XXI
Le cardinal de Joyeuse.
La jeunesse a des opiniâtretés dans le mal et dans le bien qui valent l’aplomb des résolutions d’un âge mûr.
Tendus vers le bien, ces sortes d’entêtements produisent les grandes actions et impriment à l’homme qui débute dans la vie un mouvement qui le porte, par une pente naturelle, vers un héroïsme quelconque.
Ainsi Bayard et du Guesclin devinrent de grands capitaines pour avoir été les plus hargneux et les plus intraitables enfants qu’on eût jamais vus ; ainsi ce gardeur de pourceaux dont la nature avait fait le pâtre de Montalte, et dont le génie fit Sixte-Quint, devint un grand pape pour s’être obstiné à mal faire sa besogne de porcher.
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Ainsi les pires natures Spartiates se développèrent-elles dans le sens de l’héroïsme, après avoir commencé par l’entêtement dans la dissimulation et la cruauté.
Nous n’avons ici à tracer que le portrait d’un homme ordinaire ; cependant plus d’un biographe eût trouvé dans Henri du Bouchage, à vingt ans, l’étoffe d’un grand homme.
Henri s’obstina dans son amour et dans sa séquestration du monde. Comme le lui avait demandé son frère, comme l’avait exigé le roi, il demeura quelques jours seul avec son éternelle pensée ; puis, sa pensée s’étant faite de plus en plus immuable, il se décida un matin à visiter son frère le cardinal, personnage important, qui à l’âge de vingt-six ans était déjà cardinal depuis deux ans, et qui de l’archevêché de Narbonne était passé au plus haut degré des grandeurs ecclésiastiques, grâce à la noblesse de sa race et à la puissance de son esprit.
François de Joyeuse, que nous avons déjà introduit en scène pour éclaircir le doute de Henri de Valois à l’égard de Sylla, François de Joyeuse, 410
jeune et mondain, beau et spirituel, était un des hommes les plus remarquables de l’époque.
Ambitieux par nature, mais circonspect par calcul et par position, François de Joyeuse pouvait prendre pour devise : Rien n’est trop, et justifier sa devise.
Peut-être seul de tous les hommes de cour, – et François de Joyeuse était un homme de cour avant tout, – il avait su se faire deux soutiens des deux trônes religieux et laïque desquels il ressortissait comme gentilhomme français et comme prince de l’Église ; Sixte le protégeait contre Henri III, Henri III le protégeait contre Sixte. Il était Italien à Paris, Parisien à Rome, magnifique et adroit partout.
L’épée seule de Joyeuse, le grand-amiral, donnait à ce dernier plus de poids dans la balance ; mais on voyait, à certains sourires du cardinal, que, s’il manquait de ces pesantes armes temporelles que, tout élégant qu’il était, maniait si bien le bras de son frère, il savait user et même abuser des armes spirituelles confiées à lui par le souverain chef de l’Église.
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Le cardinal François de Joyeuse était promptement devenu riche, riche de son propre patrimoine d’abord, puis ensuite de ses différents bénéfices. En ce temps-là, l’Église possédait, et même possédait beaucoup, et quand ses trésors étaient épuisés, elle connaissait les sources, aujourd’hui taries, où les renouveler.
François de Joyeuse menait donc grand train.
Laissant à son frère l’orgueil de la maison militaire, il encombrait ses antichambres de curés, d’évêques, d’archevêques
; il avait sa
spécialité. Une fois cardinal, comme il était prince de l’Église, et par conséquent supérieur à son frère, il avait pris des pages à la mode italienne et des gardes à la mode française. Mais ces gardes et ces pages n’étaient encore pour lui qu’un plus grand moyen de liberté. Souvent il rangeait gardes et pages autour d’une grande litière, par les rideaux de laquelle passait la main gantée de son secrétaire, tandis que lui, à cheval, l’épée au dos, courait la ville déguisé avec une perruque, une fraise énorme, et des bottes de cavalier dont le bruit lui réjouissait l’âme.
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Le cardinal jouissait donc d’une fort grande considération, car, à de certaines élévations, les fortunes humaines sont absorbantes, et forcent, comme si elles étaient composées rien que d’atomes crochus, toutes les autres fortunes à s’allier à elles comme des satellites, et par cette raison, le nom glorieux de son père, l’illustration récente et inouïe de son frère Anne, jetaient sur lui tout leur éclat. En outre, comme il avait suivi scrupuleusement ce précepte, de cacher sa vie et de répandre son esprit, il n’était connu que par ses beaux côtés, et, dans sa famille même, passait pour un fort grand homme, bonheur que n’ont pas eu bien des empereurs chargés de gloire et couronnés par toute une nation.
Ce fut vers ce prélat que le comte du Bouchage alla se réfugier après son explication avec son frère, après son entretien avec le roi de France. Seulement, comme nous l’avons dit, il laissa s’écouler quelques jours pour obéir à l’injonction de son aîné et de son roi.
François habitait une belle maison dans la Cité. La cour immense de cette maison ne 413
désemplissait pas de cavaliers et de litières ; mais le prélat, dont le jardin confinait à la berge de la rivière, laissait ses cours et ses antichambres s’emplir de courtisans ; et, comme il avait une porte de sortie sur la berge, et un bateau qui le transportait sans bruit aussi loin et aussi doucement qu’il lui plaisait, près de cette porte, il arrivait souvent que l’on attendait inutilement le prélat, auquel une indisposition grave ou une pénitence austère servait de prétexte pour ne pas recevoir. C’était encore de l’Italie au sein de la bonne ville du roi de France, c’était Venise entre les deux bras de la Seine.
François était fier, mais nullement vain ; il aimait ses amis comme des frères et ses frères presque autant que ses amis. Plus âgé de cinq ans que du Bouchage, il ne lui épargnait ni les bons ni les mauvais conseils, ni la bourse ni le sourire.
Mais comme il portait merveilleusement bien l’habit de cardinal, du Bouchage le trouvait beau, noble, presque effrayant, en sorte qu’il le respectait plus peut-être qu’il ne respectait leur aîné à tous deux. Henri, sous sa belle cuirasse et 414
ses chamarrures de militaire fleuri, confiait en tremblant ses amours à Anne, il n’eût pas même osé se confesser à François.
Cependant, lorsqu’il se dirigea vers l’hôtel du cardinal, sa résolution était prise, il abordait franchement le confesseur d’abord, l’ami ensuite.
Il entra dans la cour d’où sortaient à l’instant même plusieurs gentilshommes fatigués d’avoir sollicité, sans l’avoir obtenue, la faveur d’une audience.
Il traversa les antichambres, les salles, puis les appartements. On lui avait dit, à lui comme aux autres, que son frère était en conférence ; mais il ne serait venu à aucun domestique l’idée de fermer une porte devant du Bouchage.
Du Bouchage traversa donc tous les appartements et parvint jusqu’au jardin, véritable jardin de prélat romain, avec de l’ombre, de la fraîcheur et des parfums, comme on en trouve aujourd’hui à la villa Pamphile ou au palais Borghèse.
Henri s’arrêta sous un massif : en ce moment 415
la grille du bord de l’eau roula sur ses gonds, et un homme entra caché dans un large manteau brun et suivi d’une sorte de page. Cet homme aperçut Henri, qui était trop absorbé dans son rêve pour penser à lui, et se glissa entre les arbres, évitant d’être vu ni par du Bouchage ni par aucun autre.
Henri ne prit pas garde à cette entrée mystérieuse ; ce ne fut qu’en se retournant qu’il vit l’homme entrer dans les appartements.
Après dix minutes d’attente, il allait y entrer à son tour et questionner un valet de pied pour savoir à quelle heure précisément son frère serait visible, quand un domestique, qui paraissait le chercher, l’aperçut, vint à lui et le pria de vouloir bien passer dans la salle des livres, où le cardinal l’attendait.
Henri se rendit lentement à cette invitation, car il devinait une nouvelle lutte : il trouva son frère le cardinal qu’un valet de chambre accommodait dans un habit de prélat, un peu mondain peut-
être, mais élégant et surtout commode.
– Bonjour, comte, dit le cardinal ; quelles 416
nouvelles, mon frère ?
– Excellentes nouvelles quant à notre famille, dit Henri ; Anne, vous le savez, s’est couvert de gloire dans cette retraite d’Anvers, et il vit.
– Et, Dieu merci ! vous aussi vous êtes sain et sauf, Henri ?
– Oui, mon frère.
– Vous voyez, dit le cardinal, que Dieu a ses desseins sur nous.
– Mon frère, je suis tellement reconnaissant à Dieu, que j’ai formé le projet de me consacrer à son service
; je viens donc vous parler
sérieusement de ce projet, qui me paraît mûr, et dont je vous ai déjà dit quelques mots.
– Vous pensez toujours à cela, du Bouchage ?
fit le cardinal en laissant échapper une légère exclamation, qui indiquait que Joyeuse allait avoir un combat à livrer.
– Toujours, mon frère.
–
Mais c’est impossible, Henri, reprit le cardinal ; ne vous l’a-t-on pas déjà dit ?
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– Je n’ai pas écouté ce que l’on m’a dit, mon frère, parce qu’une voix plus forte, qui parle en moi, m’empêche d’entendre toute parole qui me détournerait de Dieu.
– Vous n’êtes pas assez ignorant des choses du monde, mon frère, dit le cardinal du ton le plus sérieux, pour croire que cette voix soit véritablement celle du Seigneur ; au contraire, et je l’affirmerais, c’est un sentiment tout mondain qui vous parle. Dieu n’a rien à voir dans cette affaire, n’abusez donc pas de son saint nom, et surtout ne confondez pas la voix du Ciel avec celle de la terre.
– Je ne confonds pas, mon frère, je veux dire seulement que quelque chose d’irrésistible m’entraîne vers la retraite et la solitude.
– À la bonne heure, Henri, et nous rentrons dans les termes vrais. Eh bien ! mon cher, voici ce qu’il faut faire ; je m’en vais, prenant acte de vos paroles, vous rendre le plus heureux des hommes.
– Merci ! oh ! merci, mon frère !
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–
Écoutez-moi, Henri. Il faut prendre de l’argent, deux écuyers, et voyager par toute l’Europe, comme il convient à un fils de la maison dont nous sommes. Vous verrez des pays lointains, la Tartarie, la Russie même, les Lapons, ces peuples fabuleux que ne visite jamais le soleil ; vous vous ensevelirez dans vos pensées jusqu’à ce que le germe dévorant qui travaille en vous soit éteint ou assouvi... Alors vous nous reviendrez.
Henri, qui s’était assis, se leva plus sérieux que n’avait été son frère.
–
Vous ne m’avez pas compris, dit-il, monseigneur.
– Pardon, Henri, vous avez dit retraite et solitude.
– Oui, j’ai dit cela ; mais, par retraite et solitude, j’ai entendu parler du cloître, mon frère, et non des voyages ; voyager, c’est jouir encore de la vie, moi je veux presque souffrir la mort, et, si je ne la souffre pas, la savourer du moins.
– C’est là une absurde pensée, permettez-moi 419
de vous le dire, Henri, car enfin quiconque veut s’isoler est seul partout. Mais soit, le cloître. Eh bien ! je comprends que vous soyez venu vers moi pour me parler de ce projet. Je connais des bénédictins fort savants, des augustins très ingénieux, dont les maisons sont gaies, fleuries, douces et commodes. Au milieu des travaux de la science ou des arts, vous passerez une année charmante, en bonne compagnie, ce qui est important, car on ne doit pas s’encrasser en ce monde, et si au bout de cette année, vous persistez dans votre projet, eh bien ! mon cher Henri, je ne vous ferai plus opposition, et moi-même vous ouvrirai la porte qui vous conduira doucement au salut éternel.
– Vous ne me comprenez décidément pas, mon frère, répondit du Bouchage en secouant la tête, ou plutôt votre généreuse intelligence ne veut pas me comprendre : ce n’est pas un séjour gai, une aimable retraite que je veux, c’est la claustration rigoureuse, noire et morte ; je tiens à prononcer mes vœux, des vœux qui ne me laissent pour toute distraction qu’une tombe à creuser, qu’une longue prière à dire.
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Le cardinal fronça le sourcil et se leva de son siège.
– Oui, dit-il, j’avais parfaitement compris, et j’essayais, par ma résistance sans phrases et sans dialectique, de combattre la folie de vos résolutions ; mais vous m’y forcez, écoutez-moi.
– Ah ! mon frère, dit Henri avec abattement, n’essayez pas de me convaincre, c’est impossible.
– Mon frère, je vous parlerai au nom de Dieu d’abord, de Dieu que vous offensez, en disant que vient de lui cette résolution farouche : Dieu n’accepte pas des sacrifices irréfléchis. Vous êtes faible, puisque vous vous laissez abattre par la première douleur ; comment Dieu vous saurait-il gré d’une victime presque indigne que vous lui offrez ?
Henri fit un mouvement.
– Oh ! je ne veux plus vous ménager, mon frère, vous qui ne ménagez personne d’entre nous, reprit le cardinal ; vous qui oubliez le chagrin que vous causerez à notre frère aîné, à moi...
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– Pardon, interrompit Henri, dont les joues se couvrirent de rougeur, pardon, monseigneur, le service de Dieu est-il donc une carrière si sombre et si déshonorante, que toute une famille en prenne le deuil ? Vous, mon frère, vous dont je vois le portrait en cette chambre, avec cet or, ces diamants, cette pourpre, n’êtes-vous pas l’honneur et la joie de notre maison, bien que vous ayez choisi le service de Dieu, comme mon frère aîné celui des rois de la terre ?
– Enfant ! enfant ! s’écria le cardinal avec impatience ; vous me feriez croire que la tête vous a tourné. Comment ! vous allez comparer ma maison à un cloître ; mes cent valets, mes piqueurs, mes gentilshommes et mes gardes, à la cellule et au balai, qui sont les seules armes et la seule richesse du cloître
! Êtes-vous en
démence ? N’avez-vous pas dit tout à l’heure que vous repoussez ces superfluités qui sont mon nécessaire, les tableaux, les vases précieux, la pompe et le bruit ? Avez-vous, comme moi, le désir et l’espoir de mettre sur votre front la tiare de saint Pierre ? Voilà une carrière, Henri ; on y court, on y lutte, on y vit ; mais vous ! vous, c’est 422
la sape du mineur, c’est la bêche du trappiste, c’est la tombe du fossoyeur que vous voulez ; plus d’air, plus de joie, plus d’espoir ! Et tout cela, j’en rougis pour vous qui êtes un homme, tout cela, parce que vous aimez une femme qui ne vous aime pas. En vérité, Henri, vous faites tort à votre race !
– Mon frère ! s’écria le jeune homme pâle et les yeux flamboyants d’un feu sombre, aimez-vous mieux que je me casse la tête d’un coup de pistolet, ou que je profite de l’honneur que j’ai de porter une épée pour me l’enfoncer dans le cœur
? Pardieu
! monseigneur, vous qui êtes
cardinal et prince, donnez-moi l’absolution de ce péché mortel, la chose sera faite si vite que vous n’aurez pas eu le temps d’achever cette laide et indigne pensée : que je déshonore ma race, ce que, grâce à Dieu, ne fera jamais un Joyeuse.
– Allons, allons, Henri ! dit le cardinal en attirant à lui son frère, et le retenant dans ses bras, allons, cher enfant, aimé de tous, oublie et sois clément pour ceux qui t’aiment. Je t’en supplie en égoïste, écoute : chose rare ici-bas, nous sommes 423
tous heureux, les uns par l’ambition satisfaite, les autres par les bénédictions de tout genre que Dieu fait fleurir sur notre existence ; ne jette donc pas, je t’en supplie, Henri, le poison mortel de la retraite sur les joies de ta famille ; songe que notre père en pleurera, songe que tous, nous porterons au front la tache noire de ce deuil que tu vas nous faire. Je t’adjure, Henri, de te laisser fléchir : le cloître ne te vaut rien. Je ne te dis pas que tu y mourras, car tu me répondrais, malheureux, par un sourire, hélas
! trop
intelligible ; non, je te dirai que le cloître est plus fatal que la tombe : la tombe n’éteint que la vie, le cloître éteint l’intelligence, le cloître courbe le front, au lieu de relever au Ciel ; l’humidité des voûtes passe peu à peu dans le sang et s’infiltre jusque dans la moelle des os, pour faire du cloîtré une statue de granit de plus dans son couvent.
Mon frère, mon frère, prends-y garde : nous n’avons que quelques années, nous n’avons qu’une jeunesse. Eh bien ! les années de la belle jeunesse se passeront aussi, car tu es sous l’empire d’une grande douleur, mais à trente ans tu te feras homme, la sève de maturité viendra ; 424
elle entraînera ce reste de douleur usée, et alors tu voudras revivre, mais il sera trop tard, car alors tu seras triste, enlaidi, souffreteux, ton cœur n’aura plus de flamme, ton œil n’aura plus d’étincelles ; ceux que tu chercheras te fuiront comme un sépulcre blanchi, dont tout regard craint la noire profondeur. Henri, je te parle avec amitié, avec sagesse ; écoute-moi.
Le jeune homme demeura immobile et silencieux. Le cardinal espéra l’avoir attendri et ébranlé dans sa résolution.
– Tiens, dit-il, essaie d’une autre ressource, Henri ; ce dard empoisonné que tu traînes à ton cœur, porte-le partout, dans le bruit, dans les fêtes, assieds-toi avec lui à nos festins ; imite le faon blessé, qui traverse les taillis, les halliers, les ronces, pour essayer d’arracher de son flanc la flèche retenue aux lèvres de la blessure
;
quelquefois la flèche tombe.
– Mon frère, par grâce, dit Henri, n’insistez pas davantage ; ce que je vous demande, n’est point le caprice d’un instant, la décision d’une heure, c’est le fruit d’une lente et douloureuse 425
résolution. Mon frère, au nom du Ciel, je vous adjure de m’accorder la grâce que je vous demande.
–
Eh bien
! quelle grâce demandes-tu,
voyons ?
– Une dispense, monseigneur.
– Pour quoi faire ?
– Pour abréger mon noviciat.
–
Ah
! je le savais, du Bouchage, tu es mondain jusque dans ton rigorisme, pauvre ami.
Oh ! je sais la raison que tu vas me donner. Oh !
oui, tu es bien un homme de notre monde, tu ressembles à ces jeunes gens qui se font volontaires et veulent bien du feu, des balles, des coups, mais non pas du travail de la tranchée et du balayage des tentes. Il y a de la ressource, Henri ; tant mieux, tant mieux !
– Cette dispense, mon frère, cette dispense, je vous la demande à genoux.
– Je te la promets ; je vais écrire à Rome.
C’est un mois qu’il faut pour que la réponse arrive ; mais en échange, promets-moi une chose.
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– Laquelle ?
– C’est, pendant ce mois d’attente, de ne refuser aucun des plaisirs qui se présenteront à vous ; et si dans un mois vous tenez encore à vos projets, Henri, eh bien ! je vous livrerai cette dispense de ma main. Êtes vous satisfait maintenant et n’avez-vous plus rien à demander ?
– Non, mon frère, merci ; mais un mois, c’est si long, et les délais me tuent.
– En attendant, mon frère, et pour commencer à vous distraire, vous plairait-il de déjeuner avec moi ? J’ai bonne compagnie ce matin.
Et le prélat se mit à sourire d’un air que lui eût envié le plus mondain des favoris de Henri III.
–
Mon frère..., dit du Bouchage en se défendant.
– Je n’admets pas d’excuse ; vous n’avez que moi ici, puisque vous arrivez de Flandre, et que votre maison ne doit pas être remontée encore.
À ces mots, le cardinal se leva, et tirant une portière qui fermait un grand cabinet somptueusement meublé :
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–
Venez, comtesse, dit-il, que nous
persuadions M. le comte du Bouchage de demeurer avec nous.
Mais au moment où le cardinal avait soulevé la portière, Henri avait vu, à demi-couché sur des coussins, le page qui était rentré avec le gentilhomme de la grille du bord de l’eau, et dans ce page, avant même que le prélat n’eût dénoncé son sexe, il avait reconnu une femme.
Quelque chose comme une terreur subite, comme un effroi invincible le prit, et tandis que le mondain cardinal allait chercher le beau page par la main, Henri du Bouchage s’élançait hors de l’appartement, si bien que lorsque François ramena la dame, toute souriante de l’espoir de ramener un cœur vers le monde, la chambre était parfaitement vide.
François fronça le sourcil, et s’asseyant devant une table chargée de papiers et de lettres, il écrivit précipitamment quelques lignes.
– Veuillez sonner, chère comtesse, dit-il, vous avez la main sur le timbre.
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Le page obéit.
Un valet de chambre de confiance parut.
– Qu’un courrier monte à l’instant même à cheval, dit François, et porte cette lettre à M. le grand-amiral, à Château-Thierry.
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