CHAPITRE IX
Dick sortit et alla trouver Derrick qui marchait de long en large dans le salon où le crime avait été découvert. Il était en costume de golf lorsque Dick l’avait appelé ; il allait se rendre sur les « links ».
« Non, je n’ai rien dit à Weald, mais il revient aujourd’hui. Que pensez-vous de tout cela, Staines ?
– J’ai trois hypothèses, dit ce dernier en hochant la tête… Mais toutes les trois sont si ridiculement impossibles que je ne risquerai pas ma réputation d’homme intelligent à vous les exposer. On n’a rien touché, autant que j’en puisse juger. Mais il est évident qu’il y a eu plusieurs personnes dans la maison, cette nuit.
– Qu’est-ce qui vous fait penser cela ? » demanda vivement Walter.
Bourke empêcha son subordonné de répondre, en grognant :
« Voyons, l’homme qui a tué Brown n’est pas le même que celui qui a tenté de le sauver. La victime avait été très proprement soignée. »
Derrick regarda autour de lui, sidéré.
« Et où était-il ?
– Il était là, recouvert d’une toile et avec un coussin sous la tête. Staines a cru que c’était un tapis roulé…
– Mon Dieu ! »
Derrick était pâle et ses yeux étaient grands ouverts par l’ébahissement.
« Je n’y comprends rien. Plusieurs personnes… ici ?… Mais que pouvaient-elles faire ?… C’est affreux !… Je ne sais plus ni ce que je dis, ni ce que je fais. Je me doutais que quelque chose allait arriver, je le sentais, j’ai si mal dormi toutes ces dernières nuits. Avec vos histoires de fantômes !… L’a-t-on reconnu, ce revenant ? Qui est-ce ?
– D’après Larkin, c’était votre père.
– Mon père… »
Derrick semblait affolé, il parlait à mots hachés :
« Mais ce Larkin est un fou… Il a peur, et son imagination galope ! A-t-il fait une description… de… enfin, du fantôme ? »
Derrick essuya son visage couvert de sueur.
« Oui, Larkin m’a parfaitement décrit le revenant. Il m’a dit qu’il avait vu votre père, il y a plusieurs années, et qu’il l’avait immédiatement reconnu. Il m’a indiqué qu’il boitait…
– Qu’il boitait ? » répéta Derrick, puis il reprit vivement : « Mais tout le monde peut boiter ! C’est facile… N’importe quelle brute peut simuler un déhanchement pour lui ressembler davantage. »
Puis, il continua sur un ton furieux :
« Mais pourquoi ne m’a-t-il rien dit ? Fantôme ou non, je serais venu voir moi-même de quoi il retournait, et je vous jure que j’aurais tiré la chose au clair ! »
Il se retourna vers Bourke.
« Alors, que dois-je faire ? Combien de temps tout ceci va-t-il continuer ? Je suis un parfait honnête homme. Autant que je puisse en juger, je n’ai jamais fait de mal à personne. S’il y a de l’or ici et s’ils s’entêtent à le chercher, je veux bien leur laisser la maison tout le temps qu’ils voudront. Ensuite, j’aurai la paix, sans doute ! J’irai jusqu’à mettre une annonce dans les journaux ! continua-t-il en plaisantant. Seulement, je crains que tous les chercheurs d’or du monde ne débarquent et qu’ils réduisent ma maison en poussière. Je ne sais pas ce que vous avez l’intention de faire… Mais moi, je sais ce que je vais faire… Je vais aller pour quelque temps à l’étranger. Je supprimerai le gardien, et les revenants et les chercheurs de trésor pourront s’en donner à cœur joie !
– Pensez-vous que Lordy Brown faisait partie de l’une ou l’autre catégorie ? demanda brusquement Bourke.
– Je n’en sais rien. Il était certainement au courant de ces cambriolages. D’après ce dont je me souviens de lui, le vol n’était pas, pour lui, chose inconnue. Mais je ne sais rien… Je suis tellement étonné que je ne puis vraiment pas avoir d’opinion. Une seule chose est certaine : on l’a trouvé mort dans mon salon et mon gardien a disparu. »
La perte s’ouvrit et un agent entra rapidement.
« On téléphone de Scotland Yard que Larkin a été retrouvé à Liverpool. Il y est arrivé par le train de nuit.
– On l’a arrêté ? demanda Derrick.
– Je ne sais pas. »
Le sergent parla à voix basse à Bourke, qui inclina la tête.
« Il paraîtrait que Larkin prétend que vous lui avez téléphoné cette nuit de se rendre à Liverpool par le train de nuit, d’aller à un hôtel et de vous y attendre. Il dit que vous aviez un code secret.
– C’est vrai, affirma Derrick. Le mot de passe était Peterborough. Je l’avais institué à cause de cette première histoire de téléphone.
– Eh bien ! on s’est servi du mot de passe, et Larkin a obéi immédiatement. »
Derrick serra les lèvres et son front se plissa.
« Ça, alors, c’est curieux. Comment ont-ils pu savoir ?…
– Qui connaissait le code ? demanda Dick.
– Lui et moi… Personne d’autre, à moins que j’aie parlé en dormant… et encore, comme je dors seul… – Il haussa les épaules. – J’y renonce !
– Vous n’avez pas donné d’instructions à Larkin ? demanda Bourke.
– Pourquoi lui aurais-je dit d’aller à Liverpool ? Je n’y connais personne. On a voulu certainement l’éloigner… et c’est… »
Il regarda fixement Dick, et son visage devint un peu plus pâle, un peu plus hagard.
« Il y avait une autre personne dans la maison… vous l’avez dit. Elle était peut-être là depuis longtemps et elle a pu parler au téléphone.
– Elle a même pu, remarqua lentement Bourke, parler par l’appareil du premier étage, tandis que Larkin était au sous-sol. Mr. Derrick, voudriez-vous me laisser quelques secondes avec Staines ?
– Vous êtes chez vous », déclara Derrick.
Il y avait une petite table au centre de la pièce. Dick se souvint que, lorsqu’il était entré, elle n’était pas recouverte d’une housse comme le reste. En revenant de l’inspection faite avec Bourke, il avait noté qu’un chiffon avait été jeté dessus, tandis qu’on avait enlevé le vase de fleurs qui l’ornait.
« Regardez ceci, dit Bourke en enlevant soigneusement le tissu. Mettez-vous un peu de biais contre la lumière… Que voyez-vous maintenant ? »
Dick vit nettement une empreinte digitale… une empreinte qu’il connaissait par cœur : l’empreinte du meurtrier de Slough !