L’image de son sexe sur le ventre de l’autre femme survenait moins souvent que celle d’une vie quotidienne qu’il évoquait précautionneusement au singulier et que j’entendais toujours au pluriel. Ce n’étaient pas les gestes érotiques qui allaient le souder le plus à elle (cela se pratique continuellement et sans suite sur la plage, un coin de bureau, dans les chambres louées à l’heure), mais la baguette de pain qu’il lui rapportait pour le midi, les sous-vêtements mélangés dans le panier à linge sale, le journal télévisé qu’ils regardaient le soir en mangeant des spaghettis à la bolognaise. Hors de ma vue, un processus de domestication, lent et sûr, avait commencé de l’enserrer. A coups de petits déjeuners partagés et de brosses à dents dans le même verre, une imprégnation mutuelle qu’il me semblait porter sur lui, physiquement, de façon impalpable, un air de vague réplétion que la vie conjugale donne parfois aux hommes.

La force de cette sédimentation silencieuse des habitudes, que j’avais tant redoutée lors de ma relation avec lui, me paraissait inexpugnable, justifiant l’obstination de certaines femmes, quitte à en être énervées, insatisfaites, voire malheureuses, de mettre l’homme qu’elles veulent s’attacher dans leurs meubles.

 

 

Et quand j’avais envie d’échanger avec lui au téléphone des phrases du genre de celles qu’on se murmurait avant, « tu aimes la queue, dis – Pas la queue, ta queue », etc., j’y renonçais. Ce serait simplement pour lui des obscénités refroidies, inaptes à émouvoir son sexe, puisque, comme cet homme marié accosté par une pute, il aurait pu me répondre, « merci bien, j’ai ce qu’il me faut à la maison ».

 

De plus en plus, à certains moments, il m’apparaissait fugitivement que je pourrais faire cesser cette occupation, rompre le maléfice, aussi simplement qu’on passe d’une pièce dans une autre ou qu’on sort dans la rue. Mais quelque chose manquait, dont je ne savais pas d’où cela viendrait – du hasard, du dehors, ou bien de moi-même.