « en amour et à la guerre », je te casse la figure ! déclara Dick.

– Bien, alors, je dis tout, poursuivit Tommy un peu confus. Je dois t’avouer qu’après ton départ, l’autre jour, je suis reparti pour Bognor. Évidemment, tu peux penser que je profitais lâchement de ton absence, mais, en vérité, c’est que je m’ennuyais à périr avec Derrick. Je déteste le billard, et j’ai eu envie de respirer un peu d’air frais… et j’ai eu une de ces chances ! Elle était assise près de la fenêtre d’une de ces tristes pensions de famille et elle cousait… elle m’a reconnu et m’a gentiment fait signe de la main… Je suis presque sûr qu’elle m’a envoyé un baiser… seulement, comme il faisait assez noir, je n’ose pas m’en vanter. Tu sais à quel point je suis modeste ! Je lui ai demandé de sortir.

– Comment cela ?

– Par signes, dit très simplement Tommy. C’est très facile quand on sait s’y prendre ! Je lui ai montré le kiosque à musique et lui ai fait signe de m’y rejoindre…

– La population de Bognor a dû bien rire de ton exhibition ! » insinua Dick, méprisant.

Tommy ignora cette insulte.

« Mais elle ne pouvait descendre. Alors, j’ai pris une chaise, et je me suis installé là, le dos à la mer… Il m’a semblé qu’elle était heureuse que je reste là. C’est très agréable d’avoir un homme sous la main. »

Le cœur de Dick se mit à battre un peu plus vite.

« À quelle heure as-tu quitté Bognor ? » demanda-t-il sur le ton le plus dégagé qu’il put prendre.

Tommy leva les yeux vers le plafond.

« Vers onze heures. Dès qu’elle eut tiré les volets. C’est-à-dire, je ne suis pas parti tout de suite, j’ai bien attendu encore une heure. J’espérais qu’elle viendrait prendre un peu l’air. On traite vraiment les nurses d’une manière abominable. Ce sont de véritables esclaves. Quand j’ai compris qu’elle ne viendrait pas, il était à peu près minuit, je me suis levé… et elle m’a vu. Elle a ouvert le volet et elle m’a encore fait un gentil signe. Qu’en penses-tu ? »

Dick respira largement.

« J’en remercie le ciel ! » dit-il.

Tommy lui prit la main, son visage exprimait une profonde gratitude.

« Vraiment, mon vieux, ça te fait plaisir ? Tu ne m’en veux pas ? Cela m’ennuyait tellement de prendre ta place… mais dans un cas pareil…

Ne me parle plus de tes opinions sur l’amour, cela me rendrait malade. Viens boire un verre ! »

Minuit… elle ne pouvait donc pas être à Londres avant deux heures. Le meurtre devait déjà avoir été commis puisque, suivant le diagnostic du docteur, il avait eu lieu un peu après minuit, au plus tard à une heure du matin.

« Peuh ! fit-il.

– Oui, mon vieux, il y en a peu comme elle ! » répliqua Tommy se méprenant.

À la demande de Tommy et pour satisfaire sa morbide curiosité, il le conduisit à la maison de Derrick. Walter était reparti pour Keyley avant l’arrivée de Weald et ne savait pas que son invité l’avait quitté.

« Il va être navré, dit Staines. Je le serais aussi. Ce n’est pas tous les jours qu’il peut s’offrir un invité amusant. »

Tommy put seulement jeter un coup d’œil dans le salon, car il y avait à l’intérieur des hommes fort occupés.

« Que font tous ces photographes ? demanda-t-il.

– Ils prennent des photos, expliqua Dick, et bien mal à propos, il montra un coin du palier. C’est là qu’était le fantôme, dit-il.

– Le fantôme ? questionna Tommy, la mine assombrie. Tu plaisantes ?

– Pourquoi as-tu peur ? ce n’est ni ton fantôme, ni ta maison !

– Mais c’est bien près, protesta Tommy. D’ailleurs, mon cher vieux, si tu as lu des livres au sujet des revenants, tu devrais savoir qu’un revenant peut très bien traverser un mur, aussi épais soit-il ! »

Il leva les yeux vers les étages supérieurs.

« Je n’ai pas besoin d’en voir davantage. Rentrons chez moi ! « Ciel ! cria-t-il en consultant sa montre. Je n’ai plus qu’une demi-heure pour attraper le train de Clacton !

– Tu t’en vas encore ? demanda Dick en fronçant les sourcils.

– Il le faut. C’est stupide, mais j’ai une tante là-bas.

– Tu n’as pas de tante dans l’Est… c’est toi-même qui me l’as dit, il n’y a pas une semaine !

– Elle vient d’y aller, expliqua Tommy rapidement. C’est ma tante Arabella. Une terrible vieille femme, riche comme Crésus, totalement sourde, et tout et tout ! »

Il dégringola les escaliers, suivi, plus lentement, par son camarade.

Lorsque Dick arriva dans la maison voisine, Tommy était sur le point de partir.

« Pourquoi prends-tu le train ? Tu as une voiture.

– Elle me rejoindra. J’aime prendre le train de temps en temps, cela change un peu. Et puis, c’est plus démocratique. On y rencontre parfois des gens très curieux. Si on se trimbale toujours en Rolls, on ne voit jamais le vrai peuple. »

Après avoir serré la main de son ami, il suivit le chauffeur du taxi qui l’attendait et s’en alla. Dick pensa bien que Mary Dane devait aussi prendre le même train et qu’elle l’avait confié à Tommy.

Vers le soir, il eut une longue conversation avec Bourke dans le bureau de ce dernier à Scotland Yard.

« Je vous inscris dans cette corvée pour tout le temps qu’il vous faudra à l’éclaircir. Restez donc chez lord Weald, s’il n’y voit pas d’inconvénient.

– Il faut démasquer ce fantôme. À quelle heure Larkin arrive-t-il de Liverpool ?

– À sept heures. Je lui ai fait dire de venir me voir. Je vous l’enverrai ensuite… « Je ne comprends pas pourquoi ils ont coupé le fil électrique.

– Ils ont craint, expliqua Dick, que Larkin ne revienne dans sa chambre et ne me réveille. Vous découvrirez sans doute, lorsque nous le questionnerons, qu’il a tenté de m’appeler pour me prévenir qu’il partait et qu’il n’a pas obtenu de réponse. Car si… C’est cela ! Il a dû entendre la sonnerie du téléphone, descendre pour répondre, ne sachant pas qu’il pouvait avoir la communication là où il était. C’est à ce moment-là qu’on a coupé le fil.

– Dans ce cas, reprit Bourke, l’intrus est entré par sa chambre. Il y a décidément tout un tas de petites choses que je ne comprends pas très bien. D’abord, comment Lordy Brown est-il entré dans la maison ? Nous n’avons trouvé aucune porte, aucune fenêtre forcée. Pas une fausse clé, pas un instrument d’aucune sorte. Si je romance un peu, je suis tout prêt à dire qu’il y a une entrée secrète.

– Et il y en a une, renchérit Dick rapidement, tandis que Bourke le regardait avec surprise. Je vous affirme, chef, qu’il y a un passage secret. Le vieux Derrick, qui a presque entièrement reconstruit sa maison, a employé toutes sortes d’ouvriers, et lui-même était maçon. Les murs sont si épais que tout est possible. D’autre part, il avait une peur terrible du feu. C’est une des raisons de l’épaisseur des murs.

– Mais pourquoi un passage secret ? Derrick était un type assez peu intéressant, mais il n’a jamais enfreint les lois que je sache ! Il n’était pas recéleur. Il ne craignait pas la police ! Pourquoi aurait-il construit cela ?

– Il avait peur du feu, il avait peur des voleurs ; et pendant sa dernière année, il avait peur des assassins, indiqua Dick calmement. C’est une de ces frayeurs qui saisissent souvent les gens riches qui ont vécu d’une façon assez mesquine. Il a peut-être fait ce chemin au cas où il serait attaqué – bien qu’on ne voit pas très bien pourquoi on l’aurait attaqué !

– Je pourrais vous donner une explication à ceci, reprit Bourke après avoir réfléchi, et ce n’est pas à l’avantage de la mémoire du vieux Derrick. Seulement je crains que vous ne vous éloigniez de l’affaire en cours. Si vous trouvez le passage, alors, vous comprendrez. Vous consulterez à ce sujet l’inspecteur Endred. Il connaît la maison qui est juste derrière celle de Derrick. »

Dick fit donc ses préparatifs pour s’installer chez son camarade. Il passa chez lui prendre quelques affaires et revint à Lowndes Square vers huit heures. Le maître d’hôtel lui annonça que Larkin était venu et désirait le voir.

« Il est à côté ?

– Non, monsieur, car je crois bien que monsieur Derrick l’a mis à la porte.

– Ce n’est pas très chic. Enfin ! Envoyez-le-moi dès qu’il arrivera. »

Il avait à peine terminé qu’il entendit sonner et quelques minutes plus tard le gardien entrait.

Le maître d’hôtel le précédait et le réconfortait fraternellement. Mr. Minns, le majordome, était un homme replet ayant tendance à l’obésité. Il donnait à Dick l’impression d’être toujours plus vivement intéressé par les affaires des autres que par les siennes.

« C’est terrible ce que monsieur Bourke m’a dit. J’avais bien lu, dans les journaux, qu’un meurtre avait eu lieu, mais je n’aurais jamais cru que c’était dans cette maison. »

Minns s’était trompé en annonçant que Larkin était renvoyé. Derrick lui avait ordonné de se présenter à la maison de lord Weald, mais le message qui l’en informait n’avait rien d’un bulletin de renvoi.

« La seule chose que je n’ai plus à faire, c’est de dormir là, dit-il assez joyeusement. Je n’ai à garder la maison que jusqu’à six heures du soir. Mr. Derrick part pour l’étranger. Vous lui avez parlé du fantôme, n’est-ce pas ? J’aurais préféré que vous ne le fassiez pas. J’avais dû boire un peu trop de bière cette nuit-là ! »

Dick n’était pas resté sans rien faire jusque-là. Il avait fait venir un charpentier qui avait fixé une sorte de pont avec deux planches entre les deux balcons. Ainsi qu’il l’expliqua à Bourke qui vint dîner avec lui, il n’avait pas envie de courir des risques inutiles. Il avoua qu’il n’avait jamais passé d’un balcon sur l’autre sans avoir presque mal au cœur.

« Si vous vivez assez longtemps, vous pourrez faire mettre un garde-fou sur ce pont », plaisanta Bourke.

Puis, élevant son verre, il ajouta :

« Votre lord d’ami consomme un excellent porto !

– Mais ce qu’il y a de tragique, c’est qu’il ne sait pas même reconnaître un bon vin d’une mauvaise piquette ! » soupira Dick. Son soupir n’était pas occasionné par le mauvais goût de Tommy… mais par le fait que ce diable d’homme devait être à l’heure actuelle auprès de Mary Dane.

Lorsque Bourke fut parti, Dick passa quelque temps à réajuster la sonnette électrique entre les deux demeures. Il attendit la nuit, passa chez Derrick, souleva un tapis et installa un détecteur improvisé près de la porte. Content de lui, il revint dans sa chambre. Bien que la nuit fût froide, il prit ses précautions contre la pluie. Il avait remarqué que des stores contre le soleil étaient roulés au-dessus des fenêtres. Il en défit un et l’accrocha contre la grille du balcon. Puis, ayant revêtu un imperméable, il s’installa sous cet abri et commença sa surveillance.

La maison était d’ailleurs facile à surveiller. Par derrière, il y avait une cour qui contenait le garage que Walter avait fait construire, mais, entre le garage et l’habitation, il n’y avait pas de communication. De sa place, Dick voyait aussi une bonne partie du square. Aucune voiture ne pouvait s’arrêter aux alentours sans qu’il aperçût les personnes qui en descendraient. En se penchant, il plongeait du regard sur la porte d’entrée où il n’avait pas jugé nécessaire de poster quelqu’un.

Minns vint tout doucement, vers dix heures et demie, lui apporter du café chaud et des sandwiches. Dick pensa qu’il avait oublié sa montre. Il se leva, entra dans sa chambre, tira les rideaux, alluma ta lampe.

« Vous ne pouvez savoir combien les domestiques sont heureux que vous soyez là, monsieur, dit le maître d’hôtel. S’il y avait un sous-sol dans la maison, nous ne pourrions garder aucune femme de chambre.

– Quoi ? il n’y a pas de sous-sol ici ?

– Non, monsieur.

– Pas de cave ?

– Non, monsieur Staines. Nous gardons le vin dans une petite pièce qui est près de la cuisine, dans la cour. Je me suis souvent demandé pourquoi le vieux Derrick n’avait pas voulu de cave. Vous savez qu’il a habité aussi cette maison ?

– Non, je ne le savais pas.

– Le père de lord Weald la lui a achetée et les deux demeures étaient en réparation quand… »

La sonnerie, au pied de Dick, résonna tout à coup.

Il lâcha sa tasse, passa à travers les rideaux, en deux enjambées, il était dans la maison voisine. Il poussa la vitre et se trouva en face d’une silhouette qu’il ne put identifier. Avant qu’il puisse bouger, il entendit la porte claquer brutalement et la clé tourner dans la serrure. Il se jeta de tout son poids contre le panneau de bois mais les montants en étaient très solides.

Il courut vers la fenêtre, revint dans sa chambre, descendit quatre à quatre l’escalier. Quand il arriva à la porte d’entrée de Derrick, il la trouva close. Il sortit la clé de sa poche et l’introduisit dans le trou : la clé tourna, mais la porte ne s’ouvrit pas…

Le verrou était mis !

Larkin n’avait pu le mettre en s’en allant. Les intrus prenaient bien toutes leurs précautions !

Dick siffla un agent qu’il apercevait au coin du square. Ce dernier arriva au trot.

« Restez là. Si quelqu’un cherche à sortir, cognez dessus.

– Il y a quelqu’un dans la maison ? demanda le policeman qui venait de reconnaître Dick.

– Je vous le dirai dans un instant. »

Il fit le tour de l’encoignure : la porte, là aussi, était fermée. Il essaya d’ouvrir la fenêtre, et, comme il n’y parvenait pas, il sortit de sa poche une trique de caoutchouc et brisa une vitre. Il entra dans ce qui servait de salle à manger aux domestiques.

La porte était ouverte mais la lumière qui, d’ordinaire, brûlait dans le couloir avait été éteinte. Il tâtonna sur le mur pour trouver le commutateur. Il appuya dessus : aucune lueur n’apparut. Il eut recours à sa propre lampe de poche.

Avant de continuer, il alla ouvrir la porte de la cuisine et appela l’agent.

« Restez là-dedans, fermez la porte derrière vous, ou ils vous verront, murmura-t-il.

– Combien sont-ils ? demanda tout doucement le policeman.

– Qu’est-ce que cela fait ? » répondit Dick furieux. L’agent se le tint pour dit.

Dick avait des chaussures à semelles de crêpe. Il avait fait exprès de les mettre cette nuit-là. Il éteignit sa lampe et avança, trouvant son chemin en suivant le mur d’une main. On n’entendait absolument rien. Il parvint à l’escalier et commença à monter. Les marches étaient bien faites et pas un craquement ne le trahit.

Au premier étage, il ouvrit doucement la porte du salon. Il venait assez de lumière par les fenêtres pour qu’il se rendît immédiatement compte qu’il était vide. L’inconnu avait entendu le bruit de la vitre brisée. Mais qui était-il ?

Il continua à monter, s’arrêtant de temps à autre, pour écouter. Il parvint ainsi derrière la porte qu’on lui avait fermée au nez. Il chercha la clé : elle n’était pas là. Il y avait cependant quelqu’un dans la pièce. Il entendit un léger murmure et frappa sur la porte avec sa matraque. Le choc déclencha à l’intérieur un « Oh ! » bien distinct, puis ce fut de nouveau un murmure rapide.

Il y avait donc une femme… un cambrioleur professionnel n’aurait jamais poussé une telle exclamation.

Dick recula de quelques pas, prit son élan et d’un seul coup, frappa la porte de toute la force de son épaule. Avec un craquement sourd, le panneau céda. Dick était dans la chambre… elle était vide !

Il voulut allumer tout de suite la lumière, mais n’obtint rien. Et alors, sans que rien pût le justifier, il eut un frisson, un frisson qui lui courut tout le long de la colonne vertébrale jusqu’à la racine des cheveux. Il sentit soudain que quelqu’un l’observait… des yeux moqueurs se posaient sur lui, l’examinaient d’un poste d’observation qu’il ne voyait pas. L’illusion fut si forte qu’il se retourna et, pour la première fois, fit ce geste que les policemen anglais ne font que dans les moments de péril extrême : il tira son pistolet et l’arma.

Une voix venant d’en bas le fit sursauter. C’était l’agent.

« Avez-vous besoin d’aide ? »

Dick hésita une seconde.

« Montez, dit-il enfin. Tenez-vous sur vos gardes… il y a quelqu’un dans la maison ! »

Quelqu’un dans la maison ! L’écho moqueur lui renvoyait ses propres paroles comme si véritablement un inconnu répétait ce qu’il disait avec une nuance d’étonnement.

Dick se retourna encore une fois. Il n’y avait personne pourtant. Rien ne bougeait. La sueur coula sur son front. Puis, soudain, il se mit à rire doucement et remit son revolver dans sa poche. Il venait de passer le point culminant de la terreur, et son sens de l’humour reprenait le dessus.

L’agent arriva et, avec l’aide de leurs deux lampes électriques, ils cherchèrent sur le mur une trace quelconque. Ils ne découvrirent rien. Dick ouvrit le placard d’où Derrick avait tiré le coffret d’acier, mais il était bien trop étroit pour servir de cachette et il referma la porte.

Le bruit sourd que fit cette porte en se fermant, éveilla sa curiosité. Il frappa sur le placard et découvrit qu’il était aussi en acier et ressemblait étonnamment à un coffre-fort. Dans le fond, quatre chevilles de bois le fixaient au mur qui était assez solide pour le supporter.

« Ça, alors ! » murmura Dick.

Il alla ensuite examiner sa sonnette. Quelqu’un y avait touché. On l’avait sortie de dessous le tapis et le fil avait été coupé.

« Vous ne sentez rien, monsieur ? » demanda tout à coup l’agent.

Dick renifla. Cette fois ce n’était pas l’odeur de l’iode, mais un parfum délicat qu’il avait senti sans y arrêter son attention.

« C’est un parfum de femme, ajouta le policeman. Le connaissez-vous ?

– Je ne m’y connais pas en odeur… pour moi, celui-là en vaut un autre. »

Dick ne pouvait pas voir l’agent, mais il eut le sentiment qu’il souriait.

« C’est celui qu’on appelle « Sans atout », expliqua l’homme, fier de sa science.

– Comment savez-vous cela ? » demanda Dick étonné.

L’agent expliqua qu’il connaissait une jeune femme qui travaillait chez un parfumeur et qu’elle lui avait fait connaître le « Sans atout ».

« C’est un des parfums les plus chers, d’après ce qu’on m’a dit. Mais il est impossible de le confondre avec un autre… c’est un mélange de rose et de santal.

– Vous m’impressionnez, déclara Dick, assez irrité. Maintenant, tâchez de respirer mieux et de me dénicher un beau meurtrier ! »

Son sang se glaça soudain. Quelque part un rire léger et tranquille résonnait.

« Pourquoi riez-vous ? demanda-t-il.

– Mais je ne ris pas, riposta l’agent. Je ne pourrais rire comme cela même si vous me payiez ! Cela vient du palier ! »

Dick n’en crut pas un mot mais il alla quand même voir. Il ne trouva rien. Quand il revint, il eut l’impression que cette fois, il était bien seul avec le policeman. La présence invisible paraissait s’être évanouie.

« Ça m’a tout l’air d’être un fantôme ! » constata l’agent.

Staines se tourna vers lui, trop amusé pour le rabrouer.

« Avez-vous déjà entendu un fantôme rire ?…

– Non, monsieur, mais c’est comme cela que j’imagine le rire d’un revenant ! dit l’autre avec dignité. »

« Ce qui est curieux, expliquait plus tard Dick à Bourke, c’est la difficulté qu’il y a à faire se hâter un agent qui n’est au courant de rien. »

Pour le moment, il resta silencieux. Ce fut l’agent qui parla :

« Avez-vous encore besoin de moi, monsieur ? Puis-je aller faire mon rapport ?

– Mais, certainement. Dites que je vous ai appelé et que… »

À cet instant, toutes les lumières s’allumèrent en même temps. Dick avait tourné le commutateur et, n’obtenant rien, avait négligé de le rabattre. Quelque part, dans la maison, une main mystérieuse venait de remettre le courant. Sur le palier supérieur, il n’y avait pas de lumière, mais, en se penchant sur la rampe, Dick vit le reflet de la lampe qu’il avait tenté d’allumer près de la cuisine.

Pour la vingtième fois, Dick examina soigneusement la pièce. Il ouvrit encore le placard, cogna encore sur le mur avec sa matraque. La muraille était solide et pleine ; même lorsqu’on la frappait violemment, elle ne bronchait pas. Le plancher avait été recouvert avec une sorte d’asphalte.

Et de nouveau, il sentit le parfum…

« Comment appelez-vous ça ?

– « Sans atout », monsieur », répondit l’agent comme s’il passait un examen.

Dick renifla plusieurs fois. Le placard fleurait bon : rose et santal. Il ferma de nouveau la porte, tourna la poignée bien à fond et descendit avec l’agent. Comme il s’en doutait, la porte d’entrée avait été fermée au verrou : on avait même mis la chaîne. Il se dit en lui-même qu’il ferait enlever tout cela dès le lendemain.

Il était près d’une heure lorsqu’il se mit au lit, et il s’endormit persuadé qu’il ne serait plus dérangé ; il ne le fut pas, en effet.

Il entendit un léger coup frappé à sa porte, lui annonçant son thé matinal, et il lança un vague :

« Entrez.

– Puis-je mettre cette bouteille sur votre table, monsieur ?

– Quelle bouteille ? » demanda Dick en s’asseyant sur son lit.

C’était un petit flacon, finement gravé, muni d’un bouchon de verre et encore entouré d’un ruban. Il le prit et l’examina de près. Il était à moitié vide. En biais, sur l’étiquette verte et grise, des lettres d’argent se détachaient. Il lut « Sans atout ».

« Qui a mis cela ici ? » s’informa-t-il brusquement.

Minns secoua la tête.

« Merci », continua Dick et, lorsque l’homme fut sorti, il se leva, marcha vers le balcon et avançant la tête, il examina la chambre de l’autre immeuble.

« Vous en avez du culot ! » cria-t-il malgré lui vers ce hardi inconnu.

Il prenait un très copieux petit déjeuner dans le hall lorsque Tommy réapparut. C’était bien là une de ces façons inattendues qu’il affectionnait.

« Alors, qu’est-ce qui ne va pas à Clacton ? »

Le visage de Tommy, très sombre, ne s’éclaircit pas.

« Je suis dégoûté de moi, mon vieux. J’ai fait le plus beau faux pas de ma vie… J’ai commis la plus belle gaffe… pour tout te dire… ce n’est pas très élégant, mais voilà : je me suis fourré dedans !

– Qu’est-ce qui t’arrive ? Assieds-toi donc sur ton bel acajou… Voyons, est-ce que, par hasard, tu voudrais m’infliger ta présence ?

– Ce n’est pas ça, coupa Tommy. J’ai failli me fâcher avec Mary, me fâcher vraiment… tu comprends ? C’est assez joli !

– C’eût été embêtant pour toi, peut-être, reprit joyeusement Dick, mais pour elle, quel débarras ! Par Mary, veux-tu, dire Mary Dane ?

– Oui, répondit Tommy. J’ai passé une soirée épatante avec elle hier soir. Nous nous sommes promenés sur la jetée, nous avons écouté la musique. J’ai été heureux comme un gosse, mon vieux. Le vieux Cornfort est presque dans le coma. Il est allé au lit vers neuf heures, Dieu merci ! Elle m’a dit qu’elle allait revenir, et, comme elle l’a dit, elle est revenue. Alors, comme nous étions assis l’un près de l’autre, voilà que j’ai eu l’idée de glisser dans son sac un de ces cadeaux idiots qui font si souvent plaisir aux femmes ! Son sac était ouvert, tu comprends ! Je l’avais acheté à Londres, pas le sac, le cadeau… il m’avait coûté horriblement cher. Si encore, je ne l’avais pas ouvert auparavant… mais je ne pensais pas que ça allait s’ouvrir et couler dans son sac !

Dick se leva d’un bond.

« Qu’est-ce que c’était ? demanda-t-il, le souffle à moitié coupé.

– Une petite bouteille de parfum… le parfum à la mode en ce moment… on l’appelle « Sans atout ».

J’avais toujours cru qu’il s’agissait de jeu de cartes… on en apprend tous les jours ! ajouta tristement Tommy. Elle a été furieuse… ce n’était plus du tout la gentille Mary. Elle m’a dit qu’elle détestait ce parfum, ce cadeau et tout… mais elle l’a gardé.

Tout le sang quitta le visage de Dick.

« Tu es malade ? demanda Tommy anxieux.

– Non, continue ta stupide histoire… Elle t’a quitté…

– Non, répliqua Tommy, c’est moi qui suis parti. En somme, ce n’était qu’une querelle d’amoureux.

– Quoi ? reprit Dick, l’œil de plus en plus noir.

– Une querelle… si tu veux. J’étais très ennuyé, je me suis levé et je suis parti. Quand je suis revenu, elle rentrait chez elle.

– Quelle heure était-il ?

– Peut-être dix heures… peut-être moins. Près de neuf heures… Je ne sais pas toujours l’heure qu’il est, grogna Tommy.

– Et tu ne l’as plus revue ?

– Mais si, je l’ai revue. (Tommy était très affirmatif.) Tu ne crois pas tout de même que je suis assez mufle pour ne pas m’être excusé ? Je lui ai téléphoné de l’hôtel.

– Mais, tu ne l’as pas vue ?

– Est-ce que ce n’est pas la même chose ? Je lui ai demandé de sortir à nouveau pour réparer le mal que j’avais fait. »

Dick se retint de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Et elle est ressortie ! Nous avons marché de long en large devant sa maison. Elle m’a dit qu’elle était un peu ennuyée. Elle m’a dit qu’il y avait en Angleterre une jeune fille qui lui ressemblait beaucoup et qu’elle l’avait vue le jour même à Clacton. Mais elle n’était plus la même… Après ce que j’avais fait, tu comprends ?

– Tu me jures que tu l’as revue, tu me le jures, demanda soudain Dick avec ardeur. C’était bien Mary Dane ? »

Tommy, surpris, le regarda longuement.

« Tu ne dois pas être très bien, mon vieux, s’enquit-il ; encore.

– Je vais très bien, reprit Dick, je veux seulement savoir si tu es parfaitement sûr de la jeune fille avec qui tu étais vers onze heures… jusqu’à… quelle heure ?

– Près de minuit. Oui, c’était bien Mary Dane. Qui crois-tu donc que c’était ? »

Dick mit sa tête dans ses mains et ne répondit pas.

« Cette jeune fille me surprendra plus que personne au monde. – Puis il releva la tête. – Pourquoi es-tu revenu ?

– Je suis revenu, – et le ton de Tommy était très solennel, – pour te demander de t’occuper de nous débarrasser de son sosie. Il risquerait de nous brouiller ensemble… Tu n’en as sans doute jamais entendu parler…

– Ciel ! s’écria Dick… je n’ai jamais entendu parler de ce sosie !

– Elle m’a dit, continua imperturbablement Tommy, que toutes sortes de gens et, en particulier, le type qui a été tué chez Derrick l’avaient prise pour cette autre… Alors, je me suis dit à moi-même : Il n’y a qu’un type qui puisse résoudre ce mystère et c’est mon vieux Dick ! Voilà. »

Dick ne put s’empêcher de le regarder avec émerveillement.

« Tu ne veux tout de même pas me faire croire que tu as fait tout le trajet de Clacton-sur-Mer ici, pour me demander de m’occuper du sosie de Mary Dane… pauvre naïf ? Dois-je te répéter que ce double a donné plus de fil à retordre à Scotland Yard et, par conséquent, à moi que… que…

– N’importe quoi… » termina charitablement Tommy.

Ce dernier partit vers dix heures et Dick ne s’expliqua pas ce qui avait réellement motivé ce retour inattendu. Il reçut une lettre de Derrick dans l’après-midi, lui demandant de venir déjeuner avec lui le lendemain à son club. Il parlait de s’en aller, non en France, comme il en avait eu l’intention, mais en Écosse, à moins, comme il le laissait entendre, qu’il ne prît sa voiture et ne filât vers le Nord.

Il voulait savoir s’il devait demander une enquête à propos de Lordy Brown, mais cela, Dick en était convaincu, n’était pas nécessaire. La présence de Brown dans la maison était étrange mais pas inexplicable. Il avait déjà été condamné pour vol, il avait assez mauvais caractère et il était tout à fait vraisemblable qu’il eût choisi la maison d’une vieille connaissance, qui était riche, pour exercer ses talents. Il avait tellement changé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient rencontrés que Derrick ne l’avait pas reconnu.

Dick ne pouvait accepter l’invitation, et ce fut Walter qui vint le voir.

« Mes nerfs n’en peuvent plus avec toutes ces histoires… je vais faire un tour vers le Nord. Si je m’ennuie et que je rapplique à Londres, je vous le ferai savoir. »

Et, suivant la coutume, Dick lut dans le journal du lendemain que Mr. Derrick partait pour une balade en auto vers l’Écosse et qu’il serait probablement absent pendant un mois. Sur une autre page, on rappelait le mystère de Lowndes Square, mais, grâce à un autre crime, on ne lui donnait pas la notoriété à laquelle il aurait eu droit à un autre moment.

Dick resta donc tout à fait seul. Il passa la matinée à faire des plans. Il alla lui-même examiner les alentours. Derrière les deux demeures, il y avait une ruelle. Sur l’un des côtés de cette ruelle, donnaient les garages et autres dépendances des maisons qui étaient à gauche de celle de Tommy. De l’autre côté, il n’y avait que deux bâtiments : l’un était encore un garage, l’autre, une écurie. Entre les deux, qui étaient situés à chaque extrémité de la ruelle, il y avait un mur assez haut sur lequel s’ouvraient, à intervalles assez réguliers, des portes de jardins. Derrière ce mur, on apercevait le dos des habitations qui donnaient sur Coyling Street. Ces cottages possédaient chacun un morceau de terrain très étroit et enclos de deux murs, mais suffisamment large cependant pour y faire un joli jardin.

Il passa dans Coyling Street et découvrit que cette rue comportait seulement des bâtisses assez modestes toutes occupées, sauf le n° 7… Cette maison déserte était complètement abandonnée. Aux fenêtres pendaient des rideaux en lambeaux, qui semblaient là depuis des années. La cour qui permettait d’accéder au perron était plus propre en apparence car elle était pavée. Dick posa quelques questions aux environs : la maison n’était ni à vendre, ni à louer. C’était une sorte de relique, on ne savait plus à qui elle appartenait. Il poursuivit son enquête et apprit qu’elle était une des propriétés de Mr. Derrick. D’après ce qu’il apprit, l’ingénieur municipal avait ordonné quelques réparations qui avaient déplu à Walter, et la demeure était restée telle quelle. Elle avait été mise en vente, mais elle était restée si longtemps abandonnée que le montant des réparations nécessaires effrayait les acheteurs éventuels.

La dernière occupante avait été une dame qui était morte. C’était du temps du père de Walter, et, depuis, la maison était restée ainsi, complètement oubliée.

C’était une des charges indésirables que le vieux Derrick avait laissées sur le dos de son fils.

Dick apprit encore que ce bâtiment avait abrité, vers 1850, les membres d’une de ces sociétés religieuses qui florissaient au début du XIXe siècle. Ses disciples étaient si nombreux que plusieurs maisons voisines avaient aussi appartenu à la communauté. La propriété tomba entre les mains du vieux Derrick… comme la plupart de celles qui lui permirent de faire fortune. La maison portait encore le nom de « Sainte-Anne » ; c’était la seule chose qui lui restât de son ancienne dignité ecclésiastique. On raconta à Staines qu’il y avait eu une chapelle dans les environs, et lorsqu’on lui montra le sommet du garage de lord Weald, il comprit l’existence du pignon gothique.

Il fut un peu choqué. Par certains côtés il était un peu vieux jeu. Il n’aimait pas à toucher aux cartes le dimanche, et une chapelle transformée en garage le gênait.

Cela faisait trois nuits qu’il dormait paisiblement, lorsqu’il rentra chez lui en se demandant quand il aurait des nouvelles de Tommy. Il ne savait plus rien depuis que ce phénomène était reparti dans la direction de Clacton. Ce matin-là avait eu lieu l’enquête pour Lordy Brown, enquête qui avait été retardée d’un mois à la demande de la police. Comme on n’avait rien trouvé de nouveau, la théorie admise était que Lordy Brown et un compagnon étaient entrés d’une façon ou d’une autre dans la maison, qu’ils s’étaient querellés, et que l’infortuné Brown avait été tué d’une balle de revolver. Un dispositif silencieux quelconque avait dû être utilisé, car personne, ni Dick, ni aucun des domestiques, n’avaient rien entendu. Le bruit d’un coup de pistolet aurait percé l’épaisse muraille qui séparait les deux habitations.

Il faisait presque noir quand il monta les marches du perron de la maison qu’il finissait par considérer comme la sienne, et Minns vint à sa rencontre sur le pas de la porte.

« Il y a une dame qui désire voir monsieur. Je l’ai fait entrer au salon.

– Une dame ? reprit Dick, et son cœur battit plus vite. Quelle dame ?

– Je ne la connais pas, mais elle m’a dit que monsieur la connaissait : Miss Dane. »

Dick repoussa le maître d’hôtel et entra précipitamment dans le salon. Mary était assise sur une chaise et feuilletait un livre qu’elle avait pris sur la table. Elle l’accueillit avec un sourire qui suffit à lui tourner la tête.

« Vous ai-je donné tant de peine, vraiment ? demanda-t-elle en le regardant de ses grands yeux graves.

– Quelle peine ?… Ah ! Tommy vous a parlé !

– Oui, Tommy a parlé, reprit-elle avec quelque solennité. Mais Tommy ne fait pas autre chose, si c’est de lord Weald que vous voulez parler. Ne pourriez-vous le faire revenir à Londres ?

– Où est-il donc ?

– Nous sommes partis à Margate, hier… mon malade avait besoin d’y aller. D’ailleurs, j’abandonne bientôt mon métier. »

Sans s’expliquer pourquoi, il fut ravi de cette nouvelle.

« J’en suis très heureux.

– Vous ? s’étonna-t-elle.

– Oui, moi… parce que… enfin, il me semble… c’est un dur travail, termina-t-il péniblement.

– Oui, mais il y en a de plus difficile ! Votre métier n’est-il pas plus pénible, Mr. Staines ? Je crois qu’il n’y a rien de plus dur que ce que vous faites.

– J’y réussissais. Mais maintenant je m’y fais une assez mauvaise réputation. »

Elle le regarda fixement.

« À cause de… (Elle indiqua de la tête la maison voisine.)

– Brown. Oui, vous avez dû lire ce qui est arrivé ?

– Oui, j’ai lu et j’en ai entendu parler. N’oubliez pas que votre Tommy ne nous quitte pas.

– Je me demande pourquoi ? dit-il. (C’était une réflexion stupide.)

– Vous le savez très bien ! (Son ton était moqueur.) Il est fou d’amour pour moi. N’est-ce pas une raison suffisante ?

– Tommy est toujours fou d’amour pour quelqu’un !

– Il est vraiment très gentil et vous très méchant. Je me conduis si mal envers lui. »

Dick ne put s’empêcher de rire. Il se sentait tout à coup le cœur content : il était heureux et il aurait voulu dire toutes les bêtises qui lui passaient à l’esprit.

« Vous l’avez fait marcher ?

– Oui, dit-elle à sa grande surprise. Si, par là, vous voulez dire que je l’ai obligé à faire attention à moi ! Il y a des moments où je me déteste. »

Elle dit ces derniers mots avec un tel ton qu’il en fut surpris et, pendant un instant, il eut presque peur. Il n’avait jamais attaché d’importance aux attentions de Tommy pour la jeune fille, il les avait toujours considérées comme sans conséquence… Il n’imaginait pas, par exemple, que Tommy pût songer à se marier.

Weald était comme un papillon qui va de fleur en fleur, ne blesse aucun des pétales sur lesquels il se pose et n’emporte aucun poison avec le miel qu’il récolte.

« Vous parlez presque comme s’il y avait quelque chose de sérieux entre vous et lui. »

Il pensa qu’elle allait se fâcher mais elle se mit à rire.

« Comme vous êtes ridicule ! » lança-t-elle, puis, regardant autour d’elle, elle continua : « Vous allez rester longtemps ici ?

– Pourquoi me demandez-vous cela ?

– Vous me questionnez, vous aussi, selon la vraie méthode de Scotland Yard !

– Mais pourquoi m’avez-vous demandé cela ? reprit-il avec insistance.

– Je vais vous dire pourquoi, monsieur l’agent, monsieur l’inspecteur ou je ne sais quoi !… C’est parce que je voulais le savoir. Là ! Avez-vous quelquefois pensé que vous n’habitiez ici que pendant que Tommy était absent de Londres ? Ce qui est une manière polie de vous demander combien de temps encore il va rester en travers de notre chemin ou de nos chemins, puisque nous en avons presque un nouveau tous les jours ? »

Elle n’attendit pas sa réponse.

« Et vous êtes si seul avec cette maison déserte à côté de vous ! Votre voisin a eu peur, lui aussi… pauvre âme !

– Vous parlez de Derrick ?

– Oui, j’ai lu qu’il partait pour l’Écosse. C’est inhumain de vous laisser seul en face d’une maison hantée !

– Qui vous a dit qu’elle était hantée ? »

Elle leva les sourcils très haut.

« Mais c’est le scandale du quartier ! Vous ne savez même pas pourquoi je suis venue ! Moi non plus, d’ailleurs. J’ai trouvé l’occasion excellente de jouer à la dame avec vous et de vous demander des nouvelles de votre santé… et vous n’avez même pas songé à m’offrir une tasse de thé… Non, ne prenez pas cette peine… il va falloir que vous m’appeliez une voiture dans un instant. Dites-moi, Mr. Staines, qui est cette femme qui me ressemble tant ? La connaissez-vous ? Tommy n’exagère-t-il pas un peu ? Il ment tellement, avec son air innocent. Cela fait partie de sa vanité… Dites-moi, qui est-ce ?

– Je donnerais tout ce que je possède pour le savoir, avoua-t-il.

– J’ai donc un sosie ? murmura-t-elle. Comment est-elle ? (Elle se mit à rire et il crut qu’elle ne le croyait pas.)

– Elle est jolie, elle a des yeux gris bleu et une bouche… une bouche pareille à celle que les artistes font aux figures qu’ils dessinent pour les magazines. »

Elle baissa les paupières une seconde, mais les releva vite.

« Elle m’a l’air de vous avoir impressionné ! Il faudrait peut-être que je dise en rougissant : « Oui, vraiment, on dirait que c’est moi ! » Mais je ne le dirai pas. Mr. Staines, vous vous êtes moqué de moi, je le méritais et je ne me plaindrai pas. La seule chose que je désire savoir (et ce n’est pas de ses qualités physiques que je parle), c’est si elle est vraiment pareille à moi ? »

Il inclina seulement la tête. Elle fit « Ah ! » mais n’ajouta plus rien. Enfin, elle reprit :

« À quoi songez-vous ?

– Moi aussi, je voudrais connaître ce que vous avez dans l’esprit ?

– Je vous le dirai peut-être un jour. »

Elle ramassa son sac et son parapluie.

« Voulez-vous être tout à fait galant et me conduire à Victoria ? »

Il hésita. À cette heure, il devait monter dans sa chambre. Personne n’était venu chez Derrick depuis trois jours… Puis il pensa qu’il n’avait pas à être tout le temps en surveillance.

« Entendu. Y allons-nous en voiture ou à pied ? »

Il avertit le maître d’hôtel et la suivit dans la rue. Elle n’était pas très pressée, car elle marchait très lentement.

« Je me dégoûte, dit-elle au bout d’un moment. Vous ne me direz jamais rien de plus offensant que tout ce que je me dis à moi-même.

– Mais pourquoi ? demanda-t-il.

– Je ne peux pas vous le dire. Cela me regarde, personnellement. Votre Tommy y est bien pour quelque chose… Le pauvre, il doit être assis en face de notre maison de Cliftonville, attendant que je sorte… il doit pleuvoir… comme cela est merveilleux d’être aussi romantique que lui !

– J’aimerais autant que nous ne parlions pas de lui, répliqua assez naturellement Dick.

– N’est-il pas votre ami ? demanda-t-elle, surprise.

– Un très grand ami. Je l’aime beaucoup. Mais j’aime stupidement des tas d’autres gens !

– Que cette stupidité ne vous conduise pas trop loin… Vous ne m’avez pas même demandé pourquoi je songe à quitter le métier de nurse ! Ah ! vous vous intéressez bien plus à mon sosie qu’à moi ! Quelle heureuse femme ! Vous devez rêver à elle !

– Ne dites pas de bêtises, Mary. Je voudrais vous demander quelque chose ? »

Il l’entendit rire doucement.

« Commencez par me demander comment les étrangers m’appellent ! Ils disent miss Dane.

– Je ne suis pas un étranger pour vous. »

Ils passaient à travers le parc. Dick prit le bras de la jeune fille et le glissa sous le sien. Pendant un court instant, elle ne dit rien, puis, tout à coup, elle le repoussa violemment et s’écria :

« Non, non ! Je vous en prie ! J’ai tout de même encore un peu d’amour-propre ! »

Cette exclamation le blessa et elle le sentit.

« Je vous en supplie, reprit-elle bientôt, ne m’en veuillez pas. J’essaie d’être aimable avec vous… aussi aimable que je puis l’être. Je vous ai dit que Tommy mentait… mais je n’ai jamais oublié que je vous ai fait, moi, un jour, un affreux mensonge.

– Quel mensonge ?

– Si je vous le disais, ce serait encore plus terrible ! Non, laissez-moi seule en subir les conséquences. Mais, je vous en conjure, croyez bien que ce mensonge m’a fait autant de mal qu’à vous ! »

Sans le prévenir, elle hâta le pas.

« Est-ce que, par moments, vous n’êtes pas las, affreusement las de tout ? Ne détestez-vous pas, parfois, tout ce que vous faites ? votre travail ? votre besogne quotidienne ? J’en ai tellement assez, moi ! Ce soir surtout !

– Vous n’aimez pas ce métier de nurse ? »

Elle ne répondit pas tout de suite, puis elle soupira d’un ton pathétique.

« Non. »

Son train partait un peu après neuf heures. C’était un omnibus. Elle avoua qu’elle n’avait pas dîné. Il l’emmena au buffet et elle prit une très légère collation.

« Savez-vous pourquoi je suis venue à Londres aujourd’hui ? Demandez-le-moi quand le train partira. »

Ils avaient encore dix minutes à attendre lorsqu’ils revinrent du buffet. Il lui rappela la question qu’il devait lui faire.

« Je vous le dirai au moment du départ. »

Il la conduisit au compartiment de dames seules où il n’y avait personne. Le chef de gare avait sifflé, la lumière rouge était devenue verte lorsqu’elle se pencha par la portière.

« Je suis venue pour me punir, dit-elle à voix basse, pour marcher sur des charbons ardents ou porter un cierge, pieds nus dans la neige ! »

Il la regarda avec effarement. Le train commença à avancer et il marcha tout à côté.

« Je vais vous dire une chose folle. (Elle parlait maintenant très rapidement comme si elle avait peur de n’avoir pas assez de temps pour exprimer ses pensées.) Mais, je vous en prie, ne me rappelez jamais cette folie !

– Qu’est-ce donc ? » demanda-t-il en pressant le pas car le train augmentait sa vitesse.

Elle se baissa très bas, si bien que ses lèvres frôlèrent presque la joue de Dick.

« Je vous aime profondément… je ne sais pas pourquoi ! »

Ce fut juste un murmure et elle disparut. Elle ne revint pas à la portière, elle ne fit aucun signe de la main, et Staines resta sur le quai, bouleversé, anéanti. Il était encore là lorsque la lanterne du dernier wagon s’éteignit au tournant des voies.

Il revint chez lui avec le sentiment que ses pieds ne touchaient pas le sol. Mais, en arrivant, il trouva le maître d’hôtel fort agité, qui l’attendait sur le seuil.

« J’ai cherché monsieur partout… je ne savais pas si je devais appeler la police… »

Il ferma soigneusement la porte, son visage était anxieux.

« La sonnette a tinté pendant près d’une demi-heure. Je pensais que monsieur reviendrait vite. Je ne savais que faire. »

Dick fit aussitôt demi-tour et se précipita dans la rue, préparant la clé pour ouvrir plus vite la porte. Il pensait pourtant trouver le verrou tiré car il n’avait pas eu le temps de le faire enlever. Cependant la porte s’ouvrit au premier tour de clé. Dès qu’il voulut allumer, la lumière éclata. Jusqu’à ce qu’il pénétrât dans le salon, rien ne lui signala la présence d’un intrus. Il s’arrêta près de la porte et il eut un sursaut. Tous les meubles avaient été dérangés. Un secrétaire, qui se trouvait contre la cloison, était au centre de la pièce. Le mur avait été détérioré par un instrument électrique, sans doute, car sur le plancher il y avait un foret hors d’usage. Il était rattaché par un long fil à une prise de courant et une bonne partie du mur était endommagée. Sur le-sol, il y avait des débris de briques et tous les meubles étaient couverts d’une fine poussière rougeâtre.

Dick ramassa le foret et l’examina avec tout l’intérêt professionnel que cette découverte comportait.

Il avait déjà eu en main un outil de cette sorte, mais jamais il ne l’avait vu employé à démolir une maison. Pourtant, c’est ce que les voleurs avaient voulu faire. Soit qu’ils eussent été dérangés dans leur besogne, soit qu’ils eussent jugé qu’ils s’étaient trompés d’emplacement. Toujours est-il qu’ils avaient abandonné là leur travail. Il était évident que, pour eux, il existait une cachette et ils n’avaient cessé de la chercher que lorsqu’ils avaient eu creusé profondément l’épaisseur du mur.

Dick entendit du bruit derrière lui et il fit demi-tour en portant sa main à sa hanche. Un homme était debout dans le salon et examinait, lui aussi, les dégâts avec stupéfaction.

C’était Walter Derrick.

« Qu’est-ce que c’est ? dit-il, et, au fur et à mesure qu’il réalisait ce que cela représentait, il devenait de plus en plus rouge...

– Quand ont-ils fait cela ? demanda-t-il d’un ton rauque. Et qui a pu faire tout ça ? »

Il regardait successivement le mur et Dick Staines qui avoua :

« Je voudrais bien le savoir ! Scotland Yard est aussi désireux que quiconque de découvrir cet homme ! Cela fait dix ans que nous le cherchons ! »

Derrick le regarda fixement.

« Vous savez donc qui c’est ?

– Qui il est exactement, non. Son identité est restée aussi mystérieuse qu’au lendemain du jour où le meurtre fut commis.

– Un meurtre ? Quel meurtre ?

– Il y a dix ans, Mr. Derrick, le caissier d’une manufacture de Slough a été lâchement assassiné et volé en plein jour. »

Il s’arrêta une seconde.

« Et alors ? reprit Derrick. Quel rapport y a-t-il entre cela (il désignait son salon dévasté) et ce crime ? Je ne vois pas très bien ? (Sa voix était assez aiguë, il était évident que la vue de sa maison saccagée l’avait exaspéré.)

– Le meurtrier avait laissé une empreinte de son pouce sur la poignée de son revolver. Vous savez cela, d’ailleurs, n’en avons-nous pas parlé ensemble ? Eh bien ! l’autre jour, la première fois qu’on a cambriolé votre maison, j’ai trouvé cette même empreinte sur un verre dans votre cuisine.

– Vous avez trouvé… commença Walter, l’empreinte de l’assassin du caissier de Slough sur un verre ! Chez moi ?

– Nous l’avons encore retrouvée ici près du corps assassiné de Lordy Brown, sur cette table. »

Mr. Derrick, horrifié, regardait ses meubles avec effroi.

« Un assassin… reprit-il. Son empreinte sur ma table ! Ciel ! Et sur un verre aussi, dites-vous ? Vous l’avez photographiée, je suppose, cette empreinte… je ne sais pas comment vous faites avec ces choses. Mais en êtes-vous sûr ?

– Une erreur est impossible, affirma Dick. Mais il y a une chose que je ne m’explique pas. C’est que, partout, nous n’avons trouvé que l’empreinte du pouce… il me semble cependant difficile de prendre un verre avec le pouce seulement ou de mettre seulement son pouce sur une table. Je vous en dis peut-être un peu plus que Bourke ne le désirerait. J’ai bien mon opinion, mais… »

Il s’arrêta, examinant soudain la partie lisse qui restait au-dessus du grand trou creusé par les inconnus. Il s’avança lentement et montra une trace grise.

« Tenez, regardez ceci ! » dit-il.

On ne pouvait s’y tromper, c’était bien l’empreinte, nettement dessinée, sans la moindre bavure.

Les yeux des deux hommes se rencontrèrent et, en un éclair, la théorie de Dick sembla l’évidence même. Il savait comment cette marque était là et comment on l’avait faite.

À quelques millimètres de l’impression, il y avait un tout petit point noir. Il le toucha du doigt. Il était encore mouillé.

Bourke allait se mettre au lit lorsqu’on vint l’avertir. Il se précipita chez Mr. Derrick alors que ce dernier était parti se coucher dans un hôtel. Derrick, en effet, n’était revenu tout à fait fortuitement à Londres que pour assister au conseil d’administration d’une des sociétés dont il faisait partie. Il avait expliqué cela à Dick qui n’y avait compris goutte, car les affaires de finances étaient lettre morte pour lui.

Bourke jeta un coup d’œil sur les dégâts.

« N’avez-vous donc rien entendu ? demanda-t-il à Dick.

– Rien, j’étais sorti. »

Il ne jugea pas nécessaire de donner la raison de son absence à son chef et celui-ci ne la lui demanda pas.

« Ils ont vraiment beaucoup d’audace, dit Bourke avec admiration. Ah ! encore cette empreinte ? »

Il fixa son pince-nez et scruta soigneusement l’indice.

« Je la connais tellement bien maintenant que je n’aurai bientôt plus besoin de lunettes pour l’identifier. »

Il toucha aussi le minuscule point noir et reprit :

« Ainsi, vous êtes convaincu qu’elle a été faite avec…

– Un tampon de caoutchouc, termina rapidement Staines. Tout comme celle du verre et de la table. Ils ne se servent pas d’encre. Une main un peu moite leur suffit. En y réfléchissant, cela parait d’une simplicité enfantine. Il est facile, en deux heures, de faire fabriquer un tampon semblable d’après une simple photographie...

– Et nous ne nous en sommes pas douté, c’est curieux ! Je ne m’en suis jamais avisé ! Aviez-vous installé votre système d’alarme ? D’ailleurs, c’était inutile puisque vous étiez absent. »

Dick expliqua que le maître d’hôtel avait entendu sonner, mais qu’il n’avait pas su ce qu’il devait faire.

« Il aurait dû appeler la police. C’est égal, ce qu’ils sont malins ! Ils ont réussi à vous éloigner de leur route… Je pense tout de même qu’on ne vous a pas obligé à sortir… »

Staines ne répondit pas.

« Ce sont des gens très habiles qui n’hésitent devant rien pour arriver à leur but. Ils devaient savoir que vous étiez en surveillance dans la maison voisine. Vous n’êtes tout de même pas un garçon à vous enticher d’une jolie fille ou à accepter d’aller faire un tour dans le parc pour admirer le clair de lune ! »

Bourke examinait le mur de près tout en parlant, et il ne remarqua pas le visage de son subordonné. Car Staines pâlissait en reconnaissant qu’il avait bel et bien été roulé… On l’avait fait sortir de chez lui… on l’avait même entraîné dans le parc… au clair de lune ! Et il se souvenait de ce que Mary avait dit sur elle-même… qu’elle se haïssait parfois. Elle avait arraché son bras avec une violence qui l’avait tellement surpris. Il entendait de nouveau une demi-douzaine de choses qu’elle avait dites : à propos de son amour-propre… et au moment où le train était parti.

Les soupçons le submergeaient… ce n’était même plus des soupçons… mais une certitude aveuglante… « Eh bien ! cria soudain Bourke en se retournant et en s’étonnant de son air hagard, avez-vous vu le fantôme, vous aussi ? Vous êtes vert !

– C’est pis que cela ! répondit Dick, prononçant avec difficulté.

– Je crois que vous n’avez plus qu’une chose à faire : coucher ici même. Je vous donnerai un homme pour vous tenir compagnie…

– Non, j’en ai déjà parlé à Derrick, mais il préfère fermer complètement sa maison. Il m’a même dit qu’il jugeait inutile que je persiste à rester chez Weald.

– Est-ce que cela le regarde ? C’est notre affaire, maintenant ! Eh bien ! moi, je vous conseille de rester chez votre ami tant que cela sera possible. J’accepte votre idée du tampon de caoutchouc, mais cette empreinte n’a pas été choisie au petit bonheur. Il doit y avoir une raison bien définie à ce choix, et je voudrais bien la connaître. Je suis certain d’une chose : c’est que ce n’est pas uniquement pour diriger les soupçons sur le meurtrier de Slough qui est ou n’est plus en Angleterre ! Mais, de plus, voici un détail : Lordy Brown a été tué de la même façon que le caissier de Slough, par le même coup de bas en haut spécial à un certain nombre de gangsters. Nous n’avons pas beaucoup de tireurs de ce genre ici, mais j’ai vu bon nombre de documents venant d’Amérique et qui montraient les mêmes caractéristiques. Incrustez-vous chez Weald et nous décrocherons peut-être la plus grande affaire qu’il y aura eu à Londres depuis que le Grand Patron m’a donné mes premiers galons ! »