CHAPITRE III

Pendant une seconde, leurs yeux s’affrontèrent. Dans ceux de la jeune fille, il n’y eut pas le moindre signe qui laissât croire qu’elle sût qui était l’intrus. Dick y lut seulement l’horreur et la peur.

« Vous, Mary Dane ! » s’écria-t-il, et sa voix était si dure et si tendue qu’il la reconnut à peine.

Elle ne bougea pas. Sa main continuait à se cramponner nerveusement au revolver. Staines avança d’un pas vers elle ; à ce moment précis, les lumières d’un seul coup s’éteignirent : un bras l’agrippa par le cou et le jeta en arrière. Quelqu’un était entré sans bruit dans la cuisine et l’avait surpris par-derrière. Sur le moment, il ne put résister. Il perdit son équilibre, lutta avec son agresseur mais finit par tomber hors de la pièce. La porte fut refermée avec violence. Il entendit qu’on mettait le verrou, qu’on parlait à voix basse, et comme il se relevait et s’appuyait de toutes ses forces sur le panneau de bois, il entendit nettement une seconde porte se refermer plus doucement.

Il jeta un coup d’œil autour de lui et put distinguer contre le mur une sorte de bêche. Il s’en aida comme d’un levier et parvint à forcer la porte. Ainsi qu’il s’y attendait, la pièce ne renfermait plus que la victime, immobile sur le sol.

Un vent rageur envahit la cuisine. La porte extérieure, qui n’avait sans doute été que poussée, venait de s’ouvrir, et Dick aperçut une cour détrempée.

Il s’empressa auprès de l’homme ligoté. Dans l’un des tiroirs du buffet il découvrit un vieux couteau et l’utilisa pour couper les liens du malheureux.

Il fallut quelques instants pour que l’homme retrouvât ses esprits et s’expliquât un peu. Il indiqua à Staines qu’il était chargé de garder la maison et qu’il habitait dans les sous-sols. Chaque soir, il avait coutume de faire un petit tour de promenade sans perdre de vue la maison. Il n’avait vu personne entrer et était paisiblement revenu pour dîner, puis se coucher. Les restes de son souper étaient encore sur la table : un demi-verre de bière, de la viande froide et des pickles, un morceau de pain. Il se souvint qu’il avait bu un peu…

« Aviez-vous versé la bière avant de sortir ? » demanda Dick.

L’homme réfléchit, sa tête douloureuse dans ses mains. Il ne savait plus. Puis, peu à peu, il lui sembla qu’il n’avait pas ouvert la bouteille avant son départ.

« C’est clair, reprit vivement Dick, vous avez été endormi. Vous manque-t-il quelque chose ? On vous fouillait lorsque je suis entré. »

Le gardien chercha et tira d’une poche un trousseau de clés.

« Non, ils ne m’ont rien pris… C’est l’homme qui m’a attaché.

– L’homme ? Il y avait aussi un homme ? »

Le gardien se souvenait très nettement de l’homme maintenant. Il n’avait pas absolument perdu conscience lorsqu’on l’avait ligoté. C’était un homme au mince visage un peu sauvage surmonté de cheveux blonds.

Soudain, il s’aperçut de la tenue de Dick et celui-ci dut expliquer sa présence.

« Je suis venu de la maison de lord Weald, celle qui est tout à côté. »

Il fit ensuite rapidement le tour des autres pièces, puis il revint vers le gardien qui était tout à fait revenu à lui maintenant et qui se préparait à se verser un verre de bière.

« Ne touchez pas à cela, intervint Dick ; laissez tout tel quel jusqu’à ce que la police arrive. Vous avez bien le téléphone ici ? Demandez le poste le plus proche et qu’on envoie un brigadier. »

Il sortit dans la cour ; la pluie tombait toujours, mais Dick était si trempé qu’un peu d’eau supplémentaire n’avait vraiment plus aucune importance. Il retrouva là petite clé dans sa poche, rentra chez lord Weald et, dix minutes plus tard, il était dans un bain chaud. Il s’habilla rapidement, mit de grosses bottes et un imperméable et sortit encore une fois. Tout de suite, il vit s’arrêter devant la porte de la maison de Mr. Derrick un side-car et une motocyclette, deux hommes sautèrent lestement à terre. Il les laissa pénétrer dans la demeure.

Il était encore tout abasourdi de sa découverte ; mais son devoir lui apparaissait très clair : il devait remettre l’affaire entre les mains du poste de police responsable et donner toutes les indications qu’il pourrait fournir. Mais quelles indications ? Fallait-il qu’il dît qu’une jeune fille qu’il avait aperçue trois fois, et à qui il avait une fois seulement adressé la parole, avait fait, aidée d’un inconnu, une tentative de cambriolage ?… et que cette jeune fille était Mary Dane ? Cette pensée lui serrait le cœur. Il ne pouvait y croire.

Malheureusement, dans la police, on se trouve souvent devant les choses les plus incroyables. Il aurait pu jurer qu’il ne s’était pas trompé… et pourtant il aurait pu jurer avec autant de confiance et de certitude, que la jeune nurse aux yeux gris était incapable d’une telle action.

La tempête se calmait ; on entendait encore, mais très loin, les sourds grondements du tonnerre ; cependant la pluie continuait à tomber avec régularité. Staines ne se souvenait pas d’avoir vu une telle pluie si abondante et si implacable.

Soudain, en dépit de tout ce qu’il avait à déclarer, il fit demi-tour et rentra chez lui. Après tout, si la police voulait le voir, elle savait où le trouver. Ce n’était pas à lui d’aller s’immiscer dans le travail des policemen du quartier, et le commissaire pourrait être froissé qu’il entrât sans être appelé.

D’ailleurs, il avait seulement à dire qu’il avait vu une jeune fille bien habillée, endiamantée et jolie… Il savait qu’inévitablement, il aurait à répondre à ceci :

« Par hasard, l’auriez-vous reconnue, monsieur l’inspecteur ? » Il était assez souvent en relations avec des malfaiteurs pour attendre cette question, et alors, que devait-il répondre ? Il réfléchit longuement et trouva enfin une formule qui le satisfaisait. Il dirait simplement : « Je ne l’ai pas reconnue comme quelqu’un ayant eu affaire à la police. »

Il avait faim tout d’un coup. Il se mit en quête de la cuisine, ouvrit une porte, descendit quelques marches et, au lieu d’une cuisine, il trouva un garage. Il aperçut une petite voiture devant la porte. Il vérifia le réservoir d’essence, il était plein. Il poursuivit son inspection et constata que la voiture était prête à partir pour une grande randonnée si besoin était. En réalité, le tout avait été préparé par le second chauffeur de lord Weald qui voulait s’offrir un petit voyage d’agrément, mais Dick n’avait aucune raison de le soupçonner.

Sur l’auto, il remarqua un dispositif qui l’intrigua : c’était une sorte de poignée de poulie. On pouvait s’asseoir dans la voiture, tirer la poignée et probablement les portes du garage s’ouvraient seules. Immédiatement, Staines monta dans l’auto et essaya le système qui fonctionna silencieusement.

Dehors, il pleuvait toujours lourdement. Dick alluma les phares pour en être bien sûr, bien que cela ne fût pas très nécessaire. D’ailleurs Tommy n’avait-il pas dit : « Sers-toi de mes voitures, si tu veux », et Dick ne se sentait plus fatigué. Il se redressa, fit fonctionner les essuie-glaces et, délibérément, fonça vers les ruelles sombres qui se trouvaient derrière la maison.

Lorsque la voiture franchit le seuil du garage, il sentit qu’il passait sur une barre de fer. Il était à peine sorti que les grandes portes du garage se refermaient sur lui, sans le moindre bruit. C’était une manie de Tommy : il adorait tout régir en appuyant sur des boutons ou en tournant des manettes… Et voilà exactement la situation où se trouvait l’inspecteur Richard Staines : il était dans une ruelle étroite et sombre, dans une voiture petite mais puissante, les portes du garage étaient closes derrière lui, la porte d’entrée de la maison était fermée à clé, et la seule clé qu’il possédât était dans la poche de sa robe de chambre, dans la salle de bains à l’intérieur.

Ce n’était certainement pas une nuit pour une promenade d’agrément, mais Dick trouva une excuse à sa position. Il fallait rejoindre Tommy et lui raconter ce qui était arrivé. Il ne put cependant se leurrer lui-même ; il allait se rendre compte si Mary Dane était à Brighton ; il en avait eu l’intention dès le premier instant ; et la seule chose à laquelle il n’avait vraiment pas pensé, c’était à utiliser une des voitures de Tommy. Néanmoins, il fuyait l’enquête. Dès à présent, les détectives devaient frapper à la porte de lord Weald afin de questionner Dick, et chaque tour de roue l’éloignait un peu plus d’eux.

« Non seulement tu es un idiot, mais tu te conduis d’une façon déplorable, monsieur l’inspecteur », se dit-il à lui-même en filant sur Vauxhall Bridge.

« Je fais mon devoir, puisque je vais chercher des preuves à mes soupçons », ajouta-t-il comme argument.

Il savait pourtant que ses soupçons désiraient bien plus être exprimés que confirmés.

Il rencontra l’orage à Dorking. La voiture glissait entre deux hautes collines balayées par le vent, les éclairs étincelaient, le tonnerre roulait presque sans arrêt. À une heure un quart du matin, Dick Staines, ruisselant, parvint à Brighton.

Il y avait justement un grand bal masqué au Métropole. Les voitures, les unes au bout des autres, se suivaient sans interruption pendant plus d’un kilomètre. Le portier dit à Dick que lord Weald était au bal, et, tout en défaisant son trench-coat, il se faufila dans la foule. Autour de lui tournoyaient les inévitables cavaliers, pierrots et pierrettes ; des clownesses dansaient joyeusement, d’autres, moins attirantes, étaient assises le long des murs. Au moment où il pénétrait dans une pièce, il vit venir vers lui, dans un espace un peu abandonné par les danseurs, une jeune fille : elle portait le costume de nurse et son visage était masqué. Mais la démarche de l’inconnue lui était déjà familière et son cœur sauta dans sa poitrine. Alors, à son grand étonnement, elle porta la main à son visage et retira paisiblement son masque.

« Je vous cherchais, monsieur Staines : lord Weald m’a dit votre nom. »

Il ne pouvait douter qu’il avait bien en face de lui Mary Dane. Il la regarda sans pouvoir articuler une parole. Enfin, il put prononcer :

« Avez-vous… Êtes-vous restée toute la soirée ici ? » Elle leva les yeux vers lui :

« Oui, mais pas vous. Pourquoi ? »

Dick avala sa salive et répliqua en se faisant à lui-même l’effet d’un fou :

« Pourquoi vouliez-vous me voir ? »

Elle ouvrit son petit sac et en retira un porte-mine qu’il reconnut immédiatement.

« Vous avez perdu ceci… peut-être en m’aidant à pousser la voiture ou bien en me sauvant sur la route, je ne sais pas. Le domestique l’a retrouvé. Je voulais vous le rendre. J’ai soif, continua-t-elle gentiment, ne pourriez-vous me dénicher une glace ? »

Il s’en alla vers le buffet et la retrouva bientôt assise sous un palmier dans un grand fauteuil. Elle le remercia d’un sourire.

« Vous devez me trouver bien frivole pour une nurse ? En vérité, je ne suis venue ici que pour vous rencontrer, après avoir confié Mr. Cornfort à la garde de nuit. C’est comme cela que j’ai découvert qu’il y avait un bal et quelqu’un m’a prêté un masque. Quelle heure est-il ? »

Il la renseigna et elle fit un peu la moue.

« Avez-vous vu Tommy ? demanda Dick.

– Tommy ? Qui est-ce ? Oh ! lord Weald. Oui, et il était bien amusant ! Il ne savait pas qui j’étais et voulait que j’enlève mon masque. Il est vraiment très gentil. C’est un de vos grands amis, n’est-ce pas ? »

Tout à coup elle remarqua comment il était vêtu.

« Mais, au fait, je croyais que vous deviez partir pour Londres ?

– J’y suis allé. Mais je suis revenu cette nuit même pour parler à Tommy d’une affaire urgente. »

Jusqu’à présent, il ne s’était pas rendu compte qu’en somme cette affaire regardait plus spécialement Walter Derrick. Il s’en aperçut et demanda à la jeune fille si elle l’avait vu.

« Mr. Derrick ? répondit-elle. C’est bien celui qui a voulu me tuer ! Non, je ne l’ai pas vu. Il est sans doute, dans un coin, déguisé en Civa. »

Ils rirent ensemble. Quelques minutes plus tard, elle avait terminé sa glace et Dick alla lui chercher son manteau. Puis, avec beaucoup d’audace (il croyait tout au moins avoir beaucoup d’audace), il lui offrit de l’accompagner chez elle.

Il se sentit follement heureux quand elle accepta, et il courut chercher l’auto de Tommy. Mary l’attendit sur le perron. Elle habitait dans une toute petite maison à la lisière de Hove, car Mr. Cornfort détestait les pensions de famille.

Quand elle eut confié cela à Dick, elle resta un instant silencieuse, puis elle reprit :

« Pourquoi m’avez-vous demandé si j’étais au bal depuis le début de la soirée ? J’ai dit oui, mais ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, je ne suis venue qu’à onze heures. Vous aviez l’air si sévère, si important quand je vous ai rencontré que j’ai cru, sur le moment, que vous alliez m’arrêter, là, tout de suite, car je sais que vous êtes détective, lord Weald m’a raconté tout cela. Il vous appelle même le « Flic ».

En lui-même, Dick injuria le bavard. Il cherchait une excuse lorsqu’elle lui montra une maison.

« C’est là, auprès du réverbère de gauche. Merci. » Il stoppa devant une toute petite villa : une lumière brillait à l’étage supérieur. C’était probablement la chambre du pauvre Mr. Cornfort.

« Merci beaucoup », dit-elle encore. Elle mit sa main dans la sienne, et elle s’enfuit.

Il la vit traverser le petit jardin, attendre à la porte où elle avait dû sonner, puis, lorsque la garde de nuit lui eut ouvert, elle disparut. Dick fit tourner sa voiture et revint au Métropole pour trouver Tommy et ainsi faire d’une pierre deux coups. En effet, Tommy, tout à fait ridicule dans un costume de toréador, racontait une histoire, qu’il devait trouver très drôle, à un énorme pierrot.

« Épatant, mon cher, épatant ! » disait le pierrot.

Dick se demanda ce que dirait le pierrot quand, lui, raconterait l’histoire qu’il savait.

Tommy l’aperçut le premier et s’écria, stupéfait :

« Bon sang ! As-tu renoncé à l’Écosse ? »

Staines les conduisit dans un coin tranquille et leur dit, par le détail, ce qui était arrivé dans la nuit. (Cependant, il ne leur parla pas, et pour cela il se prouva d’excellentes raisons, de l’étonnante ressemblance de l’inconnue avec Miss Dane.

Tommy était fou d’exaltation :

« C’est la chose la plus extraordinaire que j’aie jamais entendue ! Jamais rien de pareil ne m’est arrivé. »

Mr. Derrick reçut la nouvelle avec plus de flegme.

« Ce n’est pas la première fois. Il y a deux ou trois mois, pareille chose s’est produite. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’ils cherchent. Je ne garde aucune valeur chez moi et mon argent ne mérite pas un tel dérangement. Larkin est-il blessé ?

– C’est probablement le nom de votre gardien ? Non, il n’a rien. Il aura certainement mal à la tête ce matin, car il a bu une drogue.

– Et vous dites qu’il y avait une femme ? reprit Mr. Derrick. Est-ce que vous la reconnaitriez si vous la voyiez de nouveau ?

– Je l’ai vue à peine quelques secondes, les lumières se sont éteintes presque au même moment. Il est bien difficile de certifier quelque chose, surtout lorsque c’est une femme. Je crois que je reconnaîtrais plutôt sa robe qui était très élégante.

– Vous n’avez pas vu de voiture devant ma maison ? »

Par extraordinaire, Dick avait complètement oublié la limousine qui s’était arrêtée au coin du square au début de l’orage.

« J’ai, en effet vu une auto, mais personne n’en est descendu, personne n’y est monté non plus. Je ne suis même pas sûr qu’elle fût exactement dans votre rue. »

Il réfléchit. Quand il était remonté du sous-sol, il avait tourné vers la gauche pour rejoindre la maison de Tommy. Il n’avait même pas pensé à chercher la trace des agresseurs, persuadé qu’ils avaient eu largement le temps de s’enfuir. Cependant l’auto devait leur avoir servi.

« Vous avez donc des ennemis ? demanda-t-il.

– Pas que je sache, répondit Mr. Derrick. Si mon père vivait encore, je comprendrais qu’on puisse être tenté par ce qu’il possédait, mais moi, je n’ai jamais eu le moindre ennui avec les rares membres de la famille qui me restent, à moins que…

– À quoi pensez-vous ? » demanda rapidement Dick.

Mais Mr. Derrick ne répondit pas. Aussi exubérant qu’il ait pu être avant que l’inspecteur Staines lui eût conté son aventure, aussi muet il devenait maintenant.

« Je vais rentrer à Lowndes Square, dit-il enfin.

– Je puis vous ramener, proposa Tommy aimablement.

– Nous prendrons votre voiture, mais le chauffeur nous conduira. Je n’ai pas encore envie de tenter la chance à nouveau cette nuit », déclara Dick.

Ils partirent, conduits par le chauffeur de lord Weald, qui, heureusement, s’était couché tôt ce soir-là. À deux heures et demie, ils s’étaient débarrassés de leurs travestis et avaient pris place dans l’auto.

Le retour à Londres leur parut interminable. L’aurore commençait à poindre lorsque, couverte de boue, la grande Rolls stoppa devant la maison de Derrick.

Ainsi que Dick s’y attendait, un policeman montait la garde devant la porte. Il ne fut aimable que lorsque l’inspecteur Staines se fut nommé, et il déclara qu’un brigadier et un commissaire avaient fait l’enquête, mais qu’ils étaient partis depuis longtemps.

Derrick ouvrit avec sa clé et les deux camarades suivirent. Ils trouvèrent le gardien debout et habillé. Bien qu’il ne fût pas un nerveux, il reconnut qu’il lui avait été impossible de fermer l’œil.

Les trois hommes firent le tour de la demeure. En chemin, Dick avait expliqué par quelles circonstances bizarres il s’était introduit dans la maison du voisin. En effet, la fenêtre qu’il avait brisée au troisième étage, avait attiré l’attention des détectives qui avaient conclu que les cambrioleurs étaient entrés par là.

« Ce qui prouve bien que les flics ne savent pas toujours tout », déclara Tommy.

Quand ils redescendirent, le gardien se souvint d’un petit détail qu’il avait oublié de leur signaler.

« On a trouvé des empreintes digitales sur mon verre de bière. Ils ont emporté le verre pour le photographier. »

Pour l’un des trois, cela était une nouvelle extrêmement importante.

Il faisait tout à fait jour lorsque lord Weald entra chez lui, suivi par son ami qui commençait à ressentir là fatigue.

« Prends un bon bain, puis nous déjeunerons et tu pourras peut-être dormir dans le train, suggéra Tommy. D’ailleurs, à vrai dire, cela m’ennuie que tu t’en ailles, mon vieux…

– Mais je ne m’en vais pas, dit tranquillement Dick. Il me semble qu’il ne serait pas mauvais que je jette un coup d’œil sur cette affaire. Je vais aller à Scotland Yard ce matin et, avec un peu de chance, je pourrais me faire donner cette enquête. »

Il s’offrit un breakfast copieux et dès qu’il jugea que cela était convenable, il téléphona à son supérieur pour lui annoncer pourquoi il préférait passer ses vacances à Londres. Son hôte était lui-même trop policier pour ne pas comprendre et admettre d’aussi excellentes raisons.

À dix heures, Staines était à Scotland Yard et après avoir conféré avec différents chefs, il obtenait que le cas lui fût remis.

« Et l’affaire est intéressante, lui expliqua Bourke, son supérieur, bien plus que vous ne le croyez vous-même. »

Dick le regarda avec quelque surprise. Il savait que le cas était sérieux. Mais, en somme, il n’était pas très important à première vue.

« Il y a neuf ans, reprit gravement Bourke, le caissier de la Compagnie des Textiles a été tué par un motocycliste qui lui déroba près de six cents livres. Vous en souvenez-vous ?

– Je connais l’affaire. Elle a eu lieu le jour de mon entrée dans la police, répondit Dick.

– Nous n’avons jamais retrouvé l’homme, continua Bourke. Le seul indice que nous ayons est une empreinte très nette de son pouce, vous le savez aussi ?

– Je m’en souviens très bien. J’ai même vu plusieurs fois cette empreinte. Elle a, d’ailleurs, servi à illustrer les mémoires de je ne sais plus quel commissaire.

– Les anciens commissaires ne devraient jamais écrire leurs mémoires, grogna Bourke. Bref, rappelez-vous bien cela. Il y a dix ans un homme est tué de sang-froid, on lui vole l’argent qu’il porte et le meurtrier s’enfuit sans laisser d’autre trace que l’ombre d’un pouce inconnu sur un revolver.

– Oui, j’ai bien cela en tête », répondit Dick, qui commençait à se demander où voulait en venir son chef.

Bourke ouvrit alors un album, il en tira une photographie et la jeta sur la table.

« Regardez-moi ça ! dit-il. C’est intéressant ! C’est l’empreinte du meurtrier de Slough… et elle a été trouvée sur le verre de bière rapporté de la maison de Derrick cette nuit ! »