Sous le soleil féroce, rapace, Marie se débat.
Marie sermonne son corps, lui ordonne de faire face, de lutter. Par moments, ce corps se disloque : les genoux cèdent, le torse se courbe, la nuque ploie. Le sol l’aimante tout entier vers une chute inexorable, un puits sans fin.
Marie reprend les rênes, se ressaisit, tient tête à cette chair en perdition. Sa pensée se mobilise, interroge, inspecte les muscles, les tissus qui se relâchent, les mains qui s’amollissent, les pieds qui glissent. Elle tente de se rassurer, se persuade qu’elle parviendra à tout dominer, à soumettre cette charpente à sa volonté, à son désir violent d’avancer et de se garder en état, jusqu’à la rencontre…
Elle le dirigera ce corps, il se dressera sur ses deux jambes, celles-ci se mobiliseront pour franchir la distance, pour traverser le temps qui sépare Marie du pont et de son amour retrouvé.
Marie déploie sa volonté, toute son habileté ; elle parle à son corps et le flatte : « On y va ensemble, tu n’abandonnes jamais, tu es solide, tu es fait pour durer… » Elle lui parle comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre, comme si la chair et l’esprit étaient soudain séparés et qu’il lui fallait à tout prix les rassembler, les réunir pour vivre encore. Pour vivre !
Elle songe à emprunter des raccourcis, sans doute plus périlleux que cette large rue déserte qui file en ligne droite jusqu’au fleuve, mais où une balle risque encore de l’atteindre. Elle connaît à fond cette cité ; elle y est née et y travaille depuis plus d’un an comme reporter-photographe, ses déplacements à travers d’étroites ruelles elle saurait en venir à bout.
Mais le sang coule largement de sa blessure. Au dos de son chemisier jaune qu’elle vient de tâter une fois encore, la tache rouge s’agrandit, s’amplifie.
Elle veut toujours l’ignorer. Elle l’ignore.