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- Le pauvre garçon. Il n'a vraiment pas eu de bol, dit Peart. Même si le légiste a clairement démontré que son père avait été tué avant sa mère, le procureur ne lui a pas fait de cadeau. Sans aucune preuve, il a rejeté la légitime défense. Il a fait tout un discours sur la vengeance et ses effets pervers sur la société. Le jury a bu ses paroles et l'a condamné à cinq ans de prison.
- Peut-être était-il vraiment coupable, avança Hurley.
- Non. J'étais au procès. Vous auriez vu sa tête quand il a compris qu'on l'accusait de meurtre au premier degré. Il a hurlé son innocence. Il a expliqué devant un jury intransigeant comment elle l'avait battu durant des années. Mais cela n'a fait que l'enfoncer un peu plus.
Hurley voyait très bien la scène. Il n'y avait rien de plus difficile que de juger de la légitime défense. Surtout quand les deux parties se vouaient une haine tenace depuis des années.
- Et son avocat ?
- Un commis d'office, répondit Peart. Un incompétent de première. Vous savez, Donald est un bon garçon, timide, renfermé sur lui-même, mais un chasseur hors pair. C'est une honte, ce qu'il lui est arrivé.
Hurley compatissait. Perdre son père, sa mère et se retrouver en prison alors qu'il ne défendait que sa peau... Encore un jeune garçon que la justice venait de broyer.
- Bien, je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Je vous remercie pour vos informations, fit Hurley en se levant.
- Tout le plaisir était pour moi, répondit le shérif.
Hurley remit sa veste puis, accompagnée de Peart, elle sortit du commissariat.
Callwin était appuyée contre sa voiture et profitait des rayons du soleil qui baignaient la place.
- Alors, vous avez un nom ?
- Paul Ringfield. Sa femme l'a tué il y a un peu plus de trois ans. Cela nous fait un suspect en moins.
Tout à coup, une idée lui traversa l'esprit. C'était une idée incongrue, mais elle avait l'habitude de se fier à son instinct.
- Vous en faites une tête, il y a un truc que vous avez oublié ? fit Callwin.
- Ringfield avait un fils. Un chasseur émérite. Il a été emprisonné pour le meurtre de sa mère. Je me demandais seulement s'il ne connaissait pas Lucy, Amy et Sarah. Après tout, Silver Town n'est qu'une petite bourgade.
- Il a tué sa mère ? Expliquez-moi, fit Callwin, dans l'incompréhension la plus totale.
Hurley lui fit un résumé du récit de Peart.
Elle n'arrivait pas à s'ôter de la tête cette idée saugrenue.
- La peine de Donald Ringfield court jusqu'en 2009. Encore deux années entre quatre murs, à moins que...
- Franchement, je crois que vous vous faites des idées, dit Callwin qui avait compris où elle voulait en venir.
Hurley appela le Bureau à Seattle. Dix minutes plus tard, son portable sonna.
- Dis-moi ?
L'agent au bout du fil lui donna la réponse. Elle le remercia et raccrocha.
- Donald Ringfield a été libéré pour bonne conduite il y a tout juste un mois.
- Et alors ? fit Callwin. Ça ne prouve rien. Ce pauvre gamin n'avait aucune raison de s'en prendre à ces filles. Comment aurait-il pu savoir qu'elles avaient fait chanter son père ? Et est-ce une raison suffisante pour qu'un gamin sans histoires devienne soudain un sadique pervers ?
Callwin avait entièrement raison. Rien ne liait Donald aux filles. Pourtant, c'était une drôle de coïncidence que les meurtres aient eu lieu juste après sa libération.
- Je sais. Mais supposons que ce soit lui. Cela implique que notre tueur est en liberté, et que Sarah Kent est la prochaine sur sa liste.
Callwin secoua la tête.
- Je vous aime bien, et ne veux pas mettre en doute votre perspicacité de profileuse, mais c'est vraiment tiré par les cheveux, votre histoire. Vous n'avez rien contre lui, si ce n'est des suppositions. En tout cas, ne comptez pas sur moi pour faire un papier là-dessus.
Hurley sourit et ouvrit la portière.
- Je vais quand même appeler Logan. Si j'arrive à trouver un lien entre le révérend Adams et ce Donald Ringfield, alors là il n'y aura plus de doute.
- Vous êtes sûre qu'Adams est lié au meurtre ?
- Je suis certaine que Larry Brooks était innocent et que, si Adams est bien le commanditaire, il a eu recours à un tueur à gages extérieur. Peut-être qu'Adams a été aumônier dans la prison de Ringfield et l'a rencontré à ce moment-là ? fit Hurley en élaborant une nouvelle hypothèse.
Elle nota dans un coin de sa tête qu'il fallait qu'elle le vérifie, puis elle sortit son portable et appela Logan.
- Jessica, tu as le nom du type sur les photos ? demanda aussitôt Logan.
Il venait de sortir de la maison des parents d'Edward.
Hurley lui relata son entretien avec le shérif Peart et lui dit au passage tout le mal qu'elle en pensait, puis elle lui exposa ses nouvelles théories.
- Je t'arrête tout de suite, l'interrompit Logan en se dirigeant vers sa Cherokee. Ce gars vient tout juste de sortir de prison. De plus, d'après ce que tu en sais, il a fait toutes ces années à tort, de la légitime défense. Excuse-moi de te ramener à la réalité, mais les gens normaux ont autre chose à faire que torturer et tuer de pauvres gamines. Ce type doit certainement profiter de sa liberté et n'a certainement aucune envie de retourner en prison. Jusqu'à preuve du contraire, Donald Ringfield n'est en rien mêlé à cette affaire et n'a surtout aucune raison de vouloir les tuer.
- Sauf s'il a eu connaissance des photos, s'entêta Hurley.
- Absolument rien ne le prouve, rétorqua Logan tandis qu'il s'installait à bord de son véhicule et, préférant revenir à des choses plus concrètes, il ajouta : Tu ne me demandes pas si j'ai trouvé Sarah ?
- Si, évidemment ! répondit Hurley, qui était plus qu'impatiente de lui parler.
Sarah était la seule qui pouvait leur apporter de nouveaux éléments.
- Elle est partie en randonnée pour le week-end avec des amis. Je sors à l'instant de chez les parents de l'un des garçons. Ils leur ont prêté une ancienne ferme rénovée. Le problème est qu'elle se trouve à trois heures de route, au fin fond des Rocheuses ! Ils m'ont filé une carte. Même si je ne me paume pas, je ne serai pas de retour avant le début de soirée, au mieux.
- Qu'est-ce que tu leur as dit ?
- Seulement qu'il fallait que je m'entretienne avec Sarah pour qu'elle me parle de Lucy et d'Amy. Ne t'inquiète pas, je n'ai pas éveillé leurs soupçons. Je ne vais pas salir cette fille, si c'est ça qui t'inquiète.
- Je préfère qu'on reste discrets tant qu'on n'en sait pas plus.
Logan alluma le moteur de son véhicule.
- Ah oui, j'oubliais de te dire, j'ai trouvé une lettre dans la chambre de Sarah. Elle avait rendez-vous avec Lucy et Amy le lendemain de leur disparition. Sarah a beaucoup de choses à nous dire.
Hurley approuva.
- Bon, je te quitte. Au fait, je ne pourrai pas t'appeler de là-bas, continua Logan. Il paraît que les portables ne passent pas. Et la ferme n'a ni électricité ni téléphone. Alors ne t'inquiète pas si tu n'as pas de nouvelles.
Tout en l'écoutant, Hurley réfléchissait à toute allure. Une nouvelle idée surgit. Une des plus terrifiantes !
- Si Donald Ringfield est le coupable, tu ne crois pas que cette randonnée loin de tout est le cadre idéal pour commettre sa vengeance ?
Logan démarra et se mit en route. Il explosa d'un rire puissant.
- Tu devrais arrêter de regarder de mauvais films d'horreur ! se moqua-t-il. Je te le redis une nouvelle fois : on est dans la réalité, Jessica. Même si ce Donald est le tueur, et Dieu sait que je n'y crois pas, il n'irait pas tuer Sarah sous les yeux de six autres personnes ! Calme-toi et va te reposer.
- Ouais, je suppose que tu as raison.
- J'ai raison. Allez, je t'embrasse. Je t'appelle dès que je suis de retour avec Sarah.
Elle lui envoya un baiser et raccrocha.
Logan s'amusait encore de l'inquiétude de Hurley. Que n'allait-elle pas inventer !
Après des années à mener des enquêtes, Logan savait pertinemment que la réalité est bien moins complexe que les romans policiers ne le suggèrent.
Il n'y avait pas des centaines de tueurs en série qui sévissaient aux quatre coins des États-Unis. Des hordes de violeurs et de pédophiles planqués à chaque coin de rue. Ou encore des milliers de tueurs en col blanc qui tuaient leurs associés pour un peu d'argent !
Sans cesser de sourire, Logan se brancha sur une radio musicale, imaginant Hurley terrifiée à l'idée qu'il croise Jack Nicholson sur sa route !